Le Rock Progressiste

Disques Rares, Rééditions, Autres Sélections


Série V - Volume 8 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 4 ] [ 5 ] [ 6 ] [ 7 ] [ 9 ] [ 10 ]


Fire In Harmony (Compilation Neo 1985)Ghost Dance 1984-1987Serpents In Camouflage (1993)Somewhere But Yesterday (1994)

Raising The Stones (1997)Playing Dead (2002)Skies Darken (2012)

Various Artists (Pendragon / Haze / Liaison / Trilogy / Solstice / Citizen Cain (Unspoken Words) / La Host / Quasar) : Fire In Harmony (LP Elusive), UK 1985
Citizain Cain : Ghost Dance 1984-1987 (Compilation - Mellow Records), UK 1996 - Réédition CD (F2Music), 2013
Citizain Cain : Serpents In Camouflage (SI Music), UK 1993 - Réédition CD (Cyclops Records) 1995 et CD remastérisé (2 CD - F2Music), 2013
Citizain Cain : Somewhere But Yesterday (SI Music), UK 1994 - Réédition CD (Cyclops Records) 1995 et CD remastérisé (F2Music), 2013
Citizain Cain : Raising The Stones (Cyclops Records), UK 1997 - Réédition CD remastérisé (F2Music), 2013
Citizain Cain : Playing Dead (F2Music), UK 2002
Citizain Cain : Skies Darken (F2Music), UK 2012

Citizain Cain, groupe créé par le bassiste et chanteur écossais Cyrus, est issu de cette période des années 80 qui a vu le prog renaître de ses cendres avec des groupes aujourd'hui mythiques nommés Solstice, Marillion, Pendragon, IQ et Pallas. On retrouve d'ailleurs une première trace de leur existence via un titre (Unspoken Words) inclus sur la fameuse compilation de neo-prog Fire In Harmony sortie en 1985 par le label Elusive (EMI) fondé par John Arnison, manager de Marillion (ce titre a été repris en 1996 sur Ghost Dance, un disque collectant d'anciens morceaux enregistrés de 1984 à 1987 par Citizen Cain). Parmi les huit groupes repris sur ce disque, Citizain Cain était, avec Pendragon et Solstice, l'un des plus sérieux outsiders du mouvement et, en 1988, ils étaient prêts à signer un contrat d'enregistrement avec Elusive quand Cyrus, après s'être cassé le bras, se trouva dans l'incapacité de jouer et fut contraint de dissoudre le groupe. Ce dernier va toutefois réapparaître en 1993 avec le disque Serpents In Camouflage, une première production médiocre, très influencée par Genesis, sortie à l'origine sur le label hollandais SI Music et rééditée plus tard successivement par Cyclops et par F2Music.

Heureusement, leur second album intitulé Somewhere But Yesterday marque un réel progrès. A part Cyrus Scott, qui chante et joue désormais de la flûte, et le claviériste Stewart Bell, les trois autres membres sont des musiciens nouvellement recrutés mais leur implication est totale. La comparaison avec Genesis est toujours très apparente, d'autant plus que Cyrus à un timbre de voix qui n'est pas sans évoquer celui de Peter Gabriel, mais cette fois, les mélodies sont plus attachantes, les compositions plus épiques et l'interprétation plus convaincante. Les arpèges de claviers et les envolées de Minimoog sont quasiment des copies carbone de ceux joués autrefois par Tony Banks (écoutez par exemple le début de Junk And Donuts) au temps de Selling England By The Pound. Par contre, le guitariste Alistair McGregor a son style à lui, plus incisif que celui de Steve Hackett mais il est aussi beaucoup moins présent. De temps en temps, la flûte de Cyrus fait une apparition lâchant quelques riffs qui enrichissent avantageusement les textures (comme sur l'excellent Junk And Donuts / An Afterthought). Sinon, les scénettes musicales s'enchaînent souvent avec brio même si l'ensemble ne fait jamais oublier le modèle original. Avec plus de 25 minutes au compteur, la suite éponyme en sept sections est la pièce de résistance du répertoire: c'est du pur rock symphonique incluant, à côté des sections chantées qui sont les plus nombreuses, quelques passages instrumentaux variés, déclinés sur différents modes la plupart du temps enjoués.

