Depuis une dizaine d’années (leur premier album Chromatic History est sorti sur le label De Werf en 1996), le collectif Octurn flirte avec un Jazz expérimental entre une musique contemporaine écrite et des improvisations sur des pulsions rythmiques à la Steve Coleman. Ce double album ne renie en rien cette approche sophistiquée qui n’est certes pas facile d’accès (à cause de l’absence de mélodies) mais qui, pour autant que l’on s’accroche un peu, s’avère vite passionnante. Le fil conducteur de ce nouvel album est le bouddhisme tibétain et plus particulièrement les 21 émanations de la déesse Tara. Mais même si l’on retrouve ici et là quelques sonorités aux couleurs orientales (Chandler Sardjoe est aux percussions), il n’y a aucun mysticisme naïf qui sous-tend ce projet par ailleurs d’une agréable simplicité : la pochette de l’album est d’une blancheur immaculée sans aucune note et les secrets du livret tout blanc résident en trois superbes photos d’un sommet himalayen (le Kanchenjunga) qui portent en elles bien plus de magie que tout ce qu’on pourrait écrire. Ce qui frappe le plus, c’est que ce disque n’offre que peu de solos mettant en vedette l’un ou l’autre des dix musiciens de l’orchestre. Chacun joue une partition qui s’insinue dans celle des autres et c’est de l’ensemble de ces interactions, affinées pendant les nombreuses répétitions, que naît la musique, ambitieuse, étrange et envoûtante. Ceci dit, la masse orchestrale n’étant jamais étouffante, l’esprit se plaît à suivre les développements des musiciens individuels et l’on se retrouve à écouter au fil des plages le piano méditatif de Fabian Fiorini (Green Tara), la flûte sinueuse de Magic Malik (Growth), la guitare électrique de Pierre Van Dormael (Calcutta) ou le baryton de Bo Van Der Werf entrelacé avec l’alto de guillaume Orti et la trompette de Laurent Blondiau (21 Emanations). Les instruments acoustiques se marient merveilleusement aux électriques pour créer un édifice sonore moderne, véritable espace de rencontres où la mélodie cède sa place à des échanges aussi abstraits qu’une dissertation philosophique, genre "la musique fait émerger les souvenirs de l’inconscient". Mais sur les titres plus enlevés, la densité rythmique des basses (Jean-Luc Lehr et Otti Van Der Werf) et de la batterie (Sardjoe) nous ramène parfois aux meilleurs moments d’Aka Moon et à leur Jazz-Fusion du futur et là, il arrive que les vibrations du corps l’emportent sur les ondes spirituelles. Le second compact de l’abum est un remix de deux titres du premier disque plus trois nouvelles compositions. Si Roots et Orange relèvent davantage de la musique Ambient, Hogon, 21 Emanations et surtout Growth sont de grandes équipées fusionnelles subtilement habillées de textures électroniques discrètes concoctées par le batteur Dré Pallemaerts reconverti pour l’occasion en sorcier du laptop. Il arrive trop souvent que de telles expériences n’apportent rien sinon à coller un drum’n’bass ou à réduire la musique en un babillage informe et sans intérêt. Ici, au contraire, le monde sonore d’Octurn s’enrichit d’une électronique intelligente qui filtre, spatialise et manipule l’orchestre telle une conscience intérieure : la musique prend alors une nouvelle dimension sans doute parce qu’au départ, elle portait déjà en elle les germes de sa modernité. Décidément, d’un disque à l’autre, Octurn se renouvelle constamment et s’avère toujours aussi excitant !
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