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La sélection de DragonJazz. Dix CD pour les fêtes : 10 grands albums qui ont ébloui l'année 2007. Offrez-les et soyez assurés que personne n'ira les échanger le lendemain.
- Classique et intemporel Martial Solal : Solitude (Cam Jazz) : On aborde ce disque avec un peu de suspicion. A 80 ans, qu'est-ce que cet immense musicien qui fit l'histoire du jazz européen a encore à dire ? La réponse est vite donnée : en solitaire au piano, l'homme surprend toujours autant. Même si son jeu est plus introspectif qu'autrefois, son phrasé reste imprévisible, sa reconstruction des standards rigoureuse et sa gestion des sons parfaite à l'oreille. En fin de compte, écouter du Solal, c'est un peu comme écouter du Thelonious Monk : leur style singulier et immédiatement reconnaissable est dans les deux cas la transcription musicale d'une manière totalement originale de penser. [ Ecouter / Commander ] - Free / Sampling / Expérimental David Torn : Prezens (ECM) : Prezens est un objet non identifié aux antipodes de tout ce qu'on peut imaginer. C'est un disque d'ambiance pratiquement sans solo ni mélodie, où les sons se superposent, s'entre-déchirent, morphent et se rejoignent en d'infinies variations. En studio, David Torn (guitare électrique et sampling), Tim Berne (sax alto), Graig Taborn (claviers) et Matt Chamberlain (drums) ont improvisé en laissant tourner les bandes. Après, on a coupé, mélangé et reconstruit une oeuvre improbable. Calme, angoisse, désarroi, stridences, sirènes … Paysages électriques, villes nocturnes, lumières diffuses, usines, ports désaffectés, bateaux en partance … les images que fait naître cette musique fracturée sont innombrables et, à chaque écoute, différentes. [ Ecouter / Commander ] - Méditatif Tord Gustavsen Trio : Being There (ECM) : C'est le grand trio de piano jazz de l'année. Le Norvégien joue ses mélodies avec un lyrisme immense qui ramène immanquablement à l'esprit de Bill Evans. Incrustant dans ses phrases lyrisme, silence, spiritualité et un amour immense des grands espaces, Tord Gustavsen rend léger tout ce qu'il touche. En parfaite symbiose avec une rythmique touchée par la grâce, le pianiste tisse avec son public une relation magique, l'attirant dans un rêve qui ne prendra fin qu'à la dernière note de l'ultime plage dont le nom contient tout entier l'atmosphère de ce magnifique opus : Wide Open ! [ Ecouter / Commander ] - Blues Mighty Mo Rodgers : Redneck Blues (Dixiefrog) : Pour un disque de blues, en voici un qui est étrangement varié. C'est que Mighty Mo Rodgers a décidé de retracer l'histoire du blues pour les jeunes générations adeptes du rap. Ceci est son troisième album. Avec beaucoup de poésie et des compositions très personnelles qui s'étendent du blues rural au soul urbain, il donne son avis sur tout en ironisant sur la démocratie américaine. Doué d'un sacré charisme, ce pianiste, chanteur et philosophe à barbe blanche n'est pas loin de rendre au blues, aujourd'hui squatté par les guitares électriques des jeunes virtuoses, une crédibilité aussi étonnante qu'inattendue. [ Ecouter / Commander ] - Mystique et mélancolique Paul Motian : Time and Time Again (ECM) - lire la chronique [ Ecouter / Commander ] - Jazz coloré / Mali Dee Dee Bridgewater : Red Earth - A Malian Journey (Emarcy) : La chanteuse revient avec un album très spécial enregistré au Mali. A la recherche perpétuelle de ses racines comme tous les afro-américains, elle s'est laissée imprégner par la musique locale jusqu'à se l'approprier en compagnie de formidables vedettes maliennes comme Oumou Sangaré, Baba Sissoko et Toumani Diabaté. Du coup son disque s'appelle « Terre Rouge » et sa musique donne au Jazz les couleurs de là-bas. Entre morceaux groovy comme Compared To What ou le superbe Afro Blue et chansons traditionnelles traduites en anglais comme Bad Spirits (Bani) ou Red Earth (Massane Cissé), ça chauffe