Rock progressiste : La Sélection 2017



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Rikard Sjoblom's Gungfly : On Her Journey To The Sun (InsideOut), Suède, 19 Mai 2017
On Her Journey To The Sun

Rikard Sjoblom (chant, claviers, gt)
David Zackrisson (gt)
Rasmus Diamant (b) & Petter Diamant (drs)
Sverker Magnuss & Martin Borgh (claviers)

1. Of The Orb (10:43) - 2. On Her Journey To The Sun (5:00) - 3. He Held An Axe (4:49) - 4. My Hero (7:46) - 5. If You Fall (Pt.1) (3:09) - 6. Polymixia (11:38) - 7. Over My Eyes (4:39) - 8. Old Demons Die Hard (5:56) - 9. Keith (The Son Of Sun) (5:32) - 10. The River Of Sadness (12:02) - 11. All A Dream (2:17)

Digipack éd. limitéeLe chanteur guitariste et claviériste Rikard Sjoblom a déjà eu une vie musicale bien chargée. En plus de jouer les multi-instrumentistes avec Big Big Train (Folklore, Grimspound et The Second Brightest Star), il a aussi fait partie du groupe Beardfish pendant 15 années, enregistrant avec eux des albums splendides comme The Sane Day (2006), Sleeping In Traffic : Part One (2007) et Part Two (2008) ou Destined Solitaire (2009). Beardfish s'étant séparé en 2016, Sjoblom a trouvé plus de temps pour se concentrer sur son projet personnel, Gungfly, qui sort un troisième disque intitulé On Her Journey To The Sun. Les nostalgiques de la musique de Beardfish retrouveront ici beaucoup du panache du groupe suédois, mais en moins heavy et avec quelques inclinations mélodiques plus pop-rock. L'aspect prog en revanche est toujours présent : les compositions sont complexes et Sjoblom est à l'eau et au moulin, délivrant des solos acérés de guitare et faisant rugir son orgue Hammond avec un enthousiasme des plus roboratifs en plus de chanter, parfois en falsetto, avec cette voix expressive qui fit le succès de son ancien groupe.

L'éclectisme est aussi au rendez-vous avec des titres qui vont du prog épique multi-sections (The River Of Sadness et, surtout, Of The Orb avec ses superbes envolées instrumentales) à la chanson mélodique (le quasi acoustique Over My Eyes, enluminé par une partie de violon de Rachel Hall en transit de Big Big Train pour ce morceau) en passant par des morceaux qui flirtent avec le jazz-rock à la Zappa (l'instrumental bizarre et très réussi Polymixia) et la fusion douce (Keith, un autre instrumental). Et comme la production est nettement au-dessus de la moyenne, on tient là un excellent album qui atténuera les regrets de la séparation de Beardfish, d'autant plus que le guitariste David Zackrisson du défunt Beardfish est aussi à bord. A noter encore une superbe pochette avec un buddha lumineux conçue par Spencer Keala Bowden, également responsable de la narration sur le titre final, All A Dream. Et, pour ceux qui le souhaitent, existe la disponibilité pour un temps d'une chouette édition limitée en digipack trois volets incluant un second compact en forme de compilation des meilleurs titres des deux premières productions de Gungfly : Please Be Quiet (2009) et Lamentations (2011). Une belle initiative qu'on recommandera plus particulièrement à ceux qui découvrent ce groupe avec cet album. [4½/5]

[ On Her Journey to The Sun ]
[ A écouter : Of The Orb - My Hero - Polymixia - Old Demons Die Hard ]

Koyo : Koyo (88 Watt Records), UK, 14 septembre 2017
Koyo

Huw Edwards (chant, gt)
Jacob Price (sampling, synthés)
Seb Knee-Wright (guitares)
Dan Comlay (basse)
Tom Higham (drums)

1. Strange Bird In The Sky (5:36) - 2. Jettisoned (4:55) - 3. The Beauty In Loneliness (5:26) - 4. Lost In The Kingdom (3:47) - 5. Jouska (6:26) - 6. Ray Of Sunshine (5:34) - 7. What Is Mine (5:35) - 8. Now I Understand (4:11) - 9. Tetrachromat (Parts 1 & 2) (8:08) - 10. Release (6:50)

Difficile de repérer une musique originale dans la jungle des sorties dont le flux semble en constante accélération. Pourtant, si la musique multiforme de cet album accroche sans que l'on puisse globalement lui coller une quelconque étiquette, le premier titre, Strange Bird In The Sky, n'en évoque pas moins quelques souvenirs lointains. Les nappes planantes de synthés en introduction, la rythmique tribale qui vient s'y greffer en faisant monter progressivement la température, et enfin l'envol du groupe entier quand les moteurs sont prêts au décollage, tout ça renvoie grand vaisseau Hawkwind quand jadis, avec une grandeur épique digne d'un Michael Moorcock, il rendait visite aux guerriers des frontières temporelles.

Toutefois, le quintet change radicalement de style avec The Beauty In Loneliness en laissant apercevoir d'autres qualités comme la mélancolie dissimulée dans la voix du chanteur Huw Edwards qui chante sur fond de cascade et de guitares acoustiques, ou le soin apporté à l'arrangement complexe de cette somptueuse chanson qui, en allant crescendo, passe avec aisance à travers plusieurs univers différents. Tout cela est reconduit avec succès dans Lost In The Kingdom et le splendide Jouska où l'impression diffuse de flotter en apesanteur est si grande qu'elle pourrait mettre un éléphant en lévitation. Ray Of Sunshine nous ramène derechef dans le tumulte de l'espace profond avec ses marées de lumière et ses fréquences soniques annonciatrices d'évènements cosmiques : c'est beau et magique à la fois jusqu'au finale apocalyptique digne de la plongée délirante, selon Stanley Kubrick, de l'homme-stellaire par-delà le temps et l'espace. Toutes ces merveilleuses trouvailles cristallisent dans ce qui est le morceau le plus abouti de l'album : Tetrachromat (Parts 1 & 2) qui arrive encore à surprendre après tout ce qu'on a déjà entendu. Le solo de saxophone de la première partie est un must mais la descente chaotique de la seconde avec ses harmonies vocales et sa guitare liquide est un pur joyau dans un style post-rock intersidéral à la God Is An Astronaut.

Formé à Leeds en 2015, Koyo (qui en japonais exprime le changement de teinte des feuilles en automne) est un groupe moderne qui s'abreuve à différentes sources allant du psychédélisme au space-rock en passant par des moments plus expérimentaux à la Radiohead et d'autres proches du post-rock. Voici un nouveau groupe de la trempe des plus grands, ceux-là mêmes qui, via quelques bribes de musique, parviennent à faire naître du subconscient des mondes fabuleux avec leurs cortèges de chimères, de sorcelleries et de beautés cachées. [4½/5]

[ Koyo ]
[ A écouter : Strange Bird In The Sky - Release ]

Dave Kerzner : Static (Indépendant / Distribué par Cherry Red Records), USA, 28 septembre 2017
Static

Dave Kerzner (chant, gt, claviers)
Fernando Perdomo (gt, b)
Derek Cintron (drums)
Randy McStine (guitare)
Durga & Lorelei McBroom (chant)
Ruti Celli (violoncelle)
+ Invités

1. Prelude (0:39) - 2. Hypocrites (8:29) - 3. Static (5:19) - 4. Reckless (5:38) - 5. Chain Reaction (4:43) - 6. Trust (4:46) - 7. Quiet Storm (2:08) - 8. Dirty Soap Box (5:43) - 9. The Truth Behind (7:11) - 10. Right Back To The Start (1:50) - 11. Statistic (2:53) - 12. Millennium Man (3:31) - 13. State Of Innocence (4:48) - 14. The Carnival Of Modern Life (16:52)

Après l'excellent New World, Dave Kerzner sort Static, un album différent qui échappe la plupart du temps aux ambiances floydiennes du précédent opus et ne séduit pas aussi facilement. Le claviériste et chanteur américain, cofondateur avec Simon Collins du groupe Sound Of Contact, n'a pourtant pas fait l'impasse sur la qualité : Static impressionne par la densité de sa musique aussi bien que par son éclectisme et son abondance, trois qualités qui rendent par ailleurs impossible l'appréhension de cette oeuvre monumentale en une seule écoute.

