Interview de Barbara Wiernik et de Nicola Andrioli
DragonJazz: pouvez-vous nous raconter la genèse et le développement progressif du projet ?
Barbara: notre rencontre a eu lieu lors d'un stage à l'AKDT (Royale Académie Internationale d'Eté de Wallonie) de Libramont où nous sommes tous deux professeurs. On a eu envie de jouer ensemble pour le concert des profs, et c'est là que tout a commencé. Ce fut un moment incroyable. Ensuite, j'ai recontacté Nicola environ un an plus tard, me disant que j'avais vraiment envie de faire un projet commun avec lui. Et c'est ainsi que nous avons décidé de mettre sur pied un nouveau projet basé principalement autour de notre musique. Quelques concerts ont jalonné notre début de parcours et, à chacune des fois, aussi bien notre plaisir de jouer ensemble que l'engouement du public et des organisateurs furent à leur comble. C'est la raison pour laquelle nous avons pris la décision d'aller de l'avant et de concrétiser notre démarche artistique en voulant enregistrer un premier album.
Nicola: je pense effectivement que notre rencontre artistique a eu lieu pendant les stages d'été de Libramont durant lesquels on a eu l'occasion de jouer ensemble… C'était magique! A partir de ce moment là, la musique nous a entraîné dans une nouvelle expérience artistique commune. Ce voyage a commencé grâce à Barbara qui m'a proposé une répétition chez elle : c'est comme ça que l'histoire à pris forme..., comme les vagues qui créent la mer...
DragonJazz: comment les enregistrements des différents titres de Complicity ont-ils été réalisés ?
Nicola: le planning de l' organisation de la session studio a été réalisé à l'avance en fonction des disponibilités de chacun et tout était donc préétabli.
Barbara: nous avons enregistré l'album en trois jours. On avait fait un horaire qui convenait à tous et qui nous laissait également des moments en duo pour jouer les morceaux qui sont effectivement en duo sur l'album. Mais ceci dit, lorsqu'on s'est retrouvé à cinq en cabine, on a été surpris par la force et la cohésion du projet. Les invités ont joué de manière extrêmement impliquée, très à l'écoute de ce que nous voulions, Nicola et moi, mais n'hésitant jamais a donner leur avis ou à prendre des libertés, toujours au service de la musique. Ça a été un moment vraiment incroyable.
DragonJazz: quelles sont les parts d'écriture et d'improvisation dans ces superbes compositions personnelles (écrites pour la plupart par Nicola et une par Barbara) où peu de chose semblent avoir été laissées au hasard ?
Barbara: je laisse la parole à Nicola…
Nicola: la plupart des compositions respectent la forme traditionnelle du jazz (thème-solo-thème), donc avec des parties d'improvisation préétablies. Mais certaines formes ont été modifiées au dernier moment en studio. C'est toujours surprenant comment le résultat est différent de ce à quoi on s'attendait. Les compositions ont eu un processus de développement, de réarrangement et d'adaptation. Pour certaines compositions il y a eu une transformation du registre mélodique pour les parties vocales tandis que, sur certaines parties, des lignes en contrechant pour le sax et la contrebasse ont été ajoutées.
DragonJazz: quelle fut la part de liberté laissée au saxophoniste / flûtiste Manuel Hermia pour cet enregistrement ?
Barbara: Manu a eu bien sûr énormément de liberté pour ses solos, mais en ce qui concerne les thèmes, nous n'avions pas spécialement envie d'être à l'unisson. Donc la plupart des parties où Manu joue la mélodie sont écrites. Il y a bien un thème où on est à l'unisson, il s'agit de Sun Ball. C'est un morceau très rapide dans lequel on pouvait justement renforcer la mélodie en la jouant ensemble.
DragonJazz: l'influence de musiques non jazz et non européennes se fait sentir à plusieurs moments (sur Cradle Song et Sun Ball en particulier). Quelles en sont les origines ?
Barbara: Cradle Song est un morceau que j'ai découvert sur un album de Norma Winstone. Mais le morceau a été écrit par Komitas, un compositeur arménien né en 1869. En plus d'être compositeur, il était également poète, philosophe et ethnomusicologue. Je suis sûre qu'il aurait beaucoup aimé les belles paroles que Norma, elle aussi ayant la plume d'un poète, a écrit sur son morceau. Pour Sun Ball, j'avais fait écouter à Nicola un morceau que chantait Tatiana Parra, une merveilleuse chanteuse brésilienne, en lui disant: « J'adorerais chanter quelque chose dans ce style là! ». Il a fait mieux que ce que j'aurais pu espérer!
