Est-ce le troisième volet d’un triptyque ? Ou pas ? Quelle importance après tout ! Une chose est sûre : après Miss Soul sorti en 2005 et Big Boogaloo l’année dernière, Trippin’ est la suite de l’exploration en trio d’un jazz groovy, mélange pêchu de soul, de swing et de funk, que le pianiste enrobe d'un son actuel pour éviter qu’il ne soit qu’un hommage de plus au hard bop des années 50. Ecoutez le titre éponyme en ouverture : d’emblée, la rythmique agressive vous saute au visage avec la frappe sèche et précise d’un Frank Agulhon déchaîné derrière les fûts. Le leader, lui, joue sur un Fender Rhodes dont la sonorité acide renforce l’impact des riffs R’n’B. Magnifique mise en bouche pour un répertoire de 15 titres aux parfums variés qui ne laisseront personne sur sa faim. Huit des compositions sont de la main de Legnini et certaines d’entre elles accrochent comme des nouveaux standards. Bullitt Mustang Fastback, par exemple, dont le titre est un clin d’œil à Steve McQueen et à la plus célèbre des poursuites de voiture au cinéma, est mené à un train d’enfer, évoquant par ses cascades de notes les bolides dégringolant à toute allure les rues en pente de San Francisco. Dans le même registre speedé mais interprété cette fois au piano acoustique, Bleak Beauty (amusant jeu de mots à propos du Black Beauty de Miles Davis) surprend par son côté tranchant tandis que Rock the Days revient au Fender en s'appropriant l’énergie du rock à l’intar d’un Esbjorn Svensson. J’aime bien aussi Casa Bamako avec sa mélodie simple, swinguante et ensoleillée comme un thème d’Horace Silver. Et puis, à l’autre bout du spectre, il y a ces ballades empreintes d’une sensibilité à fleur de peau comme Jade sur lequel le jeu de Legnini change radicalement, devenant à la fois ample, orchestral et lyrique. Côté reprises, le trio s’approprie quelques thèmes, anciens et modernes, fort bien restitués parmi lesquels on épinglera Con Alma, la célèbre composition afro-cubaine de Dizzy Gillespie, ici rendue dans un style léger qui n’est pas loin d’évoquer le trio d’Ahmad Jamal, un blues plein d'âme de Ray Charles (Them That Got) et The Secret Life of Plants de Stevie Wonder dans une version qui conserve tout son mystère et sa poésie. Des trois derniers albums consacrés par Legnini au hard-bop, celui-ci est doté de la pochette la plus réussie. Avec un titre choisi pour faire référence à « Struttin’ », un album du groupe funk légendaire The Meters, elle rappelle aussi celle du fameux Rumproller de Lee Morgan, les lettres dansantes du mot « trippin’ » suggérant, avec justesse et simplicité, le balancement naturel de cette musique expressive… C’est le groove, baby, celui qui descend fièrement le trottoir en remuant les fesses !
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