Retrouvez sur cette page une sélection des grands compacts, nouveautés ou rééditions, qui font l'actualité. Dans l'abondance des productions actuelles à travers lesquelles il devient de plus en plus difficile de se faufiler, les disques présentés ici ne sont peut-être pas les meilleurs mais, pour des amateurs de jazz et de fusion, ils constituent assurément des compagnons parfaits du plaisir et peuvent illuminer un mois, une année, voire une vie entière.
A noter : les nouveautés en jazz belge font l'objet d'une page spéciale. |
Reggie Washington : Vintage New Acoustic (Jammin'Colors), USA, 7 novembre 2018
1. Always Moving (01:13) - 2. Fall (07:49) - 3. Eleanor Rigby (03:37) - 4. Half Position World (08:07) 5. Afro Blues (03:10) - 6. E.S. P (09:27) - 7. Thought Of Buckshot (00:58) - 8. Footprints (09:30) - 9. Moanin' (04:28) - 10.B3 Blues 4 Leroy (09:44) - 11.Always Moving (Reprise Ending) (0:59) Reggie Washington (basses acoustiques & électriques); Fabrice Alleman (saxophone ténor); Bobby Sparks (piano et claviers); EJ Strickland (batterie). Enregistré du 12 au 14 mai 21018 au Da Town Studios à Marseille France. Enregistrement additionnel aux Studiox Da Town à Marseille France et aux studios Stone Nivez & Bare Skinz à Bruxelles, Belgique et à Laborel, France.
Il y a plus d'un an, l'aide d'un corbeau «Jack Daw» avait permis d'écrire la chronique de Rainbow Shadow Vol. 2/A Tribute To Jeff Lee Johnson.
C'est dans la forêt périurbaine de Soignes, au sud-est de Bruxelles, que Reggie Washington présente sur You Tube son nouvel opus Vintage New Acoustic. Cet espace vert de 5000 hectares abritant beaucoup de corbeaux plairait indéniablement à Jack Daw, mais le sujet du nouveau CD qui traite plutôt d'acoustique ne le concerne pas. Le contrebassiste déambule au milieu des grands arbres et se rappelle la jungle de New York, très différente de la forêt bruxelloise "qui est de loin bien plus tranquille … calme." Depuis plus de trente ans, Reggie Washington a construit sa réputation en jouant de la basse électrique avec les plus grands (Chico Hamilton, Steve Coleman, Brandford Marsalis, le regretté Roy Hargrove...). Mais son nouveau projet est une ambiance, une nouvelle atmosphère sonore construite par la contrebasse, instrument avec lequel il a commencé la musique. Le design de son instrument est vintage et la volonté du bassiste est de l'intégrer à son univers musical en mettant en relief sa sonorité sourde et grave qui, souvent, n'est audible que par une écoute attentive. Quand Reggie Washington reprend le titre des Beatles Eleanor Rigby en solo, le résultat est surprenant et désorientant. Mais l'exploration sonore de la basse acoustique, se poursuit également dans les deux morceaux originaux composés pour l'occasion, Always Moving et Half Position Woody, tous deux avec une cadence soutenue. Toutefois, le bassiste n'hésite pas à interpréter aussi des morceaux à la basse électrique, dont la reprise du titre de Wayne Shorter Fall où, successivement, un Reggie Washington très soul, un Fabrice Alleman virtuose et un Bobby Sparks très funk partent en improvisation. La reprise en solo à la basse électrique de Moanin', un thème de Bobby Timmons maintes fois interprété et dont la version de référence est celle d'Art Blakey avec les Jazz Messengers enregistrée en 1958, est un enchantement notable pour son groove et sa simplicité. Pour clôturer et conclure cette chronique par une question : cet album n'aurait-t-il pas dû être intitulé « Basse Contre Basse » ou « Quand la Contrebasse Rencontre la Basse » afin de souligner encore mieux le travail de Reggie Washington qui, depuis plusieurs années, explore l'univers sonore de ces deux instruments indispensables à toute ligne harmonique ? [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ Vintage New Acoustic (CD & MP3) ] [ A écouter : Fall (New Morning, Paris, 2 Octobre 2018) - Half Position Woody (New Morning, Paris, 2 Octobre 2018) ] |
Super Alone (Robin Nitram) : Rêveries Sonores (Indépendant), France, 3 Octobre 2018
1. Cos 12:16) - 2. Rêverie #1 (5:49) - 3. Blue In Green (7:27) - 4. Rêverie #2 (5:1) - 5. Rêverie #3 (3:13) - 6. Daurey (8:56) Robin Nitram (guitare, effets). Enregistré live au 59 Rivoli à Paris.
