Une batterie incantatoire sur laquelle vient se greffer des accords de piano étranges, installant une atmosphère surréelle, presque fantastique, et voilà que le soprano déroule sa plainte magnifique. Musique hantée, sombre mais aussi nostalgique et aérienne. Le solo de piano électrique de Bill Carrothers s’épanouit en circonvolutions saturées avant le retour du saxophone et ses élans passionnés. Des ambiances sonores introspectives de Open To Your Love ou de Metal Bar (une seconde version de Painting Space) à un arrangement surprenant de Body & Soul, interprété au ténor, qui évoque la créativité et l’ouverture d’un Wayne Shorter, on trouvera beaucoup de plaisir à écouter cet album. Le fil rouge de cette musique est d’ailleurs peut-être justement ce Shorter moderne (celui de Footprints Live! qui marquait le retour à un répertoire acoustique via une réinterprétation transcendante de ses anciennes compositions) avec lequel Robin Verheyen partage le goût de la note rare, imprévisible, stimulante, défaisant la mélodie pour la réinventer à sa guise avec un esprit incendiaire. On en veut pour preuve la fantastique composition de Shorter intitulée Capricorn (extraite de Super Nova et reprise plus tard sur Footprints Live!), ici rendue avec une intensité et une maîtrise époustouflantes. Ces compositions colorées (ce n’est pas pour rien que l’album s’intitule Painting Space) sont d’une expressivité sans limite : Verheyven enchaîne des phrases inattendues, invente des trémolos curieux, pousse la recherche jusqu’à la note free et, revenant sur la mélodie par une pirouette, délivre en finale des solos magistraux qui sont autant de peintures abstraites, autant de lumineuses singularités. Agé d’à peine 25 ans, le jeune saxophoniste originaire de Turnhout (découvert il y a quelques années au sein du quartet de saxophones appelé Saxkartel) démontre qu’il a beaucoup appris en voyageant de Bruxelles à New York en passant par Paris. Mais ce disque n’aurait pas été aussi réussi si Verheyen ne s’était entouré d’une telle équipe de magiciens. Dré Pallemaerts, qui est désormais l’un des batteurs les plus accomplis de la scène jazz européenne, soutient l’édifice en construction avec une palette de rythmes d’un dynamisme renversant. Mais au piano acoustique ou électrique, l’Américain Bill Carrothers impose également sa vision moderne de l’instrument et on comprend pourquoi on le retrouve parfois derrière des artistes comme le trompettiste Dave Douglas ou le saxophoniste Dewey Redman. Quant au Français Remi Vignolo, sa réputation n’est plus à faire tant ses prestations aux côtés d’artistes comme Stefano Di Battista ou Aldo Romano sont connues et appréciées. Avec sa musique d’atmosphère souvent délicate, méditative et déjà sereine, mais parfois aussi brûlante et passionnée, Robin Verheyen ranime la flamme du grand jazz novateur et marche vers la lumière dans les traces (footprints) d’un Wayne Shorter dont il s’impose ici comme l’un des fils spirituels. A écouter absolument !
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