Citizen Cain va ensuite connaître d'autres changements de personnel et produire trois albums supplémentaires mettant d'avantage en avant leur propre personnalité mais sans toutefois réellement s'imposer. Enregistré en duo par le noyau de base Cyrus Scott / Stewart Bell, Raising The Stone (1997) n'arrive pas à convaincre essentiellement à cause de mélodies peu attachantes (à l'exception du premier titre Last Days Of Cain) mais aussi d'une musique dense et incohérente qui cherche à échapper à l'influence de Genesis sans pour autant trouver son style propre (même la façon de chanter de Cyrus a changé). Ca ne s'améliore guère avec Playing Dead (2002) qui, malgré l'addition au duo du guitariste Phill Allen, reste un disque sombre et inutilement complexe qui ne parvient pas à faire passer une quelconque émotion. Enfin, alors que leur projet aurait nécessité un sérieux recadrage, Skies Darken (2012), enregistré par le même trio, enfonce le clou: trop long, trop plat, trop sombre, trop dense et beaucoup trop bavard. Les musiciens sont compétents mais n'ont rien appris de leurs échecs passés alors, on applaudit la technique mais beaucoup moins cette musique qui ne respire pas. Si bien qu'en définitive, leur meilleure réalisation reste encore à ce jour leur second album, Somewhere But Yesterday, qui, en dépit de l'influence écrasante de Genesis et d'une gestion déficiente des contrastes, affichait quand même un réel potentiel quant à l'écriture de belles mélodies magnifiées par de plaisants arrangements.

[ Ghost Dance (CD) ] [ Serpents in Camouflage (CD) ] [ Somewhere But Yesterday (CD) ] [ Raising the Stones (CD) ] [ Playing Dead (CD) ] [ Skies Darken (CD) ]
[ A écouter / Ghost Dance : Unspoken Words (1984) ]
[ Serpents In Camouflage : The Gathering - Serpents In Camouflage ]
[ Somewhere But Yesterday : Jonny Had Another Face - Junk And Donuts - Somewhere But Yesterday ]
[ Raising The Stones : Last Days of Cain - Black Rain ]
[ Playing Dead : Falling From Sephiroth - Children Of Fire ]
[ Skies Darken : The Charnal House - The Long Sleep ]


Sky 1Sky 2 (LP)Sky 2 (Réédition CD)

Sky : Sky (LP Arista/Ariola), UK/Australie 1979 - Réédition CD/DVD étendue et remastérisée (Esoteric Recordings), 2014
Sky : Sky 2 (2 LP Arista/Ariola), UK/Australie 1980 - Réédition CD/DVD remastérisée (Esoteric Recordings), 2014

Pour comprendre la musique de Sky, il faut d'abord revenir sur la formation et la composition du groupe. Originaire d'Australie, le guitariste John Williams, célèbre pour ses nombreux disques dédiés au répertoire de la guitare classique, s'est intéressé dans les années 70 au rock. Avec le bassiste de session anglais Herbie Flowers (qui fut membre de T-Rex et qui enregistra entre autres la fameuse ligne de basse de Walk On The Wild Side de Lou Reed), ils décidèrent de former le groupe Sky afin de jouer une musique au croisement de plusieurs styles. Le batteur de session Tristan Fry, également timbalier du Royal Philharmonic Orchestra et qui fut percussionniste sur A Day In The Life des Beatles, le claviériste et guitariste Francis Monkman du groupe prog Curved Air, et Kevin Peek, un second guitariste australien compétent aussi bien en rock qu'en classique, furent recrutés, complétant ainsi ce qui serait le line-up des deux premiers disques Sky et Sky 2.

Enregistré dans les studios d'Abbey Road et sorti en 1979, à une époque ou le prog était quasiment éteint, Sky suscita une adhésion populaire qui le transforma en disque d'or. Pourtant, cette première rencontre entre rock et classique est loin d'être exceptionnelle: à l'exception d'un arrangement par Peek de La Danza, une composition du pianiste espagnol Antonio Ruiz-Pipo, les thèmes sont peu mémorables et la rythmique particulièrement monotone du tandem Flowers/Fry plombe la musique (notamment sur les éprouvants Westway et Cannonball mais aussi dans certaines sections de la longue suite Where Opposites Meet) qui se résume à une sorte de pop classico-rock instrumentale que l'absence de folie destine aux masses et aux grandes surfaces.