Comme son nom l'indique bien, Super Alone recouvre le travail d'un seul homme, en l'occurrence le guitariste français Robin Nitram. Rêveries Sonores est son second disque mais le premier en solo et il est enregistré en concert au 59 Rivoli à Paris. Ayant suivi un parcours qui l'a conduit du blues au jazz en passant par le rock, Robin Joue plutôt sur cet album une musique aérienne très personnelle, proche du style ambient qu'on pourrait fort bien rattacher à l'esprit des fameux Soundscapes de Robert Fripp en solo. C'est que la guitare est ici enrobée de sonorités diverses, Robin Nitram texturant sa musique comme un peintre créerait une peinture en direct, en déposant sur sa toile toutes sortes de couleurs au gré de son inspiration. Déroutant au début, le résultat devient vite fascinant en transportant l'auditeur dans un univers onirique où l'étrange cohabite avec la simple beauté. Dans le répertoire figure une reprise de la composition Blue In Green de Bill Evans mais elle est ici rendue dans une surprenante version hantée qui, pour n'avoir pas grand-chose en commun avec celle du quintet de Mile Davis, n'en est pas moins pétrie de poésie et de nostalgie. On reste ébahi devant cette musique essentiellement improvisée et qui n'est produite, sans édition ultérieure, que via une guitare électrique, un ampli et quelques effets. On imagine fort bien un tel concert donné dans une galerie d'art où la musique viendrait souligner quelques peintures modernes, aidant le visiteur à pénétrer plus profondément dans les arcanes de leur création. Il y a indéniablement une forme de sérénité dans ces nuages sonores qui n'en finissent pas de s'effilocher dans la distance. [ Rêveries Sonores sur Bandcamp ] [ A écouter : Blue In Green live @ Soul Ableta, Paris, 2018 ] |
Bob James : Espresso (Evosound), USA, 31 août 2018
1. Bulgogi (06 :04) - 2. Shadow Dance ( 07 :07) - 3. Ain't Mishebehavin' (05:33) - 4. One Afternoon (03: 33) - 5. Mister Magic (06:19) - 6. Topside (05:09) - 7. Il Boccalone (04:03) - 8. Mojito Ride (07:40) - 9. Promenade (04:15) - 10. Boss Lady (04 :45) 11. Submarine (04 :28) Bob James (piano, claviers, compositions et arrangements) ; Michael Palazzolo (contrebasse) ; Billy Kilson (batterie). Enregistré en décembre 2017 aux studios Bragg Street à Van Nuys, Californie. Le titre de ce CD issu de l'univers du café indique que les qualités indispensables au métier de torréfacteur sont détenues par le musicien Bob James. En premier lieu, le statut de maître artisan torréfacteur bien encadré ne peut être remis que par la Chambre Régionale des Métiers. Cependant il n'existe pas de formation, la profession ne possède pas de diplôme. Tout comme le professionnalisme et la qualité d'un musicien qui ne sont garantis par aucun certificat. La reconnaissance de ces deux activités se fait par les pairs. Côté Bob James, ses pairs sont de taille. En 1963, il collabore avec Quincy Jones et, en 1965, il est le pianiste de Sarah Vaughan. C'est peut-être pour ça que Robert McElhiney James dit “Bob” James, claviériste, arrangeur et producteur de jazz américain, a reçu deux Grammy Awards et a composé la musique de la série Taxi et bien d'autres. En plus, le futur maître torréfacteur doit participer à la promotion de la profession, de l'artisanat et valoriser le produit "café". Encore un sans faute pour le pianiste né le jour de Noël en 1939. Ses différentes activités d'arrangeur pour Gabor Szabo, Milt Jackson, Stanley Turrentine, Grover Washington Jr. et Maynard Ferguson, sans oublier sa carrière de producteur pour le label CTI, montrent son engagement pour la création musicale. Chez les maitres torréfacteurs il existe la spécificité barista attribuée à ceux que l'on nomme les sommeliers du café, spécialisés dans la confection de l'espresso, ce café court très corsé avec un fort arôme. Pas de doute, l'album, qui propose une palette de pistes très diversifiée depuis le premier morceau Bulgogi qui suit toute la journée l'auditeur dès qu'il l'a écouté, est comme ce type de café. Après un détour indispensable pour un disque de jazz - la reprise d'un standard, Ain't Mishebehavin', dans