Rock progressiste : La Sélection 2015



2015 [ 1968 - 1980 ] [ 1981 - 1990 ] [ 1991 - 2000 ] [ 2001 - 2003 ] [ 2003 ] [ 2004 ] [ 2005 ]
[ 2006 ] [ 2007 ] [ 2008 ] [ 2009 ] [ 2010 ] [ 2011 ] [ 2012 ] [ 2013 ] [ 2014 ] [ 2016 ] [ 2017 ]

Nad Sylvan : Courting The Widow (InsideOut), Suède 2015
Courting The Widow

Nad Sylvan (chant, claviers, gt)
+ Invités

Carry Me Home (7:19) - Courting The Widow (6:13) - Echoes Of Ekwabet (9:41) - To Turn The Other Side (22:05) - Ship’s Cat (5:04) - The Killing Of The Calm (5:34) - Where The Martyr Carved His Name (7:45) - Long Slow Crash Landing (6:46) - Durée Totale : 70'29"

Gatefold 2LP+CDAprès deux albums passés relativement inaperçus (Life Of A Housewife en 1997 et Sylvanite en 2003), le chanteur suédois Nad Sylvan est finalement entré dans la lumière grâce à sa collaboration à Agents Of Mercy et, surtout, au projet Genesis Revisited II de Steve Hackett ainsi que, notamment, par son inoubliable interprétation de l'épique The Musical Box. Aussi, c'est cette fois avec un intérêt renouvelé et une certaine curiosité qu'on aborde cette troisième réalisation en solo d'autant plus que des grands noms du genre comme Steve Hackett (gt), Roine Stolt (gt), Jonas Reingold (b), Nick Beggs (b), Nick D’Virgilio (dr), Doane Perry (dr), Rob Townsend (fl, sax) et d'autres sont crédités sur la pochette tels les garants d'un rock symphonique de qualité.

L'illustration gothique du livret, qui ressemble à certaines images typées ornant des disques de métal (Blind Guardian, Emperor, Hammer Fall...), fait allusion au concept de l'album. Ce dernier est bâti autour d'un personnage (the vampirate) que Sylvan a plaisir à interpréter sur scène et raconte le voyage d'un vampire à bord d'un galion du Grand Siècle, un thème lié à la mort dont la veuve du titre est une métaphore. Pourtant, la musique n'est pas spécialement sombre et si l'on excepte quelques rares effets évoquant les films de la Hammer (les nappes frissonnantes de claviers sur Courting The Widow), l'ensemble reste globalement agréable et lumineux. La voix expressive du leader, qui porte en elle quelque chose de Peter Gabriel mais aussi bizarrement de Peter Collins, est parfaite pour ce style de musique mélodramatique dont les racines plongent dans le temps jusqu'au Nursery Cryme de Genesis, encore que les Flower Kings ne sont jamais très loin non plus. Pourtant, les deux premiers morceaux (Carry Me Home et Courting The Widow, écrits à l'origine pour Agents Of Mercy) qui comportent un peu trop de paroles - un défaut courant sur les disques conçus par des chanteurs - m'avaient laissé sur une première impression mitigée: une fausse impression d'ailleurs vite effacée par l'excellent Echoes Of Ekwabet dont le lustre orchestral et l'ampleur ont des relents de Voyage Of The Acolyte. A partir de là, tout fonctionne bien dans un juste équilibre entre passages instrumentaux et chantés. Qu'elles soient jouées par Hackett, Stolt ou Sylvan lui-même, les guitares sont omniprésentes et ajoutent grandement à l'intensité d'une musique dont le point culminant est, en finale, la fascinante ballade épique Long Slow Crash Landing, facilement l'une des 10 plus belles chansons prog de l'année. Quant au divertissant Ship’s Cat, dédié au chat du bateau, et The Killing Of The Calm, avec sa flute et son violon folk, ils renforcent la diversité du répertoire en le rendant d'autant plus attachant. En dépit de quelques petits reproches mineurs et même si la longue suite To Turn The Other Side ne saurait, par son manque de cohérence, être considérée comme le Supper's Ready du XXIème siècle, Courting The Widow reste un témoignage impressionnant de la vitalité du prog moderne en cette année 2015 particulièrement fertile en productions de qualité.

[ Courting The Widow ]
[ A écouter : Courting The Widow - Courting The Widow : Album Teaser ]

Mindgames : Paradox Of Choice (Autoproduction), 2015
Mindgames : Paradox Of Choice

Bart Schram (chant, ac gt)
Sandro Starita (gt)
Tom Truyers (claviers)
Maximilian von Wullerstorff (b)
Benny Petak (dr)

Prologue (0:20) - The Whistle-Blower (5:36) - The Age Of Plenty (11:17) - Out Of Sight (5:38) - Revenge Of The Wizard (6:52) - Requiem For A Dancing World (8:14) - Context? Anyone? (4:46) - The Sands Of Time (7:35) - From A Drone's Perspective (10:01) - Durée Totale : 70'29"

Cinq années après l'excellent MMX, le groupe belge Mindgames propose son nouvel album intitulé Paradox Of Choice. Entre-temps, le guitariste Rudy Vander Veken a été remplacé par Sandro Starita mais sans changement notable de leur approche musicale. Comme on en jugera à l'écoute du premier titre, The Whistle-Blower, leur style reste sous forte influence d'un néo-prog mélodique et symphonique évoquant celui de Pendragon, Arena, Landmark ou Knight Area, tout en gardant malgré tout sa propre spécificité. Les nappes de synthé concoctées par Tom Truyers guident et enrobent la voix théâtrale du chanteur Bart Schram, dominant la sonorité globale, gonflant les textures et propulsant la locomotive au bord de l'explosion. La même démarche prévaut sur The Age Of Plenty sauf que la virée est plus longue et les changements de cap plus fréquents. A partir de là, on aurait pu s'installer confortablement pour un voyage sans histoires mais heureusement, ce ne sera pas le cas.

Déjà, le remarquable Out Of Sight fait souffler une brise fraîche et légère. Emmené par un piano acoustique aux notes noyées dans la réverbération, cette chanson nostalgique va crescendo pour finir dans un embrasement de six-cordes allumé par Sandro Starita. Il est suivi par Revenge Of The Wizard qui, contrairement à ce que son titre laisse supposer, ne s'inscrit pas dans le fantastique mais traite plutôt, non sans humour, des logiciels malveillants qui parasitent les ordinateurs à l'insu des utilisateurs crédules. La chanson évoque cette fois une comédie musicale alors que le côté théâtral du chanteur Bart Schram prend le dessus avec voix expressive et rires démoniaques à la clé. Requiem For A Dancing World met en évidence les qualités d'arrangement du groupe et le soin apporté aux orchestrations particulièrement somptueuses sur ce titre. Après un "Context? Anyone?" mélodieux, The Sands Of Time est une sorte de prise de conscience de la quarantaine allant de pair avec une remise en question de l'existence qui se traduit toutefois ici par une acceptation sereine de la condition et de la finitude de la vie humaine. Un thème difficile fort bien négocié et subtilement mis en musique avec la part de drame qui va avec. Enfin, le répertoire s'achève sur From A Drone's Perspective, encore une fois arrangé avec panache, qui est un appel exalté à l'éveil et à s'élever tel un drone au-dessus du conformisme ambiant. En conclusion, l'univers thématique et musical de Mindgames est autrement plus riche et attrayant que le dessin surréaliste qui orne une pochette sans grande prétention. Le public voué à la cause du néo-prog n'aura donc aucun mal à reconnaître en cet album une réussite incontestable du genre.

