Chronique

Depuis son premier compact, Dolce Divertimento sorti sur Mogno en 2007, le guitariste Alain Pierre a constamment affiché une conception très originale et même parfois surprenante de l'harmonie. On pourrait sans risque écrire que c'est un guitariste "inclassable" dans le sens où il est immédiatement reconnaissable comme l'est aussi un Ralph Towner en comparaison avec ses pairs du label ECM, un Ralph Towner qu'one ne manquera d'ailleurs pas d'évoquer en écoutant le splendide Toboggans, une ritournelle gracieuse qui se déplie logiquement entre jazz et musique classique.

Cette fois, contrairement aux albums précédents où il était toujours accompagné par au-moins un partenaire, il s'agit d'un enregistrement en solo pur et, apparemment, produit sans aucun artifice de studio. Autrement dit, un homme seul et une guitare pour des prises de risques variées et stimulantes qui évoquent des ambiances multiples liées au thème du café comme lieu privilégié de rencontre et de partage au milieu de l'agitation urbaine.

Ainsi, au cours de ce périple original, passe-t-on de l'atmosphère enfumée d'un bar à bières sur la route de Paris-Texas (Beers, Heat & Smoke), où la guitare suggestive résonne dans l'air vicié en prenant des accents bluesy dramatiques à la Ry Cooder, à celle d'un café nord-africain (Café de Paris, Tunis) où la guitare fretless sonne comme un luth en délivrant de subtiles arabesques dans les oreilles des clients somnolant au soleil. Autant de miniatures subtiles et feutrées, autant d'images au charme ineffable qui font mouche. C'est qu'ici, la mélodie est toujours reine même si les harmonies qui l'habillent sont souvent surprenantes. Chacune d'entre elles est une bande sonore d'un court-métrage dans lequel, accoudé au comptoir ou installé sur une banquette, on observe la vie d'un bistrot et les gens qui y passent. Des chanteurs comme Georges Brassens (Le Bistrot), Jean Ferrat (Les Petits Bistrots) ou Charles Trenet (Le Grand Café) et même Edith Piaf (Dans Un Bar) ont été fasciné par ce thème mais c'est la première fois qu'il est aussi bien rendu et avec autant d'émotion par une musique purement instrumentale.

Sur le plan technique, on sent bien qu'Alain Pierre a fait beaucoup de chemin. Ces chansons sans paroles sont interprétées avec une grande fluidité et un phrasé délié (la marque des plus grands) tandis que le son, magnifiquement capté, fait entendre tout ce qui vibre, résonne et gronde dans l'instrument. Ecoutez Waiters Race par exemple, riche de détours et de parenthèses, qui éblouit autant par ses envolées que par sa construction, ses ruptures et ses effets sonores presque oniriques.

Sitting In Some Café séduira les guitaristes mais aussi et surtout tous les mélomanes sensibles aux musiques nuancées, élégantes et profondément évocatrices de ces mondes poétiques qui nous entourent au quotidien mais qu'on ne remarque pas toujours.

[ Chronique par P. Dulieu ]