Le Rock Progressif

Disques Rares, Rééditions, Autres Sélections


Série V - Volume 4 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 5 ] [ 6 ] [ 7 ] [ 8 ] [ 9 ] [ 10 ]

Kayak : Merlin (Vertigo), Pays-Bas 1981 - Réédition CD remastérisé (Pseudonym), 1994 - Réédition CD Mini-album remastérisé (Belle Antique / Japan), 2011
Kayak : Merlin Bard Of The Unseen (Kayak KAY17), Allemagne 2003



En 1981, le groupe hollandais Kayak sortait un LP biscornu avec, en face A, un opéra rock symphonique dédié au célèbre magicien Merlin et, en face B, cinq chansons pop-rock individuelles de qualité variable dont la pire est probablement Can't Afford To Lose avec son rythme disco typique des années 80.

Depuis son apparition en 1134 dans L'Histoire des Rois de Bretagne écrite par l'évêque Geoffroy de Monmouth, Merlin ainsi d'ailleurs que le roi Arthur auquel il est associé sont devenus des personnages populaires auxquels a été réservé un fabuleux destin : au cours des siècles qui ont suivi, les romanciers, musiciens, peintres, dessinateurs de BD, hommes de théâtre ainsi que les réalisateurs de films se sont en effet emparés de ces héros mythiques inspirés de personnages réels ayant vécu au VIième siècle. Le rock n'a pas été en reste et, de Rick Wakeman à Fabio Zuffanti en passant par Halloween, nombreux sont les groupes qui ont revisité leurs aventures. Et de toutes les versions entendues jusqu'ici, celle de Kayak n'est certainement pas la pire. Le premier titre, Merlin, dévoile un groupe délivrant un rock puissant à l'américaine avec suffisamment de variété pour qu'on le qualifie de pop-prog mélodique et symphonique. Les solos enlevés de guitare et de synthés entretiennent la pompe de ce morceau chanté d'une voix claire par Edward Reekers qui remplace Max Werner relégué à la batterie. Dans le même style s'inscrit The Sword In The Stone qui raconte l'épisode dans lequel Arthur retire l'épée Excalibur prisonnière dans la roche en démontrant ainsi sa vaillance et sa sagesse. Les chœurs et l'orchestration sont superbes, la musique montant en puissance jusqu'à se fondre dans le morceau suivant, The King's Enchanter, dont la mélodie, agrémentée d'une flûte, affiche des consonances médiévales. Les deux plages restantes, Tintagel et Niniane (Lady Of The Lake) sont de belles et amples compositions accompagnées au piano acoustique par le leader et compositeur Ton Scherpenzeel. Niniane (une variante du nom de la fée Viviane qui enchanta Merlin) en particulier est doté d'une partie finale grandiose qui clôture en beauté une première face très réussie. Les textes en anglais bien écrits et une production avantageuse contribuent à faire de Merlin un (demi-)album classique qui, au même titre que Moving Pictures (Rush), Discipline (King Crimson), Nude (Camel), Planets (Eloy) et Long Distance Voyager (The Moody Blues), compte parmi les rares grands albums de prog d'une année particulièrement maigre. Dommage que cet opéra rock soit trop court, donnant ainsi l'impression d'une œuvre inachevée. Il faudra attendre 22 années pour voir le groupe revenir à son concept de 1981 et en donner une nouvelle version plus étoffée.

Sorti en 2003, Merlin - Bard Of The Unseen est une interprétation live (enregistrée avec une grande qualité) des cinq morceaux originaux qui ont été entrelacés avec huit nouvelles compositions pour former cette fois un opéra-rock complet. Si Ton Scherpenzeel est toujours présent, le line-up est toutefois différent et le son d'ensemble a changé, devenant plus lourd et plus conforme à un certain néo-prog symphonique entendu au tournant du nouveau millénaire. Les passages médiévaux en particulier prennent plus d'ampleur en raison de présence d'un orchestre incluant des cordes et des cuivres qui renforce la puissance de la musique en accentuant sa densité, la transformant parfois en mur de son. Et c'est sans doute la raison pour laquelle, des deux versions enregistrées, ma préférence va à la première, moins théâtrale, dont les textures sont moins compactes et qui, dans sa relative simplicité, est à la fois plus rock, plus directe et plus émotionnelle. Dommage que les nouvelles compositions n'aient pas été enregistrés dans les mêmes conditions qu'en 1981 : on aurait ainsi eu entre les mains une version complète de Merlin capable d'éclipser la première (inachevée et handicapée par une seconde face hétérogène et trop mainstream), ce qui n'est malheureusement pas le cas avec cette dernière production.