la tradition Main Street -, la dégustation se poursuit avec One Afternoon musique romantique de film, une piste funk latino avec Top Side et pour finir, Submarine dans la tradition smooth jazz, reprise de Nautilus, grand succès de Bob James si souvent samplé par d'autres. Cette richesse et cette diversité, Bob James les attribue à sa « Boss Lady », sa femme, avec qui il a vécu 50 ans, décédée en 2017. Cette dernière « lui a sauvé la vie » en lui conseillant d'être lui même : « Tu es quelqu'un de très éclectique, reste-le ! Tu n'as pas à t'excuser d'aimer des choses différentes. » Et quand Bob James est lui même, comme dans Espresso, c'est un vrai plaisir ! Alors, bonne écoute ! [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ Espresso (CD, MP3, Vinyle) ] [ A écouter : Bulgogi - Submarine ] |
Thomas Naïm : Desert Highway (Rootless Blues/Promise Land), France, 2 novembre 2018
1. California (04 :39) - 2. Vinicius (05 :06) - 3. Tijuana (03:38) - 4.Camminare (05 :18) - 5. The Last One (04 :15) - 6. The Promise Land (02:47) - 7. Vallee De La Luna (03:59) - 8. Lonnie's Lament (04:23) - 9. The Wire (05:50) - 10. Desert Highway (John Coltrane)(04: 23) - 11. Arabic Blues (02:53) Thomas Naïm (guitare); Raphaël Chassin (batterie); Marcello Giuliani (contrebasse) + Invitée : Chahinez Kholladi (écriture et diction paroles : 11). Enregistré au studio Mercredi 9 à Paris, France. C'est au cours de sa dernière tournée avec le chanteur Hugh Coltman que le guitariste a expérimenté un jeu sans piano. Le résultat lui a donné le désir d'enregistrer cet album avec Raphaël Chassin à la batterie et Marcello Giuliani à la contrebasse. Le skipper guitariste embarque ainsi en équipage à trois pour cette nouvelle production. La tonalité blues de la musique et le titre de l'album invitent, comme l'autoroute du même nom (Desert Highway), à la découverte du désert. Le CD propose un périple musical de onze pistes à la gloire de la guitare. Le premier titre, California, pourrait être la bande sonore de la pochette : lever de soleil sur une route sans fin, ambiance de début de journée instaurée par la rythmique au charleston et aux balais, accompagnée par la ligne de basse, rappelant les endroits du tableau encore baignés par l'obscurité. Les notes de la mélodie égrenées par Thomas Naïm instaurent une atmosphère mystérieuse de début de voyage. Ce dernier se déplace au Mexique avec Tijuana mais sans aucune consonance de musique traditionnelle : le style rock rappelle plutôt un célèbre succès des Rolling Stones. Rien d'étonnant que Thomas Naïm puisse naviguer dans divers styles car il a plusieurs cordes à sa guitare : rock, jazz, funk, musique brésilienne. Ses différentes collaborations et créations le prouvent (avec la chanteuse Joyce Hozé, les producteurs Jonathan Quarmby et Kevin Bacon, l'album Handmade »...) Le moyen de locomotion dans ce nouveau CD est à pieds, car marcher Camminare permet de mieux apprécier les harmoniques proposées par les trois compères sur le rythme marqué par Raphaël Chassin. Au bout de la route, la destination serait-elle celle idéalisée de Martin Luther King, dont on entend la voix en fond dans The Promise Land, ou une destination plus onirique comme Valle De La Luna ? Ou alors, une destination au hasard puisque, comme l'affirme Chahinez Kholladi dans Arabic Blues, Ma Fi Maktoub (rien n'est écrit). Nul doute en tout cas que chacun trouvera la sienne à l'écoute de ce Desert Highway. [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ Desert Highway (CD, MP3, Vinyle) ] [ A écouter : California - The Wire ] |
Daniel Goyone : French Keys (Music Box Publishing), 23 novembre 2018
1. Baba Rumba (3:55) - 2. Nuange (0:48) - 3. Vert Mer (5:32) - 4. Sept de Coeur (5:13) - 5. La Vie est un … (1:23) - 6. Jeu d'Enfant (1:18) - 7. Titlu (4:39) - 8. The Unanswered Satie (2:36) - 9. Eda Garden (3:45) - 10. La Fleur Inverse (5:15) - 11. Little Big Biguine (3:03) - 12. Ainsi soient Îles (2:55) - 13. Lignes de Fuite (2:28) - 14. Chitchat (3:22) - 15. Éole (5:21) - 16. For Morton Feldman (3:57) - 17. Bouches d'Or (4:12) - 18. Evi-Danse (4:12) Daniel Goyone (piano); Thierry Bonneaux (vibraphone, percussions)