L'énergique Hypocrites en début d'album donnera tout de suite une idée de la complexité de cette production. Les riffs tranchants, la guitare mordante et les mélodies angulaires font bien davantage penser au King Crimson de Red ou de Larks' Tongues In Aspic qu'aux dérives planantes de Waters et Gilmour. On retrouve toutefois un peu du Pink Floyd et des ambiances de l'album précédent sur le titre éponyme qui vient tout de suite après et force est de constater que ça fait du bien. On enchaîne avec Reckless, un morceau de rock alternatif qui aurait pu fort bien être écrit par Steven Wilson avec qui Kerzner a d'ailleurs collaboré sur Grace For Drowning. Mais on n'en est qu'au début : le répertoire comprend 14 titres qui s'enchaînent de façon imprévisible, certains assez courts pour n'être que des préludes à d'autres plus longs mais tous dans des styles différents. Il y a même en finale un morceau épique de 17 minutes lui-même d'une incroyable diversité, débutant par une section intense et agressive qui évoque encore une fois King Crimson avant d'évoluer progressivement vers plus de mélodie. Au total, cela fait 75 minutes de musique, soit un double LP à l'ancienne du calibre de The Wall réuni sur un seul compact.

Même le concept de l'album est compliqué. Si globalement, on peut le résumer par l'analyse des distractions diverses, de la technologie à la toxicomanie en passant par les fausses informations et son propre ego, qui empêchent l'homme d'apercevoir clairement sa voie, chaque chanson, qui pourrait aussi cacher des métaphores sociales et politiques, demande que l'on s'y arrête pour être comprise dans les détails, ce qu'en vérité je suis bien loin d'avoir fait. Le jeu est surtout collectif et mis à part quelques parties distinctes de batterie et de guitare, on trouvera ici peu de solos démonstratifs. Tout semble intégré, calculé pour servir le grand oeuvre de Kerzner, seul maître à bord à la tête d'un équipage de vétérans (citons entre autres, Alex Cromarty de Mostly Autumn, Colin Edwin de Porcupine Tree, Billy Sherwood du groupe Yes actuel, Fernando Perdomo, et Steve Hackett de plus en plus sollicité par ses pairs). Quant à la pochette, elle a été réalisée par le talentueux Ed Unitsky dans un style sombre et allégorique en rapport avec le thème de l'album : les gens vivent et errent comme des robots dans un monde qui ressemble à une fête foraine, l'esprit occupé par toutes sortes d'appareils qui les détournent de la réalité. On en vient à se demander si après les 5000 générations qui se sont succédées depuis l'apparition des premiers hommes, c'est bien là que devait nous conduire la dernière révolution technologique ?

Alors, Static est-il meilleur ou moins bien que son prédécesseur ? Même si personnellement, je préfère New World plus cool et accessible, il faut reconnaître à Dave Kerzner de ne pas s'être répété et d'avoir choisi le risque et la difficulté en délivrant cette production aussi multiforme que généreuse. Maintenant, si cette musique laissera une trace rémanente dans la mémoire des auditeurs, c'est encore beaucoup trop tôt pour le dire. A vous de digérer cette œuvre pharaonique en douceur et de décider ensuite si l'investissement en temps qu'elle nécessite en valait bien la chandelle.

"Drink that punch, and follow me, into the fun house. The fun White House. Welcome to the carnival of modern life." [4/5]

[ Static ]
[ A écouter : Static ]

Kaipa : Children Of The Sounds (InsideOut), Suède, 22 septembre 2017
Children Of The Sounds

Hans Lundin (claviers, choeurs)
Aleena Gibson (chant)
Patrik Lundstrom (chant)
Per Nilsson (guitare)
Jonas Reingold (basse), Morgan Agren (drums)
Invitée : Elin Rubinsztein (violon)

01. Children Of The Sounds (11:31) - 02. On The Edge Of New Horizons (17:10) - 03. Like A Serpentine (12:52) - 04. The Shadowy Sunlight (06:57) - 05. What's Behind The Fields (09:31)

Children Of The Sounds (CD)Trois années après Sattyg, le treizième album du groupe Kaipa procure toujours cette impression d'un rock progressif symphonique immuable et directement issu des années 70 (une décennie au cours de laquelle le groupe s'est par ailleurs formé, le premier album éponyme datant de 1975). Ceci ne veut pas dire pour autant que Kaipa n'évolue pas mais il le fait uniquement à l'intérieur des limites du style qu'il s'est choisi. Sur Children Of The Sounds, la musique est mieux produite, les compositions sont plus fluides, les harmonies plus riches, et l'influence de l'environnement scandinave (le folklore mais aussi la nature dans toute sa splendeur) est plus perceptible que jamais. Tout cela saute aux oreilles dès le titre éponyme, véritable composition épique portée par le duo vocal que forment Patrik Lundstrom et Aleena Gibson dont la voix est tout sauf conventionnelle.

On The Edge Of New Horizons qui dépasse les 17 minutes met en exergue les qualités de ce groupe qui réunit les talents de musiciens exceptionnels comme le batteur Morgan Agren (Karmakanic), le bassiste Jonas Reingold (The Flower Kings, Karmakanic) et le guitariste Per Nilsson (Scar Symmetry), successeur un peu controversé de l'irremplaçable Roine Stolt après Mindrevolutions (2005) mais aujourd'hui, après quatre albums avec Kaipa, parfaitement intégré à leur univers. Moins technique que Stolt, son jeu plus instinctif convient finalement fort bien à la musique du groupe. On pense parfois à Yes, mais en moins ardent et sans les débordements d'un Rick Wakeman, aussi bien à cause de l'ambiance sereine des textes que de l'éclat des longs passages instrumentaux qui émaillent cette musique conçue avant tout pour élever l'âme.

Le claviériste Hans Lundin étant le compositeur et le producteur de tous les titres, l'album a une réelle unité de ton et dégage tout du long des vibrations positives qui se transmettent à l'auditeur. Le sommet dans le genre est le superbe Like A Serpentine inspiré par les paysages somptueux qui s'tendent autour de la ville de Uppsala. Seul le morceau le plus court intitulé The Shadowy Sunlight jette, comme son nom l'indique, quelques ombres toutes relatives sur un tableau par ailleurs inondé de lumière. On y notera aussi la brillante participation de la violoniste Elin Rubinsztein en invité, notamment dans les parties folkloriques introductives et finales du morceau.

Sophistiquée, mélodique, fluide, élévatrice, poétique, pastorale parfois (une qualité bien rendue par l'illustration de la pochette), la musique de Kaipa ne renouvelle certes pas le genre mais elle le perpétue et le porte à un degré de perfection élevé. En ce sens, Children Of The Sounds constitue une oeuvre classique au vrai sens du terme : elle offre toutes les valeurs esthétiques d'une époque et d'un genre particulier qu'elle représente à merveille et dont elle pourrait même, à l'instar d'un Genesis ou d'un Yes, devenir une référence. C'est à la fois la force et le défaut de Kaipa, groupe sincère, authentique et compétent qui en évitant de se remettre en question d'un disque à l'autre ne crée que rarement la surprise et n'élargit plus son cercle de fans. Pour le reste c'est à vous de voir en fonction de votre seuil de tolérance envers le côté rétro, ici quand même important, de leur approche musicale. [4/5]

[ Children of The Sounds ]
[ A écouter : Children Of The Sounds ]

Unreal City : Frammenti Notturni (AMS Records), Italie, 10 septembre 2017
Frammenti Notturni

Emanuele Tarasconi (claviers, mellotron, chant)
Francesca Zanetta (guitares, mellotron, chant)
Dario Pessina (basse)
Marco Garbin (drums)
Invités : Matteo Bertani (violon)
Camilla Pozzi (chœur)

1. Two Rope Swings (06:32) - 2. Dr. Livingstone (I Presume) (11:58) - 3. Slow Rust (22:31) - 4. The Sad Story Of Lead and Astatine (16:00) - 5. A Few Steps Down The Wrong Road (17:31)

Après deux albums sortis successivement en 2013 (La Crudelta Di Aprile) et en 2015 (Il Paese Del Tramonto) qui établirent Unreal City comme l'un des fers de lance du prog italien, cette troisième production confirme l'énorme talent d'un groupe qui, entre-temps, a encore acquis un surplus de maturité en tournant à travers l'Europe et au Canada. La Grande Festa In Maschera (Le Grand Bal Masqué) est une suite en cinq parties qui renvoie à la féérie des longues compositions des années 70 et en particulier celles du prog symphonique italien. Distillant une ambiance dramatique, le morceau, parmi ses multiples virages musicaux, réserve aussi quelques passages romantiques mettant particulièrement en exergue les claviers de Emanuele Tarasconi. Et si le texte ne dira rien à ceux qui ne comprennent pas l'italien, la façon de le chanter est tellement agréable qu'on ne peut qu'être enchanté par sa musicalité.

