Jazz & Fusion : Sélection 2024




DragonJazz : Highlights in Jazz since 1996


Mes chroniques parues dans JazzMania


Nduduzo Makhathini : uNomkhubulwaneNduduzo Makhathini : uNomkhubulwane (Blue Note), 7 juin 2024

1. Libations: Omnyama – 2. Libations: Uxolo – 3 : Libations: KwaKhangelamankengana – 4- Water Spirtis: Izinkonjana – 5. Water Spirit: Amanxusa Asemkhathini – 6. Water Spirtit: Nyoni Le? – 7. Water Spirit: Iyana – 8. Inner Attainment: Izibingelelo – 9. Inner Attainment: Umlayez’oPhuthumayo - 10. Inner Attainment: Amanzi Ngobhoko - 11. Inner Attainment: Ithemba

Nduduzo Makhathini (piano, chant) ; Zwelakhe-Duma Bell le Pere (basse) ; Francisco Mela (batterie)


uNomkhubulwane est le onzième album du pianiste sud-africain Nduduzo Makhathini et son troisième chef d’œuvre pour le label Blue Note (avec Modes of Communication: Letters From The Underworlds en 2020 et In The Spirit of Ntu en 2022). Cette fois encore, la musique est une combinaison de folk Sud-Africain, de post-bop et de jazz modal qui évoque parfois Abdullah Ibrahim (Omnyama, Amanzi Ngobhoko) et parfois McCoy Tyner, dans sa période Extensions au début des années 70 (Amanxusa Asemkhathini, Izibingelelo). Elle se décline ici sous la forme d’une suite en trois mouvements dont le nom, pour faire court, est celui d’une déesse de la mythologie zouloue.

Le leader est accompagné par le batteur vétéran Francisco Mela et par le bassiste Zwelakhe-Duma Bell le Père. Imprégnée de mysticisme africain, la musique enchante avec une composante hypnotique tandis que le pianiste murmure des phrases chamaniques en zoulou et en bantou qui résonnent mystérieusement à nos oreilles. uNomkhubulwane est un disque de jazz hautement spirituel qui parvient, en transcendant les barrières des différentes cultures, à communiquer avec l’esprit humain dans son universalité.


[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ uNomkhubulwane sur Amazon (*) ]
[ A écouter : Water Spirits: Amanxusa Asemkhathini - Inner Attainment: Amanzi Ngobhoko ]


Tomasz Stanko Quartet : September NightTomasz Stanko Quartet : September Night (ECM), Pologne, 2024

1. Hermento's Mood – 2. Song For Sarah – 3. Euforila – 4. Elegant Piece – 5. Kaetano – 6. Celina – 7. Theatrical

Tomasz Stanko (tropmette) ; Marcin Wasilewski (piano) ; Slawomir Kurkiewicz (contrebasse) ; Michal Miskiewicz (drums)


On imaginait bien que Manfred Eicher gardait dans ses archives quelques inédits du grand trompettiste polonais décédé en 2018. Enregistré live au Muffathalle de Munich en septembre 2004 dans le cadre d’un symposium de musique improvisée, ce concert explore une période qui coïncide avec le splendide Suspended Night sorti six mois plus tôt (dont la ballade Song for Sarah est reprise ici). Comme sur ce dernier album, le leader est accompagné par le fameux trio de Marcin Wasilewski incluant le contrebassiste Slawomir Kurkiewicz et le batteur Michel Miskiwicz. Toutefois, la musique de September Nights apparaît moins flottante, moins rêveuse, avec des aspects exploratoires plus proches de l'esthétique de Lontano qui sortira en 2006.

L’osmose entre les musiciens, qui jouent ensemble depuis de nombreuses années, est quasi surnaturelle. C’est pour moi le groupe le plus emblématique de Stanko, celui avec lequel il a joué le plus longtemps mais également celui qui m’a procuré le plus d’émoi. Ce concert fascinant d’une grande intensité est un document majeur dans l’œuvre d’un des plus grands trompettistes européens dont le style si particulier, parfois mélancolique et parfois dramatique, a influencé tant de musiciens. Indispensable !