French Keys, c'est dix-huit pièces légères en dehors des classifications habituelles interprétées dans un format qui ne l'est pas moins : un piano et un vibraphone. On dirait autant d'études sur les mélodies et les rythmes et il est bien difficile de déceler où finit l'écriture et où commencent les parties improvisées. Certaines de ces compositions pourraient servir à illustrer des films, surtout documentaires, quand il est nécessaire d'amplifier la contemplation mélancolique des beautés de la nature (Nuange, Vert De Mer, Ainsi Soîent Îles). D'autres sont de petites chansons en devenir qui attendent seulement qu'un poète vienne leur coller des paroles (Eda Garden, Chit Chat). L'inspiration est venue de divers horizons. Une première influence évidente est la musique classique française, celle impressionniste et évocatrice de Debussy ou celle inclassable d'Erik Satie. Daniel Goyone est un pianiste issu du monde du jazz qui a également pratiqué des musiques latino-américaines et il ne fait nul doute qu'il a intégré ces styles dans son approche musicale globale mais, comme il l'explique lui-même dans une vidéo sur YouTube, c'est surtout sa sensibilité française qui l'a conduit à composer et à jouer ce répertoire. L'osmose quasi télépathique entre le pianiste et le vibraphoniste percussionniste Thierry Bonneaux témoigne d'une longue pratique en commun qui date de près de vingt années. Leur musique de chambre, où rien n'a été laissé au hasard, paraît en effet articulée avec une précision extrême. Les unissons comme les contrepoints fusent avec un naturel qui ne trompe pas : ces deux-là sont sur la même longueur d'onde. On notera aussi l'exploration que le pianiste aime à mener sur les rythmes avec des mesures impaires, parfois abordées dans le jazz par assimilation des musiques indiennes (Daniel Goyone les a notamment pratiquées avec le percussionniste Trilok Gurtu), et dont on trouvera ici quelques illustrations comme Titlu (5 temps), Eole (9 temps) et Bouches D'Or (13 temps). Evidemment, ceci est de la musique de concert qu'il faut écouter dans le calme et avec un certain recueillement mais en finale, la récompense est grande quand ces miniatures très originales finissent par révéler leurs attraits. [ French keys (CD & MP3) ] [ A écouter : Daniel Goyone présente l'album French Touch - Baba Rumba ] |
Shijin (Alter-Nativ), Multinational, 26 octobre 2018
1. Smells Funny (7:24) - 2. Anemoi (3:44) - 3. Afro Bear (4:40) - 4. New Neighborhood (6:00) - 5. The Bait (5:33) - 6. Blitzt's Z'Züri? (3:16) - 7. Discomania (5:31) - 8. The Edgewater Hotel (6:30) Jacques Schwarz-Bart (Saxophone); Malcolm Braff (claviers); Laurent David (basse); Stéphane Galland (drums)
En Orient, les shijin sont des animaux mythiques gardiens des quatre orients ou points cardinaux auxquels sont associés des éléments, des couleurs et des vertus. Bien que différents, on les regroupe sous ce nom unique qui constitue par ailleurs un chouette patronyme pour un groupe musical dans lequel quatre personnalités distinctes se rassemblent pour jouer une musique commune. Dans le communiqué de presse de l'album, on n'hésite d'ailleurs pas à les décrire en renvoyant au caractère ésotérique des quatre pouvoirs shijin : "la basse tellurique de Laurent David, le piano phoenixien de Malcolm Braff, le saxophone atmosphérique de Jacques Schwarz-Bart et la batterie niagaresque de Stéphane Galland." Mais au-delà de cette référence initiatique, et si l'on veut bien se concentrer sur la musique, il faut quand même avouer que le son de ce groupe est tout à fait inhabituel. La basse est vraiment rugissante et quand on écoute pour la première fois Smells Funny (peut-être inspiré par la célèbre citation de Frank Zappa : jazz isn't dead. It just smells funny ?), il faut un temps d'adaptation avant de se rendre compte que c'est bien une basse qui produit ce son organique titanesque. Quant à la batterie, elle a cette force implacable qu'on entend parfois dans les tambours africains. Toutefois, la musique de Shijin est loin de n'être que puissance et énergie car, la plupart du temps, les