Chronique

La pochette a beau évoquer l’album Face Value de Phil Collins, la musique, elle, n’a rien à voir avec celle du batteur de Genesis. Il s’agit plutôt du nouvel enregistrement du saxophoniste Thomas Champagne réalisé avec Random House qui, depuis une dizaine d’années, comprend le guitariste Guillaume Vierset (Edges, Harvest Group), le contrebassiste Ruben Lamon et le batteur Alain Deval (Collapse). Le trompettiste new-yorkais Adam O’Farrill qui avait rejoint le quartet sur l’album précédent Tide (2021) est toujours présent, contribuant au répertoire par une unique mais splendide composition : The Proximity of The Clouds. Il y a le saxophone d’un côté et la guitare électrique de l’autre qui tissent un espace harmonique des plus raffinés tandis qu’au milieu coule, non pas une rivière, mais une trompette majestueuse dont l’envolée lyrique est un véritable enchantement.

L’interaction entre l’alto, la trompette et la guitare constituent un des aspects les plus remarquables de ce disque. On s’en convaincra à l’écoute de Uncertainties dans lequel les trois solistes mêlent leurs chants autour d’une mélodie mélancolique avant de partir chacun à leur tour dans des explorations personnelles toujours ornées de contrepoints mettant ex exergue leur écoute réciproque. C’est du travail de dentellière avec des instruments qui se croisent comme des destins et des timbres qui se complètent comme des couleurs impressionnistes, donnant encore plus de profondeur à cette très belle composition de Thomas Champagne.

Un titre comme P or E est à dominante plus radicale avec le guitariste qui retrouve un son et une énergie rock plus dans la lignée de ce qu’il fait avec Edges. Ce titre met en relief l’excellence de la rythmique qui se plie avec aisance à tous les usages et renforce le côté aventureux de ce morceau. La musique s’y révèle foisonnante et fougueuse en tranchant sur le reste du répertoire. On épinglera encore One, écrit par Guillaume Vierset, qui clôture l’album en beauté. Le jeu y est réjouissant, les trois solistes installant une ambiance suspendue tandis que, soutenue par la nappe collective, la rencontre entre le saxophone alto et la trompette transcendent in fine cette musique en un moment de pure poésie.

[ Chronique par Pierre Dulieu ]