[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ September Night sur Amazon (*) ]
[ A écouter : Song for Sarah ]


Mathieu Robert : Fifteen ResonancesDiederik Wissels & Ana Rocha : Sleepless (Igloo), Belgique, 5 avril 2024

1. Yearn (revisited) - 2. East of Isaura - 3. Sleepless (revisited) - 4. Sundogs - 5. Not So Far - 6. Burning Sky

Diederik Wissels (piano) ; Ana Rocha (voix) ; Nicolas Kummert (saxophone ténor)


Sorti en avril 2023, Yearn a été enregistré en quartet. Une année plus tard, le tandem composé du pianiste Diederik Wissels et de la chanteuse Ana Rocha, complété par le saxophoniste Nicolas Kummert, sort un EP digital qui est une œuvre de transition. On y trouve six titres dont deux issus du disque précédent remaniés tant au niveau de la musique que des paroles. Les quatre autres sont de nouvelles compositions qui annoncent peut-être un futur album en trio. L’ambiance est bien sûr toujours aussi envoûtante et il me suffit de reprendre la conclusion de la chronique écrite pour Yearn qui reste entièrement d’actualité : « Symbiose, harmonie, sensibilité et lyrisme sont les maîtres mots de cette musique interprétée par un duo avec un esprit gémellaire dont la chorégraphie lunaire et la force contenue portent le mélomane affranchi de toute pesanteur en des contrées inouïes. »

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Sleepless sur Igloo Records ]
[ A écouter : Sleepless (Revisited) - Yearn ]


Mathieu Robert : Fifteen ResonancesMathieu Robert : Fifteen Resonances (homerecords.be), Belgique, 19 avril 2024

1. Brass (2:10) - 2. Petit Grain Bigarade (1:50) - 3. Time To Prepare (2:38) - 4. Copper (4:36) - 5. Towards Non Duality (2:13) - 6. Morning Light (4:27) - 7. Petrichor (5:49) - 8. Kuse (3:20) - 9. Owl (3:23) - 10. Oshi (2:31) - 11. Poem (4:17) - 12. Towards Non Duality II (2:30) - 13. Miniature (3:20) - 14. Seed (4:25) - 15. I Don't Know Do You (4:20)

Mathieu Robert (Soprano Saxophones, Shruti Box, Singing Bowls)


Les 15 titres de cet album sont joués en solitaire sur un saxophone soprano. Il y a une sorte de spiritualité dans cette musique : l’air vibre et rien ne vient perturber le son pur de l’instrument. Brass, le premier titre, fait ainsi penser à un joueur de ney assis sur une dune au crépuscule et qui offrirait ses notes au désert, ajoutant encore à la sérénité de l’instant. Si tout l’album avait été dans cette direction, j’en aurais déjà été satisfait mais, bien sûr, il y a plus. Mathieu Robert a conçu chacune de ses 15 miniatures comme une expérience unique. On entend parfois des improvisations qui semblent structurées même si en l’absence de cadre rythmique et harmonique, il est bien difficile, à nous auditeurs pourtant attentifs, d’en avoir une idée précise. A d’autres moments, le soprano imite les mouvements d’un jardin fantasmé, le bourdonnement d’une abeille, le battement d’ailes d’un oiseau. La musique se réduit alors à des sonorités qui sont autant de preuves de vie d’un monde intérieur mystérieux et foisonnant. Ici, un bol tibétain ajoute quelques sonorités exotiques qui amplifient l’atmosphère de recueillement. Ailleurs, le saxophoniste utilise un surpeti appelé aussi shruti-box, un instrument indien rudimentaire qui produit une sorte de bourdon destiné à accompagner un soliste. Globalement, la tendance reste une musique atmosphérique propice à la méditation, que l’on peut écouter pour ce qu’elle est ou en background si on a besoin de se concentrer sur l’une ou l’autre activité. Ce ni du jazz ni de l’ambient ni du « New Age » mais c’est en tout cas une musique sensible et originale marquée par une grande intériorité.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Fifteen Resonances sur Homerecords.be ]
[ A écouter : Brass - Owl ]


Gary Brunton : GwawrGary Brunton : Gwawr (Juste une Trace), UK, 26 avril 2024

1. Fort Steven n°5 – 2. Tim’s Tune – 3. Brew Ten – 4. Poem for n°15 – 5. Lansdowne – 6. Energy Master – 7. Loc - 8. Chant in the Night – 9. Gwawr – 10. Jonquilles – 11. What a Dream – 12. In the Paddock – 13. Hawthorne – 14. Ramsbottom CC – 15. Song for BWB

François Jeanneau (Saxophone Soprano) ; Paul Lay (Piano) ; Emil Spanyi (Piano) ; Gary Brunton (Contrebasse) ; Andrea Michelutti (Batterie)