deux autres instrumentistes (piano et saxophone) impriment sur cette couche rythmique basique et fusionnelle des mélodies subtiles et des improvisations colorées. Cette superposition de deux approches aussi distinctes que divergentes génère une impression d'élasticité qui aère considérablement l'atmosphère. On est un peu surpris d'apprendre que, par suite de contraintes dues à l'éloignement, l'enregistrement a été réalisé de manière décalée par couches successives, la basse et la batterie ayant été créées initialement à Paris, les claviers ajoutés à Chamonix et les parties de sax enregistrées à Boston superposées en finale. A nos oreilles, l'ensemble paraît en effet d'une grande cohérence comme si tout avait été prévu au départ et travaillé ensemble dans le même studio. On louera donc aussi le mixage clair d'Antoine Delecroix qui est parvenu à insuffler une réelle présence à cet enregistrement. En fin de compte, entre jazz et fusion, la musique de Shijin sonne terriblement moderne et pourrait bien être la réponse internationale à la nouvelle vague du jazz britannique (Moses Boyd, Yussef Kamaal et consorts). En tout cas, si l'on excepte Blitzt's Z'Züri, le seul titre qui me rappelle quelque peu l'urgence d'Aka Moon, voici une musique vraiment différente, créative mais toujours accessible, et sous le charme duquel on tombe dès la première écoute. [ Shijin (CD / MP3) ] [ Shijin sur Bandcamp ] [ A écouter : New Neighborhood - The Bait ] |
De Beren Gieren : We Dug Out Skyscrapers Benelux, (Sdban), 2017
1. Broensgebuzze 9 (1:08) - 2. Voorlopige Dagen (10:07) - 3. Weight Of An Image (3:55) - 4. Zeeland (4:49) - 5. De Belofte Treurwals (6:45) - 6. Oude Beren (2:42) - 7. Distrusters (9:14) - 8. Broensgebuzze 10 (2:28) - 9. We Dug Out Skyscrapers (5:09) Fulco Ottervanger (piano); Lieven Van Pée (contrebasse); Simon Segers (batterie)
Ce trio au nom bizarre (les ours vautours) nous avait séduit avec l'album A Raveling (2013) qui proposait une musique sophistiquée sans être trop complexe, privilégiant mélodies gracieuses et textures aérées ainsi qu'un jeu exploitant des micro tonalités. A peu de choses près, le groupe poursuit ses explorations sonores sur We Dug Out Skyscrapers mais en ajoutant quand même un zeste de pulsion électro-acoustique qui rend sa musique inclassable et parfois proche de certaines expériences sonores "ambient". Ainsi sur Voorlopige Dagen ou sur le titre éponyme, le piano fragile et évanescent combiné à des effets électroniques atmosphériques ne sont-ils pas sans évoquer la musique hybride et terriblement évocatrice créée par Brian Eno et le pianiste Harold Budd sur The Plateaux of Mirror ou sur The Pearl. Il est rare que les trois musiciens opèrent dans le style classique d'un trio de piano jazz encore que ça peut leur arriver par moments : De Belofte Treurwals par exemple possède une introduction plutôt classique avant de basculer dans une rythmique quasi industrielle qui emporter la composition vers d'autres rivages imprévisibles. Mais la plupart du temps, les Beren Gieren préfèrent inventer des univers sonores singuliers en combinant des idées qui fusent dans tous les sens et en travaillant sur de subtiles interactions entre l'électronique et l'acoustique. On ne sait trop d'ailleurs s'il faut les prendre au sérieux ou s'il s'agit d'une forme d'humour au second degré comme le laisseraient supposer certains titres de morceaux, le leitmotiv de l'album semblant apparemment lié à des histoires révélées par des archéologues du futur explorant les vestiges de notre présent. Le résultat est en tout cas aussi intrigant que poétique et renvoie à ce que l'on peut penser et ressentir en se dissolvant lentement dans une peinture abstraite de Kandinsky, de Jackson Pollock ou de Willem de Kooning. On pourrait aussi écrire que la musique de ce trio élude les conventions des musiques improvisées comme l'art abstrait échappe à celles des peintures figuratives. Ce voyage sensoriel qui conviendrait donc parfaitement à l'accompagnement sonore d'une exposition d'art moderne et contemporain fera en tout cas galoper l'imagination de ceux qui en ont, ne serait-ce qu'une once. Sinon, c'est à écouter de préférence toute lumière occultée ! [ We Dug Out Skyscrapers (CD, MP3 & Vinyle) ] [ A écouter : We Dug Out Skyscrapers - Weight Of An Image, live at Robot Studios, Ghent, 2017 ] |