Nicola: Sun Ball est inspiré par le répertoire brésilien. On pourrait dire que c'est un clin d'oeil à une composition de Lyle Mays, surtout quand rentre le Fender Rhodes… Mais Euterpe sera gentille avec moi vu que la partie mélodique de Sun-ball est différente et vient probablement d'autres sources.
DragonJazz: les textes en anglais de Barbara sont particulièrement bien écrits et, surtout, ils sonnent bien mais pourquoi pas de chansons francophones cette fois ?
Barbara: merci pour le compliment. Je me vraiment attelée à avoir des textes en anglais qui tiennent la route. C'est entre autre grâce à des aides très précieuses (elles se reconnaîtront). La grande chance que j'ai eue a été de me faire inviter par Norma Winstone pour trois jours de travail intensif avec elle. Elle m'a fait transformer pas mal de choses, toujours pour le bien de la musique. Et pourquoi rien en français? Très bonne question! Si je reviens quelques années en arrière: sur l'album PiWiZ, tous les textes avec paroles étaient en français parce que ça collait bien à la musique de Pirly Zurstrassen. Sur mon album Soul Of Butterflies, j'avais vraiment mixé les langues en fonction de ce que je ressentais pour mes compositions. J'avais écrit dans la langue qui me venait à l'esprit selon ce que mes morceaux m'inspiraient. Sur l'album WRaP déjà, tous mes textes écrits sur les morceaux d'Alain Pierre étaient en anglais. Et sur la musique de Nicola, je sentais vraiment bien les sonorités de l'anglais.
DragonJazz: au plan de la sonorité, l'équilibre entre piano et voix est parfait. Qui a supervisé l'enregistrement au niveau technique et quels choix ont été retenus à cet égard ?
Barbara: c'est Alain Pierre qui a fait la direction artistique pour cet album. Il a été présent de la première note de l'enregistrement jusqu'à la dernière note du Mastering. Il nous a été d'une immense aide! Durant tout l'enregistrement, il était en cabine. On n'avait pas spécialement besoin de tout réécouter, il nous guidait pour nous mener là où on lui avait dit qu'on voulait aller. Mais tous les musiciens ont bien sûr eu leur mot à dire. Ce fût aussi une super collaboration avec Antoine Pierre et Marco Bardoscia. Une section rythmique du tonnerre.
DragonJazz: la rencontre de vos personnalités respectives semble avoir été décisive pour la réalisation de ce disque. Est-elle due au hasard ? Qu'est-ce qui vous a attiré chez l'autre au départ ?
Nicola: il existe une sensibilité mélodique commune entre Barbara et moi, et aussi un goût commun pour certaines ambiances harmoniques. Ceci a fait en sorte que les notes qui étaient encore prisonnières dans la portée d'une partition puissent se libérer et résonner dans l'air... Merci Barbara !
Barbara: ce qui m'a attiré chez Nicola? La poésie de ses mélodies, le lyrisme dans ses compositions, sa manière d'improviser avec une telle aisance harmonique, mélodique et rythmique, sa compréhension de la musique, son écoute subtile, son jeu toujours renouvelé, son toucher pianistique...
DragonJazz: les concerts que vous allez donner par la suite pour interpréter cet album seront-ils toujours en duo pur ou prévoyez-vous à certaines occasions de réunir l'intégralité du groupe ?
Barbara: nous avons toute une série de concerts prévus pour 2016. Ces concerts seront exclusivement en duo. A partir de 2017 nous ouvrirons les horizons et jouerons encore en duo mais également avec des invités. Nous jouerons notre premier concert en quintet au River Jazz Festival au Marni en janvier 2017.
DragonJazz: Complicity est sorti sur Spinach Pie Records, le label indépendant d'Alain Pierre, dont c'est la seconde production. Pas trop de problème pour la distribution et la diffusion de l'album ?
Barbara: C’est super de sortir ce disque sur Spinach Pie Records, le nouveau label du guitariste et compositeur Alain Pierre, label sur lequel il a sorti le premier album de "Tree-Ho!" et qui a déjà d'autres productions en vue pour le futur. On a ici les avantages de bosser avec un label indépendant impliquant toute liberté artistique (direction musicale, graphisme pour la pochette, lay-out, etc.). De plus, on a la chance de travailler avec Igloo Circle pour la distribution, donc à priori aucun souci pour la diffusion.
DragonJazz: est-ce un duo soluble auteur d'un projet unique ou comptez-vous y donner une suite ?
Barbara: une chose à la fois. Qui sait ce que l’avenir nous réserve ? Là on va faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que la musique de cet album vive aussi longtemps que possible et touche le public.
DragonJazz: merci Barbara et Nicola pour avoir pris le temps de répondre à ces questions et bonne continuation !
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