comme le soleil de Bamako et ça ondule comme les eaux du Niger. [ Ecouter / Commander ] - Fusionnel Medeski Scofield Martin & Wood : Out Louder (Indirecto) : Après le succès de A Go Go sorti en 1997, John Scofield retrouve pour la seconde fois le trio MM&W et la connivence est à nouveau totale dans les genres Rock, Soul et Funk où se sont illustrés séparément l'organiste (et son trio) et le guitariste. Mais beaucoup d'eau est passée sous les ponts en une décennie et Out Louder est tout sauf une redite. Incroyablement varié, cet album passe de la fusion davisienne (Miles Behind) au duel brûlant entre six-cordes et claviers (What Now), de la bossa nova (Tequila and Chocolate) à une ballade de John Lennon (Julia) sans oublier un vieux reggae de Peter Tosh à peine reconnaissable (Legalize It). Un grand fourre-tout quoi ! Mais qu'on écoute en jubilant. [ Ecouter / Commander ] - Moderne Michael Brecker : Pilgrimage (Universal) - lire la chronique [ Ecouter / Commander ] - Frais et évocateur Tricyle : King Size (Homerecords) (Universal) - lire la chronique [ Ecouter / Commander sur Homerecords ] - Hard-Bop Blue Note revisité Stefano Di Battista : Trouble Shootin' (Blue Note) : Voici un disque qui vous replonge instantanément dans la grande époque du Jazz Soul et Funky des années 60. Il en a tous les stigmates. D'abord, c'est édité par le label mythique Blue Note. Ensuite, il y a les sidemen : Baptiste Trotignon (orgue), Russell Malone (guitare), Eric Harland (batterie) et Fabrizio Bosso (trompette) respectivement dans les rôles de Jimmy Smith, Grant Green, Art Blakey et Freddie Hubbard. Et Eric Legnini, que l'on sait dans son élément après ses propres enregistrements infusés au boogaloo, est de la fête au piano. Mais surtout, il y a Di Battista lui-même qui, après ses aventures parkériennes, montre encore une fois quel saxophoniste flamboyant il est. C'est du jazz pêchu à se mettre la nuit avec le volume à fond. [ Ecouter / Commander ] |
Jaco Pastorius : The Essential Jaco Pastorius (Epic / Sony), 2007 Il y a tout juste vingt ans, le 21 septembre 1987, Jaco Pastorius disparaissait au terme d'une ascension fulgurante qui l'avait fait reconnaître par tous comme le plus grand bassiste électrique de l'histoire de la musique populaire, tous genres confondus (Jaco a en effet participé à des enregistrements d'artistes aussi divers que Pat Metheny, Weather Report, Joni Mitchell, Ian Hunter, Al DiMeola ou même Michel Polnareff). Pour célébrer dignement l'anniversaire de sa mort tragique et donner un aperçu de sa véritable dimension, il fallait au minimum un album double et une sélection transversale à travers les méandres de ses nombreuses contributions (ce qui est toujours compliqué vu les droits détenus par les différents labels impliqués). En tout cas, cette compilation éditée par Epic et distribuée par Sony réussit le tour de force de rassembler sur deux disques 27 titres essentiels pour comprendre comment ce bassiste à la présence magnétique transformait tout ce qu'il jouait en une symphonie organisée autour de sa basse fretless. On y trouvera ainsi Bright Size Life enregistré pour ECM en 1975 avec Pat Metheny qui lui offrit sa véritable première chance de briller. Et Jaco a brillé avec une incontestable présence le hissant au même niveau de présence que l'immense guitariste encore inconnu à l'époque. Viennent ensuite sept extraits (sur neuf) de son premier album personnel (Jaco Pastorius, Epic 1976) avec des titres devenus aujourd'hui des standards obligés pour tous les bassistes du monde : Donna Lee de Charlie Parker interprété en duo avec des congas, Come On, Come Over en forme d'hommage à James Jamerson et à la Soul des 60's, l'incroyable Continuum où beauté mélodique et virtuosité technique se côtoient avec bonheur ou le mélancolique Portrait Of Tracy dédié à sa femme. Une large part du répertoire est bien sûr réservée à son passage fulgurant dans le fameux