Comme on l’avait déjà fait remarquer dans la chronique de l’album précédent, Trên Dydd, Gary Brunton aime les voyages. Avec Gwawr (aube en gallois), il poursuit son périple en train à travers le Pays de Galles, nous invitant à descendre à 14 nouvelles stations en évoquant au passage des moments de sa vie et des personnes qui lui sont proches. La locomotive à vapeur ayant jusqu’ici dévoré les kilomètres avec vaillance, rien n’a été changé : c’est toujours le batteur d’origine italienne Andrea Michelutti, le saxophoniste français François Jeanneau, et soit Paul Lay, soit Emil Spanyi au piano qui font tourner la mécanique sophistiquée de ce quartet voyageur.

Cette fois encore, les reprises sont en nombre réduit par rapport aux compositions originales du leader. On n’en compte que trois : le très lyrique Poem for n°15 de Steve Kuhn pourvu d’une splendide introduction à la contrebasse ainsi que Chant in the Night et What a Dream, deux morceaux d’un géant du jazz un peu oublié aujourd’hui : Sydney Bechet. On retrouve sur ces deux derniers titres la joie de vivre et le plaisir de jouer qui caractérisaient le jazz de l’époque de Béchet. Le swing est omniprésent, les parties de saxophone d’une fraîcheur inouïe et la frappe d’Andrea Michelutti très en verve, surtout la partie « jungle » sur Chant in the Night. En revanche, le répertoire comprend trois reprises du disque précédent offerts dans des versions alternatives : Jonquilles joué par le contrebassiste en duo avec Paul Lay, Brew Ten en trio piano/contrebasse/batterie, et le jubilatoire Energy Master Loc.

Quant aux neuf nouvelles compositions, ce sont toutes de petits bijoux ciselés à la perfection, avec de vraies mélodies, des solos captivants et une fluidité dans l’expression qui les rendent fort plaisantes à écouter. Certaines sont nostalgiques comme Tim’s Tune qui évoque un moment difficile de la vie du compositeur et d’autres romantiques comme Song for BWB dédié à son épouse mais la plupart (Gwawr, In the Paddock …), véhiculent une indéfectible joie de jouer. Quand la musique de ce quartet résonne dans une pièce obscure, la lumière s’allume toute seule !


[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Gwawr sur Amazon (*) ]
[ A écouter : Brew Ten - Energy Master Loc - Gwawr ]


Ingi Bjarni Trio : Fragile MagicIngi Bjarni Trio : Fragile Magic (Autoproduction), Islande, 21 mars 2024

1. Impulsive – 2. Fragile Magic – 3. Visan – 4. Glimpse – 5. Suburb – 6. Uti a götu – 7. Introduction – 8. My Sleepless Nights in June – 9. Einn, tveir, þrír

Ingi Bjarni (piano) ; Reinert Poulsen (contrebasse) ; Magnus Trygvason Eliassen (Batterie)


Le pianiste islandais Ingi Bjarni Skúlason semble être un musicien très occupé puisqu’il mène de front pas moins de trois ensembles : un quintet qui nous a livré l’année dernière l’excellent Farfuglar, un quartet dont un album paraîtra probablement en 2024 et un trio auteur de ce Fragile Magic. Enregistré avec le contrebassiste Reinert Poulsen originaire des îles Faroe et le batteur islandais Magnús Trygvason Eliassen, l’album sonne différemment de Farfuglar tout en conservant l’âme « folk » typiquement nordique qui sous-tendait la musique de son prédécesseur. On notera d’emblée l’approche mélodique et parfois, sur certaines plages, un phrasé délicat qui pourrait faire penser à de la musique de chambre classique mais qui n’est pas non plus sans évoquer un autre pianiste comme Tord Gustavsen qui sait lui-aussi associer pour le meilleur un romantisme saturnien à une réelle sophistication des arrangements. Il n’est ainsi pas rare de trouver chez Ingi Bjarni des métriques complexes (écoutez par exemple Visan) qui introduisent des variations intéressantes et une grande fraîcheur dans ses compositions.