[ Paradox Of Choice (CD & MP3) ]
[ A écouter : Extraits musicaux ]

Hidden Lands : Lycksalighetens O (Progress Records), Suède Septembre 2015


Hannes Ljunghall (claviers, guitares)
Bruno Edling (chant)
Phillip Bastin (basse)
Gustav Nyberg (Batterie)

Corsican Daydream (12:51) - Dakkar (12:39) - In The Wind (4:41) - Over Again (5:35) - PI (3:10) - Hidden Lands (19:10) - Durée Totale : 56'04"

Voilà un album comme on les aime. D'abord le contexte avec une pochette magnifique reprenant une photographie ancienne prise en 1910 dans le parc Lycksalighetens O de la ville d'Uppsala en Suède d'où les membres de Hiden Lands sont originaires. Elle évoque un monde à part, à la fois isolé, calme et mystérieux, bien en phase avec son nom qui signifie quelque chose comme "l'île de la félicité". Mais Lycksalighetens O, c'est aussi le nom d'un imposant livre écrit dans les années 1820 par le poète suédois Atterbom qui raconte l'histoire romantique d'un jeune roi du Nord nommé Alstof parti à la recherche du bonheur qu'il trouvera dans une île auprès d'une voluptueuse reine féérique. Et puis, Lycksalighetens O, c'est enfin l'endroit bien réel où est décédé un ami du claviériste Hannes Ljunghall qui lui rend hommage dans le dernier morceau du disque. Beaucoup de substance intéressante pour un concept traité par le groupe avec énormément de retenue.

Et puis, il y a la musique. Reposant essentiellement sur les claviers de Hannes Ljunghall, elle est complexe sans le paraître et pourvoyeuse d'atmosphère rémanentes qui vous hantent des nuits entières. Le morceau en ouverture par exemple, Corsican Daydream, est une petite merveille de prog alternant ombre et lumière. Dans un style fortement distinctif (aucune référence connue ne vient à l'esprit), cette rêverie corse offre, dans un grand sens de la mise en scène, des contrastes saisissants qui vont de l'inquiétude à la sérénité selon l'humeur des claviers. Dakkar qui vient ensuite est consacré à l'océan et c'est l'un des grands moments disque. Les synthés y sont voluptueux et la voix de Bruno Edling, qui chante en anglais, prenante. Aux deux tiers du morceau, la guitare également jouée par Ljunghall fait sa première apparition et c'est le tandem Brian Eno / Robert Fripp qui vient en mémoire tandis que se poursuit cette exploration marine. Plus courts, les deux titres suivants sont très différents, In The Wind traduisant avec nostalgie un état de solitude tandis que Over Again explose en un déluge percussif rehaussé par un solo de guitare vivifiant. PI est un court instrumental joliment articulé autour de phrases mélodiques déclinées au piano. Et puis, il y a le titre Hidden Lands, une fresque de quasi vingt minutes qui clôture l'album en beauté dans une atmosphère déchirante où l'émotion est palpable. Il faut ici souligner le superbe travail de la rythmique, composée du bassiste Phillip Bastin et du batteur Gustav Nyberg, qui interagit constamment en grande intelligence avec les claviers, s'arrêtant parfois de jouer pour reprendre au moment opportun et ainsi embellir l'ensemble dans un souci de parfait équilibre. La guitare aux effluves un peu floydiennes ajoute encore au charme de cette composition apaisante où se mêlent pudeur et émotion.

Lycksalighetens O plaira à tous les amateurs de musique originale qui rompt avec l'esthétique commune d'un prog fondé sur le choc et l'accumulation de styles différents. On retrouve ainsi chez Hidden Lands une fraîcheur, une ambition, une cohérence et une approche inédite parfaitement maîtrisée qui n'est pas sans rappeler l'esprit visionnaire d'un Brian Eno ou d'un certain King Crimson à leurs débuts. Les connaisseurs apprécieront !

[ Lycksalighetens Ö ]
[ A écouter : Lost - Corsican Daydream - Dakkar ]

Riverside : Love, Fear and the Time Machine (InsideOut), Septembre 2015


Mariusz Duda (chant, bass, ac gt)
Piotr Grudzinski (gt)
Michal Lapaj (claviers)
Piotr Kozieradzki (Batterie)

Lost (Why Should I Be Frightened By A Hat?) (5:51) - Under The Pillow (6:47) - Addicted (4:52) - Caterpillar And The Barbed Wire (6:56) - Saturate Me (7:08) - Afloat (3:11) - Discard Your Fear (6:42) - Towards The Blue Horizon (8:09) - Time Travellers (6:41) - Found (The Unexpected Flaw Of Searching) (4:03) - Durée Totale : 60'20"

Dans Love, Fear And the Time Machine, le groupe polonais affiche une nouvelle facette de son art. Plus apaisé et ensoleillé, ce disque tient désormais davantage de Steven Wilson et de Lunatic Soul (l'autre projet du bassiste et chanteur Mariusz Duda) que du Riverside ténébreux de Anno Domini High Definition et de Shrine of New Generation Slaves. Alors forcément, après une telle transition qui ressemble fort à une crise, pourtant abondamment commentée et annoncée par Duda dans de multiples interviews, les fans récents risquent bien de se diviser sur des discussions d'école alors que ceux de la première heure se rappelleront que le groupe à ses débuts affichait déjà une forte inclination à la mélancolie (si, si, réécoutez Out Of Myself, premier volet fantastique de la trilogie Reality Dream).

En attendant, sur un plan purement musical, The Time Machine séduit par ses belles mélodies et ses arrangements atmosphériques aptes à faire naître des émotions diverses. Des reflets pastels viennent ainsi se poser en permanence sur des tempos moyens en basalte que Riverside aurait jadis dynamités avec la plus parfaite désinvolture. Mais une porte se ferme et une autre s'ouvre: en limitant ses inclinations au heavy métal, Riverside se concentre désormais sur des chansons à la fois plus concises et plus matures, et qui brassent une foultitude d'influences remontant jusqu'aux années 80. Bien sûr, du prog comme on le concevait jadis, il n'y en a plus guère: les parties instrumentales sont ramenées à l'essentiel, les guitares donnent des couleurs plus qu'elles ne s'enflamment, et les textes acquièrent une dimension nouvelle par le message qu'ils véhiculent. Du premier titre Lost (Perdu) au dernier Found (Trouvé), les chansons racontent l'histoire de quelqu'un qui se cherche et finit par savoir qui il est vraiment. Avec des références au Petit Prince, une critique des personnes qui donnent une fausse image d'eux-mêmes sur les réseaux sociaux, et des ruminations sur le changement, la peur de l'inconnu, et la libération de sa conscience, les textes réfléchis et positifs sont au cœur d'un projet où l'on comprend que le tonnerre des doubles grosses caisses et les cris du heavy métal auraient été complètement déplacés.

Ceci étant dit, on évite quand même la monotonie car le groupe, qui n'est pas né de la dernière pluie, sait varier les plaisirs et retenir l'attention même au sein d'une unique composition. Entre morceaux planants (Afloat, Towards The Blue Horizon, Lost et Found avec leur superbe guitare gilmourienne), ballades acoustiques (Time Travellers) et titres plus nerveux (Addicted, Saturate Me, Caterpillar And The Barbed Wire), cet album remarquablement construit est une autre grande réussite dans la discographie sans faute de Riverside. On appréciera aussi la superbe pochette en technicolor conçue par Travis Smith qui, en grand artiste qu'il est, a su adapter son style sombre et gothique à la nouvelle luminosité de la musique de Riverside.

[ Love, Fear and The Time Machine ]
[ A écouter : Lost - Caterpillar And The Barbed Wire - Afloat - Discard Your Fear - Found ]

Spock's Beard : The Oblivion Particle (InsideOut), USA 2015


Alan Morse (guitares)
Dave Meros (basse)
Ryo Okumoto (claviers)
Ted Leonard (chant)
Jimmy Keegan (Batterie)
+ David Ragsdale (violon: 9)

Tides of Time (7:45) - Minion (6:53) - Hell's Not Enough (6:23) - Bennett Built A Time Machine (6:52) - Get Out While You Can (4:55) - A Better Way To Fly (8:57) - The Center Line (7:05) - To Be Free Again (10:24) - Disappear (6:36) - Durée Totale : 66'12"

A la première écoute, on se dit que depuis ses débuts, le groupe n'a pas beaucoup évolué en dépit de ses changements de personnel et de chanteur en particulier. L'arrivée récente de Ted Leonard, chantre du groupe Enchant, ne fait peut-être pas oublier Neal Morse ni son successeur Nick D'Virgilio, mais, sans révolutionner le département vocal, il faut avouer qu'il s'en tire fort bien comme il l'avait d'ailleurs déjà fait sur le disque précédent, Brief Nocturnes And Dreamless Sleep. Quand à la musique, elle s'inscrit efficacement dans la tradition de ce prog symphonique aux multiples rebondissements, à la fois complexe et accessible, mis au point par le groupe il y a vingt années avec l'inégalable The Light. Si bien qu'au fil des écoutes, voilà que la magie opère encore et qu'on découvre même quelques perles rares au sein de ce répertoire qui frôle les 67 minutes.

