Le vibraphoniste Pascal Schumacher et le pianiste Jef Neve sont deux grands noms de la scène jazz en Belgique et, depuis mai 2003, ils ont produit ensemble, en quartet, trois magnifiques albums en studio et tourné un peu partout sur la planète (confer le DVD Live In Australia enregistré au Festival de Jazz International de Melbourne). Toutefois, depuis 2004, ils avaient fait le projet d’enregistrer en duo, un pari difficile compte tenu de la combinaison de deux instruments pas si faciles à apparier. Le résultat est tout simplement époustouflant. Les deux musiciens ont créé une musique de chambre originale, aérienne et raffinée dont les relations avec le jazz, fut-il européen, sont ténues. Les influences ne manquent pourtant pas : en écoutant Face To Face, on pense à Claude Debussy et à Erik Satie mais aussi, bien sûr, à Keith Jarrett et à Gary Burton dans leurs œuvres les plus intimistes. Le bien nommé Wonderworld qui ouvre le répertoire mettra tout le monde d’accord : le duo a ouvert la porte sur un autre monde où parties écrites et improvisées s’entremêlent dans un tableau sonore impressionniste. Le pianiste déroule ses notes avec une expressivité hors du commun tandis que les lames qui résonnent évoquent les cristaux de glace, les carillons de fête et, au-delà, un univers enchanté propice à la rêverie. Les deux funambules se croisent perpétuellement sans se gêner : ils jouent chacun entre les notes de l’autre, mariant les timbres et fabriquant une dentelle sonore d’une intrigante légèreté. On a parfois l’impression que la musique est vivante, qu’elle pulse en flux et reflux, jouant et déjouant des notes assorties dans leur intime complicité. Les superbes mélodies originales, composées par Neve ou Schumacher, sont porteuses d’images. D’ailleurs, comme le souligne Matthias Naske, Directeur général de la Philarmonie Luxembourg et auteur des notes de pochette, la musique de film tient une place spéciale dans le cœur de ces deux artistes. Mais si bande sonore il y a, c’est celle d’un film fantastique et poétique où la fée Clochette, lutins, et autres elfes coexistent dans un bois enchanté aux couleurs multicolores. Dreamlike Space ou Araignée, par exemple, auraient parfaitement illustré la longue traversée du Pôle Express ou les mondes imaginaires de Narnia. Quant à l’unique reprise, Cirrus de Bobby Hutcherson (extrait de l’album éponyme paru chez Blue Note en 1974), cette nouvelle version captive par son lumineux interplay entre les deux instrumentistes. Tout ça pour dire qu’on est ici bien loin de la virtuosité gratuite de deux techniciens hors pairs mais tout près d’une osmose réussie entre deux visions dépassant allégrement les frontières stylistiques.
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