Le répertoire de ce sixième album du pianiste (et son troisième en trio) est chamarré, engendrant un plaisir d’écoute renouvelé à chaque plage. De l’ambiances introspective de la ballade éponyme sublimée par une contrebasse jouée à l’archet à un morceau plus ouvert comme Suburb dont l’improvisation transpire une réjouissante vitalité, les perspectives sont aussi diverses que séduisantes. J’aime bien aussi Einn, tveir, þrír (Un, deux, trois, comme dans les comptines d’élimination) qui, à partir d’une mélodie simple, se développe lentement en laissant de l’espace pour une splendide partie de basse avant de retomber sur l’ostinato du thème. Tout au long de ce disque, ce trio venu du Nord montre une belle unité d’ensemble qui porte cette musique sensible, à la fois familière et singulière, à un très haut niveau de qualité.


[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Ingi Bjarni sur Bandcamp ]
[ A écouter : Fragile Magic ]


Julian Lage : Speak to MeJulian Lage : Speak to Me (Blue Note), USA, 1er mars 2024

1. Hymnal - 2. Northern Shuffle - 3. Omission - 4. Serenade - 5. Myself Around You - 6. South Mountain - 7. Speak to Me - 8. Two and One - 9. Vanishing Points - 10. Tiburon - 11. As It Were - 5:07 - 12. 76 - 13. Nothing Happens Here

Julian Lage (guitare) ; Jorge Roeder (contrebasse, vibraphone, basse électrique) ; David King (batterie) ; Patrick Warren (claviers, piano) ; Kris Davis (piano) ; Levon Henry (saxophone ténor, clarinette, clarinette alto)


Aussitôt son premier album sorti sur EmaArcy il y a quinze ans, le guitariste Julian Lage n’a plus eu grand-chose à prouver en matière de maîtrise de l’instrument. Il lui restait en revanche à s’imposer comme compositeur et metteur en sons, un objectif qu’il poursuivra tout au long de la dizaine de disques enregistrés ultérieurement jusqu’à ce Speak to Me qui se révèle être l’aboutissement magistral d’une belle et longue quête. Avec l’aide de l’habile producteur Joe Henry (on se souvient entre autres de sa formidable contribution, primée aux Grammy Awards, à Genuine Negro Jig des Carolina Chocolate Drops ainsi qu’à The Bright Mississippi d’Allen Toussaint), Julian Lage a délivré un opus majeur offrant des pièces variées aux textures qui se contractent ou se dilatent en fonction des envies.

Ainsi, du délicat et classicisant hymnal, qui met en relief l’interaction télépathique entre le guitariste et son contrebassiste de longue date Jorge Roeder, à Nothing Happens Here qui referme l’album sur une mélodie nostalgique dont le potentiel émotionnel se hisse à la hauteur de celui d’un générique de Michel Legrand, les treize titres du répertoire ont chacun un style, une atmosphère, une âme. Tel le héros d’un voyageur imaginaire qui glisserait sur une méridienne à travers une multitude de paysages, le leader nous emmène dans un archipel de compositions singulières dont le seul pont qui les relie est d’avoir toutes été écrites par lui. Il y a le titre éponyme aux accents bluesy ; l’excentrique Northern Shuffle en forme de rock à l’ancienne avec une sonorité de guitare qui évoque Link Wray mais qui s’avère vite plus complexe que prévu ; Omission et sa mélodie pastorale jouée à la guitare acoustique ; une étude en solo (Myself Around You) capable d’enchanter un John Williams toujours en quête d’une extension du répertoire pour guitare classique ; l’étrange South Mountain hanté par des sons avant-gardistes de piano et de clarinette au croisement de la musique ambient de Brian Eno et du folk-rock de Joni Mitchell ; la jolie chanson As It Were qui attend impatiemment qu’on lui écrive des paroles … et d’autres encore qui recèlent leur lot de surprises, l’ensemble constituant une bande sonore aussi harmonieuse qu’éclectique pour un imprévisible road-movie. Avec ce Speak to Me, le guitariste, pourtant virtuose, a réussi à s’effacer derrière l’éloquence de sa musique et ça nous éblouit. Attention : chef d’œuvre !


