Ceci sera le dernier opus de Pierre Van Dormael, compositeur et guitariste, décédé à l’âge de 56 ans le 3 septembre 2008 des suites d’un cancer. Sachant qu’il ne lui restait que peu de temps, le frère du célèbre réalisateur Jaco Van Dormael (Toto Le Héros et Le Huitième Jour) s’est attelé à terminer ses projets avant sa mort. Parmi ces derniers figuraient la bande originale du dernier film de son frère (Mr Nobody) et cet album sobrement intitulé Solos / Duos. Sa discographie en leader ou en sideman témoigne d’un talent éclectique : il fut en effet aussi bien le co-fondateur de l’ « âme des poètes » avec le saxophoniste Pierre Vaiana et le contrebassiste Jean-Louis Rassinfosse, auteur de disques consacrés à la relecture en jazz de classiques de la chanson française que celui du groupe avant-gardiste Nasa Na Band, avec Fabrizio Cassol, qui évoluera plus tard sous le nom d’Aka Moon, un trio que Pierre finira par rejoindre en invité sur plusieurs albums (Ganesh et Guitars). Ce disque est toutefois différent en ce qu’il offre une musique beaucoup plus intimiste, nostalgique, voire réfléchie. Six titres en solo et six autres en duo avec le guitariste sénégalais Hervé Samb qui fut autrefois son élève quand Pierre donnait des cours au Conservatoire de Dakar. Soigneusement entrelacées, ces douze pièces composent une atmosphère semblable à une musique de chambre, entre interlude classique et improvisation jazz. Elles sont autant de témoignages d’un jeu limpide qui est à la guitare ce que Hergé fut à la bande dessinée : une ligne claire et des couleurs chatoyantes mises au service d’une histoire captivante. Les duos sont forcément plus riches en rythmes et en contrepoints, les lignes jouées sur les cordes basses de l’instrument répondant harmonieusement aux solos plus aigus, mais les pièces en solitaire sont en apesanteur, teintées de mélancolie telles des odes à une nature vivace dans un printemps imaginaire. Et le fait de reprendre, à côté de compositions originales, des thèmes populaires comme Blowin’ In The Wind et My Back Pages de Bob Dylan ou It Never Entered My Mind de Rodgers & Hart contribue à rendre le répertoire encore plus attrayant. Le son des guitares acoustiques, produit et mixé par Van Dormael lui-même, résonne dans l’air comme une vibration positive. Aucune tristesse, aucun fatalisme ne transparaît ici : seulement la joie de jouer dans une quête obstinée de belle musique. Pierre Van Dormael manquera à une foule de gens, ceux qui l’ont connu, les musiciens qui ont joué avec lui (comme Philip Catherine qui a écrit les notes de pochette) et les mélomanes qui l’observaient de loin quand il était sur scène.