Depuis la sortie en 1997 de son premier album, Moving, le saxophoniste Bart Defoort est resté relativement discret, jouant surtout pour les autres et ne délivrant que deux autres enregistrements sous son propre nom : Streams avec le pianiste Diederik Wissels et l’excellent The Lizard Game qui présente un jazz moderne dominé par un ténor à la sonorité épaisse. Ce quatrième compact, qui ne déroge pas à son style formé à l’école du bop, lui permet d’explorer plus en profondeur les grands standards du jazz. Peu de reprises dans le sens littéral du terme mais plutôt des séquences harmoniques sur lesquelles sont développées de nouvelles mélodies servant elles mêmes de base à d’autres improvisations spontanées. On est ainsi confronté à des thèmes, parfois empruntés à des compositeurs célèbres, parfois écrits et arrangés par le leader ou par des membres de son quintet, qui rappellent confusément le jazz mainstream ou bop des années 50 et 60. Bart Defoort a ici élargi son quartet en s’associant avec un autre saxophoniste ténor : Emanuele Cisi, d’origine italienne, qu’on a pu entendre jadis aux côté de Paolo Fresu, d’Enrico Rava, d’Aldo Romano et de Nathalie Loriers. Dotés chacun d’une approche bien reconnaissable, les deux ténors s’en donnent à cœur joie, explosant dans des solos de haut vol ou interférant l’un avec l’autre en de subtils contrepoints. Le répertoire est un assortiment varié de friandises. D’un côté, il y a les escapades lyriques, en forme de ballades, sur lesquels les ténors se répandent avec chaleur, partageant leurs histoires et leurs visions du monde : le mémorable Indian Summer (un standard composé en 1919 par Victor Herbert et sublimé entre autres par Coleman Hawkins), les magnifiques Home et Speak Low (composé par Kurt Weill ) ou encore Easy Living, une autre reprise composée par Ralph Rainger pour un film des années 30 et autrefois popularisée par Billie Holiday et Ella Fitzgerald. De l’autre, ce sont des courses échevelées et pleines de swing où les ténors s’embrasent et trouvent leur écho dans une section rythmique au drive impressionnant : les indescriptibles Alma La Diva, Keys To The Kingdom et The Way You Look Tonight et, dans un style moins tendu et plus élastique, Unknown Time And Place et Thaïs. Composée de Ron van Rossum au piano, de Nic Thys à la contrebasse et de Sebastiaan de Krom à la batterie, le trio accompagnateur est de premier ordre et, de frénésie en poésie, contribue à relever l’expressivité du discours. En définitive, l’esprit est respecté mais pas forcément la lettre, ce qui fait de Sharing Stories un album à la fois classique et original, rempli à ras bord d’une joie de jouer qui se transmet instantanément à l’auditeur. Voici une musique de plaisir qu’il ne faut rater sous aucun prétexte. [PDL]
Au cours de ma propre évolution, J’ai été tardivement très attiré par les « standards », avec leurs formes spécifiques et leur luxuriance harmonieuse. C’est pourquoi, quand j’ai composé mes propres pièces pour ce CD, j’ai adopté une procédure bien connue du jazz : celle d’écrire de nouvelles mélodies sur des progressions d’accords familières. Elles offrent une route alternative, un nouveau tremplin vers l’improvisation. Pour être utilisées ou pas. La seule exception ici à cette règle est le morceau appelé « Thaïs » - Bart Defoort, juin 08
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