Tides Of Time par exemple, qui ouvre le compact, montre un groupe complètement revitalisé prêt à délivrer à nouveau des myriades de sons et de styles compactés dans une composition kaléidoscopique qui n'a pourtant rien d'hétérogène ni d'indigeste. Le trio de longue date composé du guitariste Alan Morse, du bassiste Dave Meros et du claviériste Ryo Okumoto tourne à plein régime : la rythmique gronde, les orgues chuintent et les guitares explosives plongent du côté obscur de la force. Si tout apparaît structuré au millimètre près, la fièvre monte quand même grâce au talent des musiciens impliqués. Bennett Built A Time Machine est un autre grand moment cette fois chanté avec brio par le batteur Jimmy Keegan. Ce titre est en effet doté d'une mélodie tellement accrocheuse qu'elle en ferait quasiment un tube de rock classique si, en plein milieu, le groupe ne passait soudain en mode furtif pour explorer un prog rock remontant aux origines du genre. Quand à Disappear qui clôture l'album en beauté, on y appréciera le choc des différentes atmosphères, l'arrangement symphonique très élaboré, les harmonies vocales et la participation remarquable du violoniste de Kansas, David Ragsdale, invité pour l'occasion. Entre ces pics majeurs, d'autres chansons se fraient un chemin parfois déjà balisé (comme Get Out While You Can qui évoque un rock déjà entendu) ou alors, elles s'inscrivent sans réelle surprise dans une formule esthétique estampillée Spock's Beard (en particulier The Center Line et To Be Free Again avec son piano néo-classique), ce qui n'est pas pour autant déplaisant. A une époque où Transatlantic et The Flower Kings ont à nouveau disparu des radars pour un temps indéterminé, ce disque vient à point nommé rappeler que ce genre de musique, qui contribua à sauver le prog dans les années 90, reste ébouriffant et très jouissif quand il est joué avec la passion, l'expérience et la compétence d'une formation comme celle-ci.

[ The Oblivion Particle ]
[ A écouter : Minion - Bennett Built A Time Machine ]

IO Earth : New World (2 CD - Indépendant), UK, Mai 2015


Dave Cureton (gt, chant)
Adam Gough (claviers, chant)
Linda Odinsen (chant)
Luke Shingler (sax, fl, EWI)
Jez King (violon, gt)
Christian Nokes (b)
Christian Jerromes (dr) +
Ed Mann (percussions)

CD 1 :Move As One (3:22) - Redemption (5:56) - Journey To discovery (4:32) - Trance (5:10) - Morning (8:38) - Collision (5:39) - Fade To Grey (9:06) - New World Suite (7:16) - Durée Totale : 49'37"
CD 2 :Insomnia (9:43) - Red Smoke (6:10) - The Rising (7:24) - Body And Soul (7:04) - Colours (4:52) - Follow (4:40) - Dreams (5:49) - New World (8:59) - Durée Totale : 54'38"


Ce groupe britannique met trois années pour concevoir ses œuvres. Sorti en 2009, le premier double album éponyme fut une belle surprise transcendée, en 2012, par un Moments en état de grâce sous le charme duquel j'ai succombé avec délectation (voir la chronique ici). Et voici leur troisième production en studio : le monumental New World, double encore une fois, qui non seulement confirme l'immense et éclectique talent du duo fondateur Dave Cureton et Adam Gough mais pousse aussi l'enveloppe plus loin en consolidant, avec davantage de maturité, leur vision d'une musique prog symphonique ouverte sur toutes les possibilités musicales. Entre-temps, la situation a évolué pour le duo qui a revu le line-up de la formation, le changement majeur étant d'y intégrer, en remplacement de Claire Malin, la chanteuse Linda Odinsen qui fait ainsi sa première apparition sur disque après avoir accompagné le groupe en concert durant trois années. Avec Cureton et Gough prenant en charge guitares et claviers, Jez King au violon, Luke Shingler aux saxophonex et à la flûte, plus une section rythmique augmentée sur un titre (Collision) par le percussionniste vétéran Ed Mann qui accompagna jadis Frank Zappa pendant toute une décennie, on tient un septet de luxe dont la sonorité est luxuriante et les possibilités immenses, capable en un clin d'œil de passer d'une mélodie envoûtante à un déferlement tellurique propulsé par un canevas de rythmes complexes.

Comme souvent dans des œuvres aussi longues qu'ambitieuses, on trouvera quelques faiblesses éparses : un passage trop long ou complaisant, un thème qui n'accroche pas ou en tout cas pas immédiatement (Red Smoke), ou encore une tendance heureusement très occasionnelle à sortir l'artillerie binaire, sans doute imputable au nouveau batteur Christian Jerromes, qui me paraît hors de propos (Colours). Mais c'est subjectif et finalement bien peu de choses dans un tel maelstrom d'idées et de styles arrangés à la perfection. Ecoutez entre autres l'élan homérique de Journey To discovery, le chant grégorien et les percussions orientales de Trance, les solos émotionnels de EWI (un acronyme pour Electronic Wind Instrument) et de guitare sur Morning, le déferlement de percussions futuristes sur Collision, le piano nostalgique et les orchestrations étincelantes de Fade To Grey, la symphonie éclatante de New World Suite, le chœur gothique d'Insomnia digne du grand maître Jerry Goldsmith dans le film La Malédiction, la longue envolée de guitare sur l'instrumental The Rising, la voix grave de Dreams hanté par une trompette rêveuse, sans oublier le titre éponyme en finale à la fois grandiose et épique comme il se doit. Tout ça ne fait pas que sortir des clous, c'est du bonheur à l'état pur. Si vous appréciez à la fois les feux du prog symphonique moderne, les surprises musicales à répétition et les odes à un monde meilleur, New World, qui mettra plusieurs mois avant d'être maîtrisé, pourrait bien devenir votre album de l'année.

[ New World [Import USA] ]
[ A écouter : The Rising - New World ]

Argos : A Seasonal Affair (Progressive Promotion Records), Allemagne, Mars 2015


Thomas Klarmann (b, fl, claviers, chant)
Robert Gozon (chant, claviers, gt)
Rico Florczak (el gt)
Ulf Jacobs (drums)
+
Andy Tillison (claviers)
Thilo Brauss (claviers)
Marek Arnold (sax soprano)

Vanishing (3:39) - Divergence (4:05) - Silent Corner (6:32) - Silver and Gold (4:26) - Lifeboats (6:02) - Not in This Picture (12:33) - A Seasonal Affair (4:18) - Forbidden City (5:21) - Stormland (6:21) - Killer (2015 Version) (5:18) - Black Cat (2015 Version) (3:39) - Durée Totale : 62'14"

Cela fait déjà six années que, sans tambour ni trompette (l'absence de vidéo sur YouTube est emblématique), ce groupe allemand sort des albums intéressants qui évoluent sous le radar de la communauté prog ou grappillent au mieux un intérêt mitigé plus poli qu'enthousiaste. Pourtant ce quatrième disque est remarquable sur plusieurs points. Certes, la musique d'Argos s'inspire de celle des années 70 mais, cette fois, ce ne sont pas les styles de Yes et de Genesis qui sont invoqués mais plutôt celui de ce groupe étrange et inclassable qu'était Van Der Graaf Generator (Lifeboats et Divergence en particulier sont de belles variations dans le style VDGG avec un chanteur totalement engoncé dans le rôle de Peter Hammill). En plus, comme on le constatera à l'écoute du premier titre, Vanishing, Argos y ajoute une touche de nonchalance cool à la David Bowie / Roxy Music qui rend les compositions accessibles tout en leur procurant un air de "rock classique" à l'ancienne pas du tout désagréable. Ajoutez encore à cela la contribution décisive du guitariste Rico Florczak, recruté tardivement par le trio de base, dont les solos ne sont jamais convenus et l'on obtient une patte unique et novatrice qui accroche davantage chaque jour qui passe.

