Le collectif Octurn, constitué autour d’un noyau de musiciens plus ou moins permanents, a l’habitude de produire des œuvres à tête chercheuse dans des styles variables en fonction des interprètes et des compositeurs invités. Cette North Country Suite a été entièrement écrite par le guitariste Pierre Van Dormael qui s’impose également comme le leader et le principal soliste. Les longues pièces contemporaines de Ocean et les expérimentations électroniques de 21 Emanations laissent ici la place à 15 titres compris entre 3 et 6 minutes, moins radicaux et donc plus accessibles quoique se présentant encore essentiellement sous la forme d’improvisations. D’une étonnante fluidité et quasi climatique, la musique coule facilement dans les oreilles même si le style sinueux de Van Dormael est tellement particulier qu’il est difficile de le comparer à celui de n’importe quel autre guitariste. Ecoutez Melting Ice par exemple : la guitare est limpide avec une sonorité claire, presque fragile, qui plane au dessus de la polyphonie de l’orchestre. Le piano fender rhodes de Jozef Dumoulin est très présent sur ce titre, procurant un côté moderne à la partition encore renforcé par la frappe précise et sèche du batteur Chander Sardjoe. Bo Van Der Werf au saxophone baryton ne passe pas non plus inaperçu et délivre, comme sur Free Man, quelques solos eux aussi mis en valeur par la dimension orchestrale. Van Dormael a écrit quelques beaux thèmes comme la mélodie pastorale de All Places qui s’étire comme une pâte sonore élégiaque. Mais il n’y a pas que le contrepoint et le groove reprend vie à intervalles réguliers en apportant une variété bienvenue dans le cheminement de l’œuvre : No Retail affiche un sacré punch avec une rythmique royale intégrant deux bassistes (Jean-Luc Lehr et Christophe Minck) tandis que On Earth Together présente une légère saveur Fusion avec une guitare électrique au son trafiqué et un solo de basse époustouflant. Bien sûr, l’apport des autres musiciens comme Laurent Blondiau à la trompette, Guillaume Orti au saxophone alto et Fabian Fiorini au piano est fondamental dans l’agencement des structures polymorphes. La prise de son est parfaite et rend lumineuse l’interaction ou l’émergence des musiciens. Ce serait enfin dommage de ne pas mentionner le superbe digipack en trois volets exposant les photographies de Jaco Van Dormael qui traduisent avec tant de poésie la mélancolie des contrées nordiques. Loin de tout intellectualisme, North Country Suite est une œuvre déroutante mais fascinante qui ravira les amateurs d’un jazz innovant où lyrisme et groove se croisent au cœur d’une esthétique inclassable.
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