Et tant qu'à faire, si vous pouvez la trouver, optez pour la réédition japonaise de l'album de 1981 sous la forme d'un mini-lp : en plus d'une version live récente du titre éponyme, la remastérisation y est tellement somptueuse que Merlin n'aura aucune peine à vous ré-enchanter !

[ Eye Witness / Merlin (2 CD) ] [ Merlin (CD) ] [ Merlin-Bard of the Unseen ]
[ A écouter : Merlin (1981) - Merlin (Bard Of The Unseen, 2003) - The Last Battle (Bard Of The Unseen, 2003) ]

Nosound : Sol29 (Autoproduction), Italie 2005 - Réédition CD Remastérisé avec 3 titres en bonus +DVD (Kscope), 2010
L'atmosphère automnale de la pochette en dit déjà long sur ce qu'on va entendre. Après une introduction évoquant un vieil enregistrement nostalgique de guitare jazz, l'auditeur est soudain enveloppé par une sonorité ample et onctueuse qui installe une atmosphère rêveuse dont ne se départira plus le reste de l'album. A plusieurs reprises, et en particulier sur Wearing Lies On Your lips, The Moment She Knew, Overloaded et The Broken Parts, la musique laisse percer l'influence du Porcupine Tree des années 90 (celui de Stars Die, de The Moon Touches Your Shoulder ou de Fadeaway) et, à travers lui, celle plus lointaine de Pink Floyd. Guitares acoustiques et synthés se fondent alors en d'immenses champs cosmiques où fleurissent les solos d'une guitare couleuvrine saturée aux notes tenues en portamento. En plus, le chanteur également multi-instrumentiste et compositeur Giancarlo Erra s'exprime en anglais (avec un léger accent italien) dans un style proche de Steven Wilson. On n'est alors guère étonné d'apprendre dans sa biographie qu'il fut jadis membre d'un groupe de reprises en hommage à Porcupine Tree. Pourtant, en dépit de ces références, la musique de Nosound est loin de n'être qu'un simple plagiat, offrant des harmonies et des mélodies aussi belles qu'inédites.

Et puis, Nosound a une autre corde à son arc: Erra tire de ses synthés des vagues sonores dont le flux typiquement "ambient" remonte de Tim Bowness (No-Man) jusqu'à Brian Eno. Il n'est pas si simple de rendre émouvantes des nappes de sons électroniques et peu y sont parvenu mais dans le long titre éponyme qui clôture l'album, Erra parvient à égaler les meilleures productions de ce genre minimaliste peuplé d'effets électroniques et d'ostinatos de piano. Introduisant le nom "Nosound" pour la première fois, ce disque est en réalité l'œuvre d'un seul homme : Giancarlo Erra qui joue ici de tous les instruments à l'exception de la basse. Sorti discrètement en 2005, Sol29 a été réédité en 2010 chez Kscope dans une version de luxe incluant un compact audio et un DVD. Le CD reprend le disque original restauré plus trois morceaux "ambient" initialement écartés qui portent la durée totale du répertoire à 78 minutes. Cette nouvelle et définitive édition est emballée sous une pochette différente mais heureusement, il offre aussi le beau livret photographique original réalisé par Erra lui-même. Après Sol29, Nosound sortira d'autres disques superbes enregistrés cette fois par Giancarlo Erra à la tête d'un vrai groupe mais ce premier essai reste une œuvre émouvante et personnelle incontournable qui ravira tous les fans d'un prog mordoré et rêveur, au relief paisible et aux flagrances entêtantes.

[ Sol29 Remastered (CD & MP3) ]
[ A écouter : The Moment She Knew - Idle End - The Broken Parts - Sol29 (Video - Kscope Edition) ]

Nik Turner's Sphinx : Xitintoday (Charisma CDS 4011), UK 1978 - Réédition CD remastérisé (Eclectic Discs), 2007