[ Chronique de Pierre Dulieu (initialement publiée le 16/4/2024 dans la revue JazzMania) ]

[ A lire : Julian Lage, plongée dans la culture musicale américaine, interview de Philippe Schoonbrood dans JazzMania]

[ Speak to Me sur Amazon (*) ]
[ A écouter : Northern Shuffle - Serenade - Nothing Happens Here ]


Yotam Silberstein : StandardsYotam Silberstein : Standards (Jojo Records), Israël / USA, 23 février 2024

1. Serenata - 2. Beija Flor - 3. Low Joe - 4. If I Loved You - 5. Eclypso - 6. Never Let Me Go - 7. Little WIllie Leaps - 8. Stella By Starlight

Yotam Silberstein (guitare) ; John Patitucci (basse) ; Billy Hart (drums) + invité : George Coleman (sax ténor)


L’Israélien Yotam Silberstein, né à Tel-Aviv mais aujourd’hui basé à New York, s’est fait une place de choix au panthéon des guitaristes modernes grâce notamment à des albums comme Future Memories (2019) et Universos (2022) qui puisent leur constellation de nuances dans différents endroits de la planète. Ce nouveau projet, le premier à paraître sur le label Jojo Records créé à Jérusalem par le guitariste Simon Belelty pour promouvoir un jazz international de qualité, marque un changement d’orientation puisque Yotam y délaisse ses propres compositions pour réinterpréter à sa manière unique huit standards. La bonne nouvelle est qu’il ne s’agit pas de scies mille fois entendues, mais de morceaux choisis non seulement pour leurs splendides mélodies mais aussi, dumoins pour certains d’entre eux, pour leur relative discrétion au sein du répertoire jazz, comme Serenata jadis interprété par Joe Pass, Beija Flor de Nelson Cavaquinho, ou Eclypso de Tommy Flanagan joué autrefois par Coltrane et Kenny Burrell.

D’emblée, le son pur et clair de la guitare emporte l’adhésion d’autant plus que le leader est accompagné par deux vétérans qui savent mettre en valeur, avec autant de talent que de modestie, les projets auxquels ils ont accepté de collaborer : le contrebassiste John Pattitucci (64 ans) et le batteur Billy Hart (83 ans). Après l’énoncé de la splendide mélodie de Serenata, à l’origine une sérénade au style latin écrite pour orchestre en 1947 par le compositeur américain Leroy Anderson et popularisée par Nat King Cole, c’est un plaisir d’écouter la délicatesse du toucher et le phrasé fluide de Yotam qui s’envole dans de gracieux chorus. Le tapis rythmique est à la fois riche et dynamique : John Pattitucci, qui joue ici exclusivement de la contrebasse marquée par une sonorité douce et boisée, y prend un solo d’anthologie tandis que Billy Hart témoigne tout du long d’une extraordinaire réactivité, délivrant vers la fin des breaks à couper le souffle. Les mêmes qualités sont réitérées dans les six titres joués en trio, mais il y a une surprise : deux plages sur lesquelles le leader a invité un autre vétéran, le saxophoniste ténor George Coleman – celui-là même dont Miles disait « qu’il peut tout jouer avec une quasi-perfection » – qui est venu avec une de ses compositions, Low Joe. À l’âge de 88 ans, son jeu sur la ballade Never Let Me Go, un standard de Jay Livingston, est resté aussi lyrique et prenant qu’autrefois.

Du swing au be-bop et du jazz latin à la ballade, cet album rend certes hommage au jazz classique, mais il le fait avec une fraîcheur inouïe. Ce qu’on a la chance d’entendre dans ce répertoire rappelle qu’avec du talent, les standards du jazz peuvent encore être exaltés. Une très belle leçon de style !


[ Chronique de Pierre Dulieu (initialement publiée le 14/3/2024 dans la revue JazzMania) ]

[ Standards sur Amazon (*) ]
[ A écouter : Never Let Me Go - Beija Flor ]


Arve Henriksen & Harmen Fraanje : Touch of TimeArve Henriksen & Harmen Fraanje : Touch of Time (ECM), Norvège/Pays-Bas, 26 janvier 2024

1. Melancholia – 2. The Beauty Of Sundays – 3. Redream – 4. The Dark Light – 5. What All This Is – 6. Mirror Images – 7. Touch Of Time – 8. Winter Haze – 9. Red And Black – 10. Passing On The Past

Arve Henriksen (trompette, électronique) ; Harmen Fraanje (piano)


Ce nouvel album du trompettiste norvégien Arve Henriksen et du pianiste néerlandais Harmen Fraanje a été enregistré en janvier 2023 à l’Auditorio Stelio Molo de Lugano sous la direction artistique de Manfred Eicher. Une relation musicale surprenante s’est établie entre les deux musiciens les amenant à créer des atmosphères empreintes d’une grande douceur lyrique. On ne trouvera ici que des mélodies et des textures délicates en phase avec le développement d’une idée musicale partagée par les deux complices. Les thèmes soigneusement travaillés sont complété par des passages librement improvisés, les deux instruments s’enchaînant avec grâce, chacun semblant constamment reprendre et terminer les phrases de l’autre.

