Abdelmajid Bekkas, qui fit jadis partie du célèbre groupe de folklore marocain Jil Jilala, revient sur le label IGLOO avec ce deuxième disque consacré une fois de plus à ce mélange si particulier de musique Gnaoua et de Blues afro-américain. Cinq compositions originales et cinq morceaux traditionnels composent ici un répertoire bien équilibré et plus varié que sur African Gnaoua Blues. Certes, les rythmes lancinants, au croisement de l’Afrique subsaharienne et des mélopées orientales, sont toujours présents, assurés par des musiciens du terroir imprégnés de l’histoire et des rites associés à cette musique pentatonique séculaire : Abdelkader Amlil (guembri), Hassan Zoutai et Abdessadek Bounhar (qarqabou) font en effet tous partie de troupes Gnaoua traditionnelles qui se produisent régulièrement à Rabat. Quant à Rachid Zeroual, dont le souffle profond transcende la musique et accentue encore son côté mystique, il est l’un des maîtres de la flûte orientale (neï) parmi les plus appréciés au Maroc et son ouverture récente au blues n’est due qu’à sa rencontre avec Bekkas pendant le célèbre festival des Oudayas. Cependant, Majid Bekkas, soucieux de porter son art vers la modernité, s’est ouvert à d’autres genres qui lui confèrent une dimension plus universelle, moins ethnique, et plus apte à s’imposer dans d’autres cultures sans pourtant renoncer d’un iota à la magie de son essence ni à la profondeur de sa spiritualité. Il a ainsi convié à la fête le batteur et percussionniste guadeloupéen Serge Marne qui s’est fait un nom sur la scène jazz aux côtés du grand Eddy Louiss, de Philip Catherine et d’Archie Shepp et dont le jeu d’une retenue exemplaire s’intègre avec félinité à la pulsation. Mais il y a plus. Le guitariste belge Paolo Radoni intervient sur deux titres en renforçant le côté bluesy de la musique. Une autre surprise, c’est d’entendre le grand trompettiste italien Flavio Boltro sur Moussaoui et sur l’instrumental Mogador, un titre superbe et le sommet de l’album qui, avec ses solos de luth, de flûte et de trompette, évoque carrément le jazz oriental d’un Rabih Abou-Khalil. Le disque se clôt en beauté avec Nekcha, un étonnant mariage de timbres entre Majid Bekkas au guembri et le pianiste Charles Loos qui n’en est pas à son premier essai de fusion entre jazz et musique arabe (confer son disque avec les Aissawas de Rabat sorti en 1997 chez Igloo). Mogador, c’est l’ancien nom d’Essaouira, l’une des cités marocaines de la côte atlantique. Maintenant, c’est aussi le titre d’un superbe album de fusion entre des cultures qui, après une longue errance, ont fini par se retrouver. Faut-il alors s’étonner si la joie, l’échange, le contraste et l’émotion sont au rendez-vous ?
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