Chronique

D'emblée, ce disque impressionne : 25 titres pour une durée totale d'un peu moins de 59 minutes, le tout présenté comme une suite ordonnée selon un concept imaginé par le pianiste Bram Weijters qui parlera d'abord aux théoriciens de la musique. S'inspirant de l'architecture imaginée par Jean-Sébastien Bach dans ses livres "Le clavier bien tempéré" dans lequel le génial compositeur présente des préludes et fugues dans chacun des 12 demi-tons de la gamme chromatique, cette suite explore 12 tonalités deux fois, ce qui correspond à un mouvement d'horloge, soit 24 pièces pour chaque heure de la journée plus une courte reprise à la fin.

Evidemment ce concept est plutôt intimidant pour ceux qui ressentent la musique sans nécessairement entrer dans les arcanes de la musicologie et/ou de la physique ondulatoire qui la sous-tend mais ce qu'on entend ici est aussi d'une beauté toute simple qui va au-delà de toute explication mathématique. La variété et la richesse de ces pièces bourrées de fantaisie rappellent bien évidemment l'œuvre de Bach qui, en prenant possession de la globalité de l'univers sonore, intrigue depuis sa création les musiciens les plus accomplis qui y reviennent sans cesse. Mais elles ont aussi leur propre personnalité, ne serait-ce que parce qu'elles incluent une grande part d'improvisation qui accentue encore leur liberté. Le trompettiste américain Chad McCullough, dont la splendide sonorité évoque parfois celle du grand Tomasz Stanko dans sa douloureuse quête de lumière, nous emmène dans un atlas d'émotions diverses où se mêlent nostalgie et onirisme. Comme dans Feather, l'album précédent également enregistré en duo, Bram Weijters troque parfois son piano acoustique contre des instruments électroniques (Wurlitzer, Rhodes ou Moog) comme sur Crackle, Ratchet Wheel, Crystals ou A Different Night qui prennent alors des couleurs modernes sans toutefois que la cohésion ou l'ambiance générale du disque ne soit perturbée.

D'une durée comprise entre 2 et 3 minutes, chaque miniature a sa propre respiration. L'articulation entre les deux musiciens est quasi irréelle dans la lignée des grands duos du genre comme Chet Baker / Paul Bley, Kenny Wheeler / John Taylor ou Uri Caine / Paolo Fresu. Dans ce cas aussi, la musique, entre classique et jazz, est intimiste, émotionnelle et créative dans l'exploration des différentes atmosphères et il n'est guère difficile de s'y immerger totalement. Oubliées sont dès lors toutes les considérations savantes qui ont présidé à sa création, seuls restent à la fin l'admiration et l'immense plaisir ressentis à l'écoute de cet album généreux, poétique, serein et terriblement inspiré.

[ Chronique par P. Dulieu ]