Toutes les compositions sont de Jacques Pirotton |
Pour avoir tâté quelque peu de l’instrument, j’ai toujours eu un faible pour les guitaristes. Par chance, la Belgique a produit d’excellents musiciens de calibre international comme le regretté René Thomas et Philip Catherine mais aussi une kyrielle de guitaristes moins célèbres qui sont pourtant d'authentiques petits princes de la six-cordes comme Pierre Van Dormael, Paolo Radoni, Peter Hertmans, Fabien Degryse et Pierre Lognay pour n’en citer que quelques uns. Parmi ces derniers, Jacques Pirotton, né en 1955 à Liège, fait figure de vétéran sans pour autant avoir la renommée auprès du public que son immense talent aurait dû lui amener. Je me souviens d’avoir été impressionné en 1984 par un LP jamais réédité et aujourd’hui introuvable (Happy Few, MD 110) sur lequel il accompagnait en duo le grand Jacques Pelzer à la flûte et au saxophone alto. A l’époque, il composait déjà des thèmes superbes qui auraient bien mérité de ne jamais tomber l’oubli comme Happy Few et Scarcity. Si sa discographie en véritable leader est plutôt réduite (à peine quatre disques, en comptant celui-ci, dont le plus célèbre reste l’indispensable Artline qui fut édité sur le label B Sharp en 1988), il faut savoir qu’il a aussi participé en tant que co-leader, sideman ou invité, à une multitude d’albums qui se classent, dans des styles fort différents, parmi les plus belles réalisations du jazz européen. A titre d’exemple, on épinglera Ocean et Round du collectif avant-gardiste Octurn, les deux compacts de Phil Abraham dédiés aux Beatles (Jazz Me Do 1 & 2), l’inoubliable We Can't Stop Loving You plein d’humour du trio Steve Houben / Jacques Pirotton / Stephan Pougin, la world-fusion d'Al Orkesta de Joe Higham sans oublier une contribution à une compilation sur Igloo en hommage à René Thomas (1997). Cette trajectoire atypique, associée à une étonnante modestie sur le plan médiatique, explique probablement que, s’il est respecté et recherché par ses collègues musiciens, Jacques Pirotton soit toujours aujourd’hui aussi mal connu du vaste monde qui entoure la cité ardente.
Ce Parachute remet les pendules à l’heure. Dès le premier titre, Too Young, on est confronté à la science du guitariste : un son acoustique formidable, un toucher d’une délicatesse extrême, un phrasé terriblement efficace et surtout un lyrisme à fleur de peau qui transporte l’auditeur hors de son quotidien. Le choix de Fabrice Alleman aux clarinettes (normale et basse) est judicieux : son jeu nerveux dynamise des compositions attrayantes toutes écrites par le leader. La fin du morceau, qui résonne comme 1000 clochettes, se fond dans le suivant via une transition naturelle, presque impalpable. Ici encore, Pirotton varie les plaisirs en alternant plages lyriques (Pictures, Parachute) et compositions plus énergiques (The Cake et son introduction atonale qui mute rapidement sur un tempo enlevé propice à des soli explosifs) sans oublier un voyage au Sud (K. Dra) ainsi qu’une percée subtile dans le genre hard bop / fusion avec December 13th sur lequel le vieux complice Benoît Vanderstraeten à la basse électrique - il était déjà là à la fin des années 80 sur Artline et Jokari - et le batteur Jan De Haas laissent libre cours à leur imagination fertile. Pas de décibels superflus ici, ni de virtuosité gratuite : Pirotton maîtrise son art avec volupté en se mettant au service de mélodies arrangées avec soin. L’album se termine sur un étonnant Chinese Doll interprété cette fois à la guitare électrique par un jeune musicien de 54 ans retrouvant l’énergie d’un rock basique avec lequel il flirta à ses débuts. Ce superbe album, riche, diversifié et finement ciselé, est un régal pour les oreilles. |
Discographie sélective de Jacques Pirotton (leader et co-leader)
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