Cinq titres seulement mais, pour la plupart tournant autour des dix minutes. Même Barricate (Barricades), le morceau le plus court, offre en plus de ses sections chantées de splendides parties instrumentales avec des envolées d'orgue et de guitare électrique qui s'entrecroisent comme des rails de chemin de fer. On notera aussi l'emploi occasionnel et subtil d'effets d'électroniques qui renforcent les textures quand c'est nécessaire. Comme souvent dans le rock progressif italien, certains passages lyriques semblent inspirés par la musique classique italienne (impression renforcée par l'utilisation éparse d'un clavecin et d'un violon joué par Matteo Bertani en invité) mais ils sont si bien intégrés à l'ensemble qu'on le remarque à peine. Hanté par un mellotron spectral, le théâtral et mélodramatique Il Nido Delle Succubi (Le Nid des Succubes) rassemble quelques poncifs empruntés aux bandes sonores de films horrifiques. Quant à Arrivi All'alba (Arrivée à L'aube) qui clôture l'album, il met encore une fois en exergue le talent du pianiste Tarasconi dont l'introduction tout en nuances relève d'une sinueuse songerie. Le tempo s'accélère dans la seconde moitié de la composition qui prend soudain de l'ampleur avec des solos atmosphériques de guitares et de synthés pour un flamboyant finale qu'on aimerait voir durer une éternité mais qui finit par s'effilocher un peu trop vite sur quelques notes de piano.

La vedette de l'album est incontestablement Emanuele Tarasconi, excellent chanteur et claviériste, mais aussi compositeur de toutes les chansons et auteur de tous les textes. Mais même si son talent illumine cet album, qu'on ne s'y trompe pas : Frammenti Notturni est aussi une œuvre de groupe car c'est collectivement que les arrangements très réussis ont été peaufinés. Avec un tel parcours sans faute, Unreal City se trouve aujourd'hui à l'apogée de sa carrière, précédant de quelques longueurs la nouvelle vague pourtant particulièrement dynamique du prog italien. [4/5]

[ Frammenti Notturni ]
[ A écouter : La Grande Festa in Maschera - Barricate - Arrivi all'aurora ]

The Tangent : The Slow Rust Of Forgotten Machinery (InsideOut), UK 2017
The Slow Rust Of Forgotten Machinery

Andy Tillison (claviers, chant, drums)
Luke Machin (guitare)
Jonas Reingold (basse)
Theo Travis (sax et flûtes)
Marie-Eve de Gaultier (claviers et chant)

1. Two Rope Swings (06:32) - 2. Dr. Livingstone (I Presume) (11:58) - 3. Slow Rust (22:31) - 4. The Sad Story Of Lead and Astatine (16:00) - 5. A Few Steps Down The Wrong Road (17:31)

Art by Mark BuckinghamIl aura fallu deux années à Andy Tillison (le temps de sa convalescence après une attaque cardiaque inclus) pour préparer le neuvième album studio de The Tangent avec quasiment la même glorieuse équipe que pour son prédécesseur (A Spark In The Aether) : le bassiste Jonas Reingold (The Flower Kings, Kaipa, Karmakanic), le guitariste Luke Machin (Maschine), le saxophoniste et flûtiste Theo Travis (Soft Machine Legacy, Steven Wilson) plus une nouvelle venue, Marie-Eve de Gaultier (Maschine), aux claviers et au chant, Tillison lui-même se chargeant comme d'habitude des claviers et des vocaux mais aussi, pour la première fois avec ce groupe (car il en joue depuis plus de trente ans) de la batterie. Cette fois encore, le leader se montre très préoccupé par les problèmes socio-politiques actuels qui constituent la trame des textes, en particulier sur A Few Steps Down The Wrong Road, dont la virulence n'est pas sans évoquer une attitude punk, qui traite tout à la fois du nationalisme, des migrants, du rôle de la presse et du "brexit". De l'avis même de Tillison, ce genre de rhétorique s'inscrit dans la ligne de ce que Roger Waters, avec ou sans Pink Floyd, tenta jadis de faire avec The Final Cut et Amused To Death, deux références pour lui incontournables d'un rock s'efforçant de communiquer un message politique. Précisons toutefois que s'il est bon que des musiciens de prog s'intéressent à ce genre de considération (sinon, qui d'autre le ferait ?), les thèmes de l'album, étant centrés sur une époque, voire sur la Grande-Bretagne, n'ont forcément dans le temps qu'une résonance éphémère.

Quant à la musique de The Tangent, elle se situe et se situera probablement éternellement dans le prog générique orienté sur les claviers avec de riches et longs développements instrumentaux où se mêlent parties symphoniques et rock jazzy inspiré par l'école de Canterbury. Rien de neuf en soi (The Tangent a déjà fait tout cela dans le passé) mais beaucoup de bons moments quand même émergent des longues plages, renouvelant une fois encore l'énorme plaisir qu'on peut ressentir à l'écoute d'une musique progressiste bien jouée et conçue avec intelligence et savoir-faire. Pour une fois, le plus long titre du répertoire, Slow Rust, n'est pas nécessairement le plus intéressant. La cause en est l'importance des textes chantés par Tillison dont les capacités vocales sont limitées et qui, en dépit de l'aide occasionnelle et appréciable de Marie-Eve de Gaultier pour les harmonies vocales, ne parvient pas à maintenir l'attention sur une durée qui dépasse les 22 minutes. The Sad Story Of Lead And Astatine est beaucoup plus excitant, plus jazzy aussi avec de fabuleux échanges rapides entre les instrumentistes qui s'en donnent à cœur joie, Machin jouant les virtuoses sur son manche, Reingold utilisant avec brio une contrebasse, et Tillison lui-même se fendant d'un joyeux solo de batterie à l'ancienne par ailleurs fort bien intégré et terriblement efficace (sans doute un grand moment des futurs concerts du groupe). Encore plus réussi est le premier titre, Two Rope Swings, qui sonne un peu différemment du reste : la raison en est sans doute que ce titre, qui compare la vie d'un enfant anglais avec celle d'un Africain, fut écrit dans un autre contexte et était destiné à l'origine à accompagner un livre sur la conservation de la nature au Bostwana. Moins complaisant au plan de la durée, ce morceau condensé est une vraie symphonie de poche incluant tout ce que le prog peut offrir comme émotions.

A la fois complexe, aventureux et ambitieux, The Slow Rust Of Forgotten Machinery est plus que recommandable même s'il ne hisse pas dans le peloton de tête des meilleures productions du groupe (auxquelles appartiennent l'inoubliable The Music That Died Alone, A Place In The Queue, et même le disque précédent A Spark In The Aether) caractérisés par une balance mieux équilibrée entre message et musique.

The Tangent est connu pour les superbes pochettes qui ornent ses albums depuis le début (celles conçues par Ed Unitsky en particulier). Celle-ci, réalisée spécialement pour ce projet par le dessinateur de bande dessinée britannique Mark Buckingham (Fables) ne déroge pas à la règle. En parfaite symbiose avec la musique, elle illustre avec force et sobriété la désolation des chemins empruntés par les démunis et les réfugiés tentant de gagner l'un ou l'autre pays nanti plus à l'Ouest, un des thèmes parmi les plus poignants du répertoire. [4/5]

[ The Slow Rust of Forgotten Machinery ]
[ A écouter : Two Rope Swings ]

Procol Harum : Novum (Eagle Records), UK, 21 avril 2017
Novum

Gary Brooker (chant, piano)
Geoff Whitehorn (guitare, chant)
Matt Pegg (basse)
Josh Phillips (orgue Hammond, synthé)
Geoff Dunn (drums)
Pete Brown (textes)

1. I Told On You (5:32) - 2. Last Chance Motel (4:48) - 3. Image of the Beast (4:56) - 4. Soldier (5:28) - 5. Don't Get Caught (5:12) - 6. Neighbour (2:46) - 7. Sunday Morning (5:28) - 8. Businessman (4:44) - 9. Can't Say That (7:13) - 10. The Only One (6:10) - 11. Somewhen (3:47)

Parfois considéré comme un précurseur du prog d'une part pour avoir mixé rock, classique et orchestre symphonique et, d'autre part, pour avoir été les premiers à composer une longue suite en plusieurs mouvements (In Held Twas In I) qui influencera beaucoup de monde, Procol Harum est surtout devenu, au fil des ans, un formidable groupe de rock classique aux idées larges et au son unique qui le placent au panthéon du genre. Cinquante années après leur premier album éponyme (et le hit planétaire A Whiter Shade Of Pale qui lança leur carrière) et quatorze années après leur dernière production (The Well's On Fire en 2003), Gary Brooker revient sur le devant de la scène avec ses acolytes habituels sauf Keith Reid, auteur de tous les textes de Procol Harum depuis sa formation, ici remplacé par un autre poète : Pete Brown, surtout connu des amateurs pour avoir écrit pour Cream des paroles de chansons aussi célèbres que I Feel Free, Swlabr, White Room, Politician ou Sunshine Of Your Love. Rien de bien spécial sur ce disque qui offre des chansons de rock vintage arrangées à l'ancienne. Les textes de Brown ont perdu leur côté psychédélique ou fantasy propre aux années 60 et sont désormais ancrés dans la réalité : de l'amour interdit de Last Chance Motel à la diatribe envers le pouvoir de l'argent (Image Of The Beast) en passant par quelques réflexions sur la guerre (Soldier), rien n'est profondément original tout en étant bien écrit. Comme d'habitude, Gary Brooker est au premier plan avec son piano acoustique tandis que sa voix, qui ne peut plus désormais atteindre les aigus de Shine On Brightly, reste quand même bien préservée avec son timbre particulier immédiatement reconnaissable (et c'est un vrai régal).