L'instrumentation et les arrangements complexes sont très variés : Ainsi par exemple, Marek Arnold a prêté son concours pour un solo de saxophone atmosphérique sur Silent corner tandis que la musique dérive cette fois vers un style "rock-jazz Canterbury" autrefois abondamment arpenté par Caravan. On notera aussi sur cet album l'importance et la diversité des claviers (de l'orgue Hammond au Mini-Moog en passant par le piano acoustique et l'incontournable mellotron) qui constituent l'épine dorsale de la musique d'Argos: il faut dire qu'en plus de Klarmann et de Robert Gozon, Andy Tillison (The Tangent) et Thilo Brauss (second claviériste du groupe en concert) ont aussi été invités a en jouer, ce qui porte à quatre le nombre de musiciens crédités pour les claviers. Pourtant, la musique, parfaitement enregistrée et mixée, reste aérée et élégante dans une sorte de raffinement harmonique (écoutez par exemple le titre éponyme et sa fine mélodie d'obédience classique). Très nuancée, la rythmique sculpte en souplesse l'espace sonore, installant parfois des syncopes sautillantes et énergiques qui rappellent XTC et la pop anglaise des années 80 (Silver And Gold). Quant aux textes plus sombres que d'habitude, ils sont fort bien écrits et chantés en anglais avec une diction impeccable. Et il y a aussi un morceau épique, Not In This Picture, avec de multiples variations de tempo et encore ce subtil rock jazzy typiquement anglais qu'Argos (le plus britannique des groupes allemands ?) est passé maître à reproduire. Joliment emballé dans une pochette ténébreuse conçue par Bernd Webler (ne pas rater sa superbe galerie digitale sur le web), ce disque offre également en bonus deux titres du premier album de 2009 (Killer et Black Cat, tous deux extraits de la suite Nursed By Giants) remixés et édités dans de nouvelles versions. Argos est en nette progression et cet album mérite beaucoup mieux que de passer comme un OVNI à peine visible dans le ciel aujourd'hui un peu encombré du prog rock revitalisé.

[ A Seasonal Affair ]
[ A écouter : A Seasonal Affair (promo trailer) ]

Anekdoten : Until All The Ghosts Are Gone (Virta Records), Suède 2015


Nicklas Barker (chant, gt, mellotron, claviers)
Anna Sofi Dahlberg (chant, mellotron, violon)
Jan Erik Liljeström (chant, basse)
Peter Nordins (drums)
+
Theo Travis (sax, flûte)
Per Wiberg (claviers)
Marty Wilson-Piper (gt)

Shooting Star (10:11) - Get Out Alive (7:32) - If It All Comes Down To You (5:53) - Writing On The Wall (9:03) - Until All the Ghosts Are Gone (5:07) - Our Days Are Numbered (8:16) - Durée Totale : 46'20"

Huit années d'attente après la parution en 2007 de leur album A Time Of Day, c'est long pour un groupe de rock mais, parfois, le repli sur soi est profitable et c'est certainement le cas pour Anekdoten. Après s'être fixé comme objectif de reproduire et de prolonger la musique de King Crimson pour se forger ensuite une identité propre grâce à des compositions personnelles, les Suédois ont peu à peu dilué leur musique expérimentale et abrasive en incluant des chansons plus lentes et mélancoliques toujours brassées par des nappes de ce mellotron qui constitue l'une des caractéristiques les plus évidentes de leur style. Until All The Ghosts Are Gone poursuit cette évolution tout en préservant l'originalité de leur approche. La musique est toujours accrochée à une basse énorme, les chansons sont dramatiques et auréolées d'un mystère diffus, et les mélodies sont toujours enrobées dans cet antique instrument polyphonique à base de bandes magnétiques qui occupe en permanence le milieu de terrain. Comme d'habitude aussi, le répertoire démarre sur la chanson la plus dense de l'album (rappelez-vous en ouverture des deux disques précédents ces hymnes imparables qu'étaient Monolith et The Great Unknown) : le superbe Shooting Star ne déroge pas à la règle et s'impose comme une réussite majeure. La basse Rickenbacker de Jan Erik Liljeström est monstrueuse, le mellotron se répand sournoisement comme l'une des sept plaies d'Egypte, les guitares pleurent et dans le fond, on entend l'orgue Hammond joué par l'ancien claviériste d'Opeth, Per Wiberg, venu prêter un coup de main décisif à ses compatriotes.

Ce premier titre n'est toutefois pas le seul morceau de bravoure de cet album. If It All Comes Down To You hypnotise gentiment par le son de ses guitares vintage et par la magnifique partie de flûte jouée par l'incontournable Theo Travis (King Crimson, Steven Wilson, The Tangent) tandis que les vocaux de Nicklas Barker ont l'air de se dissoudre dans la distance. Plus énergique, l'épique Writing On The Wall déroule ses fastes pendant neuf minutes et l'on entend ici combien le groupe a mis à profit son temps de silence pour peaufiner ses compositions et ses arrangements. L'enregistrement a pris 18 mois et ça se remarque dans les détails surtout dans le mixage qui a été réalisé à Stockholm par le célèbre producteur Simon Nordberg. Rehaussé par la guitares acoustique de Marty Wilson-Piper, le titre éponyme est un autre grand moment de musique fluide et hantée tandis que l'instrumental Our Days Are Numbered clôture l'album sur une note frénétique.

Vintage et moderne à la fois, la musique d'Anekdoten se rapproche par l'esprit de celle des deux derniers disques d'Opeth mais elle conserve une touche sonore très singulière qui la rend immédiatement reconnaissable. Aussi, ce mélange de mélancolie et d'intensité dramatique intimement confondues est unique dans le genre et s'avère totalement envoûtant dès que l'on se laisse immerger dans ses arcanes. On appréciera enfin la pochette étrange qui renvoie illico à leur premier album Vemod et, à travers lui, à l'art graphique de Marcus Keef qui conçut la photographie occulte du premier disque de Black Sabbath. Espérons seulement qu'il ne faudra pas attendre huit autres années avant d'écouter le successeur de cet excellent opus !

[ Until All the Ghosts Are Gone ]
[ A écouter : Shooting Star - If it All Comes Down To You - Writing On The Wall - Our Days Are Numbered ]

The Tangent : A Spark In The Aether – The Music That Died Alone Volume 2 (InsideOut), UK 2015


Andy Tillison (chant, claviers)
Luke Machin (guitare)
Jonas Reingold (basse)
Theo Travis (sax, flûte)
Morgan Agren (dr)

A Spark in the Aether (4:20) - Codpieces And Capes (12:34) - Clearing The Attic (9:35) - Aftereugene (5:47) - The Celluloid Road (21:37) - A Spark In The Aether / Part Two (8:16) - San Francisco / Radio Edit (5:00) - Durée Totale : 67'09"

Pour A Spark In The Aether, Andy Tillison revient à un concept similaire à celui de leur premier opus resté à ce jour le plus célèbre : The Music That Died Alone dont ce huitième album en studio constitue le volume 2. Et c'est sans surprise que la pochette a été confiée à nouveau à Ed Unistky qui a réalisé de superbes images originales évoquant celles du premier album tout en offrant des visions nouvelles à la hauteur de son immense talent. Je l'ai déjà écrit auparavant mais il est bon de rappeler que le tandem Tangent / Unistky est unique, équivalent aux grandes rencontres spirituelles qui ont présidé à l'avènement audio-visuel des plus belles réalisations du prog que furent les album conçus par les couples Roger Dean / Yes, Paul Whitehead / Genesis ou Mark Wilkinson / Marillion. La musique, elle, n'a pas vraiment changé et s'inscrit toujours dans le prog symphonique classique, ce qui est normal pour un disque dont le sous-titre, "la musique qui mourrait toute seule", renvoie à ce genre si prisé par Andy Tillison même si l'histoire a montré qu'après tout, il n'était pas si moribond qu'on a bien voulu l'écrire. Par ailleurs, quelques titres directement centrés sur l'histoire de cette musique raniment les fantômes du passé comme Codpieces And Capes dont le titre explicite renvoie aux habits extravagants des stars et qui témoigne comment les groupes des 70's, en dépit des critiques de la presse qui les considéraient comme prétentieux, étaient chéris par leurs fans. Les références abondent dans cette chanson épique qui évoque aussi bien Yes et la basse énorme de Chris Squire (ici tenue par le bassiste Jonas Reingold des Flower Kings) qu'Emerson, Lake et Palmer via l'orgue vintage et jazzy de Tillison. Et puis, il y a cet étonnant Aftereugene en hommage à Pink Floyd et à son fameux Be Careful With That Axe Eugene où l'on entend Tillison annoncer non sans humour "Be Carefull With That Sax" juste avant un solo psychédélique de saxophone par Theo Travis bien dans l'esprit des élans libertaires de l'époque.