Saxophoniste à la technique limitée devenu "free" en partie par nécessité, Nik Turner n'était par contre jamais en manque d'idées originales, de conviction, ou d'énergie. Sa participation au vaisseau Hawkwind s'est soldée par une réelle émancipation de leur univers sonore qui les a amené à sortir leurs meilleurs opus entre 1970 et 1976 (une période faste marquée par la parution de ces chefs d'œuvre du space-rock que sont Space Ritual, Hall Of The Mountain Grill et Warrior On The Edge Of Time). Turner est aussi l'auteur ou le co-auteur de quelques uns des grands titres de Hawkwind comme Children Of The Sun, Brainstorm, Master Of The Universe, You Shouldn't Do That, D-Rider ou Kadu Flyer. Après son éviction du groupe en novembre 1976, Nik Turner se rendit le mois suivant en Egypte où, via la complicité d'un chef local, il put résider seul durant trois heures dans la chambre du roi de la grande pyramide de Gizeh afin de s'y auto-enregistrer à la flûte. De retour en Angleterre, il confia les bandes au guitariste et producteur Steve Hillage qui réunit autour de lui quelques cadets de l'espace comme le batteur Alan Powell (Hawkwind ), la vocaliste Miquette Giraudy, le percussionniste Morris Pert (Brand X), le bassiste Mike Hewlett (Gong) et le claviériste Tim Blake (Gong) tandis que Turner était chargé d'écrire des paroles à partir du Livre des Morts égyptien. Dans l'Egypte antique, ce livre avait pour nom véritable "Livre pour Sortir au Jour" qui peut se traduire en anglais par "Exit into the Day", d'où le titre de l'album: Xitintoday.

Le résultat est cet étrange disque qui fut édité à l'époque par le fameux label Charisma (Van der Graaf Generator, Genesis, Hawkwind…) et qui s'avère en fin compte un projet plus intéressant que ce à quoi on pouvait s'attendre. La flûte de Turner a une sonorité pleine de réverbération et d'écho, probablement à cause de l'acoustique particulière de la chambre du roi, ce qui lui donne un côté à la fois solennel et mystérieux. Elle est enveloppée dans une myriade de percussions, des tambours rituels, des derboukas, gongs, clochettes tibétaines et autres carillons. Turner récite ses invocations ésotériques d'une voix théâtrale et caverneuse trafiquée par un vocoder ou par une machine analogue. L'hommage à Anubis, qui est un dieu funéraire à tête de chien, est évidemment peuplé d'aboiements tandis que le vent qui souffle sur Horus évoque le vol du faucon. Tim Blake fait occasionnellement pétiller ses synthés et Steve Hillage se fend de quelques solos de guitare malheureusement trop courts (à la fin d'Horus et sur Osiris) dans son style psyché habituel. Pourvu d'un accompagnement classique de basse et batterie et chanté par Miquette Giraudy, Isis And Nephthys apparaît plus structuré et mélodique sans pour autant entamer le côté ésotérique du répertoire. Accompagné à la harpe, Osiris traduit bien les mystères des civilisations antiques tandis que God Rock (The Awakening) s'inscrit dans un canevas plus conventionnel qui captive néanmoins par ses solos de flûte, de saxophone et de guitare. Ce dernier titre se termine sur des paroles en arabe, probablement prononcées par le chef local venu rejoindre Turner dans la pyramide, avant de se fondre brièvement dans une musique traditionnelle d'origine berbère. Fruit unique d'une idée extravagante qui échappe au rationalisme occidental, ce disque est passé comme un OVNI anachronique dans le ciel de 1978 mais ceux qui apprécient encore les premiers albums de Steve Hillage, David Allen et Gong n'auront aucun mal à entrer dans cette musique aussi mystique que farfelue qui mérite d'être redécouverte ne serait-ce que pour son excentricité.

La pochette fut conçue par Barney Bubble qui y appliqua sa conception de la poésie concrète dans laquelle l'arrangement typographique est aussi important que le mot lui-même pour transmettre une information. Le résultat est une constellation d'étoiles en forme de pentagrammes jaunes sur fond bleu dont les branches sont constituées par le mot "twinkle". Fasciné comme Turner par l'égyptologie, Bubbles réalisa également le poster promotionnel du disque en s'inspirant de l'oeil d'Horus (un symbole également utilisé en 1982 pour la pochette de Eye In The Sky du Alan Parsons Project). Ce disque de 1978 ne doit pas être confondu avec le compact Sphinx sorti en 1993 sur le label Cleopatra qui reprend les même titres que ceux de Xintotheday réenregistrés dans de nouvelles versions complètement différentes. Par contre, en plus d'une restauration minutieuse de la pochette originale et de nouvelles notes écrites par Nik Turner lui-même, la réédition en 2007 par Eclectic Discs offre un titre inédit de 30 minutes nommé Pyramidaflutenik, une pièce fascinante de la contre-culture constituée à partir des parties de flûte enregistrées dans la grande pyramide. C'est évidemment ce dernier compact qu'il convient d'acquérir.