Le son de l'album, fort bien mixé et produit, renvoie par son côté organique / analogique quelques quarante années en arrière. Il faut dire que les musiciens, vétérans accomplis du rock, ont tous fait leurs armes avec les héros des années glorieuses : l'organiste Joss Phillips a joué autrefois avec les Who, le guitariste Geoff Whitehorn avec If et Roger Chapman, le bassiste Matt Pegg, fils de Dave, a accompagné Jethro Tull et Fairport Convention) et Geoff Dunn fut jadis le batteur du prestigieux Manfred Mann's Earth Band. Au fil du répertoire alternant pop-rock (I Told On You, Image Of The Beast, Businessman, Can't Say That) et ballades (Last Chance Motel, Sunday Morning, The Only One, Somewhen), on pense fugacement à Elton John, Queen, Bad Company ou même au Eric Clapton bluesy des débuts. Pour le reste, Novum passera probablement inaperçu de la nouvelle génération du prog formée aux délires oniriques de Porcupine Tree ou aux extravagances techniques de Dream Theater mais ceux qui ont traversé l'histoire de cette musique depuis ses origines retrouveront un peu du charme et de la magie d'un groupe qui, au même titre que les Beatles, Pink Floyd, les Moody Blues ou Traffic, a forgé la légende du rock britannique adulte et sophistiqué. [4/5]

[ Novum ]
[ A écouter : I Told On You - Sunday Morning ]

Mostly Autumn : Sight Of Day (Mostly Autumn Records), UK, 7 avril 2017
Sight Of Day

Bryan Josh (chant, guitares, claviers)
Olivia Sparnenn (chant, claviers, tambourin)
Chris Johnson (guitare, claviers, tambourin, chant)
Iain Jennings (claviers, orgue), Angela Gordon (flûtes)
Andy Smith (Basse), Alex Cromarty (Batterie)
+ Invités : Anna Phoebe (violon)
Troy Donockley (cornemuse, flûte)

01. Sight Of Day (14:36) - 02. Once Around The Sun (5:10) - 03. The Man Without A Name (3:52) - 04. Hammerdown (6:06) - 05. Changing Lives (6:20) - 06. Only the Brave (5:37) - 07. Native Spirit (10:28), 08. Tomorrow Dies (7:22) - 09. Raindown (8:02) - 10. Forever and Beyond (6:22)

Bien que très réussi, l'album précédent Dressed In Voices était surtout marqué par son thème grave reflété par une pochette sombre et inquiétante. Cette fois, le bleu du ciel et une imagerie fantastique sont de retour pour une production que Bryan Josh lui-même qualifie de lumineuse. La musique par ailleurs est moins linéaire avec des compositions plus longues incluant de superbes sections instrumentales qui renvoient aux trois premiers disques du groupe et notamment à ce qui est resté longtemps son opus majeur, The Last Bright Light (2001). Sight Of Day par exemple, qui frôle les 15 minutes (devenant ainsi le plus long titre jamais enregistré par le groupe), est une petite perle épique combinant tout ce qui fait le charme de Mostly Autumn : des mélodies soignées, un côté nostalgique amplifié par le piano acoustique de Iain Jennings sur lequel viendra se greffer un solo mémorable du guitariste Bryan Josh, et bien sûr la voix désormais incontournable d'Olivia Sparnenn dont la puissance, la pureté et le style ne sont pas sans évoquer l'esprit du célèbre Renaissance d'Annie Haslam.

Le répertoire est parsemé d'autres très bonnes surprises qui rendent cet album varié et fort agréable à écouter. De la ballade sentimentale sur fond de piano (The Man Without A Name) au pop-rock de Once Round The Sun chanté par Bryan Josh avec une voix rugueuse et la verve brûlante d'un Bryan Adams (toutes proportions gardées quand même) en passant par un hymne viking, fier, ardent et pétri de mythologie nordique (Only The Brave enluminé par l'indispensable cornemuse de Troy Donockley en invité), tout rappelle que Bryan Josh, guitariste, chanteur et compositeur talentueux, a plus d'une corde à son arc. C'est probablement lui aussi qui a peaufiné les superbes arrangements symphoniques aux textures somptueuses : l'ajout des flûtes diverses d'Angela Gordon et, sur deux titres, du violon d'Anne Phoebe sont en particulier une riche idée. Bien sûr, Pink Floyd a exercé une influence patente sur cette musique mais cette dernière a été intégrée et mixée avec d'autres références comme le néo-prog, la musique celtique ou le folk anglais à la Jethro Tull / Renaissance, sans oublier le rock classique des années 70, orgue Hammond en tête. Quant aux thèmes, ils sont cette fois positifs, célébrant la vie, la nature et une certaine manière d'être. L'album se termine sur Forever And Beyond chanté à l'unisson par le couple Josh / Sparnenn, un titre avec un refrain mémorable qui va en s'amplifiant comme savait si bien le faire jadis Barclay James Harvest.

Les seules ombres dans ce tableau resplendissant résident dans la frappe d'Alex Cromerty parfois un peu trop métronomique (comme sur Tomorrow Dies entre autres, le titre le moins réussi) et dans le mixage qui aurait pu être plus clair et créatif. Mais c'est finalement peu de chose par rapport à la magnificence du reste. Depuis quelques vingt années et douze albums en studio, Mostly Autumn poursuit son exceptionnel voyage avec une qualité qui ne faiblit guère et, plus surprenant, sans faire trop de vagues hors de son noyau d'inconditionnels alors que sa musique oscillant entre rock et prog est l'une des plus belles, accessibles et attachantes produites actuellement au royaume d'Albion. [4/5]

[ Sight of Day ]
[ A écouter : Sight Of Day - Tomorrow Dies ]

Mike Oldfield : Return To Ommadawn (Virgin EMI Records), UK, 20 janvier 2017
Return To Ommadawn

Mike Olfield (tous les instruments)

1. Return To Ommadawn, Part I (21:10) - 2. Return To Ommadawn, Part II (20:57)

Return To Ommadawn / CDConscient des avis partagés à propos de ses dernières productions pop-rock, Mike Oldfield a eu la sagesse de consulter ses fans sur les réseaux sociaux avant d'enregistrer son nouvel album. Leur réponse fut pour la majorité d'entre eux édifiante : un retour au style acoustique des trois premiers albums et à celui d'Ommadawn en particulier resté pour beaucoup un des chefs d'œuvre incontestés de la musique progressive. Aussi, quarante-deux années après l'original, ce vingt-sixième album en studio renoue-t-il avec le style folk, à la fois hypnotique et mystérieux, de son prédécesseur. En reprenant notamment à la fin de la partie II du nouvel enregistrement un court passage chanté par les enfants de Penrhos qui est issu du disque de 1975, le musicien fait évidemment référence à On Horseback, la chanson de clôture de Ommadawn, et établit ainsi un lien direct entre les deux productions. Par ailleurs, le Retour a été conçu à l'ancienne, soit en deux parties dont la longueur équivaut chacune à celle d'une face de trente-trois tours. Pendant près d'une année, Oldfield a enregistré seul dans son studio de Nassau (Bahamas), utilisant une multitude d'instruments modernes et anciens, superposant les différentes couches instrumentales avec une plus grande facilité technique qu'autrefois, et construisant telle une tapisserie une musique riche et complexe dont l'ADN est à 100% celui d'Oldfield.