groupe de fusion Weather Report créé par Joe Zawinul et Wayne Shorter : Barbary Coast, Punk Jazz, Teen Town, Havona, Birdland, tous des classiques … sans oublier le fameux Slang sur lequel le bassiste de plus en plus frénétique et incontrôlable s'impose en concert comme le Jimi Hendrix de la basse électrique. Fort heureusement, son passage chez la chanteuse de folk-rock canadienne Joni Mitchell n'est pas occulté : ici, Jaco se fait plus humble en comparaison de ses excès scéniques mais sa musicalité explose et procure une dimension onirique à ces chansons intimistes (Hejira, Talk To Me, The Dry Cleaner From Des Moines). On y trouvera même le superbe 4 A.M. extrait de Mr Hands enregistré en sideman pour Herbie Hancock (Columbia, 1980). Enfin, le disque se termine avec des extraits de son second grand album personnel en studio : Word Of Mouth (Warner Bros, 1981). Jaco s'affirme alors un orchestrateur hors pair et enroule sa basse dans un somptueux big-band, léguant à la postérité des chefs d'oeuvre comme John And Mary, Liberty City ou Three Views Of A Secret. Si vous n'avez encore aucun disque de ce phénomène nommé Jaco Pastorius, tentez le coup avec cette compilation : non seulement le livret est fort bien documenté et le choix des titres judicieux (même s'il manque Blackbird et Chromatic Fantasy), mais surtout, du premier au dernier bit de ces deux compacts, il n'y a rien, absolument rien, à jeter. [ Jaco Pastorius Website ] [ Ecouter / Commander ]
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The Bad Plus : Prog (Heads Up), 2007 Un trio de jazz piano-basse-batterie qui sort un album intitulé Prog est tout ce qu'il faut pour intriguer au plus point un lecteur de Dragonjazz en principe intéressé par deux styles de musique souvent jugés (à tord) incompatibles : le Rock Progressif et le Jazz. Certes, The Bad Plus reste avant tout un trio de piano jazz, mais avec des idées modernes un peu dans l'esprit d'un autre trio similaire : E.S.T. d'Esbjorn Svensson. La comparaison s'arrête là car, à la différence des Suédois, The Bad Plus n'exerce pas dans la mélodie atmosphérique ni dans l'exploration des micro-tonalités : il s'impose par une approche plus musclée en allant chercher dans le Rock une énergie salutaire propre à faire grincer des dents tout puriste de Jazz. Le Prog ici, c'est d'abord une reprise du groupe canadien Rush (Tom Sawyer) passée à la moulinette dans une déstructuration en règle. Toutefois, ceux qui connaissent la composition de Rush seront intéressés à écouter ce que des jazzmen inventifs peuvent en faire et ne seront probablement pas déçus : car le batteur extraordinaire David King, le pianiste Ethan Iverson et le bassiste Reid Anderson partagent la vision commune d'une musique sans oeillères. Les autres reprises n'ont pas grand-chose à voir avec le Rock Progressif mais il n'empêche que Life On Mars de David Bowie est grandiose et que Everybody Wants To Rule The World de Tears For Fears, interprété sobrement avec une incommensurable légèreté, est l'un des moments les plus séduisants de l'album. Mais le meilleur réside peut-être finalement dans leurs propres compositions : Thriftstore Jewelry, Giant, Mint, Physical Cities et 1980 World Champion mettent en évidence la qualité des musiciens, leur technique et cette étonnante faculté à fusionner mélodies Rock et improvisations Jazz tout en faisant morpher les tempos. Faut-il dès lors s'étonner si l'album est co-produit par Tony Platt, ingénieur du son (ici superbe) et producteur de groupes à haut indice d'octane comme Iron Maiden, Krokus, Motörhead, Gary Moore, Cheap Trick, ou Marillion. Ce disque ne rentre certainement pas dans la catégorie du Rock Progressif avec ses limites et ses canons tels qu'on les connaît mais par contre, il s'agit bien d'un véritable album de Prog-Jazz au sens où l'on y refuse systématiquement de se conformer au classicisme et aux conventions du genre : Wynton Marsalis n'aimera pas ça mais Frank Zappa lui, aurait probablement apprécié. [ The Bad Plus Website ] [ Ecouter / Commander ] NB. Il est possible de télécharger, gratuitement et légalement, deux titres de l'album Prog sur le site de Stereogum : Tom Sawyer (Rush Cover) et Physical Cities |