Sketchbook Quartet : When Was The Last Time Vol I (Indépendant), Autriche, 15 avril 2018
1. Ashley (04 :27) - 2. Die Erleuchtung ( 05:50) - 3. Chief Carrot (05:06) - 4. Love And Fear Yourself (04:29) - 5. Spektral (04:16) - 6. Dog Town (03:56) - 7. Bright Moments (04:23) - 8. Moonschiner (07:46) Leonhard Skorupa (saxophone, clarinette, synthétiseur, samples); Andi Tausch (guitare); Daniel Moser (clarinette basse, effets spéciaux); Konstantin Kräutler (batterie). Enregistré au studio Mendt à Vienne en Autriche en juin 2017.
Avec When Was The Last Time Vol. I, le Sketchbook Quartet propose une recette inédite de hamburger pour un résultat déroutant. Devant l'augmentation exponentielle des sorties journalières d'albums, il n'est malheureusement pas possible d'en écouter la plupart, aussi le choix des disques à chroniquer peut se faire sur des critères plus ou moins subjectifs, comme le graphisme de la pochette par exemple. C'est le cas de When Was The Last Time Vol. I qui montre un hamburger de gaze, de tissu éponge, le tout entre deux tranches de pain de mie (dont la recette en images est fournie à l'intérieur de la boîte du CD). Souvent une pochette originale donne un sens à la chronique. Aussi une rapide recherche sur la toile nous apprend que l'origine du hamburger, emblème de la cuisine américaine, est d'origine allemande, de Hambourg plus précisément. L'originalité de l'album est confirmée par le journaliste musical Andreas Felber qui écrit à son sujet « une composition charmante qui vous laisse aspirer à l'inattendu ». Peut-être que l'illumination peut venir à l'écoute de Die Erleuchtung : le début à la clarinette basse de Daniel Moser nous emmène dans une ambiance de film de cinéma muet sur gamme orientale, mais au bout d'une minute tout s'arrête pour laisser place à la guitare qui semble tomber comme un cheveu dans le hamburger. Mais le morceau n'est pas terminé, un rythme impair rappelant la bande originale du célèbre film « Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain » nous envoûte et nous emmène dans des styles musicaux divers : musique contemporaine, jazz, reggae et rock. Mais quel est le sens de cette chronique ? Cette question incite à une l'écoute attentive de l'ensemble des pistes. Le bénéfice en est un plaisir permanent devant l'étendue des styles, rock avec guitare saturée dans Dog Town, ballade dans Bright Moments où les deux souffleurs et la guitare fonctionnent comme un véritable pupitre de cuivres, et même du twist dans Chief Carrot. Le résultat de cette démarche a finalement consisté en une écoute en profondeur de l'ensemble de l'album, ce qui m'évoque la fable de Jean de La Fontaine « Le Laboureur et ses Enfants ». Car à l'instar de cette dernière, le véritable trésor de ce disque résidait bien dans le travail d'audition ... ou, plus exactement, dans le bonheur né par suite de cette écoute en profondeur. [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ When Was The Last Time Vol. I sur Bandcamp ] [ A écouter : Ashley - Sketchbook Quartet live at Südtirol Jazz Festival Alto Adige, 2017 ] |
Shai Maestro : The Dream Thief (ECM), Israël, 28 septembre 2018
1. My Second Childhood (4:39) - 2. The Forgotten Village (6:21) - 3. The Dream Thief (8:29) - 4. A Moon's Tale (2:36) - 5. Lifeline (3:54) - 6. Choral (3:50) - 7. New River, New Water (6:59) - 8. These Foolish Things (Remind Me Of You) (4:24)- 9. What Else Needs To Happen (7:08) Shai Maestro (piano); Jorge Roeder (contrebasse); Ofri Nehemya (drums). Enregistré en avril 2018 à l'Auditorio Stelio Molo RSI, Lugano