[ Xitintoday [CD Mini-LP] ]
[ A écouter : Horus - Isis And Nephthys - God Rock (The Awakening) ]

Hawkwind : The Chronicle Of The Black Sword (Flicknife), UK 1985 - Réédition CD remastérisé + 5 titres bonus (Atomhenge ATOMCD 1012), 2009
Quand Hawkwind sort ce quatorzième disque en studio, leurs meilleures productions sont loin derrière eux et il y a déjà longtemps que leur space-rock tourne en rond à la recherche d'un nouveau souffle qui va et vient comme les musiciens du groupe. Mais cet album est quand même spécial car il concrétise enfin pour de bon une alliance naturelle qui se manifestait épisodiquement depuis bien longtemps: celle entre Hawkwind et l'écrivain britanique de science-fiction Michael Moorcock. The Chronicle Of The Black Sword est en effet un album conceptuel dévolu à la gloire du héro de Moorcock: Elric de Melniboné dit le Nécromancien, figure morbide et romantique de l'heroic-fantasy qui tire sa puissance d'une épée runique, la noire Stormbringer sans laquelle il n'est rien. Hawkwind n'a aucun mal à se frayer un chemin à travers l'univers trouble du prince albinos (qui n'est en soi pas très différent de celui de Warrior On The Edge Of Time), effleurant quelques épisodes et personnages célèbres de la saga. La musique n'a pas vraiment évolué et, sur la plupart des titres, on retrouve ce space-rock lourd, hypnotique et à la réverbération intense que Hawkwind inventa dès le début des années 70 et qui va comme un gant à la ténébreuse vision de Moorcock. Le line-up comprend cette fois l'inamovible guitariste et chanteur Dave Brock, le guitariste Huw Lloyd-Langton, le claviériste Harvey Bainbridge le bassiste Alan Davey et le batteur Danny Thompson (fils du célèbre bassiste Danny Thompson), un équipage chevronné capable de maintenir le cap du vaisseau lancé à une vitesse folle dans le Multivers. Entre les morceaux qui déboulent à vitesse lumière (Song Of The Swords, The Sea King, Elric The Enchanter, Needle Gun, Horn Of Destiny) sont intercalés quelques interludes déclamatoires et des plages plus planantes où les synthés s'en donnent à cœur joie dans un style krautrock entre Tangerine Dream et Ash Ra Temple (Shade Gate, The Pulsing Cavern, Zarozinia). Ceux qui apprécient la littérature fantasy et/ou le space rock habituel d'Hawkwind vont adorer ça, ces deux sous-genres ayant une propension à s'émuler et à se transcender l'un l'autre avec une étonnante facilité.

[ The Chronicle Of The Black Sword (CD Atomhenge & MP3) ]
[ A écouter : Song Of The Swords - The Sea king - Zarozinia - The demise/Sleep of a thousand tears ]

Yezda Urfa : Sacred Baboon (Syn-phonic), USA 1989 (enregistré en 1976)
Voici un groupe vraiment bizarre! D'abord le nom, créé par l'association de deux mots à consonance étrangère repérés dans un dictionnaire, qui n'a aucune signification particulière. Ensuite, la musique, interprétée parfois à des vitesses hypersoniques au point qu'on se demande à première écoute s'il ne s'agit pas d'une parodie américaine et déjantée de prog jouée dans l'esprit d'un Frank Zappa. Mais on finit par comprendre que les racines musicales de Yezda Urfa s'abreuvent le plus sérieusement du monde au prog classique britannique: le chanteur Rick Rodenbaugh a un timbre similaire à celui de Jon Anderson (Yes), les envolées instrumentales font penser à un Yes extrémiste, les paroles des chansons et leurs titres sont bizarres et filandreux, et les structures complexes et mouvantes des compositions, qui incluent occasionnellement du jazz et du folk médiéval ainsi que de belles harmonies vocales, évoquent le rock éclectique de Gentle Giant. C'est loin d'être inintéressant et des titres comme Cancer Of The Band, To-Ta In The Moya et Boris And His Three Verses sont plus que de simples fac-similés. Le claviériste Phil Kimbrough et l'excellent bassiste Marc Miller sont aussi des multi-instrumentistes accomplis qui parsèment les morceaux de sonorités de flûte, de mandoline, de vibraphone ou de violoncelle. Ecoutez par exemple Flow Guides Aren't My Bag qui résume à lui seul les capacités du groupe avec son chant décalé, ses contrepoints osés et ses échanges speedés entre orgue, basse, guitare et autres instruments. Certes les mélodies tordues ne sont pas faites pour engendrer une once de lyrisme mais si l'on aime les arrangements compliqués de Gentle Giant et le vibrant dynamisme qui animait autrefois le Yes de The Gates Of Delirium, cette musique est quasi parfaite dans son genre. Un premier disque de démos intitulé Boris avait déjà été enregistré en 1974 (également réédité sur le label Syn-phonic) mais les idées qu'il contenait sont pour la plupart reprises et mieux exprimées sur cet album qui, en outre, bénéficie d'une production plus soignée. A redécouvrir!