Pourtant, si Return To Ommadawn est indéniablement une séquelle, ce n'est pas pour autant un clone et, à certains égards, ce retour dépasse même l'original dont il est une extension. Les mélodies sont irrésistibles, les arrangements aérés et cristallins, et l'enchaînement des sections d'une indescriptible fluidité avec, comme une cerise sur le gâteau, quelques riffs de guitare aussi succincts qu'inattendus qui vous invitent à revenir sur vos pas pour vérifier qu'on ne les a pas rêvés. Cette déambulation dans les Highlands est tout simplement magnifique : c'est une ode à la nature, à sa beauté, à la pureté de l'air et aux couleurs de la terre. C'est un hymne à la joie et à l'espoir et il est impossible, si l'on ressent une quelconque empathie pour les paysages bucoliques et la nostalgique qui les hante habituellement, de ne pas succomber à cette musique hors normes. Et pour ceux qui apprécient avant tout le guitariste, ils seront comblés : Oldfield utilisant ici, davantage que sur ses dernières créations, un panel impressionnant d'instruments parmi lesquels des guitares acoustiques aux cordes en acier ou en nylon, une Gibson SG, une Fender Telecaster, une Stratocaster, une Paul Reed Smith signature, des basses électriques et acoustiques, sans parler des mandolines, ukulélé, banjo et de l'indispensable harpe celtique. Certes, certaines progressions d'accords rappelleront quelques thèmes déjà entendus précédemment mais ils sont noyés dans un ensemble au charme immédiat, délivré avec passion, sans aucune prétention et dans un esprit de pure fantaisie musicale. Une fantaisie d'ailleurs fort bien mise en exergue par la pochette de Rupert Lloyd dans un style évoquant l'univers hivernal de Game Of Thrones (unique dans la discographie de Mike Oldfield) qui va comme un gant à cette longue errance méditative aux confins du réel. [5/5]

[ Return To Οmmadawn (CD + DVD) ]

Galahad : Quiet Storms (Oskar), UK, 15 mai 2017
Quiet Storms

Stuart Nicholson (vocals)
Roy Keyworth (guitare)
Dean Baker (claviers)
Tim Ashton (basse)
Spencer Luckman (drums)
+ Christina Booth (vocals)

1. Guardian Angel (3:54) - 2. Iceberg (4:10) - 3. Beyond The Barbed Wire (4:28) - 4. Mein Herz Brennt (5:03) - 5. Termination (5:17) - 6. This Life Could Be My Last (5:50) - 7. Pictures Of Bliss (2:11) - 8. Willow Way (4:13) - 9. Easier Said Than Done (4:18) - 10. Melt (4:28) - 11. Weightless (5:30) - 12. Shine (9:15) - 13. Don't Lose Control (5:40) - 14. Marz (And Beyond) (6:14) - 15. Guardian Angel (Hybrid) (4:43)

Cinq années après le tandem éclatant Battle Scars / Beyond The Realms Of Euphoria, Galahad sort un nouveau disque quelque peu différent. En fait, il ne s'agit que d'une demi-nouveauté, l'album étant une compilation d'anciennes compositions réarrangées ou en version acoustique, de titres rares sortis sur des EP ou ajoutés en bonus sur les rééditions d'anciens albums, plus quelques nouveautés dont deux reprises. Il a toutefois l'avantage de présenter le groupe sous un jour nouveau, beaucoup plus calme et intimiste que sur les disques précédents. Magnifiquement interprétées par Stuart Nicholson que l'on redécouvre ici comme le grand chanteur qu'il est, certaines chansons, comme Guardian Angel ou Beyond The Barbed Wire sont dominées par un piano acoustique joué par le grand Dean Baker. Mais le reste est d'une aussi belle sobriété, que ce soit sur Iceberg avec ses guitares acoustiques, ses synthés et son orchestration brillante ou sur Mein Herz Brennt emprunté à Rammstein qui est chanté en allemand sur un simple accompagnement de piano et de violon. Willow Way a même un côté folk acoustique, voire pastoral, qui renvoie plus à Magna Carta qu'à Pendragon ou Marillion. Enfin, en plus de la collaboration occasionnelle de Sarah Bolter à la flûte et de Louise Curtis au violon qui complémentent joliment les sons du mellotron, on notera encore sur Termination un chouette duo vocal entre Nicholson et Christina Booth, la chanteuse de Magenta.

Le titre de l'album, Quiet Storms, ainsi que la superbe photo de Horton Tower dans la neige (une tour gothique en briques rouges plantée dans le Dorset où est basé le groupe), prise par le célèbre Roger Holman dans les années 60, sont certes indicatrices de l'ambiance générale de l'album mais rien ne pouvait laisser prévoir une telle rupture avec la musique néo-prog symphonique bien souvent impétueuse auquel la formation britannique nous avait habitué jusqu'ici. Quoiqu'il en soit, fort bien mixée par Karl Groom, cette collection de chansons exécutée avec brio, sans trop de fioritures ni solos, est plus qu'agréable et démontre, si c'était encore nécessaire après trente années d'existence et une dizaine d'albums réalisés en studio (dont Empires Never Last en 2006, l'un des grands classiques du prog), combien Nicholson et ses acolytes sont de superbes musiciens aux idées larges, capables du meilleur aussi bien dans leur niche néo habituelle qu'en dehors. [4/5]

[ Quiet Storms ]
[ A écouter : Weightless - Willow Way ]

Magenta : We Are Legend (Tigermoth Records), UK, 26 avril 2017
We Are Legend

Christina Booth (vocals)
Rob Reed (claviers, guitares)
Cris Fry (guitares)
Dan Nelson (basse)
Jon "Jiffy" Griffiths (drums)

1. Trojan (26:04) - 2. Colours (10:47) - 3. Legend (11:39)

We Are LegendQuatre années après The Twenty Seven Club, Magenta est de retour et c'est une bonne nouvelle car la pérennité du groupe n'était pas garantie. Ces dernières années, le claviériste Rob Reed a en effet entrepris non sans succès une carrière en solo avec son projet Sanctuary inspiré par les Tubular Bells de Mike Oldfield tandis que la chanteuse Christina Booth fut diagnostiquée d'un cancer qui, heureusement, n'est plus aujourd'hui qu'un mauvais souvenir. En tout cas, en compagnie du guitariste Chris Fry et d'une nouvelle rythmique incluant Jon "Jiffy" Griffiths (drums) and Dan Nelson (basse), les deux leaders se sont retrouvés avec la détermination d'aller de l'avant et d'enregistrer un album quelque peu différent.

Trois titres seulement en composent le répertoire et ce sont de superbes morceaux à la fois riches, complexes et intenses. Trojan qui démarre le programme est la pièce maîtresse, celle qui dans les années 70 occuperait la première face entière d'un vinyle. Son thème qui relève de la science-fiction raconte l'invasion de la Terre par des robots sortis de l'océan et envoyés tel le cheval de Troie par une race humaine vivant sous la surface et désireuse de reconquérir la planète. Cette histoire digne d'une série Z japonaise est illustrée d'une manière cinématographique par une musique spectaculaire comportant d'innombrables changements de rythmes et d'atmosphères. Le son est moderne et incisif, Reed ayant cette fois complété son panel d'instruments analogiques par quelques synthés et effets électroniques qui donnent de nouvelles couleurs à la musique. Les passages les plus calmes sont également réussis, évoquant occasionnellement Camel notamment via des solos climatiques d'orgue et de de guitare. Apparemment dédié au peintre Van Gogh dont il décrit la folie créatrice, Colours est une autre belle réussite avec des passages instrumentaux superbes où orgue et guitare se complètent dans des envolées qui rappellent encore Camel ou Pink Floyd. Enfin, Legend retrouve la science-fiction avec une histoire post-apocalyptique inspirée par le film I Am Legend (avec Will Smith) et c'est encore l'occasion d'entendre une musique évocatrice, quoique plus angulaire, mettant bien en relief le chant de Christina Booth, principal acteur de cette pièce sombre et dramatique.