Véritable révélation des groupes du contrebassiste Avishai Cohen avec qui il a collaboré sur quatre albums depuis 2006, Shai Maestro vient de sortir son nouveau disque, The Dream Thief. Tous ceux qui l'on vu sur scène interpréter Seven Seas savaient bien qu'un jour, le pianiste creuserait son propre sillon. En fait depuis 2012, Shai Maestro a déjà quatre disques parus sous son nom mais celui-ci, enregistré en avril 2018 et édité par le label ECM, est sans doute l'album de la consécration. Accompagné par le jeune Israélien Ofri Nehemya à la batterie et par le bassiste péruvien Jorge Roeder, Shai Maestro y affiche une approche des plus personnelles en proposant une musique à la fois poétique, élégante, libre, parfois intense et toujours terriblement évocatrice. Le producteur Manfred Eicher n'aura eu en revanche aucun mal à produire cette musique de chambre moderne qui correspond certainement à ses aspirations profondes. The Dream Thief est un album extrêmement brillant qui marque probablement le début d'une longue histoire d'amour entre le pianiste israélien et le producteur allemand. [ The Dream Thief (CD, MP3, Vinyle) ] [ Le site de Shai Maestro ] [ A écouter : The Dream Thief - Shai Maestro, Avishai Cohen, Noam David : Seven Seas, live @ Jazz à la Villette 2018] |
Turbo Niglo : Cinéma Forain (Indépendant), France, 1er décembre 2018
1. Ouverture (1:32) - 2. Muse (4:03) - 3. Course Poursuite à Barbes (6:45) - 4. Marguerite (7:13) - 5. Boloko (1:15) - 6. Norbert (5:08) - 7. Invité Vedette (7:09) Sami Chaibi et Mike Davis (guitares, effets, synthé et percussions électroniques)
Le disque commence par une courte ouverture où l'on entend, à travers les bruits d'un troquet de quartier encombré et bavard, quelques bribes de musique jouées par deux guitaristes. Et soudain, en passant au second titre (Muse), les sons d'ambiance disparaissent et la musique s'envole limpide comme si tout le monde s'était rendu compte en même temps de la présence des musiciens et de la qualité de leur musique. Manouche au départ, le jazz de Turbo Niglo se pare d'électricité et plonge dans le jazz-rock polymorphe sans toutefois abandonner la mélodie tzigane. En fin de morceau, les applaudissements fusent et la vie du troquet reprend son cours. Turbo Niglo, ce sont deux guitaristes, Sami Chaibi et Mike Davis, qui font tout eux-mêmes, composent, jouent et mettent en scène leur musique dans une grande liberté artistique et le nécessaire grain de folie qui va avec. Leur approche est aussi clairement cinématographique en ce qu'elle raconte des histoires. En témoigne Course Poursuite A Barbes, sorte de Breathless parisien où se succèdent divers épisodes de suspense et de frénésie en rapport avec l'intitulé du morceau. Cette plage se fond de manière intelligente dans Marguerite, un titre endiablé et pétri d'effets électroniques qui, d'un côté, fait penser au jazz manouche étourdissant des Doigts De l'Homme mais, d'un autre, s'en écarte pour se rapprocher des expériences sonores d'un groupe de (kraut)rock expérimental. Plus classique dans sa forme au début, Norbert finit lui aussi par abandonner son identité acoustique pour un maelstrom sonore électro qui pour déroutant qu'il soit, n'en est pas moins cohérent. Cet EP de 7 titres et de 33 minutes se clôture sur le morceau le plus long du répertoire : le très réussi Invité Vedette qui bâtit sur le jeu de Django Reinhardt pour délivrer à nouveau une composition virevoltante très originale où les guitares acoustiques sont perfusées d'effets et où les changements de rythmes donnent l'impression que la musique vous file entre les doigts. Turbo Niglo est un duo déroutant et profondément original et leur disque plein de surprises appelle à aller les voir sur scène : il nous laisse en effet très curieux de voir comment le tandem va pouvoir gérer tout ça en direct et en temps réel. [ Cinéma Forain (MP3) ] [ Le site de Turbo Niglo ] [ A écouter : Invité Vedette ] |
François Bernat Quartet : Hommage A La Musique De Miles (Indépendant), France, 12 décembre 2018
1. Milestones (4:49) - 2. Tadd's Delight (3:45) - 3. Miles Ahead (4:56) - 4. But Not For Me (6:11) - 5. Iris (6:11) - 6. Boplicity (4:44) - 7. Little Melonae (4:31) - 8. Deception (5:45) - 9. Madness (5:08) - 10. Blue In Green (4:10) Frédéric Borey (saxophone ténor); François Bernat (contrebasse); Antonino Pino (guitare électrique); Olivier Robin (drums) + Invité : Yoann Loustalot (trompette, bugle). Enregistré au Studio Mesa en mars 2018.