Pilgrimage (Heads Up/Verve, 2007) est l'ultime album enregistré par celui qui restera comme l'un des saxophonistes les plus doués et les plus ouverts du jazz moderne. Car Michael Brecker est aussi connu des puristes du Jazz que des amateurs de Rock, Blues, Soul ou Fusion pour sa participation à des albums légendaires comme Live In New York de Frank Zappa (Warner, 1976), Agents Of Fortune de Blue Oyster Cult (Columbia, 1976), Mind Games de John Lennon (Apple, 1973), Berlin de Lou Reed (RCA, 1973), A Street Called Straight de Roy Buchanan (Atlantic, 1976), Shadows And Light de Joni Mitchell (Asylum, 1980), Chaka de Chaka Khan (Warner, 1978), le premier album de Average White Band (Atlantic, 1974), Crosswinds de Billy Cobham (Atlantic, 1974), The Promise de John McLaughlin (Verve, 1975), Jaco de Jaco Pastorus (Epic, 1975), The Brecker Brothers (Arista, 1975) et bien d'autres. Doté d'une technique extraordinaire et d'un goût immodéré pour la perfection, la seule présence de son nom sur une pochette (et il figure sur plus de 800 disques) était déjà en soi une garantie de qualité. Mais, à côté de ces contributions pléthoriques, il y a bien sûr les opus qu'il a enregistrés sous son nom. Et là, comme il n'a commencé qu'à l'âge de 38 ans à se construire une discographie personnelle, le nombre de disques est nettement plus réduit : une dizaine en tout enregistrés entre 1986 et 2007. Tous sont brillants et témoignent du talent d'un musicien qui eut une influence considérable sur la plupart des jeunes saxophonistes amateurs ou professionnels du monde entier. Ceux à écouter en priorité ? Le fabuleux premier CD sans titre (Michael Brecker, Impulse!, 1987) en quintette avec Pat Metheny (gt), Charlie Haden (b), Jack Dejohnette (dr) et Kenny Kirkland au piano ; le quatrième (Tales From The Hudson, Impulse!, 1996) avec Joey Calderazzo (p) et Dave Holland (b) en remplacement de Kirkland et Haden ; le sixième (Time Is Of The Essence, Verve, 1999) avec Larry Goldings à l‘orgue, Pat Metheny à la guitare et Elvin Jones à la batterie sur trois titres qui pousse Brecker à jouer avec l'intensité d'un John Coltrane et enfin, ce dernier disque inespéré, enregistré dans une courte plage de temps où cela était possible. Atteint d'un désordre sanguin qui l'affaiblissait de jour en jour, Brecker a quand même trouvé la force pour exprimer une dernière fois sa passion de la musique et il l'a fait en compagnie de musiciens exceptionnels : Pat Metheny et Jack DeJohnette (les sidemen de la première heure), Herbie Hancock ou Brad Mehldau au piano et John Patitucci à la basse. Inutile de chercher l'impact de la maladie sur ces enregistrements : il n'y en pas ! Le son de Brecker est immédiatement reconnaissable et aussi impressionnant qu'autrefois. Les interplays sont inspirés et les solos du maître époustouflants. De plus, et pour la première fois, les neuf titres sont des compositions originales écrites par le leader. Bien sûr, la tentation existe d'écrire que la dernière production d'un géant, surtout si sa parution est posthume, est sa meilleure. Le temps le dira peut-être mais ce sera de toute façon subjectif. Une chose est sûre toutefois : Pilgrimage est un album puissant et généreux qui n'a rien à rendre à ses prédécesseurs et qui conclut de façon magistrale la discographie personnelle de ce grand homme qu'était Michael Brecker. [ Ecouter / Commander ]
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Deux groupes, deux disques, chacun avec un guitariste doté d'un angle personnel dans l'approche des mélodies, des harmonies et des climats ... Mais, à l'arrivée, les résultats sont fort différents.