[ Sacred Baboon (CD & MP3) ]
[ A écouter : Give 'em Some Rawhide Chewies - Cancer Of The Band - Flow Guides Aren't My Bag - 3, Almost 4, 6, Yea ]

Daal : Echoes (EP Digital - Bandcamp / Agla Records), Italie 2012
Daal (contraction des prénoms David et Alfio) est le nom d'un duo italien réunissant deux musiciens de la scène progressive actuelle: le claviériste Alfio Costa (Colossus Project, Tilion et Prowlers) et le batteur Davide Guidoni (Taproban). Influencé aussi bien par le Pink Floyd des débuts (période Saucerful Of Secrets et Ummagumma) que par les sonorités électroniques sophistiquées héritées d'une école mi-ambient mi-expérimentale, Daal était tout désigné pour donner son interprétation du fameux Echoes du Pink Floyd, la pièce maîtresse de leur album Meddle sorti en 1971. Pour enregistrer cette reprise, le duo s'est entouré de quelques musiciens expérimentés comme Flavio Costa (frère cadet de Alfio et également membre de Tilion) à la guitare, Guglielmo Mariotti (The Watch) à la basse et Simone Cecchini (Il Bacio della Medusa) au chant. Sans trop s'écarter de l'original, cette version de Meddle est quand même différente. D'abord, Daal y a intégré un extrait de The Grand Vizier's Garden Party, un étrange morceau introduit à la flûte et bâti sur des percussions qui représentait la contribution en solo de Nick Mason au disque en studio de l'album Ummagumma. Ensuite, l'inclusion de séquences électroniques accentue l'étrangeté de la partition en la parsemant de bruitages synthétiques parmi lesquelles on repère aisément cette fameuse note ressemblant à un sonar créée autrefois par Rick Wright ainsi que des bourrasques de vent et des cris d'oiseaux. Enfin, le solo de guitare de Flavio Costa a une sonorité acide totalement différente de celle ample et saturée de David Gilmour. Cet enregistrement ne se hisse évidemment pas à la hauteur de celui du Floyd - d'ailleurs, tous les disques de reprises en hommage au Pink Floyd ont montré que leur musique pouvait bien être imitée mais qu'en définitive elle n'était jamais égalée - mais c'est quand même une version alternative suffisamment originale pour inciter à l'écoute d'autres productions de Daal. Sorti sous la forme d'un EP digital écoutable en intégralité et téléchargeable sur Bandcamp, Echoes est aussi l'un des quatre titres du compact Echoes Of Falling Stars sorti en 2011 que je n'ai pas encore eu l'occasion d'apprécier. Enfin, on notera qu'une version raccourcie (16'23") du même titre figure également sur l'album hommage au Floyd intitulé More Animals At The Gates Of Reason - A Tribute To Pink Floyd (AMS, 2013).

[ Echoes sur Bandcamp (EP) ] [ More Animals At The Gates Of Reason - A Tribute To Pink Floyd (MP3) ]
[ A écouter : Daal : Echoes ]

David Sancious : Forest Of Feelings (Epic Records), USA 1975 - CD Remastérisé + 1 piste bonus (Esoteric Recordings), 2014
Multi-instrumentiste accompli dès son adolescence, ce natif d'Ashbury Park (NJ) fut recruté par Bruce Springsteen à 19 ans pour jouer sur son premier disque, Greetings From Asbury Park, N.J., et intégrer ensuite son E-Street Band (ainsi baptisé parce que le groupe répétait dans cette rue à Belmar chez la mère de Sancious). Mais après trois disques avec Springsteen, il reprit sa liberté pour créer son propre orchestre dénommé Tone avec lequel il enregistra une année plus tard son premier disque pour le label Epic, Forest Of Feelings, dans un style totalement différent. Sancious y développe en effet une fusion de classique, de jazz et de rock qui s'apparente à ce que faisait à l'époque Return To Forever ou Jan Hammer mais aussi, dans une moindre mesure, Emerson, Lake et Palmer. Produit par le batteur Billy Cobham qui contribue également aux percussions et bien secondé par Gerald J. Carboy à la basse et Ernest Carter à la batterie, Sancious déploie toute sa maîtrise des claviers (ou de la guitare sur Come On), empilant par la magie du réenregistrement de multiples couches sonores pour composer des textures riches et complexes. Contrairement à d'autres groupes du même genre, son jazz-rock à lui reste toutefois mélodique et paraît du même coup très abordable, ce qui n'exclut pas pour autant quelques accélérations dans la zone rouge. Sinon, le leader a pris soin de varier les climats, passant du jazz-rock incandescent de Come On If You Feel Up To It au piano jazz de Crystal Image qui n'est pas sans évoquer Chick Corea avec un détour par l'Orient sur East India. Malheureusement cet album ainsi que les suivants n'ont guère eu de succès, ce qui n'a pas empêché David Sancious de devenir un musicien de l'ombre pour une foule de stars qui ont utilisé ses services dans les styles les plus divers : Jon Anderson, Peter Gabriel, Sting, Stanley Clarke, Santana, Eric Clapton, Jack Bruce et Francis Dunnery, pour n'en citer que quelques uns, lui doivent tous un petit quelque chose. A redécouvrir en profitant de la superbe réédition récente de cet album par Esoteric Recordings.