D'Herbie Hancock à Joe Henderson en passant par le World Saxophone Quartet, Cassandra Wilson ou Shirley Horn, les disques en hommage à Miles Davis sont légion. C'est que, depuis son arrivée sur la scène en 1945 jusqu'à à sa mort en 1991, le plus grand des musiciens de jazz a joué avec passion sans jamais cesser de regarder vers l'avenir, façonnant et remodelant le cours de la musique improvisée afro-américaine au-moins une douzaine de fois. Aussi quand un musicien souhaite revisiter son histoire, convient-il d'abord de choisir un des nombreux styles dans lesquels le trompettiste s'est illustré. Délaissant le jazz-rock déjà largement exploité par Marcus Miller, Mark Isham ou Wallace Roney, François Bernat a préféré se fixer sur la période acoustique de Miles qui va de sa collaboration avec Charlie Parker au second quintet avec Wayne Shorter, Herbie Hancock et Tony Williams. Le répertoire de ce disque comprend ainsi dix compositions acoustiques qui furent toutes, à un moment donné, des incontournables du trompettiste. Depuis le bop fringant de Milestones, enregistré par Miles le 14 août 1947 lors de sa première session en leader au côté de Charlie Parker, jusqu'au complexe et virevoltant Madness, enregistré le 23 juin 1967 pour Nefertiti, cet album nous replonge avec délice dans ce qu'on pourrait appeler "le sel" du jazz : des morceaux légendaires dont les thèmes sont à jamais incrustés dans nos mémoires. L'interprétation du quartet conduit par le contrebassiste François Bernat n'est heureusement pas qu'une relecture note à note de ces classiques comme avait pu le faire en 2014 le groupe Mostly Other People Do The Killing avec le disque Kind Of Blue, mais plutôt des versions personnelles dont certaines comme Miles Ahead ou Milestones, font d'ailleurs plutôt penser au superbe So Near, So Far que Joe Henderson avait réalisé en 1993 pour célébrer, lui aussi, la musique de Miles. Le fait que sur sept des 10 morceaux, il n'y a pas de trompettiste, que le principal soliste est un saxophoniste ténor (rôle tenu ici par l'excellent Frédéric Borey connu pour ses excellentes productions sur le label Fresh Sound New Talent), et que c'est un guitariste (Antonino Pino) qui assure les harmonies à la place d'un pianiste, contribue bien entendu à légitimiser cette référence. En tout cas, ça joue de bien belle manière avec beaucoup d'entrain et même d'émotion. A l'écoute, on sent bien que cette musique intemporelle a hanté longtemps ces jeunes musiciens avant qu'ils ne se décident à la restituer à leur manière. Sur trois des dix titres (Iris, Deception et Madness), François Bernat a quand même invité un trompettiste (comment résister ?) mais, surprise, Yoann Loustalot ne joue pas vraiment dans le style de leur mentor. Il a une approche personnelle de l'instrument et, surtout, un son particulier qui interdit toute comparaison. C'est tant mieux car, en tandem avec son complice saxophoniste, il apporte sa part d'originalité à la musique. Quant à la rythmique, elle est parfaite dans son rôle et aussi bien François Bernat que le batteur Olivier Robin ont l'occasion de briller à plusieurs reprises (sur But Not For Me entre autres). Cet Hommage A La musique De Miles Davis plaira bien sûr aux fans de Miles et de Joe Henderson mais saura combler également les amateurs d'un jazz à la fois classique et moderne joué avec autant d'habileté que de sentiment. [ Hommage A La Musique De Miles (CD & MP3) ] [ François Bernat Quartet website ] [ A écouter : Iris ] |
Les News plus anciennes sont toujours en ligne : |
Commentaires et avis sur ce site : livre d'or Contact pour promotion et chronique : @dragonjazz.com |