Un disque comme celui-ci ne saurait évidemment être complet sans une longue suite épique. À l'instar des chansons Lost In London (A Place In The Queue), Lost In London 25 Years Later (Not As Good As The Book) et Perdu Dans Paris (Down And Out In Paris And London) qui décrivaient des déambulations naïves et colorées respectivement dans les villes de Londres et de Paris, The Celluloid Road est un "road movie" nostalgique à travers l'Amérique via les souvenirs de films et de séries qui se sont incrustés dans les mémoires comme Dirty Harry, Easy Rider, Shaft ou Thelma & Louise. Reste encore Clearing The Attic, qui rappelle une fois de plus l'attrait qu'exerce l'école de Canterbury et le jazz léger de Caravan sur Tillison, ainsi que les deux parties flamboyantes du titre éponyme qui confirment que The Tangent est de retour dans le giron d'une musique variée, raffinée et énergique qui fit le succès unanimement reconnu de leur premier opus. Abandonnant le versant dépressif et les dérives orchestrales parfois ampoulées du Sacre Du Travail, A Spark In The Aether renoue en effet avec un prog plus rock sans clichés et davantage centré sur le talent des cinq fabuleux instrumentistes qui composent aujourd'hui le groupe. Chacun à largement l'occasion de briller et d'apporter sa contribution à l'édifice d'un album rayonnant qui, en combinant inspiration, liberté, prouesses, humour et amour de la musique, perpétue avec brio un genre qui a l'avenir devant lui.

[ A Spark In The Aether ]
[ A écouter : A Spark In The Aether - San Francisco (Radio Edit) ]

Steve Hackett : Wolflight (InsideOut), UK 2015


Steve Hackett (chant, gt, luth)
Roger King (claviers)
Rob Townsend (sax, duduk)
Nick Beggs (b, stick)
Gary O'Toole (dr)
Amanda Lehmann (voc)
+ invités

Out of the Body (2.29) - Wolflight (8.00) - Love Song To A Vampire (9.18) - The Wheel's Turning (7.24) - Corycian Fire (5.47) - Earthshine (3.20) - Loving Sea (3.22) - Black Thunder (7.32) - Dust and Dreams (5.33) - Heart Song (2.51) - Durée Totale : 55'36"

Après quatre années passées à ressusciter, avec le succès que l'on sait, la gloire de son ancien groupe Genesis, Steve Hackett revient à une musique plus personnelle sur ce vingt-quatrième album édité sous son nom. Et juste après le hurlement des loups, dès les premières mesures de ce qui pourrait être une introduction instrumentale à Wolflight, on retrouve le style compositionnel du guitariste qui rappelle les grandes fresques évocatrices du passé comme Spectral Mornings, The Silk Road ou Last Train To Istanbul. La guitare enrobée dans une grandiose orchestration classique projette une atmosphère mystérieuse avant de plonger dans le titre éponyme par le biais de quelques notes égrenées par Malik Mansurov sur un tar (un luth à long manche d'origine perse). Tournée en Serbie, la vidéo officielle est splendide, toute à la gloire d'une chanson qui explore les origines profondes de l'humanité, mettant en exergue dans une nature sauvage photographiée à l'heure du loup des solos de guitares aussi intenses que pertinents. Mêlant folklore et modernité, cette musique sans formalisme transporte une fois encore au cœur de ces immenses plaines d'Europe de l'Est et d'Asie qui semblent fasciner tout particulièrement l'auteur de The Steppes. D'autres folklores sont explorés comme celui de la Grèce sur Corycian Fire ou le blues sur un étonnant Black Thunder dédié à Martin Luther King et à la lutte anti-esclavagiste ou encore les mélopées orientales sur Dust And Dreams qui suggèrent des immensités vides et le souvenir de films dont le désert est le thème majeur. Quant à Loving Sea, c'est une superbe chanson acoustique bourrée d'harmonies vocales qui aurait pu être écrite par Crosby Stills & Nash.

Quelques morceaux sont interprétés sur une guitare acoustique comme l'instrumental Earthshine qui a des consonances néo-classiques. C'est aussi le cas partiellement sur Love Song To A Vampire qui traite de la violence domestique, une chanson orchestrée avec goût, débordante d'émotion et striée d'envolées de six-cordes, pour laquelle il faut également mentionner le soutien efficace du bassiste Chris Squire (Yes) invité pour l'occasion. Quant à The Wheel's Turning avec sa mélodie de fête foraine, il renvoie aux années de jeunesse de Steve Hackett quand il travaillait dans une telle attraction. L'ambiance des sons et des lumières y est fort bien rendue ainsi que le grain de folie qui va avec ce genre d'endroit tandis qu'on y entend encore de l'harmonica (comme sur Black Thunder) joué par Steve qui est aussi un grand spécialiste de cet instrument.

N'en déplaise au récent documentaire de la BBC (Together And Apart consacré à Genesis et à ses membres) qui occultait sa carrière en solo, le chanteur guitariste est l'auteur d'une œuvre unique et le seul finalement à poursuivre vraiment l'approche multiculturelle, folk, classique et prog de la première période de son ancien groupe (de Nursery Cryme à Wind & Wuthering). Bénéficiant d'un rendu sonore optimal, Wolflight est un disque varié aux textures opulentes qui, sans être la plus révolutionnaire des œuvres d'Hackett, confirme son immense talent, son esprit ouvert et sa sincérité.

[ Wolflight [Import] ]
[ A écouter : Wolflight - Stranded (version single) - The Wheel's Turning ]

Dave Kerzner : New World (RecPlay Deluxe Edition 2CD), USA 2015


Dave Kerzner (chant, claviers, gt)
Fernando Perdomo (gt, b)
Nick D'Virgilio (drums)
+ invités

Stranded (Pt's 1-5) (11:29) - Into The Sun (9:19) - The Lie (5:05) - The Traveler (2:01) - Secret (8:09) - Reflection (1:05) - Under Control (6:12) - Premonition Suite (8:54) - In The Garden (6:18) - The Way Out (5:13) - Crossing Of Fates (4:40) - Biodome (1:42) - Crossing Of Fates (4:48) - Theta (4:01) - My Old Friend (5:18) - Ocean Of Stars (6:42) - Solitude (5:00) - Nothing (6:17) - Erase (2:04) - Realign (5:04) - Nexus (5:39) - New World (5:43) - Redemption: Stranded (Pt's 6-10) (21:31) - Durée Totale : 142'44"

Déjà sorti sous forme digitale en décembre 2014, New World est aujourd'hui disponible sous la forme d'une version étendue sur deux CD incluant des versions longues de morceaux antérieurs et pas moins de douze titres inédits additionnels insérés à leur juste place dans le répertoire, le tout constituant ainsi la version définitive d'une œuvre ambitieuse dont la qualité du concept et de la musique méritait bien pareil traitement. Peu connu avant sa participation avec Simon Collins à Sound Of Contact qui réalisa l'un des meilleurs disque de 2013 (Dimensionaut), le claviériste (et maintenant chanteur) Dave Kerzner est aussi un producteur et un designer sonore renommé ayant travaillé pendant les deux dernières décades avec entre autres Steven Wilson, Keith Emerson et Steve Hackett. Dans ce premier projet en solo, Kerzner raconte une histoire à deux niveaux : en surface, le récit fictionnel d'un voyageur en danger dans un désert futuriste qui tente de regagner l'un des biodômes protecteurs sous lesquels vit le reste humanité; et sous la surface, une allégorie décrivant l'éveil personnel du voyageur au cours de sa lutte pour la survie ainsi que sa transformation en un homme meilleur. A moins que ce concept ne soit qu'une parabole autobiographique décrivant la frustration de l'auteur après sa séparation de Sound Of Contact et sa métamorphose postérieure en un artiste complet via cette première œuvre en solo.