Heureusement, Sky 2, sorti l'année suivante sous la forme d'un double LP, se révèle plus ambitieux et plus intéressant, encore que la rythmique se prélasse parfois au ras des pâquerettes et que le grand John Williams se cantonne bien souvent à électrifier ce qu'il joue d'habitude sur sa guitare classique. Il n'empêche que le programme comprend quelques perles comme Dance Of The Little Fairies de Herbie Flowers, une petite merveille à cinq temps de rock néo-classique, les superbes Ballet-Volta de Michael Praetorius (transcrit pour deux guitares) et Andante (le second mouvement du Concerto pour 2 Mandolines en Sol majeur de Vivaldi) interprétés et arrangés de façon très traditionnelle par John Williams, le baroque Gavotte And Variations de Rameau dominé par un clavecin virtuose, et Sahara, une composition de Kevin Peek basée sur un motif oriental avec de chouettes interventions de guitare électrique, qui est la réussite la plus convaincante et la plus originale du disque. Même Hotta, un titre nettement plus rock, ne manque pas de charme et parvient à installer via les synthés une ambiance planante digne des groupes de space-rock. Quant à Monkman, sa suite FIFO qui occupe toute une face d'un des deux LP, a ses bons moments et il a aussi apporté le morceau Vivaldi de Darryl Way, joué jadis par son ancien groupe Curved Air, qu'il a doté d'un nouvel arrangement dans lequel le violon est remplacé de façon plus concise par la guitare de Williams. Aidé par le simple Toccata (une version rock de la Toccata et Fugue en Ré mineur de Bach) qui se classera à la cinquième place du Hit Parade britannique, cet album connaîtra un succès beaucoup plus considérable que le premier, devenant rapidement disque de platine et se hissant même au sommet des Charts anglais (en juillet 1980). Ce double LP, qui pour des raisons techniques liées à sa durée avait toujours été amputé de quelques minutes lors de ses transferts antérieurs sur compact, a été pour la première fois réédité dans son intégralité sur un CD par le label Esoteric Recordings qui, pour faire bonne mesure, a ajouté un DVD présentant des vidéos du groupe enregistrées à l'époque pour la télévision de la BBC. Sans être tout à fait du prog dans sa forme conventionnelle, la musique de Sky 2, située dans une zone grise entre rock, pop et classique, s'avère toujours écoutable en 2016 et méritait bien une telle réédition luxueuse.

Après quelques concerts de Sky en Australie et en Grande-Bretagne, Francis Monkman quitta le groupe pour se consacrer à ses propres projets, amputant ainsi la formation du plus prog de ses musiciens et de l'un de ses compositeurs essentiels. Il sera remplacé par le claviériste Steve Gray, un musicien de session connu dans les milieux du jazz où il a joué avec Quincy Jones, Henry Mancini, Michel Legrand et Lalo Schifrin. John Williams lui-même jettera l'éponge en 1984 après l'enregistrement de Cadmium (Ariola, 1983) pour retourner à sa carrière classique. Sky continuera d'enregistrer des albums en studio jusqu'en 1987 (Mozart étant le dernier) et à se produire sur scène jusqu'en 1995 sans toutefois apporter grand-chose de neuf par rapport à Sky 2 qui reste le maître achat de toute leur discographie.

[ Sky 1 [Esoteric] (MP3) ] [ Sky 2 [Esoteric] (MP3) ] [ Sky : Toccata - An Anthology [Esoteric] (CD) ]
A écouter :
[ Sky 1 : La Danza - Carillon - Where Opposites Meet ]
[ Sky 2 : Hotta - Sahara - FIFO - Andante - Vivaldi ]


Greg Lake AlbumManoeuvresRéédition 2 CD Cherry Red

Greg Lake: Greg Lake (Chrysalis), UK 1981
Greg Lake: Manoeuvres (Chrysalis), UK 1983
Réédition remastérisée des deux disques + 4 titres inédits en bonus (2 CD Cherry Red Records), 2015