We Are Legend est un vrai disque de prog dans tous les sens du terme : thèmes originaux avec une part de SF, textes soignés, musique épique et constamment mouvante, nombreuses sections contrastant les unes avec les autres, explorations instrumentales sans oublier le nécessaire grain de folie … Ne reniant en rien la ligne directrice de ses premiers albums mais sans pour autant stagner, Magenta poursuit ainsi une carrière remarquable avec cette production en studio très réussie que l'on peut à ce stade considérer comme le point d'orgue de leur discographie. [4/5]

[ We Are Legend [Import Allemand] ]
[ A écouter : Trojan (extrait) ]

Big Big Train : Grimspound (English Electric Recordings), UK, 28 avril 2017
Grimspound

David Longdon (vocals, fl, gt, piano)
Dave Gregory (gt) ; Andy Poole (ac gt, claviers)
Rikard Sjoblom (gt)
Danny Manners (claviers, contrebasse)
Rachel Hall (violon, cordes)
Greg Spawton (b); Nick D'Virgilio (drs)

1. Brave Captain (12:37) - 2. On The Racing Line (5:12) - 3. Experimental Gentlemen (10:01) - 4. Meadowland (3:36) - 5. Grimspound (6:56) - 6. The Ivy Gate (7:27) - 7. A Mead Hall In Winter (15:20) - 8. As The Crow Flies (6:44)

GrimspoundCes dernières années, le groupe britannique Big Big Train a acquis une autre dimension, produisant des oeuvres riches et complexes d'une grande originalité à la fois par la musique et par les thèmes traités. English Electric (2012) et Folklore (2016) sont en effet des albums quasi parfaits alliant les subtilités du prog symphonique classique (celui du Genesis de Peter Gabriel en particulier) avec une approche plus moderne et développant des concepts aussi nostalgiques qu'intelligents liés à la riche histoire récente de l'Angleterre et à ses héros. Sans être un album conceptuel, ce dernier opus ne fait pas exception à cette règle : Brave Captain par exemple est consacré au pilote de chasse de la première guerre mondiale, Captain Albert Ball, mort à 20 ans après avoir abattu 44 avions ennemis tandis que Experimental Gentlemen évoque l'équipe de scientifiques embarqués sur l'Endeavour de James Cook lors de son premier voyage autour du monde. Si la musique est globalement plus aventureuse que sur leur album précédent, Folklore, la composante "folk" n'est pas non plus complètement oubliée. Ainsi, Meadowland, avec son violon et ses guitares acoustiques, installe une atmosphère bucolique tandis que la première partie de The Ivy Gate renvoie aux premiers disques de Fairport Convention et c'est d'ailleurs avec bonheur que l'on y retrouve Judy Dibble (qui chantait en 1968 sur le premier album éponyme de Fairport avant de laisser sa place à Sandy Denny) invitée pour un superbe duo avec David Longdon dont la voix, soit dit en passant, est de plus en plus belle à chaque nouvelle production.

Toutefois, ce qui fait de Big Big Train une formation vraiment spéciale sont les deux qualités suivantes. Son aspect mélodique d'abord : épiques, douces ou profondes, les mélodies séduisent dès la première écoute et sont parfaitement ajustées aux beaux textes de Greg Spawton et David Longdon. Ensuite, les arrangements : après tout, BBT étant un octet, la musique sans discipline aurait pu vite devenir confuse mais ce n'est pas le cas car si les textures sont denses, elles sont aussi lustrées et limpides, laissant entendre tous les instruments avec clarté grâce à un mixage et à une production tous deux impeccables. On s'en convaincra à l'écoute du seul instrumental de l'album, le jazzy On The Racing Line dont l'orchestration témoigne d'une écriture concertée et d'un jeu collectif de haute volée, chaque instrument acoustique ou électrique apportant sa contribution à la réussite de la composition.

L'album est parfaitement cohérent avec le passé du groupe, certains titres offrant même des liens avec des personnages déjà rencontrés auparavant comme le pilote automobile britannique John Cobb (On The Racing Line) ou Union Jack (Meadowlands). En dépit de ces retours dans sa propre histoire, Big Big Train continue d'évoluer. Pourtant conçu au départ à partir des chutes de Folklore, ce dixième album en studio nommé Grimspound (qui est le nom d'un site préhistorique du Devon probablement dérivé du dieu de la guerre Grim / Odin) est un véritable triomphe qui peut être retenu parmi les plus grands disques prog réalisés depuis le nouveau millénaire ou même, vu qu'on y découvre à chaque écoute de nouvelles raisons de l'apprécier, depuis les lointaines années 70. [5/5]

[ Grimspound ]
[ A écouter : Experimental Gentlemen (Part Two: Merchants of Light) - Brave Captain ]

Psychic Equalizer : The Lonely Traveller (Milvus), Espagne/Danemark, 2017
The Lonely Traveller

Hugo Selles (claviers, compositions)
Quico Duret (gt) ; Morten Skott (dr)
India Hooi (voix, hulusi)
Quatuor à cordes + Invités

1. Mezuz (6:18) - 2. An Ocean Of Changes (I-IV) (6:33) - 3. The Lonely Traveller (0:53) - 4. Lagrimas (3:37) - 5. Adrift (2:39) - 6. Pena Labra (2:35) - 7. Flying Over The Caucasus (3:34) - 8. Lovers Meet (6:44) - 9. A Collection Of Marbles (3:53) - 10. An Ocean Of Changes (V-VI) (2:20) - 11. A Visit To Adelaide (5:11) - 12. Norrebro (2:48) - 13. Never Lose Hope (Bonus Track) (1:28)

Psychic Equalizer est le projet du pianiste et compositeur Hugo Selles, d'origine espagnole mais actuellement basé au Danemark. Dans cet album, il a tenté de traduire en musique l'évolution que subit tout être humain qui passe de l'adolescence à l'âge adulte en prenant progressivement conscience du monde qui l'entoure. Il en est résulté une douzaine de pièces instrumentales (à l'exception de quelques vocalises sur Lagrimas et sur Norrebro) aux durées et aux ambiances variées même si la mélancolie est bien souvent présente. Le piano est l'instrument majeur sur beaucoup de titres : le leader en joue dans différents styles, passant d'un romantisme inspiré par le classique sur Mezuz à une approche plus progressive sur Adrift, avec parfois des accents jazzy sur Flying Over The Caucasus et même free sur la section IV de An Ocean Of Changes.

Ce disque n'est toutefois pas un récital de piano : les compositions sont dotées d'arrangements très élaborés et, pour les jouer, Hugo Selles a dû recruter d'autres musiciens dont les interventions au fil des plages contribuent largement à la réussite de l'œuvre. Le guitariste Quico Duret en particulier se fend de quelques belles envolées électriques sur Mezuz, sur Lagrimas et sur A Visit To Adelaide dans un style lyrique et aérien qui n'est pas sans rappeler le grand Andy Latimer (Camel). Sur Norrebro, qui est le nom d'un quartier multiculturel de Copenhague, des harmonies à trois voix ont été intégrées avec bonheur apportant un petit côté Pink Floyd à cette magnifique composition dédiée à l'amour et à la tolérance (un thème d'actualité auquel fait également référence la pochette). Il n'y a pas de bassiste sur cet album mais la batterie et les percussions ont été confiées à Morten Skott dont le jeu subtil est parfaitement approprié au contexte de cette musique très évocatrice. Et il faut aussi mentionner la présence d'un quatuor à cordes qui vient encore rehausser la qualité de quelques morceaux dont le magnifique Lovers Meet qui est une ode à la nature (la rencontre en question étant en réalité celle de deux rivières en Inde). Enfin, les textures ont été rehaussées par l'ajout d'instruments inusités dont les sonorités apportent ici et là des colorations moirées: vibraphone, celesta, balalaïka, hulusi, orgue Hammond, guitare acoustique et autres effets qui témoignent une fois encore combien cette oeuvre sophistiquée a été longuement murie.

En plus de véhiculer une réelle empathie pour l'humanité ainsi qu'une énergie positive, The Lonely Traveller séduit par ses belles mélodies, la fluidité de ses interprétations et la plénitude de ses sonorités sans oublier le soin apporté à la production et à la réalisation de l'album entier, y inclus le livret fourmillant d'informations qui l'accompagne. Mine de rien, la plateforme Bandcamp est devenu aujourd'hui un vivier international de nouveaux talents progressifs à tête chercheuse dont les créations sont parfois aussi, sinon plus emballantes que celles de bien des vedettes confirmées du genre. Recommandé ! [4/5]

[ The Lonely Traveller ] [ The Lonely Traveller sur Bandcamp ]
[ A écouter : Lagrimas - A Collection Of Marbles - Adrift ]

Richard Barbieri : Planets + Persona (Kscope), UK, 3 mars 2017
Planets + Persona

Richard Barbieri (claviers, synthés)
Lisen Rylander Love (voix, saxophone)
Luca Calabrese (tp)
Christian Saggese (gt ac)
Klas Assarsson (vibraphone)
Grice Peters (kora)
Axel Croné (b),Percy Jones (b)
Kjell Severinsson (dr)

1. Solar Sea (7:30) - 2. New Found Land (7:18) - 3. Night of the Hunter (10:45) - 4. Interstellar Medium (5:38) - 5. Unholy (8:58) - 6. Shafts of Light (6:38) - 7. Solar Storm (6:22)

Planets + Persona (CD)En dépit de sa collaboration à deux groupes phares (Japan dans les années 70 et 80 et ensuite Porcupine Tree pendant 17 années), Richard Barbieri reste un musicien peu connu. La raison en est que le claviériste ne s'est jamais vraiment mis en avant, délaissant les longs solos flamboyants au profit de nappes d'ambiance et de colorations subtiles mises au service des compositions qui, sans lui, n'auraient pas été ce qu'elles sont. De même, une fois décidé à produire ses propres albums, Barbieri a opté pour une musique d'atmosphère quasi minimaliste qui évoque aussi bien les enregistrements « ambient » de Brian Eno et de Cluster que l'œuvre impalpable du grand Jon Hassell. Mais si la musique de Barbieri est aussi prenante c'est parce qu'il a eu l'intelligence de mêler à ses sons électroniques des instruments acoustiques et des éléments humains qui viennent régulièrement tempérer la froideur des machines. La voix et le saxophone de Lisen Rylander Love respectivement sur Interstellar Medium et sur Solar Storm, la guitare acoustique de Christian Saggese sur Shafts Of Light, la kora de Grice Peters sur Unholy ou la trompette de Luca Calabrese sur New Found Land apportent non seulement des variations bienvenues mais elles réchauffent aussi une musique qui, comme les titres des morceaux l'indiquent, ne serait sinon qu'une autre illustration sonore, déjà mille fois entendue, de l'espace et de ses mystères profonds.