Metheny Mehldau Quartet (Nonesuch), 2007 Après une première collaboration en duo qui faisait l'objet du compact plutôt décevant paru chez Nonesuch l'année dernière, Pat Metheny et Brad Mehldau remettent ça et incorporent cette fois Larry Grenadier à la basse et le batteur Jeff Ballard (en fait le trio de Brad Mehldau au complet quoique si l'album précédent offrait huit morceaux en duo sur dix, celui-ci n'inclut par contre que sept titres strictement en quartet sur onze : allez comprendre !). On se dit que les duels entre les deux leaders seront peut-être un peu plus explosifs. Et bien non, on peu franchement écrire que si ça plane beaucoup, ça ne décolle que rarement. On reste sur sa faim avec les titres languissants : solos charmants, harmonies sereines, mélodies lyriques … On attend plus de deux musiciens de ce calibre. Bien sûr, l'interaction entre les deux leaders est éblouissante et, dans les moments les plus combustibles, on apprécie la complémentarité de leur jeu et le travail d'orchestration : Towards The Light ou Fear And Trembling par exemple raniment ainsi rapidement la flamme. Sur la durée, on s'ennuie quand même un peu : guitare et piano composent une dynamique limitée qui, malgré la perfection des échanges, engendre une certaine lassitude. Peut-être la prochaine fois, devraient-il penser à s'adjoindre un saxophone pour réveiller l'auditeur ensommeillé par tant de délicatesse et s'extraire eux-mêmes d'un lyrisme trop complaisant. [ Ecouter / Commander ] Paul Motian - Bill Frisell - Joe Lovano : Time And Time Again (ECM), 2007 L'histoire de ce trio, qui comprend Paul Motian à la batterie, Joe Lovano au saxophone ténor et le guitariste Bill Frisell, est ancienne puisqu'elle remonte à 1984 avec l'enregistrement pour le label munichois ECM de It Should've Happened A Long Time Ago. Après l'excellent I Have The Room Above Her (ECM) paru en 2005, le dernier opus en date surprend toujours autant par son étonnante palette de couleurs et de textures. Ces compositions, quasi toutes écrites par Motian, enveloppent l'esprit plus qu'elles ne se laissent écouter. Les accords étranges de Frisell créent une nouvelle dimension sonore à laquelle le batteur donne vie par ses incessants glissements de rythmes et dans laquelle Lovano s'insinue sur la pointe des pieds avec lyrisme et retenue. Contrairement à ce qui se produit pour le disque de Metheny & Mehldau, l'esprit de l'auditeur reste ici constamment en éveil, à l'affût de ces microscopiques subtilités dont il ne veut rater aucune bribe. Même Light Blue, une reprise de Thelonious Monk interprétée sur un tempo ralenti, révèle une façon spéciale d'appréhender un thème, quelle que soit sa complexité, et sans pour autant trahir le Blues du compositeur original. Voici une musique diaphane en perpétuelle reconstruction, passionnante de bout en bout, et qui remplit le coeur de ceux qui l'écoutent d'une rare et vaste mélancolie. [ Ecouter / Commander ] |