Une fois Emerson, Lake & Palmer désintégré en 1978, Greg Lake commença sérieusement à réfléchir à un nouveau projet. Mais au lieu de se cantonner au genre qui lui avait apporté le succès, avec ELP mais aussi auparavant avec King Crimson, il décida de s'essayer au rock mélodique et s'associa avec Gary Moore, le guitariste de Thin Lizzy qui se fera bientôt un nom en enregistrant au début des années 90 deux disques de blues-rock devenus légendaires (Still Got The Blues et After Hours). Il en est résulté un premier album éponyme enregistré un peu trop rapidement à la demande du label Chrysalis. On n'y retrouve ni le Lake progressiste d'ELP ni le chanteur de ballades acoustiques qu'il était parfois au sein de son ancien trio mais plutôt un ensemble hétérogène de chansons pop-rock à vocation commerciale. En fait, le premier titre, Nuclear Attack, est excellent dans un style qui évoque aussi bien les premiers album d'Asia (Wetton et Lake ont des timbres vocaux similaires et Lake remplacera d'ailleurs brièvement Wetton au sein d'Asia en 1983) que le hard-rock A.O.R. de Europe (The Final Countdown). Gary Moore, qui a écrit le morceau, est fantastique, faisant rugir sa guitare tout du long et propulsant la musique en orbite dans ce qui est sans doute le premier grand hymne rock des années 80 (le second sera Heat Of The Moment du premier disque d'Asia). Le second titre a la particularité d'être une chanson non enregistrée de Bob Dylan que Lake va compléter, associant ainsi son nom à Dylan dans les crédits. C'est encore un rock enlevé mais, mais en dépit de son illustre auteur, beaucoup plus banal que le premier. It Hurts est la première chanson de la plume de Greg Lake et elle s'inscrit dans le plus pur style A.O.R. Avant d'enregistrer cet album, Lake avait joué à Los Angeles avec Toto dont il a invité le guitariste Steve Lukather qui est peut-être le soliste qu'on entend ici. Le reste navigue dans le même style de rock mélodique sans grande prétention, un genre qui malgré tout se prête plutôt bien à la voix puissante de Greg Lake surtout quand elle est propulsée par d'excellents musiciens comme le batteur Ted McKenna (Rory Gallagher et Michael Schenker Group) et le claviériste Tommy Eyre (Gerry Rafferty et Joe Cocker) en plus de Gary Moore et de Clarence Clemons, le saxophoniste de Bruce Springsteen (excellent solo sur Someone). A noter aussi l'étrange For Those Who Dare qui inclut des cornemuses dans une tentative ratée de musique celtique. L'album ne rencontra qu'un succès mitigé et ne montera pas au-delà de la 62ème place des Charts anglais.

Persévérant dans la même voie, Greg Lake monta alors un groupe de tournée avec les même musiciens et enregistra dans la foulée Manœuvres en 1983. Si elle est mieux préparée et si on ne plus vraiment parler d'un manque de direction, la musique reste sensiblement du même calibre, la surprise en moins. Les morceaux plus rock sont regroupés sur la première face et Gary Moore s'y taille encore la part du lion, notamment sur Too Young To Love et Paralysed sans pour autant retrouver l'intensité de Nuclear Attack. Plus calme, la seconde face est aussi plus pop, le pire étant atteint avec Famous Last Words conçu pour être un hit à la demande du label et qui s'avère en fin de compte n'être qu'une chanson banale sans aucun intérêt. L'album se vendra encore moins bien que le premier forçant Greg Lake à abandonner ses ambitions en solo. Après un break musical, il rejoindra Asia pour une tournée en 1985 et formera Emerson, Lake & Powell en 1986 avant de se résigner à ressusciter son ancien trio ELP qui aboutira à l'enregistrement de Black Moon en 1992. Depuis, Lake lui-même est revenu sur cette époque peu glorieuse de sa carrière et, tout en imputant une part de son échec à la pression mise sur lui par les pontes de Chrysalis, il a reconnu que quitter sa niche progressiste pour un patchwork de styles sans ligne directrice ni cohésion était une erreur.

Le label Cherry Red a réédité les deux disques sous la forme d'un double compact avec un titre en bonus (Hold Me) issu des sessions de Manoeuvres qui ne rehausse pas l'ensemble. Trois autres morceaux enregistrés par Lake avec Toto (plus le saxophoniste Tom Scott sur l'un d'entre eux) sont également ajoutés, ce qui est certes une initiative intéressante pour les fans curieux même si la musique ne dépasse guère le seuil de la médiocrité. En dépit de la qualité de cette nouvelle édition qui inclut une nouvelle remastérisation ainsi que des notes de pochette informatives, elle est à réserver avant tout aux collectionneurs et complétistes ou aux fans de rock A.O.R.

[ Greg Lake Album (CD & MP3) ] [ Manoeuvres (CD & MP3) ] [ Greg Lake/Manoeuvres (2 CD Cherry Red) ]
A écouter :
[ Greg Lake Album : Nuclear Attack - It Hurts - Let Me Love You Once ]
[ Manoeuvres : Manoeuvres - Paralysed - Famous Last Words ]
[ Greg Lake with Toto : You Really Got A Hold On Me ]