Barbieri est à l'eau et au moulin, passant du piano au Fender Rhodes, et des synthétiseurs vintage à la programmation de percussions électroniques, sculptant le matériau sonore en le rendant ici diffus et léger comme un amas gazeux et là, lancinant et rythmé, basse et batterie à l'appui, comme le rayonnement d'un lointain pulsar, le préparant à recevoir les contributions multiples des invités. En dépit de quelques dérives imprévisibles et avant-gardistes ou même improvisées comme dans le jazz, l'ensemble pourrait constituer une superbe bande originale pour un polar ou un film de science-fiction. Cette connexion cinématique est d'ailleurs bien réelle puisque le répertoire contient une longue suite déclinée en trois sections en hommage au célèbre film La Nuit Du Chasseur (The Night Of The Hunter) réalisé par Charles Laughton en 1955. L'album est emballé dans un superbe digipack qui reproduit de somptueuses photographies de paysages glacés dont les formes abstraites et colorées ont définitivement quelque chose qui les rattachent à ce qu'on entend sur ce disque. Avec Planets + Persona, Richard Barbieri s'est finalement trouvé un style qui lui convient, riche et original au-delà de quelques inévitables réminiscences, et qui définira sans doute le contour de ses futures productions... A moins que d'ici là, un producteur avisé ne le détourne de sa voie pour écrire la musique de l'une de ces innombrables séries à succès qui fleurissent actuellement sur toutes les chaînes de télévision. [3½/5]

[ Planets + Persona ]
[ A écouter : Solar Sea - New Found Land - Planets + Persona (album montage) ]

Steve Hackett : The Night Siren (InsideOut), 24 mars 2017
The Night Siren

Steve Hackett (gt, vocals)
Roger King (claviers)
Rob Townsend (sax, fl)
Amanda Lehmann (voc)
Christine Townsend (violon)
Dick Driver (b), Gary O'Toole (drs)
+ Invités

1. Behind The Smoke (6:59) – 2. Martian Sea (4:40) – 3. Fifty Miles From The North Pole (7:08) – 4. El Niño (3:52) – 5. Other Side Of The Wall (4:01) – 6. Anything But Love (5:56) – 7. Inca Terra (5:54) – 8. In Another Life (6:07) – 9. In The Skeleton Gallery (5:09) – 10. West To East (5:14) – 11. The Gift (2:45)

The Night Siren (CD)Behind The Smoke qui ouvre le répertoire est déjà un indicateur de ce qui va suivre. Ce morceau symphonique dont l'orchestration évoque le Kashmir de Led Zeppelin se distingue par quelques consonances orientales et un texte en prise avec l'actualité à propos des récentes migrations de population. Voilà une musique qui fera chaud au cœur à chaque fois qu'elle sera jouée sur scène dans l'Amérique de Donald Trump. Cette large ouverture d'esprit sous-tend l'album entier qui a été enregistré dans divers pays avec la contribution de musiciens et d'instruments locaux et qui célèbre à sa manière une diversité multiculturelle dont Hackett s'est toujours montré un fervent défenseur. Du coup, les ambiances et les styles varient énormément au fil des différentes compositions. Du sitar indien intelligemment utilisé sur le très enlevé Martian Sea aux fières cornemuses irlandaises d'In Another Life confiées au spécialiste Troy Donockley (qui joue avec Iona et Nightwish et qu'on peut entendre sur une kyrielle de disques prog) en passant par le charango et les rythmes andins d'Inca Terra, on voyage d'un continent à l'autre sans pour autant que la musique puisse être confondue d'une quelconque manière avec du folklore traditionnel. Car, en dépit des emprunts faits aux différentes cultures rencontrées, elle reste avant tout purement et simplement du Steve Hackett avec de multiples changements de tempo et des solos fluides de guitare qui, pour flamboyants qu'ils soient, tombent toujours là où il faut sans jamais mettre en péril la cohérence de la composition.

A l'instar de ses précédentes productions, le guitariste est particulièrement bien entouré avec au fil des plages des invités comme son frère John Hackett à la flûte, le chanteur Nad Sylvan, le saxophoniste Rob Townsend, le batteur Nick D'Virgilio époustouflant sur Martian Sea, ainsi que l'inamovible claviériste Roger King qui l'accompagne depuis les années 90 et collabore aussi aux compositions. Et puis, comme il l'a prouvé à de nombreuses reprises (rappelez-vous The Steppes sur Defector, Sierra Quemada sur Guitar Noir ou Loch Lomond sur Beyond The Shrouded Horizon), Steve Hackett est aussi un grand pourvoyeur d'évocations sonores majestueuses de paysages ou de phénomènes naturels comme ici, les terres arctiques de Fifty Miles From The North Pole ou les variations climatiques d'El Nino. L'un des grands moments de l'album reste toutefois West To East avec son arrangement orchestral grandiose, ses chœurs émouvants et son thème à propos des dommages de la guerre porté malgré tout par l'espoir d'un monde meilleur. C'est là le message d'un homme de cœur qui a beaucoup voyagé et a souhaité partager son empathie pour la paix et la tolérance à une époque sombre où tout le monde en a bien besoin. Décidément, Steve Hackett est non seulement excellent quand il revisite l'œuvre de son ancien groupe Genesis mais il l'est tout autant sur ses productions personnelles. [4/5]

[ Night Siren [Ltd.Edition] ]
[ A écouter : Behind The Smoke - In The Skeleton Gallery - El Nino (Répétition live) ]

The Mute Gods : Tardigrades Will Inherit The World (InsideOut), UK, 24 Février 2017
Tardigrades Will Inherit The World

Nick Beggs (basse, gt, Chapman Stick, voc.)
Roger King (claviers, gt)
Marco Minnemann (drums)

1. Saltatio Mortis (1:56) - 2. Animal Army (4:59) - 3. We Can't Carry On (5:11) - 4. The Dumping Of The Stupid (7:08) - 5. Early Warning (3:56) - 6. Tardigrades Will Inherit The Earth (5:02) - 7. Window Onto The Sun (6:00) - 8. Lament (2:01) - 9. The Singing Fish Of Batticaloa (8:24) - 10. Hallelujah (5:50) - 11. The Andromeda Strain (2:56) - 12. Stranger Than Fiction (4:21)

Une année après Do Nothing Till You Hear From Me, Nick Beggs et ses Mute Gods proposent leur second album cette fois enregistré en trio pur sans invités. Le message par contre est toujours alarmiste et s'inscrit dans la continuité des textes du premier disque (dont l'aspect graphique avec le même homme-miroir à tête carrée est également repris) tandis que la musique se fait plus sombre en conformité avec des thèmes pessimistes traitant des médias (The Dumbing Of The Stupid, de la religion (Hallelujah), de la politique (We Can't Carry On) et de la science (Window Onto The Sun). Ces derniers esquissent en effet les travers d'une humanité en mutation qui concourt inéluctablement à sa propre extinction avec pour fatale conclusion un monde habité uniquement par de minuscules créatures appelées tardigrades, les seules à pouvoir survivre dans un environnement hostile extrême (d'où le titre de l'album et du morceau éponyme). Cette prédiction sinistre de l'évolution qui résonne comme une alerte est introduite par une pièce orchestrale (Saltatio Mortis) en forme de danse funèbre, prélude dramatique et menaçant à ce qui va venir. A l'exception de Early Morning, plus pop et accessible, les morceaux qui suivent sont denses et sans compromission, un peu trop bruyants parfois pour être appréciés sur le seul plan musical, surtout si on les écoute d'une traite. Emportés par la volonté de défendre sans complaisance leur vision, les musiciens ont apparemment oublié que, sans aération ni ornementation, la musique peut aussi devenir étouffante et, paradoxalement, diminuer l'impact du message véhiculé.