[ Forest Of Feelings (CD & MP3) ]
[ A écouter : Forest Of Feelings (full album) ]

Opeth : Pale Communion (Roadrunner Records), Suède 2014
Après Damnation et Heritage, ceci est le troisième album d'Opeth sans métal extrême ni grognement. Une aubaine donc pour les amateurs de prog mainstream car si Mikael Akerfeld a décidé d'abandonner le death métal, il ne fait pas pour autant l'impasse sur la qualité de sa musique ni sur son imprévisibilité. Certes, les claviers vintage comme l'orgue Hammond et le mellotron fleurissent un peu partout, procurant aux compositions un petit côté rétro pas désagréable du tout, mais le groupe garde néanmoins une part de son identité en durcissant le ton et en déchaînant l'orage quand c'est nécessaire. En comparaison de Heritage, ce disque apparaît plus mature, plus intense et plus mélodique aussi, avec des chansons aux climats variés (du métal édulcoré au prog symphonique classique, orchestre à cordes inclus sur deux titres, et de la fusion au rock classique et même acoustique) tandis qu'Akerfeld a enfin fait quelques progrès dans le contrôle de sa voix plutôt ordinaire en registre "normal". Les guitares et la section rythmique sont particuliërement roboratives, bien mises en avant par un mixage clair et précis réalisé par Steven Wilson, fan des Suédois qu'il a peut-être un peu poussé dans leurs choix artistiques. Enfin, les claviers ont pris de l'importance et constituent désormais l'autre pilier de la musique d'Opeth au même titre que les guitares et il faut avouer que Joachim Svalberg, qui a autrefois joué avec Yngwie Malmsteen, connaît son affaire. En plus, il collabore probablement aux harmonies vocales élaborées qui constituent une autre des grandes surprises de Pale Communion, Akerfeld ayant par ailleurs révélé à plusieurs reprises son récent intérêt pour le travail de David Crosby en cette matière.

Tout serait donc parfait s'il n'y avait ces quelques petites imperfections qui retiennent Pale Communion d'accéder aux cinq étoiles. Certains riffs ont en effet tendance à être répétés ad infinitum engendrant de la lassitude tandis que quelques passages, voire une ou deux chansons entières, sont plus médiocres que d'autres. Cusp Of Eternity par exemple, dont le métal métronomique se situe à mi chemin entre Dream Theater et Kamelot, ou le monotone Voice Of Treason, dont l'ambiance hivernale est ruinée par un son de batterie anachronique, ne me paraissent pas particulièrement inspirés même si au bout du compte l'impression globale reste favorable. L'album a connu un retard dans sa sortie due à une pochette compliquée en forme de triptyque réalisée par le talentueux artiste américain Travis Smith. Elle inclut trois peintures différentes sous des citations en latin d'hommes historiques plus ou moins célèbres : une manière d'intellectualiser encore un peu plus cet album dans l'esprit du nouveau courant musical dont Opeth se réclame désormais. Malheureusement, présentée à la manière de Pictures At An Exhibition d'ELP, cette image composite une fois réduite à la taile d'un CD perd l'essentiel de son impact. A moins que tout cela ne soit après tout qu'un encouragement déguisé à acheter le vinyle?

Note sur la pochette : le premier tableau porte une citation en latin d'Axel Gustafsson Oxenstierna, homme d'état suédois (1583 / 1654) qui signifie : ne sais-tu pas, mon fils, avec combien peu de sagesse le monde est gouverné?
La citation du second tableau, empruntée à l'auteur Publius Terentius Afer (né à Carthage en -190 et mort en -159) peut être traduite comme suit : la complaisance amène les amis, la vérité fait naître la haine.
La dernière citation du tableau de droite est tirée des Épigrammes du poète latin Marcus Valerius Martialis : celui qui souffre sans témoin, souffre vraiment.
Le triptyque peut raconter l'histoire d'une vie, de la naissance à la mort mais la manière dont cette vision peut être rattachée au titre de l'album ou aux différents thèmes sombres et moroses abordés dans l'album reste encore pour moi une énigme.