Panorama Circus : Painter Of Soul (Life Style / L’Autre Distribution), France 2015
Painter Of Soul
Si Painter Of Soul est une bonne surprise, c'est d'abord parce que la musique proposée est enivrante mais aussi parce que cette création à la croisée des chemins entre plusieurs genres est originale, et enfin, parce que ce genre de fusion à géométrie variable, presque entièrement instrumentale, est finalement assez rare. Les maîtres du jeu en sont le pianiste Matthieu Jérôme, plutôt porté sur l'improvisation que permet le jazz, et Jean-François Blanco qui ne jure que par les samples, la programmation et les bidouillages sonores qu'il peut tirer de ses platines et de ses machines. Leur musique toutefois est beaucoup plus riche que ce qu'on pourrait attendre d'un simple collage entre jazz et hip-hop, un amalgame qui, par ailleurs, a déjà été mille fois tenté. La raison en est simple: c'est que le tandem de choc, tout en préservant la cohérence d'un projet bien conçu, a su s'entourer d'un casting de musiciens exceptionnels qui viennent étoffer et agrémenter leurs compositions. Ainsi passe-t-on au fil des plages d'un Wind Of Wise relax (on dit maintenant chill-out) porté par la voix céleste et la flûte traversière d'Elise Caron à un Return Of Chewbacca tout en rythmes où brille avec intensité la batterie foisonnante de Philippe Gleizes, via un Crazy Latin Stuff agité par le saxophone du bouillonnant Thomas De Pourquery. Des interludes rêveurs au piano viennent ici et là calmer le jeu, histoire de se régénérer un peu avant d'affronter d'autres escapades non formatées. Les moments forts ne manquent pas mais il y en a au-moins deux qui sont immanquables. Le titre éponyme d'abord qui débute lentement comme une ample vague sonore sur laquelle vient se greffer la guitare avide de liberté de Maxime Delpierre qui, en un clin d'oeil, détourne la musique vers le grand inconnu. Et puis, l'époustouflant Free Metal Morphing avec ses dissonances et ce solo terriblement pertinent et efficace du cornettiste Mederic Collignon, décidément insurpassable dans ce genre de dérive fusionnelle évoquant le Miles Davis électrique des 70's. Voici un album réjouissant qui gomme les frontières entre prog, jazz, fusion classique et musiques actuelles et qui le fait avec un naturel et un aplomb qu'on n'attend généralement pas de la part d'un premier essai. Recommandé!

[ Painter Of Soul (CD & MP3) ]
[ A écouter : Feathers Waits For Weights - Painter Of Soul ]

Little Atlas : Automatic Day (10T Records), USA 2013
Automatic Day
Ce groupe basé à Miami joue depuis la fin des 90's un prog mélodique souvent agréable où percent quelques influences de rock classique, dans l'esprit d'autres formations américaines, mais aussi celle de Porcupine Tree. Ce cinquième album, sorti six années après l'excellent Hollow (2007), confirme toutes les qualités de ce quartet qui sait prendre son temps pour écrire de beaux thèmes et les enrober dans des arrangements peaufinés avec soin. Little Atlas est particulièrement à l'aise sur les tempos moyens ou lents qui conviennent bien à la voix de Steve Katsikas, par ailleurs également en charge de tous les claviers vintages entendus sur ce disque (dont le mellotron et le Moog en particulier). Les sept premières chansons, qui tournent chacune autour des huit minutes, impressionnent pas la gestion intelligente de leur dynamique sonore, le groupe parvenant à distiller des contrastes éblouissants mettant en valeur les différentes sections d'une même composition, celles rêveuses s'opposant à d'autres plus intenses. Le guitariste Roy Strattman abat aussi un travail fantastique que ce soit pas ses accompagnements en arpèges (sur Oort ou sur Apathy par exemple), son soutien mélodique, ou pas ses solos courts mais toujours expressifs. L'épique Emily True, dont les textes sont écrits par la poétesse Emily Dickinson, tranche sur le reste par son riff angulaire, son impressionnant mur du son et son côté art-rock musclé qui n'est pas sans évoquer la musique de Blue Oyster Cult. Illusion Of Control est un autre bon moment, combinant déchirures métalliques et passages acoustiques pour finalement installer une atmosphère indécise en clair-obscur, propice à une rumination sur l'illusion de la liberté chez l'être humain. Quant à Darvocet Eyes qui s'étend comme une dérive cotonneuse, c'est encore à Steven Wilson, avec son absinthe et ses drôles de pilules, qu'il fait penser. L'album se conclut sur trois titres plus courts de styles très différents auxquels on ne prête guère attention. Il faut dire que ce qui a précédé a déjà duré près d'une heure et s'est avéré tellement dense que la concentration a fini par se disperser. Sans apporter une quelconque révolution, Automatic Day est un bon album de prog accessible, patiemment ciselé par des artistes davantage intéressés par l'écriture et la construction de leur musique que par des excès démonstratifs et inutiles.