Il faut attendre le superbe Window Onto the Sun, septième titre du répertoire, suivi par le court instrumental Lament, pour que l'atmosphère s'éclaircisse enfin laissant entendre des harmonies plus mélodieuses. Mais la vraie révélation de l'album est le morceau qui vient ensuite, The Singing Fish Of Batticaloa qui fait référence aux mystérieux poissons chantants d'un lac du Shri Lanka : la mélodie, l'arrangement superbe, et les claviers célestes de Roger King combinés à des effets sonores subtils dérivés de la bande son d'un documentaire de la BBC sur ces animaux mythiques, considérés ici comme de possibles messagers de la catastrophe, font de cette composition une vraie réussite. Après un Hallelujah de bonne facture avec son rythme saccadé et ses sonorités trafiquées, l'instrumental Andromeda Strain démontre que la force de The Mute Gods réside d'abord dans la virtuosité de ses trois musiciens dont la technique et l'expérience ne sont plus à souligner. Et c'est déjà la fin avec Stranger Than Fiction, une autre chanson plus légère, dédiée par Nick Beggs à son épouse, qui clôture le répertoire sur un rayon de soleil particulièrement apprécié.

En conclusion, parce qu'il privilégie le fond sur la forme, Tardigrades est un disque un peu bancal mais, sur la distance, il offre quand même suffisamment de nuances et d'idées pour que l'amateur de prog, et en particulier de disques conceptuels, lui prête une oreille attentive. [3½/5]

[ Tardigrades Will Inherit the Earth ]
[ A écouter : Tardigrades Will Inherit The Earth - The Singing Fish Of Batticaloa ]

This Winter Machine : The Man Who Never Was (Progressive Gears Records), UK, 16 janvier 2017
The Man Who Never Was

Gary Jevon (guitare)
Mark Numan (claviers)
Al Wynter (vocals)
Peter Priestley (basse)
Marcus Murray (drums)

1. The Man Who never Was (16:05) - 2. The Wheel (9:28) - 3. Lullaby (Interrupted) (4:53) - 4. After Tomorrow Comes (7:58) - 5. Fractured (10:26) - Durée Totale : 48'50"

J'appartiens à une génération qui pense encore que quand une pochette de disque est vraiment belle, la musique qui lui est liée ne saurait être tout-à-fait mauvaise. C'est bien sûr une idée illogique qui renvoie à la facétie métaphysique de Frank Zappa selon laquelle une œuvre musicale forme un tout décrivant des interrelations entre pochette, livret, paroles, partitions, vidéos et même concerts. Dans certains cas, ça marche et dans d'autres moins, surtout si le groupe n'a pas été impliqué dans toutes les étapes de sa création. Quoi qu'il en soit, même si l'on y retrouve quelques symboles déjà fort utilisés dans le monde du prog comme la cabine téléphonique rouge et un personnage en cape noire dans la neige, l'image conçue par l'illustrateur suisse Sador Kwiatkowski pour The Man Who Never Was interpelle et invite à en savoir plus. Et le fait est que la nostalgie diffuse de cette scène hivernale se retrouve dans les textes des chansons, que ce soit à travers les ruminations d'un personnage déphasé face à une ancienne photographie dans laquelle il ne reconnaît pas l'homme qu'il est (la longue suite en quatre parties de The Man Who Never Was) ou dans les regrets troubles émanant d'une relation rompue (After Tomorrow Comes), ou encore dans la résignation lasse qui permet de suivre le fil d'une vie en dépit des innombrables fractures qui l'ont brisé (Fractured).

Tout cela est fort bien mis en relief par des musiques symphoniques aux accents lyriques qui ne sont pas sans évoquer le style néo-progressif du Marillion de Steve Hogarth. Arrangés avec imagination, les sons et les textes sont en effet bien souvent en phase, se renforçant l'un l'autre pour amplifier le sentiment aigu d'une mélancolie imprécise qui baigne l'album entier. Les passages instrumentaux nichés au creux des longues compositions sont nombreux avec de chouettes échanges entre claviers et guitares qui s'embrasent à l'occasion dans des envolées gracieuses ou nerveuses mais toujours jouissives (sur The Wheel en particulier ainsi que sur l'excellent instrumental Lullaby) et marquées par d'autres influences comme IQ, voire Porcupine Tree. En plus, le chanteur Al Wynter est doté d'une belle voix et il fait preuve d'une grande justesse en planant avec finesse au-dessus des harmonies et en négociant avec aisance les changements de tonalité. Il faut dire que sans pouvoir se prévaloir d'un pédigrée quelconque, les membres de ce quintet originaire de Leeds dans le Yorkshire ne sont ni jeunes ni inexpérimentés, ce qui explique la surprenante maturité de ce premier essai très réussi. Sans être très original dans son esthétique globale, The Man Who Never Was se distingue cependant par ses réelles qualités ainsi que par la cohérence du projet qui séduit par toutes ses composantes. [4/5]

[ The Man Who Never Was ]
[ A écouter : The Man Who Never Was - After Tomorrow Comes ]

O.R.k. : Soul Of An Octopus (Rare Noise Records), UK / Italie / Australie, 24 février 2017
Soul Of An Octopus

Lorenzo Esposito Fornasari (vocals)
Carmelo Pipitone (guitare)
Colin Edwin (basse)
Pat Mastelotto (drums)

1. Too Numb (3:54) - 2. Collapsing Hopes (4:39) - 3. Searching for the Code (4:03) - 4. Dirty Rain (5:06) - 5. Scarlet Water (4:13) - 6. Heaven Proof House (4:26) - 7. Just Another Bad Day (4:11) - 8. Capture or Reveal (4:49) - 9. Till the Sunrise Comes (5:21) - Durée Totale : 40'36"

On pourrait être tenté à l'écoute du premier titre (Too Numb) de décrire la musique de O.R.k. comme un amalgame de celles de King Crimson et de Porcupine Tree, deux formations d'où émanent respectivement le batteur Pat Mastelotto et le bassiste Colin Edwin. Mais ce ne serait pas rendre justice à l'apport conséquent des deux autres membres du groupe: le guitariste Carmelo Pipitone très présent sur tous les titres et qui fait preuve d'une étonnante versatilité en alternant jeu en acoustique et envolées féroces en électrique avec l'aide occasionnelle d'effets électroniques (une pédale wah-wah entre autres sur Collapsing Hopes) et le chanteur extraordinaire Lorenzo Esposito Fornasari dont le registre vocal étendu lui permet de couvrir toutes sortes de styles, du métal (Dirty Rain) à l'opéra (Till The Sunrise Comes) en passant par la ballade. En réalité, Soul Of An Octopus est un creuset très original d'idées audacieuses, l'ensemble donnant l'impression d'une musique très écrite, aussi atypique que soignée, et qui tend en tout cas à s'éloigner des canons habituels du rock progressiste. La palme revient certainement aux arrangements ciselés à la perfection qui donnent l'impression d'un groupe terriblement soudé dont la production globale compte et vaut plus que la somme des parties composantes. C'est particulièrement apparent sur le magnifique Till The Sunrise Comes, véritable tour de force et point culminant et final du disque, qui parvient par son traitement sonore et son rythme hypnotique à imposer une ambiance sombre, décalée et envoûtante me ramenant, allez savoir pourquoi, au mystérieux album Seventeen Seconds de The Cure. Quelques chansons à la structure plus classique comme Searching For The Code, Scarlet Water ou Capture Or Reveal aèrent avec bonheur un répertoire autrement plus dense et hybride qui laisse une impression de complexité et nécessite plusieurs écoutes attentives pour en faire le tour. Le disque est emballé dans une superbe pochette psychédélique réalisée par l'artiste milanais Nanà Dalla Porta dont l'art dérangeant, absurde et peuplé d'octopodes a déjà orné d'autre albums remarqués comme ceux de Oh Lazarus et Berserk ainsi que Inflamed Rides, le premier opus de O.R.k. Emanation rigoureuse d'un vrai groupe, miraculeusement arrangé et mixé, à la fois complexe, épique et profondément original, Soul Of An Octopus est la preuve qu'après 50 années d'existence, le prog est encore capable de se réinventer. Recommandé. [4/5]

[ Soul of an Octopus ] [ O.R.k. sur Rare Noise Records ]
[ A écouter : Too Numb ]

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