Kerzner réalisa d'abord des maquettes qu'il envoya ensuite comme référence à des musiciens choisis qui enregistrèrent à distance leur contribution avant de les retourner aux studios South Beach à Miami en vue du mixage final. C'est ainsi que l'album aligne toute une série de noms aussi célèbres que Simon Phillips, Steve Hackett, Keith Emerson, Francis Dunnery, Nick D'Virgilio ou Billy Sherwood. Influencée par Pink Floyd (et pour ceux qui connaissent, par RPWL), la musique affiche quand même une forte personnalité qui la distingue de son modèle. Et si la suite Stranded (Pt's 1-5) comporte de superbes solos de guitare et une partie vocale qui évoqueront à beaucoup la puissance tranquille d'un David Gilmour, ses mélodies et ses riches textures orchestrales sont au-delà de toute comparaison réductrice. Au fil des nombreuses plages, beaucoup de moments magiques attendent l'auditeur comme Into The Sun et son finale grandiose, Secret et ses glissandos aériens de guitare dans le style d'On A Island, Crossing Of Fates et son excitant solo de Moog joué par Keith Emerson, l'instrumental Theta et ses percussions indiennes, Solitude et ses vocalises qui surfent vers The Great Gig In The Sky, ou encore Nothing et sa syncope entraînante à la Electric Light Orchestra. Sur les 143 minutes du répertoire, on trouvera aussi plusieurs interludes instrumentaux (le superbe The Traveller et ses synthés atmosphériques) ainsi que quelques chansons plus classiques au tempo souvent lent qui destinent cet album en priorité aux amateurs de prog mélodique. My Old Friend, dédié à la mémoire de Kevin Gilbert avec qui Kerzner collabora dans les années 90, The Lie, qui renvoie peut-être à l'éclatement inattendu du groupe de Simon Collins, et New World, en forme de ballade classique réinventée dans le style Beatles, en sont trois bons exemples. Le meilleur est toutefois pour la fin avec ce dernier morceau épique, Redemption: Stranded (Pt's 6-10), qui roule à travers de multiples changements de climat hantés par les guitares solaires intriquées de Steve Hackett et de Francis Dunnery.

En fin de compte, ce disque objet qui n'a aucun mal à susciter une addiction est la preuve irréfutable que Dave Kerzner a bien eu raison de déployer ses ailes en solo. Sans lui, Sound Of Contact, qui existe toujours, aura probablement un peu plus de mal à conserver le même niveau de qualité que celui de Dimensionaut.

[ New World ]
[ A écouter : New World Deluxe Edition (album preview) - Stranded (version single) - Crossing of Fates - Nothing ]

Steven Wilson : Hand.Cannot.Erase. (Kscope), UK 2015


First Regret (2.01) - 3 Years Older (10.18) - Hand Cannot Erase (4.13) - Perfect Life (4.43) - Routine (8.58) - Home Invasion (6.24) - Regret #9 (5.00) - Transience (2.43) - Ancestral (13.30) - Happy Returns (6.00) - Ascendant Here On…(1.54) - Durée Totale : 66'03"

Steven Wilson (chant, gt, claviers) - Adam Holzman (claviers) - Nick Beggs (b) - Marco Minnemann (drums) - Dave Gregory (gt) - Guthrie Govan (gt) - Ninet Tayeb (chant) - Theo Travis (fl, bs) + invités
Abandonnant ses récits de spectres victoriens, le musicien anglais au visage pâle et austère s'inspire cette fois d'une histoire aussi étrange et encore plus noire bien que tirée de la réalité : celle de la jeune Joyce Carol Vincent qui fut retrouvée dans son appartement londonien en janvier 2006, baignant dans la lumière de son téléviseur toujours allumé deux années après sa mort. Perturbé par le film documentaire Dreams Of A Life consacré à cette affaire que Carol Morley réalisa en 2011, Wilson en a tiré un texte tragique et romantique, épicé d'un zeste de macabre, qui expose les travers d'un monde moderne où, dans une société urbaine et en dépit d'internet, des hommes et des femmes peuvent vivre dans un isolement complet au beau milieu de leurs semblables. C'est ce paradoxe qu'illustrent les grands immeubles résidentiels représentés dans le livret dont les innombrables fenêtres brillant dans la nuit sont les stigmates de vies secrètes et de tourments inconnus. On imagine combien cette histoire troublante a pu fasciner l'ancien membre de Porcupine Tree qui, dans les médias, n'a jamais donné de lui-même l'image d'un personnage particulièrement sociable. Toujours est-il que, dans Happy Return, la lettre inachevée écrite par la protagoniste à son frère, avec des phrases comme "Hey brother, I'd love to tell you I've been busy, but that would be a lie. 'Cause the truth is the years just pass like trains away but they don't slow down", sonne juste et terriblement émouvante.

Alors, bien sûr, la tonalité globale du concept est, une fois encore, sombre, voire dérangeante mais la comparaison avec les précédentes productions en solo de l'artiste s'arrêtent là. Car la musique de cet album au titre (volontairement) ambigu apparaît plus légère et plus mélodique qu'autrefois sans pour autant faire complètement l'impasse sur une complexité inhérente aux inclinations esthétiques de son auteur. Le titre éponyme par exemple renvoie musicalement aux chansons les plus accessibles de Porcupine Tree et également à son travail avec l'Israélien Avif Geffen au sein de Blackfield. Ce morceau ainsi que Happy Return ou même Perfect Life pourraient fort bien devenir des piliers de radios FM si tel était le souhait d'un programmateur éclairé. D'autres compositions abordent des terres musicales plus vastes, variant les possibilités à l'infini, utilisant au fil des plages le piano versatile du génial Adam Holzman, la voix de la chanteuse pop israélienne Ninet Tayeb (sur Routine), les guitares multiples de Dave Gregory et de Guthrie Govan, des chœurs, un orchestre à cordes, le sax baryton et la flûte de Theo Travis sur Ancestral, des claviers vintage et ce fameux mellotron M4000 acheté récemment et mobilisé un peu partout, sans parler de ces effets électroniques subtilement saupoudrés comme une fine couche de sucre glacé: tout cela est mis en place avec une ingénieuse efficacité et un talent fou. Et il y a même des moments de bravoure comme l'excitant solo de Moog d'Holzman sur Regret #9, celui stratosphérique de guitare par le virtuose Guthrie Govan sur l'épique Ancestral, des envolées d'orgue et cette guitare qui s'écrase vers la huitième minute dans un bruit de réacteur agonisant sur 3 Years Older. Quant à Wilson lui-même, il est au four et au moulin, composant, arrangeant, programmant, jouant de la guitare, du mellotron et des claviers tout en chantant des textes qui font mouche. Et c'est bien sûr encore lui qui produit, conçoit le design de son album (superbebment mis en images par le photographe danois Lasse Hoile) et écrit le blog qui lui est dédié.

Ce disque ne marque pas en soi une évolution radicale du style Wilson. L'homme est aujourd'hui un musicien accompli capable de s'exprimer dans toutes sortes d'idiomes différents avec l'aide des musiciens exceptionnels qu'il s'est choisi. Quand il a défini un nouveau projet, il en compose simplement la musique sans se soucier des modes ou des pressions et cela donne à chaque fois des œuvres originales, brillantes, fortes et imprévisibles comme The Raven ou celle-ci. Dans ce contexte créatif, ce qui viendra après reste forcément une énigme et c'est très bien ainsi.