[ Automatic Day (CD & MP3) ]
[ A écouter : Oort - Apathy - Twin Of Ares ]

Sanhedrin : Ever After (Fading Records), Israël 2011
Sanhedrin : Ever After
Originaire de Tel Aviv en Israël, Sanhedrin, un mot qui renvoie au Conseil des Anciens des Juifs à l'époque romaine et antérieure, a commencé sa carrière à la fin des années 90 en jouant exclusivement la musique de Camel. Mais après une période de rodage, les membres fondateurs Aviv (claviers) et Sagi (basse) Barness ont écrit des compositions originales et, après s'être assuré la collaboration d'autres musiciens, ont finalement décidé d'enregistrer un album qui verra le jour en 2011. Entièrement instrumental, Ever After offre huit compositions toujours marquées par le style du groupe qui fut leur première influence mais qui s'ouvrent aussi à une vision plus large héritée des années 70 (Pink Floyd et Genesis entre autres). Très mélodique et fort bien arrangée, la musique bénéficie de la présence du flûtiste Shem-Tov Levi, apparemment bien connu en Israël pour avoir travaillé avec d'innombrables artistes locaux. Sa flûte est partout et procure une réelle identité à Sanhedrin, tirant les sonorités vers un univers pastoral où règnent calme et sérénité. Les autres solistes ne sont pourtant pas en reste: Aviv Barness en particulier joue un rôle fondamental avec ses multiples claviers (et son orgue en particulier) tandis que le guitariste Gadi Ben Elisha se fend de quelques rares mais plaisants solos atmosphériques dignes d'un Andrew Latimer (sur Il Tredici notamment ainsi que sur Timepiece qui évoque directement l'art et la manière de David Gilmour). Les compositions sont fort bien agencées à la fois pour raconter des histoires musicales fortes et pour installer des ambiances aux couleurs différentes comme le parfum d'aventure épique qui prévaut sur Overture, le folkore médiéval de Dark Age ou la sombre époque de la Terreur via les bruitages de foule et les tambours qui introduisent The Guillotine. Steam, qui clôture le programme par un festival de sections très variées, résume à lui seul les qualités de ce groupe qui arrive à faire rêver sans prononcer aucune parole, ce qui est relativement rare dans le monde du rock. En plus, le mixage et la production, assurés par Udi Koomran (la version israélienne de Eddie Offord), sont exceptionnels en ce qu'ils parviennent à donner encore plus de relief à cette musique cinématique. Le seul nuage à l'horizon est qu'il semble que Sanhedrin soit davantage une formation de studio qu'un vrai groupe: les musiciens ne semblent pas avoir beaucoup joué ensemble depuis l'enregistrement de ce disque et, cinq années après sa sortie, rien n'indique qu'il y en aura un jour un second réalisé avec la même configuration.

[ Ever After (CD & MP3) ]
[ A écouter : Il Tredici - Ever After (album complet) ]

La Fabbrica Dell'Assoluto : 1984 - L'Ultimo Uomo d'Europa (Black Widow Records), Italie 2015
1984 - L'Ultimo Uomo d'Europa
Cesare Modesto: La Liberta di SceltaTout comme son homologue britannique, le prog italien s'est revivifié après le nouveau millénaire avec de nouvelles formations qui ont développé des approches fraîches en intégrant des styles actuels et ainsi reconquis un jeune public. A part quelques rares exceptions (comme Egonon entre autres), la plupart de ces groupes modernes ne se sont pourtant jamais coupés totalement de leur propre histoire qui continue à les inspirer depuis les années 70. C'est le cas des Ingrannagi Della Valle, Unreal City, Logos, La Maschera Di Cera, La Coscienza di Zeno, et aussi de La Fabbrica Dell'Assoluto dont le disque 1984 - L'Ultimo Uomo d'Europa est sorti en 2015 sur Black Widow Records. Certes, le concept n'est pas très original puisqu'il est encore une fois basé sur cette vache à lait qu'est le roman de George Orwell dans lequel un protagoniste évolue dans un monde post-atomique totalitaire sous le regard tyrannique de Big Brother, mais c'est une nouvelle occasion d'écrire une musique bien souvent grandiose qui reflète les idées et les émotions liées à la plus célèbre des dystopies. Une musique par ailleurs dominée par Daniele Fuligni à la tête d'un arsenal de claviers dont certains aussi vintage que l'orgue Hammond, le Minimoog, le mellotron, sans parler du Binson Echorec 2, une unité d'écho légendaire utilisée dans les 60's par Syd Barrett et David Gilmour au sein du Pink Floyd. Il faut l'entendre faire gicler de son orgue des riffs incandescents sur des titres comme I Due Minuti Dell'Odio ou L'occhio Del Teleschermo. Sinon, le guitariste Daniele Soprani a aussi son mot à dire et se fend de quelques beaux solos avec un son bien épais qui contribue à renforcer l'impact organique du groupe. Les Romains ont en effet choisi de donner à leur musique une dynamique nettement rock avec des titres denses et relativement concis (si l'on excepte l'épique Processo Di Omologazione qui frôle les 13 minutes). Cette attitude "rock classique" qui leur donne un son très personnel ne renvoie toutefois pas aux groupes britanniques car le classique dont il est question ici, c'est le leur, c'est l'âge d'or du prog italien avec ces ensembles légendaires que sont Banco del Mutuo Soccorso, Balletto Di Bronzo et autres Premiata Forneria Marconi que La Fabbrica Dell'Assoluto connait par cœur (auparavant, les membres du groupe ne jouaient que des reprises du prog classique italien). Les textes sont chantés en Italien par Francesco Rinaldi et, sur La Canzone Del Castagno, par l'excellent Pino Ballarini (Il Rovescio della Medaglia) en invité. Quant à la mystérieuse pochette, elle consiste en une reprise inversée de l'œuvre surréaliste intitulée La Liberta Di Scelta (La Liberté De Choix) réalisée en 1982 par l'artiste peintre romain Cesare Modesto. Complété par des bruitages et des passages récités, L'Ultimo Uomo d'Europa est au finale un album de rock symphonique varié, ambitieux et fort bien interprété, qui devrait réjouir tout amateur de "rock progressivo italiano".