[ Pale Communion (CD & MP3) ]
[ A écouter : Cusp Of Eternity - Elysian Woes - River - Voice Of Treason ]

The Gentle Storm : The Diary (InsideOut), Pays-Bas, 2015
Le nouveau projet d'Arjen Anthony Lucassen a comme d'habitude un aspect imposant qui laisse deviner le soin apporté à sa réalisation. La pochette du digipack, le livret et ses superbes images, la liste prestigieuse des invités, le nombre pharaonique d'instruments utilisés … , sans oublier la présence en tant que co-leader de la chanteuse de The Gathering, Anneke van Giersbergen, qui avait déjà collaboré précédemment aux albums Into The Electric Castle et 01011001 d'Ayreon, sont autant d'éléments qui dénotent l'ambition du guitariste compositeur néerlandais.

L'histoire, une part toujours essentielle dans les réalisations de Lucassen, n'a cette fois plus rien à voir avec la science fiction mais se situe au contraire dans le passé, au XVIIème siècle au temps de l'Âge d'Or hollandais, quand les marins explorateurs partaient sur les océans en vue de tracer les frontières de nouveaux territoires. Ainsi, pendant que le navigateur prénommé Joseph vogue pendant plus de deux années vers l'Inde, son épouse Susanne restée à Amsterdam voit sa santé décliner et écrit un journal, nourri par des échanges de lettres, qui décrit les affres du voyage et de la séparation. Une histoire émouvante qui, comme toute bonne tragédie, finira mal. Bien écrit par Anneke, le texte est suffisamment poétique pour plaire même si, comme c'est souvent le cas dans ce genre de production, il reste globalement à la surface de la psychologie des personnages.

The Diary est un double album mais d'une nature très différente des grands albums conceptuels du rock progressif puisqu'un disque présente les versions "douces" (le côté Gentle) plus acoustiques et folk de l'œuvre et l'autre, les versions "dures" (le côté Storm) cette fois agrémentées de guitares électrique et de rythmiques plus lourdes. Si cette approche duale permet sans aucun doute de toucher un nombre plus large d'amateurs qui pourront ainsi opter pour l'une ou l'autre des versions en fonction de leurs inclinations ou de leurs humeurs, elle n'est pas sans conséquence : les deux disques ne s'écouteront que rarement à la suite l'un de l'autre. D'autant plus que les deux versions ne diffèrent que par leur décoration : les structures des morceaux sont en effet similaires, s'enchaînent de la même manière et n'offrent guère de grande variation digne d'être relevée.

Certes, la musique est techniquement parfaite et, dans les deux versions, la voix mélodique d'Anneke van Giersbergen n'a aucun mal à s'imposer. Quand aux arrangements, ils ont du relief, intégrant à l'occasion dans la version douce quelques instruments exotiques comme le sitar et les tablas sur le très réussi Shores Of India ou encore un banjo sur Cape Of Storms. Les interprétations "métal" font évidemment la part belle aux guitares électriques mais intègrent aussi des orchestrations plus étoffées ainsi qu'un chœur qui procure une dimension épique à l'aventure. Toutefois, quelle que soit la face par laquelle on l'aborde, cette production colossale bien ordonnée souffre quand même sur la longueur d'une uniformité dans l'inspiration et de l'absence de vraies surprises. En fait, certains titres étant plus appropriés à un traitement folk-acoustique (The Greatest Love, Shores Of India, Eyes Of Michiel …) et d'autres à une interprétation plus rock (Endless Sea, The Storm …), peut-être qu'un disque unique mêlant les chansons des deux styles aurait été plus captivant. Il n'empêche que les fans du guitariste hollandais (et ceux de la chanteuse en plus) chériront sans aucun doute ce nouveau témoignage de l'art de Lucassen dont le parcours reste remarquable, mais pour ceux qui ne le connaitraient pas encore, je recommande de piocher d'abord dans la discographie d'Ayreon pour écouter un rock plus progressiste et substantiel.