Eric Legnini trio : Big Boogaloo (Label Bleu), 2007. Big Boogaloo aurait pu être enregistré en même temps que Miss Soul. Edité une nouvelle fois chez Label Bleu, il en est le prolongement direct avec douze nouveaux titres (dont sept compositions écrites par le leader) dans le même style Hard Bop funky. Outre Eric Legnini au piano, le trio est composé de l'excellent batteur Franck Agulhon et de deux contrebassistes intervenant en alternance : le très professionnel Rosario Bonaccorso au groove infaillible et Mathias Allamane, plus jeune et plus chantant. En plus, le pianiste a eu la bonne idée de faire appel sur quelques titres à deux formidables souffleurs : Stéphane Belmondo à la trompette et au bugle que l'on sait parfaitement apte à s'intégrer dans un tel contexte et Julien Lourau au saxophone ténor, un choix au départ moins évident mais qui se révèle finalement tout aussi judicieux. Si Miss Soul était plus ou moins dédié au pianiste méconnu Phineas Newborn, cet album l'est plutôt à l'un des grands artisans du Jazz Soul : le pianiste et chanteur Les McCann dont le fameux Compared To What, enregistré en compagnie du saxophoniste Eddie Harris au festival de Montreux de 1968, est encore dans toutes les mémoires. The Preacher et Goin' Out Of My Head sont là pour lui rendre hommage. Legnini s'amuse manifestement comme un fou à faire revivre la belle époque de Blue Note mais il garde aussi un oeil ouvert sur le présent et n'hésite pas avec Funky Dilla à saluer en passant le producteur de rap Jay Dilla récemment disparu. Quant au titre éponyme, c'est déjà un tube, une de ces compositions aussi immédiatement prenantes que le Sidewinder de Lee Morgan. Indissociable de l'album précédent, Big Boogaloo réjouira une nouvelle fois les amateurs de Jazz groovy et funky. Bon, il y a bien quelques critiques atrabilaires qui font la moue en écrivant que Legnini répète sa formule et que son prochain album aurait intérêt à être différent. Franchement, qui s'en soucie ? Aujourd'hui, c'est celui-ci qui compte et il plane au-dessus de tout ce qu'on a pu rêver comme suite à Miss Soul. Si Alfred Lion avait eu ce trio là dans son écurie au tournant des années 50 et 60, il leur aurait fait enregistrer un disque tous les mois. [ Ecouter / Commander ]
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Junior Wells : Live At Theresa's 1975 (Delmark), 2006. Le Theresa est une taverne du South Side de Chicago. C'est dans cette cave que se retrouvaient les amateurs de Blues authentique et la légende raconte que les Rolling Stones y seraient un jour descendu pour jammer avec les musiciens locaux. A chaque fois qu'il était de passage à Chicago, Junior Wells y tenait ses quartiers et ce depuis la fin des années 50. Là, à même le sol, dans un coin de la pièce enfumée et décorée par des guirlandes électriques, Wells jouait devant une audience de moins de cinquante personnes. Par chance, deux soirées furent enregistrées en 1975 pour une radio locale et partiellement diffusées sur la station WXRT. A l'époque, le chanteur harmoniciste était accompagné d'une basse et d'une batterie, composant une solide section rythmique, ainsi que par deux guitaristes : Byther Smith (1-10) ou bien Sammy Lawhorn (12-19) ainsi que le frère de Buddy Guy nommé Phil (un guitariste honorable avec un style plus funky que celui de son célèbre aîné). Devant un public tardif, Wells et son groupe interprètent de façon presque informelle un répertoire typique incluant quelques uns de leurs grands classiques : Little By Little, Key to the Highway, Scratch My Back, Love Her With A Feeling, Goin' Down Slow et le Juke de Little Walter … Ca balance tout du long avec des moments d'adrénaline quand on reconnaît le brûlant Messin' With The Kid ou cette fabuleuse version de Come On In This House. Le label Delmark, qui réédite ces bandes, a privilégié l'ambiance