[ 1984 - l'Ultimo Uomo d'Europa (CD & MP3) ]
[ A écouter : 1984-L'ultimo Uomo d'Europa (trailer) - 1984-L'ultimo Uomo d'Europa (album complet) ]

Nuova Era : Il Passo Del Soldato (Pick Up Records), Italie 1995
Nuova Era : Il Passo Del Soldato
Pour Nuova Era, formation italienne créée au milieu des années 80 par le claviériste Walter Pini, la réalisation de ce quatrième et dernier album fut une entreprise difficile. Deux années avant l'enregistrement, le chanteur et guitariste Alex Camaiti, fidèle depuis le premier disque (L'Ultimo Viaggio, 1988), avait jeté l'éponge et le groupe se trouvait sans local pour répéter ni maison de disques. Mais l'horizon finit par s'ouvrir avec le recrutement de Claudio Guerrini en tant que nouveau chanteur et la signature d'un accord avec Pick Up Records, un label indépendant basé en Vénétie. Comme Guerrini n'était pas guitariste, la musique fut désormais construite exclusivement sur l'arsenal de claviers, où brille surtout l'orgue Hammond, d'un Walter Pini plus dominant que jamais, épaulé par le tandem rythmique Enrico Giordani (b) / Gianluca Lavacchi (dr). Cette configuration en trio peut évidemment être comparée à The Nice ou à Emerson, Lake & Palmer mais le style est ici plus agressif, plus tendu, plus sombre aussi en rapport avec le thème de la guerre retenu comme concept global de l'œuvre. A plusieurs endroits (sur Lo Spettro DeLl'agonia Sul Campo par exemple), on entend clairement une superposition de différents claviers répartis sur les canaux stéréo. Et parfois, on jurerait entendre aussi un mellotron mais, selon une info trouvée sur la toile, ce sont plutôt des synthétiseurs Korg qui ont servi à émuler cet instrument polyphonique qui ne fut pas utilisé pendant cet enregistrement. Le résultat est une musique intense et terriblement efficace sur laquelle vient se greffer la voix claire et expressive de Claudio Guerrini qui chante dans sa langue natale sans effort et dans un style théâtral typique du prog italien (il adore rouler les "R"). L'essentiel du programme est toutefois instrumental, combinant des passages rock à d'autres plus mélodiques, cédant à l'occasion à la tentation du néo-classique, et retenant constamment l'attention par une foule d'idées intéressantes. En trio avec claviers, la réussite dépend énormément du batteur dont la frappe, si elle est trop lourde et trop métronomique, peut réduire à néant tous les efforts du soliste. Ce n'est heureusement pas le cas ici et, sans être l'égal d'un Carl Palmer, Gianluca Lavacchi sait varier suffisamment son jeu pour ne pas plomber la musique. En conclusion, Il Passo Del Soldato est un réussite qui enthousiasme tant par sa construction que par son exécution et qui plaira à coup sûr à ceux qui aiment la frénésie et le son dense des claviers entrelacés.