[ Hand. Cannot. Erase ] [ Le Blog de l'album ]
[ A écouter : First Regret / 3 Years Older - Hand Cannot Erase - Routine - Happy Returns ]

Lonely Robot : Please Come Home (InsideOut), UK 2015


John Mitchell (chant, gt)
Nick Beggs (b)
Craig Blundell (drums)
+ invités

Airlock (3:53) - God Vs Man (5:40) - The Boy In The Radio (4:49) - Why Do We Stay? (5:10) - Lonely Robot (8:07) - A Godless Sea (5:26) - Oubliette (5:19) - Construct/Obstruct (5:46) - Are We Copies? (6:17) - Humans Being (5:36) - The Red Balloon (2:52) - Durée Totale : 58'18"

John Mitchell n'est peut-être pas l'un des artistes les plus connus du rock mais c'est quand même un nom que l'on retrouve associé à quelques uns des grands projets du prog moderne comme Kino, Frost*, Arena, Gandalf's Fist ainsi que la dernière mouture d'It Bites sans parler de ses collaborations avec John Wetton et Martin Barre ou de son travail d'ingénieur du son et de producteur aux studios Outhouse de Reading. Musicien hyperactif, le chanteur et guitariste revient en 2015 avec un nouveau projet plus personnel qui s'annonce passionnant à plusieurs égards: d'abord son thème inspiré à la fois par la science-fiction (l'origine extraterrestre de la vie intelligente) et par une réflexion sur l'évolution de l'humanité liée à la dégradation de son environnement, et ensuite, la participation active d'une liste d'invités prestigieux comme Steve Hogarth (employé essentiellement comme pianiste et non comme chanteur), Peter Cox, Jem Godfrey, Nik Kershaw, Nick Beggs, Heather Findlay, Kim Seviour ainsi que, pour les parties narratives, l'acteur britannique Lee Ingleby (surtout connu pour son rôle de Stan Rocade dans la série Harry Potter).

Globalement, le style mélodique et le son intense de Lonely Robot évoquent les autres groupes auxquels Mitchell a collaboré et plus particulièrement Kino. Ce qui en soi est une bonne chose puisque cette dernière formation est mort-née aussitôt après la parution de son excellent et unique opus éponyme. Après un morceau instrumental inquiétant qui, telle une musique de film épique, place l'auditeur en situation (Airlock), la première chanson God Vs Man déroule ses fastes : mélodie accrocheuse, riffs de guitare musclés, arrangement précis et dense dans un style néo-prog moderne, paroles clairvoyantes mettant en exergue le côté prométhéen de la nature humaine, … Ça tourne rond tout en faisant naître beaucoup d'espoirs pour la suite. Impression tout de suite confirmée par The Boy In The Radio fort bien chanté dans un registre plus grave par Peter Cox (Go West) et dont le côté pop-rock entraînant n'est pas sans rappeler It Bites. Après le tendre Why Do We Stay? interprété en duo par Mitchell et Heather Findley (ex-Mostly Autumn), le titre éponyme s'impose comme le sommet de l'album avec ses variations de tempo, son ambiance "lost in space" envoûtante, son refrain irrésistible et, en filigrane, le travail remarquable du batteur Craig Blundell (Frost*, Pendragon). Plus élaboré, Godless Sea est quasiment instrumental tandis qu'Oubliette, porté par la voix de Kim Seviour (Touchstone) est le titre le plus accessible de l'album. Construct/Obstruct et Are We Copies? nous ramènent ensuite dans le giron d'un néo-prog roboratif. Enfin, les fans de six-cordes apprécieront la ballade Humans Being sublimée par un solo émouvant de Nik Kershaw et par une voix en seconde ligne qui est un vrai régal (Steve Hogarth ?) avant que le disque ne se referme en douceur sur un Red Balloon intimiste chanté par Mitchell sur fond de piano évanescent, coda parfaite d'un album recommandable.

A l'instar du Map Of The Past d'It Bites, Please Come Home est le genre de disque que l'on a envie de réécouter souvent pour le simple plaisir de sa musicalité et de la qualité de ses textes ainsi que pour les réminiscences esthétiques d'un grand groupe trop vite sabordé (Kino). Il reste à espérer que l'accueil qu'on lui réservera sera cette fois suffisamment chaleureux pour inciter son auteur à donner un futur à son nouveau et flamboyant projet.

[ Please Come Home ]
[ A écouter : God Vs Man - Are We Copies? - Why Do We Stay? - Lonely Robot (Blog by John Mitchell) ]

The Neal Morse Band : The Grand Experiment (InsideOut), USA 2015


Neal Morse (chant, claviers, gt)
Eric Gillette (chant, gt)
Bill Hubauer (claviers)
Randy George (basse)
Mike Portnoy (drums)

The Call (10:12) - The Grand Experiment (5:27) - Waterfall (6:31) - Agenda (3:45) - Alive Again (26:44) - Durée Totale : 52'39"

La Grande Expérience de Neal Morse est tout simplement une épreuve musicale. Pour la première fois de sa longue carrière, le Chrétien le plus célèbre du prog est entré avec ses musiciens en studio sans aucun matériel préparé à l'avance. Dans un temps limité, il fallait donc remplir le vide en improvisant et en bâtissant au fur et à mesure sur les idées de chacun. Une pratique certes courante en jazz mais qui l'est finalement beaucoup moins dans le monde du rock où les procédés de correction et d'ajout par réenregistrement sont plutôt la norme. Cette nouvelle approche pouvait être salutaire pour Morse dont les derniers albums en solo avaient de plus en plus tendance à répéter une formule, certes plaisante et efficace au début, mais devenue à la longue un peu redondante (sur Lifeline et Momentum en particulier).

Ceci dit, The Grand Experiment n'est pas non plus en rupture avec le style habituel de Morse. La version simple de l'album comprend, encadrées par deux titres épiques, trois chansons classiques. Lâché sur YouTube un mois avant la sortie officielle du disque, le titre éponyme n'aura surpris personne. Il s'agit en effet d'un bon vieux rock mélodique A.O.R. sculpté dans un son vintage 80's rappelant Styx et consorts. Pourtant, le groupe sonne frais et donne l'impression de s'amuser. Waterfall est tout aussi classique mais s'inscrit cette fois dans le registre des ballades. Le fait qu'elle soit (fort bien) chantée dans un registre plus aigu par le guitariste Eric Gillette apporte une variété bienvenue tandis que les claviers aériens sont tout simplement enchanteurs. Quand à Agenda, c'est un autre rock classique typé 80's, destiné par sa durée et son impact immédiat aux radios américaines FM. Rien de progressiste jusqu'à présent mais il est temps de passer aux deux pièces de résistance qui s'annoncent, par leur longueur tout au moins, beaucoup plus élaborées que les titres courts.

The Call nous ramène dans l'univers habituel de Neal Morse avec ses variations de tempo, ses raz-de-marée de claviers et ses guitares rock. Même jouée dans l'urgence, la recette Morse ne varie guère par rapport à ses compositions écrites à l'avance, ce qui démontre que, depuis la lointaine époque Spock's Beard, l'homme à un style bien à lui qui s'exprime de manière identique quelles que soient les circonstances. Les harmonies vocales sont superbes et le chant à capella du début n'est pas sans rappeler les plus belles heures de Queen. Mais le sommet de l'album reste Alive Again, un morceau épique de plus de 26 minutes. La longue introduction instrumentale (5 minutes) est tout simplement magnifique avec des solos de guitare et de claviers qui donnent le frisson sans parler du déferlement rythmique d'un Mike Portnoy bien décidé à lâcher les enfers. Mais la composition comprend aussi des moments paisibles de toute beauté, des refrains qui échappent à la gravité et une alternance entre les chanteurs qui apporte une variété bienvenue. Voici un morceau féérique digne des meilleures réalisations de Morse à placer à égalité avec les fabuleux The Temple Of The Living God, The Conflict ou World Without End. En se fiant à l'instinct de ses complices pour enrichir ses idées, Neal Morse a réalisé un coup de maître, revitalisant une fois encore sa musique qui, comme celle de tous les grands artistes, porte dans n'importe quel contexte sa marque indélébile.

