Chronique

Un peu moins de cinq ans après Looking Forward sorti également sur le label Igloo, la pianiste belge Eve Beuvens et le saxophoniste soprano suédois Mikael Godée proposent un nouvel album en collaboration. Le quartet est inchangé avec Magnus Bergstroem à la basse et Johan Birgenius à la batterie tandis que la photographie de la pochette est à nouveau énigmatique à l’instar de celle embrumée du disque précédent. Le premier titre, Getting Older, confirme tout de suite que la magie est reconduite et reliée de manière souterraine à l’œuvre antérieure. En dépit d’une approche harmonique et mélodique aussi originale que sophistiquée, la musique apparaît fluide et consonante. Produit d’une entente exceptionnelle acquise au fil des années, elle résulte de la musicalité de Mikael Godée jointe au jeu riche en nuances de la pianiste. Si l’on y ajoute l’assise d’une rythmique légère mais attentive et dynamique (écoutez la frappe de Johan Birgenius sur le titre éponyme), c’est le quartet entier qui dessine une fresque grandiose entre nature exaltée et intimité romantique.

Mais au-delà de la cohésion de cet album et de son atmosphère envoûtante, l’écoute individuelle des solistes procure également de beaux émois. Ainsi, après les notes cristallines en introduction et le thème raffiné et enchanteur évoquant le beau Lac de Côme, l’improvisation au soprano est magnifique de sérénité : on croit assister au lever d’une aurore sur le vaste miroir des eaux. Sur Father’s Day, c’est l’improvisation au piano qui retient l’attention : préservant la fraîcheur de la mélodie, Eve Beuvens part à la conquête de l’inconnu et déroule des phrases inattendues qui sont autant de caresses mélodiques, se révélant aussi éloquentes et expressives que dans l’exposé d’un thème écrit. La sonorité claire de l’enregistrement convoque un éventail de nuances d’une saisissante variété, contribuant de ce fait à la séduction de l’œuvre. Le mariage des vagues de la Mer du Nord et des eaux tumultueuses du Kattegat a produit des pièces originales moins contemplatives que mystérieuses, mais toujours riches d’un lyrisme intense, véritable kaléidoscope d’images poétiques qui s’enchaînent sans fin.

[ Chronique par Pierre Dulieu ]