qui régnait au Theresa et c'est ce lien unique tissé entre l'artiste et son public, palpable pendant la musique et encore davantage pendant les interventions parlées entre les morceaux, qui rend ce disque inoubliable. Le son est évidemment un peu vaseux à cause de l'acoustique médiocre et il y a bien quelques dérapages causés par la fatigue ou par autre chose, mais qu'importe, c'est du Blues et du vrai. Le Theresa's Lounge a été fermé par les autorités de la ville en novembre 1983 pour une histoire compliquée de licence et de location : sa propriétaire Theresa Needham, alors âgée de 72 ans, était considérée par les musiciens comme la mère du Blues dans la Cité des Vents. Ce disque est aussi un hommage qui lui est dédié. [ Ecouter / Commander ]
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John Coltrane : Fearless Leader (Prestige), 2006. Pour célébrer ce qui aurait dû être le quatre-vingtième anniversaire de John Coltrane, paraît un superbe coffret reprenant 48 enregistrements en leader de Coltrane pour Prestige, le label fondé par le producteur Bob Weinstock. Il ne s'agit pas d'une intégrale : deux autres coffrets sont prévus ultérieurement qui reprendront les disques manquants comme Dakar ainsi que les enregistrements réalisés en sideman. Gravées entre mai 1957 et décembre 1958, ces plages n'ont évidemment rien à voir avec les Giants Steps, My Favorite Things et autres Love Supreme qui viendront plus tard (sur les labels Atlantic et Impulse! - confer la page réservée à Coltrane) mais elles n'en sont pas moins intéressantes : certes chez Prestige, Coltrane se cultive encore au saxophone ténor (il ne jouait pas de soprano à l'époque) et se cherche un style en compagnie de partenaires talentueux comme les pianistes Red Garland et Mal Waldron, le bassiste Paul Chambers, les trompettistes Donald Byrd, Wilbur Harden et Freddie Hubbard ainsi que les batteurs Arthur Taylor, Albert Heat, Louis Hayes et Jimmy Cobb mais, pour plus conventionnelle qu'elle soit, sa musique s'envole d'ores et déjà au-dessus du commun et s'avère en soi un véritable régal pour les mélomanes. Alors, ça boppe, ça swingue et ça s'étend aussi à l'occasion avec lyrisme sur des ballades romantiques ! Et parfois, quand le ténor dérape sur un glissement tonal, on a l'impression que Coltrane a trouvé sa voie. Si vous ne possédez aucun des albums repris ici (soit Coltrane, Traneing In, Soultrane, Lush Life, Settin' The Pace, Standard Coltrane, Stardust, The Believer, Black Pearls, Bahia et The Last Trane), ce coffret est une aubaine car en plus des six compacts offrant une remastérisation sérieuse en 24 bits des morceaux classés par ordre chronologique, vous y trouverez aussi un livret de 64 pages comprenant des photographies rares de Coltrane, les pochettes et les textes originaux des albums ainsi qu'une discographie soigneusement commentée et d'autres notes intéressantes écrites par les historiens Richard S. Ginell et Lewis Porter (auteur de l'incontournable biographie : John Coltrane, His Life and Music). On notera que ce coffret n'offre aucune prise alternative mais en existe-t'il ? Weinstock avait en effet l'habitude de décourager les répétitions et de rembobiner la bande après une prise jugée mauvaise, effaçant ainsi toutes les versions autres que celle choisie pour l'édition de l'album. [ Ecouter / Commander ]
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