[ The Grand Experiment ]
[ A écouter : The Call - The Grand Experiment - Alive Again ]

Dewa Budjana : Hasta Karma (Moonjune Records), Indonésie 2015


Dewa Budjana (gt)
Joe Locke (vibraphone)
Ben Williams (basse)
Antonio Sanchez (drums)

Saniscara (8:01) - Desember (7:32) - Jayaprana (8:32) - Ruang Dialisis (11:43) - Just Kidung (10:01) - Payogan Rain (6:44) - Durée Totale : 52'32"

Sorti sur le même label Moonjune Records, Surya Namaskar fut incontestablement l'évènement de l'année 2014 dans le genre fusion progressive. Et voilà que le guitariste indonésien poursuit sa fulgurante ascension avec un équipage différent qui le propulse cette fois jusqu'aux plus hautes couches de la stratosphère. Le contrebassiste Ben Williams et le batteur Antonio Sanchez, un duo connu des amateurs pour être le noyau rythmique de l'actuel Pat Metheny Unity Band, produisent une vibrante pulsation qui rend la musique encore plus riche et swingante. C'est du pain béni pour Budjana qui confirme ici ses capacités à inventer de beaux thèmes et à improviser autour sans jamais perdre en chemin l'essence de la mélodie. Car tout est mélodieux ici et au fil des ans, avec son groupe pop Gigi ou en solo, l'Indonésien a appris à écrire des lignes musicales de plus en plus belles et subtiles qui s'inspirent bien souvent du gamelan des folklores javanais et sundanais.

Mais Budjana est d'abord un amoureux des guitares qu'il collectionne (et expose dans un musée qui ouvrira ses portes cette année à Ubud dans la province de Bali) et qui sont peintes ou sculptées d'une manièe saisissante (on peut en voir quelques beaux spécimens sur les pochettes de ses albums Dawai In Paradise et Joged Kahyangan). Pas étonnant dès lors que la sonorité de ses guitares soit aussi belle que leur aspect extérieur. En exploitant au mieux cette sophistication du son alliée à une technique de jeu exceptionnelle, Budjana définit une conception vivante et parfois surprenante des textures qui contribuent grandement à l'originalité de sa musique. Il a aussi eu la bonne idée d'inclure dans son quartet le vibraphoniste newyorkais Joe Locke qui prend de beaux solos et réchauffe l'atmosphère par les sonorités veloutées et profondes de son instrument. Et sur Just Kidding, il a invité son compatriote Indra Lesmana pour un solo de piano arborescent parfaitement intégré à l'esprit du morceau. En mettant un pied dans le jazz-rock occidental moderne et en gardant l'autre fermement planté sur la terre de Bali, Budjana puise dans ces deux points cardinaux une autre caractéristique de son art: la création d'une fusion hybride et envoûtante qui évoque les deux mondes. Pour s'en convaincre, il suffira d'écouter l'épique Ruang Dialisis qui mêle folkore et jazz-rock, mélopées vocales et instruments pour ouvrir un espace trouble et chargé de mystère où le guitariste part en errance en entraînant dans son sillage ses trois partenaires. Voici une fusion inventive, exotique et intense, d'autant plus délectable qu'elle n'est jamais démonstrative.

[ Hasta Karma ]
[ A écouter : Ruang Dialisis - Just Kiddung ]

Beardfish : +4626-COMFORTZONE (InsideOut), Suède 2015


Rikard Sjoblom (chant, claviers)
David Zackrinsson (guitares)
Robert Hansen (basse)
Magnus Ostgren (drums)

The One Inside Part 1: Noise In The Background (1:47) - Hold On (7:47) - Comfort Zone (9:34) - Can You See Me Now (3:44) - King (5:43) - The One Inside Part 2: My Companion Throughout Life (4:05) - Daughter / Whore (5:22) - If We Must Be Apart (A Love Story Continued) (15:34) - Ode To The Rock'n'Roller (7:20) - The One Inside Part 3: Relief (4:33) - Durée Totale : 65'28"

Il est toujours stressant de sélectionner le premier album de l'année puisque le choix s'effectue en principe sur la comparaisons des vertus que montreront plus tard des œuvres qui ne sont pas encore sorties. Certes, on réserve toujours une petite place aux grands noms du genre, comme Steven Wilson, Steve Hackett ou Neal Morse dont les futures productions sont déjà annoncées, en espérant que la musique sera à la hauteur de leur immense réputation mais en ce qui concerne Beardfish, la perplexité est de mise. En effet, après cinq disques consistants de prog moderne flirtant avec l'héritage des 70's, le groupe suédois a subitement durci sa musique en sortant Mammoth (2011) et The Void (2012) qui débordent franchement sur le métal. Une mutation acceptable pour un temps (les deux disques précédents sont quand même excellents) mais qui, en cas d'accentuation, pourrait faire regretter les mélodies et harmonies de leurs premiers opus pas loin d'être irrésistibles. De plus, le dessin prosaïque de la pochette donne une impression de médiocrité sans parler du titre crypté impossible à retenir et qui ne galvanise guère l'imagination.

Pourtant, une première écoute donne l'impression, confirmée par la suite, d'un retour au prog de Destined Solitaire. On y retrouve en effet avec bonheur des structures plus complexes, des mélodies plus aérées et des guitares plus chantantes. Et le titre bizarre de l'album se révèle en fin de compte avoir un sens : +46 est le code téléphonique de la Suède et 26, celui de la petite ville de Gävle d'où les membres de Beardfish sont originaires. Une ville jugée conservatrice, nationaliste et déprimante où l'individu est maintenu grâce à son éducation et à la pression sociale dans une zone négative de confort mental d'où il lui est difficile de s'échapper. Une atmosphère sombre donc, plutôt qu'un concept, dans laquelle baignent globalement les différents titres par ailleurs indépendants de l'album. Ainsi Ode To The Rock'n'Roller raconte l'histoire d'un musicien qui joue dans un groupe de reprises et qui soudainement se lance en concert dans une interprétation du Sacre du Printemps de Stravinsky. L'incompréhension du public face à cet acte libertaire traduit dans l'esprit de l'auteur l'attitude générale de la société envers toute forme de créativité.

Quand à la musique, même en redevenant plus prog, elle garde une énergie et un dynamisme inépuisables. Un morceau comme Ode To The Rock'n'Roller, par exemple, a tout en magasin pour enchanter l'amateur: une mélodie accrocheuse, des parties jouissives de guitares jouant à l'unisson, des bruitages bien intégrés dans la structure de la chanson, des cassures de rythme avec des accélérations qui fondent le caoutchouc, une basse qui décolle dans les aigus et un solo improvisé de six-cordes par David Zackrinsson comme on n'en entend que dans le jazz-rock. Le travail de Rikard Sjoblom aux claviers est également exemplaire et il faut l'entendre faire gémir son orgue sur If We Must Be Apart (A Love Story Continued) dans la plus pure tradition des Ken Hensley (Uriah Heep) et autres Jon Lord (Deep Purple). Quant à Comfort Zone, avec sa guitare moelleuse au sustain digne d'un Carlos Santana, c'est l'une des plus belles chansons jamais écrites par Beardfish. Enfin, pour ceux qui gardent la nostalgie du côté heavy du groupe, Daughter/Whore rebondit avec agressivité sur une basse qui claque comme celle de Lemmy Kilminster. Bref, on l'aura compris: Beardfish vient de livrer la première pépite de l'année prog 2015 à l'aune de laquelle toutes celles qui viendront après seront forcément pesées.

[ +4626-Comfortzone ]
[ A écouter : Comfort Zone - The One Inside Part 2 - Ode To The Rock'n'Roller ]

Lire également les chroniques de :
Signez mon livre d'or Commentaires et avis sur ce site : livre d'or
DragonJazz FB
Contact pour promotion et chronique : @dragonjazz.com

[ Rock progressiste : Les précurseurs | 1968 - 1980 | 1981 - 1990 | 1991 - 2000 | 2001 - 2003 |
| 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2016 | 2017 ]

Ecouter les playlists de DragonJazz : Jazz Guitarists - ECM Northern Light - Cool Fusion - Prog Land





Index Rock progressiste

© DragonJazz