Initiée en 2019 à Utrecht, aux Pays-Bas, la collaboration entre Harmen et Arve s'est depuis transformée en un duo fructueux. Selon les mots de Harmen : « Avec Arve, dès le début, il nous a semblé si facile de nous retrouver dans la musique, de suivre le flux de la mélodie et de ressentir les harmonies émergentes. Après le tout premier concert, nous avons immédiatement réalisé que nous devions continuer à jouer ensemble – et un nouveau duo est né. » Les deux musiciens considèrent Touch of Time comme étant le reflet parfait de leur rencontre musicale. C’est un disque magique et plein de nuances dans lequel la connivence a joué un rôle essentiel.


[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Touch of Time sur Amazon (*) ]
[ A écouter : Melancholia ]


Loris Tils : Mystic BayouLoris Tils : Mystic Bayou (Autoproduction), Belgique, 22 décembre 2023

1. Lyle's Fall (5:10) - 2. Vision (1:27) - 3. Mystic Bayou (1:34) - 4. Juke Box (4:43) - 5. Meet Isobel / Mystic Bayou (reprise) (5:01) - 6. Vision (Reprise) (1:36) - 7. Run, Boy, Run (6:46) - 8. Epilogue (2:57) - 9. Dream Team (5:27)

Loris Tils: (basse, claviers, synthés, electronic drums & samples programming) ; Greg & Micka Chainis (guitares) ; Sam Rafalowicz (batterie, percussions) + Guests


Mystic Bayou est un projet multimédia qui regroupe différentes approches artistiques, ici en l’occurrence un disque de musiques originales accompagnant une nouvelle d’un peu moins de 60 pages. Certes le concept n’est pas neuf (citons David Wright par exemple avec The Lost Colony) mais il n’en est pas moins intéressant. Dans ce cas, Loris, qu’on sait friand de cinéma et de bandes originales de film (rappelez-vous l’excellent Chic Invaders), a d’abord conçu la musique sur laquelle Nicolas Dieu a écrit un texte dans un style néo-polar. Les paragraphes directement reliés au disque sont écrits en bleu (tandis que le reste est en noir), ce qui permet au lecteur qui le souhaite de s’immerger plus profondément dans l'ambiance. Bien sûr, l’appréciation de ce récit de kidnapping dans les bayous de la Louisiane dépendra de votre intérêt pour ce genre d’histoires mais, quoi qu’il en soit, la musique peut aussi s’écouter de manière indépendante.

Dès le premier titre (qui débute par le son d’une aiguille déposée sur un « long playing »), on retrouve un certain climat similaire à certaines musiques de films et séries, celles composées notamment par des Lalo Schifrin, Jerry Fielding et autres Alan Silvestri. Certains titres sont courts (comme dans les soundtracks) pour s’adapter à une séquence particulière du récit. D’autres prennent le temps d’installer des atmosphères particulièrs. Ainsi en est-il de Juke-Box qui illustre un jazz-club enfumé avec barman, shérif et autres consommateurs pittoresques passablement éméchés ou de Mystic Bayou et sa mélodie simple et menaçante, digne d’un film de John Carpenter. Avec ses cocottes de guitare et sa basse funky, Run Boy Run renvoie à la blaxploitation des années 70 : cette musique censée accompagner une poursuite dans le bayou aurait tout aussi bien pu mettre en valeur les aventures de John Shaft à Manhattan ou de Pam Grier / Coffy en panthère noire de Harlem. Quant au funky Dream Team, on le prendra comme un générique de fin destiné à pousser les spectateurs vers la sortie pour y retrouver la vie trépidante de la cité. Pas de doute : Loris Tils a le sens de la narration. Avec ses compositions, il sait comment souligner une histoire, faire naître une émotion ou créer une ambiance propice à l’imagination. Les producteurs et réalisateurs de polars et de séries B pour le cinéma et/ou la télévision devraient s’en souvenir pour leurs futurs projets : ça lui ouvrirait une autre porte pour l’expression de son indiscutable talent.


[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Mystic Bayou sur Bandcamp ]
[ A écouter : Lyle's Fall - Run, Boy, Run ]


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