[ Il Passo Del Soldato (CD & MP3) ]
[ A écouter : Il Passo Del Soldato (album complet) ]

Finch : Beyond Expression (Negram/EMI), 1976 - Réédition CD remastérisé (Pseudonym), 1994
Beyond Expression
Beyond Expression (Pseudonym Records, 1994)Moins jazz que le précédent, ce deuxième album du groupe hollandais Finch est aussi plus lisse et ambitieux avec dans la ligne de mire la fusion de Focus mais aussi les passages symphoniques instrumentaux de Yes dont le guitariste Steve Howe était sûrement un modèle pour le jeune Joop Van Nimwegen. Avec seulement trois longs titres au répertoire, cette musique pourtant mélodique et riche en variations de climats n'arrive pas toujours à maintenir l'attention, la faute peut-être à l'absence de concept et d'un chanteur qui auraient pu donner davantage de sens aux compositions (tout le monde sait combien le prog instrumental reste un exercice périlleux). Le plus réussi est le dernier morceau, Beyond The Bizarre, qui est le plus élaboré des trois et qui bénéficie d'un arrangement complexe intégrant un passage néo-classique au piano acoustique ainsi qu'un interlude cosmique justifiant le titre. Ceci dit, au plan purement musical, les quatre complices affichent une maîtrise impressionnante. Bien que toujours en formation, Cleem Determeijer est déjà un claviériste accompli combinant des effets rock avec une sensibilité classique. Alternant entre différents instruments analogiques comme le Solina String, le piano électrique Wurlitzer, un synthé ARP, ainsi que l'incontournable orgue Hammond, il sait comment interagir intelligemment avec le guitariste. Ce dernier, à l'instar d'un Jan Akerman, est ce qu'on peut appeler un virtuose de la six-cordes, capable de jouer sur sa Les Paul différents styles incluant du jazz-rock technique et des riffs agressifs proches du hard-rock. Quant à la rythmique constituée du batteur Beer Klaasse et du bassiste Peter Vink (entre parenthèses, Finch est l'équivalent anglais du mot Vink), elle est suffisamment mobile et dynamique pour donner du corps à l'ensemble. En dépit d'une production moyenne et d'une affligeante pochette bon-marché, montrant un placenta crachant le feu et muni d'un cordon ombilical dérivant telle une comète dans l'espace, l'album reçut chez lui des critiques positives et fut même élu disque de la semaine par la fameuse radio pirate Veronica embarquée à bord d'un bateau-phare. Au Japon, Finch devint l'égal de Focus et connut une gloire certes éphémère mais bien réelle. Un changement de personnel et un troisième album moins réussi (Galleons Of Passion, 1977) auront raison de Finch qui est néanmoins resté dans l'histoire du prog hollandais des 70's comme un groupe majeur à l'instar des Focus, Ekseption, Supersister, Earth & Fire, Trace, et autre Kayak. Le CD de Pseudonym étant devenu presque aussi rare que le LP original, cet album mériterait bien une nouvelle édition remastérisée et étendue par quelques versions live.

[ Beyond Expression (CD) ]
[ A écouter : Beyond Expression (album complet) ]

Frost* : Falling Satellites (InsideOut), 2016
Falling Satellites
Huit années après Experiments In Mass Appeal, le claviériste et chanteur Jem Godfrey rebranche sa machine à glaçons pour un nouvel album intitulé Falling Satellites. Aux commandes, Godfrey est secondé par son principal collaborateur John Mitchell (Lonely Robot, It Bites) à la guitare et au chant, par Nathan King (Level 42) à la basse et par le batteur bidouilleur Craig Blundell (Steven Wilson), plus ce bon vieux guitare-héro Joe Satriani qui fait une apparition remarquée en invité. Au lieu de rester dans le créneau néo-prog qui caractérisait le phénoménal Milliontown, le groupe a évolué et propose désormais une musique hautement énergique, louchant vers la pop, et mixant des genres aussi redoutés des fans de prog que le dubstep (Towerblock), l'électro et même la disco actuelle (Closer To The Sun). Et c'est sans parler de la production scintillante et chromée (pour ne pas écrire kitsch) qui met en exergue l'aspect sonique (voix trafiquées et Chapman Railboard inclus) d'une musique souhaitant à tout prix afficher sa modernité. Des titres extrêmement complexes (les rythmes tarabiscotés et coupés à la hache de Towerblock, le versatile The Raging) côtoient d'autres compositions plus pop et légères (Lights Out, Last Day) qui aèrent un répertoire un peu trop dense pour être apprécié par tout le monde. Au final, Falling Satellites divisera probablement la communauté prog, les plus audacieux portant aux nues les facettes post-prog hyper-moderne, technique, et électro-pop d'un groupe qui dans ses meilleurs moments rappelle un peu Neal Morse, et les autres restant de marbre devant un répertoire aussi hétérogène que bizarre, l'approche volontairement clinquante et cette intensité bondissante qui à la longue finit par lasser. A écouter donc avant d'acheter !

[ Falling Satellites (CD) ]
[ A écouter : Numbers - Lights Out - Heartstrings - Closer To The Sun ]

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