[ The Diary (2 CD & MP3) ]
[ A écouter : Endless Sea (Gentle Version) - Endless Sea (Storm Version) - Heart Of Amsterdam (Official Video) - Shores Of India (Storm Version) - The Storm (Storm Version) ]

Perfect Beings (My Sonic Temple), USA 2014
Vaguement inspiré par le roman cybernétique et futuriste TJ & Tosc: A Field Guide for Life After Western Culture de Suhail Rafidi, le premier album de Perfect Beings évolue à la croisée des chemins entre prog classique et une culture pop psychédélique qui remonte aux sixties. Ainsi, si Removal Of The Identity Chip fait parfois penser au groupe Yes de l'époque Going For The One / Awaken, le très réussi Canyon Hill évoque plutôt certaines chansons des Beatles au temps de Magical Mystery Tour. Essentiellement des références anglaises donc pour ce quintet basé à Los Angeles qui ne présente pas les caractéristiques généralement plus musclées des groupes américains. Pourtant, les musiciens viennent en partie du heavy métal - le batteur Dicki Flisa a joué avec le groupe de Bruce Dickenson et le bassiste Chris Tristram avec Slash - mais au-delà d'une certaine virtuosité instrumentale perceptible sur certains titres (les explosions percussives de Walkabout ou les lignes de basse à la Chris Squire de Bees And Wasps par exemple), ça ne s'entend guère. Au contraire, la musique apparaît volontairement sobre et retenue, développant des climats sans débordement tout en gardant une approche pop/rock accessible. Le chanteur Ryan Hurtgen a une voix douce et plaisante tandis que le guitariste Johannes Luley a un son cristallin, un phrasé fluide et une approche impressionniste à la Steve Howe, colorant les arrangements de bien belle manière. Ces deux là constituent à l'évidence l'épine dorsale du projet Perfect Beings. Enregistré en autoproduction dans le studio de Luley, My Sonic Temple, à Los Angeles, l'album réjouira les amateurs d'un prog léger et mélodique marqué par les douceurs du climat californien. Plus aventureux, le dernier titre, One Of Your Kind, avec ses multiples sections, ses envolées instrumentales, son superbe solo central interprété sur une guitare classique, et en finale son extinction graduelle sur quelques notes rêveuses, fait rouler l'imagination qu'elle emporte sur des chemins balisés et nouveaux à la fois, laissant présager un futur second opus à l'identité plus marquée.

[ Perfect Beings (CD & MP3) ]
[ A écouter : Walkabout - Fictions - One Of Your Kind ]

Porcupine Tree : Anesthetize (DVD/Blu-Ray Kscope), UK 2010
Porcupine Tree est ici au sommet de sa forme, filmé live en octobre 2008 à Tilburg (Pays-Bas) à la fin de la tournée de leur avant-dernier et plus célèbre opus, Fear Of A Blank Planet. C'est donc sans surprise que le répertoire comprend l'intégralité des six morceaux de l'album en studio, interprétés dans le même ordre et dans des versions qui n'offrent guère de variation essentielle. Par ailleurs, le groupe n'a pas un jeu de scène mémorable et préfère se concentrer sur sa musique qu'il interprète avec intensité et professionnalisme. Richard Barbieri est continuellement accaparé par ses synthés, totalement absorbé pour reproduire méticuleusement toutes les subtilités qu'on entend dans les versions en studio. Colin Edwin parcourt sa basse avec un air attentif et débonnaire tandis que son complice Gavin Harrison, au jeu subtil et d'une redoutable efficacité, est juste parfait derrière ses fûts sans pour autant faire de show extravagant (on est loin des batteurs extravertis comme Mike Portnoy, Carl Palmer ou Neil Peart). John Wesley abat un travail formidable, insoupçonnable à l'écoute de la musique seulement, et apporte des contributions essentielles aussi bien au niveau du chant qu'à celui des guitares (accompagnement ou solo). Quant à Steven Wilson, il est clairement le leader qui vit jusqu'au bout des ongles ses compositions et anime, sans en faire trop, un show plutôt sobre, davantage centré sur les nuances sonores et musicales que sur des gestes et des mouvements. Par contre, le spectacle est vivant parce qu'il est fort bien filmé, les projections sur écran derrière le groupe renforcent avec justesse les climats des chansons, et le son rendu en 5.1 Surround surclasse celui des versions en studio. La seconde partie du show est consacrée à d'anciennes chansons extraites de Signify (3), d'In Absentia (4), et de Deadwing (2 dont Half-Light qui ne figurait que sur l'édition LP), plus trois morceaux de leur EP Nil Recurring qui date de la même époque que Fear Of A Blank Planet. Ce DVD haut de gamme qui restitue à merveille l'atmosphère sombre, dramatique et parfois morose si particulière de Porcupine Tree est un témoignage majeur de leur plus grande époque.

[ Anesthetize (Blu-Ray/DVD) ]
[ A écouter : Fear Of A Blank Planet - Cheating The Polygraph - Sleep Of No Dreaming ]
[ Prodigal (Filmed at Tilburg, Holland, Oct 2008 / out-take from the DVD Anesthetize) ]

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