Retrouvez sur cette page une sélection des grands compacts, nouveautés ou rééditions, qui font l'actualité. Dans l'abondance des productions actuelles à travers lesquelles il devient de plus en plus difficile de se faufiler, les disques présentés ici ne sont peut-être pas les meilleurs mais, pour des amateurs de jazz et de fusion, ils constituent assurément des compagnons parfaits du plaisir et peuvent illuminer un mois, une année, voire une vie entière.
A noter : les nouveautés en jazz belge font l'objet d'une page spéciale. |
Christian Scott Atunde Adjuah : Stretch Music (Ropeadope), USA 2015 (Ropeadope), USA 2015
Sunrise In Beijing (5:04) - TWIN (4:15) - Perspectives (4:22) - West Of The West (8:07) - Liberation Over Gangsterism (4:09) - The Corner (1:34) - Of A New Cool (7:34) - Runnin 7's (2:07) - Tantric (4:24) - The Last Chieftain (7:11) - The Horizon (2:10) - Durée Totale : 50'57" Christian Scott aTunde Adjuah (tp, Sirenette, bugle inversé); Elena Pinderhughes (fl); Braxton Cook (as); Corey King (tb); Cliff Hines (gt); Lawrence Fields (piano, Fender Rhodes); Kris Funn (b); Corey Fonville (dr : 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10); Joe Dyson Jr. (Pan African drums : 1, 2, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11); Matthew Stevens (gt : 4, 5, 7, 10); Warren Wolf (vib : 3, 7) Le jazz du trompettiste néo-orléanais Christian Scott est moderne comme peut l'être celui d'une Esperanza Spalding par exemple: il élargit considérablement le spectre habituel de cette musique jusqu'à la rendre à nouveau dansante sans pour autant tomber dans les clichés éculés du funk. Cette vision qu'il développe sur son site, est bien résumée dans le titre de cet album : Stretch Music. C'est à peine si l'on songe parfois à Don Cherry (sur Twin) ou à une fusion davisienne (West Of The West ou Perspectives à cause de la sourdine) car, globalement, cette musique, au carrefour du jazz, des rythmes africains, d'un hip hop chimérique et d'un rock alternatif à la Radiohead, est sienne, un pied dans l'époque et l'autre dans le futur. Les effets spéciaux et distorsions ainsi que le recours du leader à des sonorités inusitées (par l'intermédiaire de nouveaux instruments conçus par lui comme le bugle inversé ou la sirenette) ne sauraient occulter ni son talent de trompettiste, ni la redoutable efficacité de sa formation où chacun a l'occasion de briller. Il faut ainsi écouter le guitariste Matthew Stevens dans des solos non conventionnels sur The Last Chieftain et surtout ses saisissants trémolos sur West Of The West; les couleurs africaines des rythmes combinés de Joe Dyson Jr. Et de Corey Fonville qui s'entrechoquent sur Twin et sur Runnin 7's; le pianiste Lawrence Fields et Warren Wolf invité au vibraphone sur le magnifique Of A New Cool; sans oublier Christian Scott lui-même dans une incroyable conversation latine avec sa propre personne sur Twin. Et puis, telle une cerise sur le sucre glacé, il y a cette flûte magique jouée sur Sunrise In Beijing et sur Liberation Over Gangsterism par un elfe surgi de nulle part: on n'a pas non plus fini d'entendre parler de la jeune Elena Ayodele Pinderhughes dont le plus beau fait d'armes est pour l'instant d'avoir enregistré avec les deux plus grands trompettistes actuels : Christian Scott et Ambrose Akinmusire. On peut s'étonner que le plus grand magazine de jazz d'expression francophone mette successivement à la une Frank Zappa et Jimi Hendrix, deux anciennes gloires certes bien méritantes mais surexposées, alors que des artistes émergeants aussi novateurs que Christian Scott gagneraient à être davantage médiatisés et analysés en profondeur. [ Stretch Music (CD & MP3) ] [ A écouter : Sunrise In Beijing (feat. Elena Pinderhughes) - TWIN - The Corner / Of A New Cool / Runnin 7's ] |
Ambrose Akinmusire: The Imagined Savior Is Far Easier To Paint (Blue Note), 2014
Marie Christie (3:17) - As We Fight (6:25) - Our Basement (6:29) - Vartha (7:49) - Memo (5:53) - The Beauty of Dissolving Portraits (4:14) - Asiam (6:04) - Bubbles (3:55) - Ceaseless Indexhaustible Child (6:12) - Rollcall for Those Absent (3:39) - J.E. Nilmah (5:13) - Inflatedbyspinning (3:04) - Richard (Conduit) (16:28) - Durée Totale : 68'40" Ambrose Akinmusire (tp, keyboards); Walter Smith (ts); Sam Harris (p); Harish Raghavan (b); Justin Brown (dr); Charles Altura (gt: 2, 4, 5, 8, 11); Elena Penderhughes (fl: 6); + Osso String Quartet et chanteurs. Il faut du temps pour appréhender une œuvre comme celle-ci, non conventionnelle, foisonnante et ambitieuse. Mais une année passée à en parcourir les arcanes confirme à la longue les attentes projetées sur ce disque. Si la formation de base de cet album reste son quintet comprenant le saxophoniste Walter Smith, le pianiste Sam Harris, le batteur Justin Brown, et le bassiste Harish Raghavan, Ambrose Akinmusire a aussi fait appel à un guitariste (Charles Altura), trois chanteurs, et un quatuor à cordes en plus de la flûtiste qui monte, Elena Penderhughes, sur un titre. Le résultat est un maelstrom de styles divers où l'on passe d'un duo tourmenté de piano et trompette (Marie Christie) à une musique de chambre contemporaine dans laquelle le leader pose sa trompette sur les cordes du Osso String Quartet (The Beauty Of Dissolving Portraits), avant de découvrir le chant émotionnel d'Asiam ou de suivre les lignes sinueuses d'un post-bop abstrait (Bubbles). Manifestement, Akinmusire accorde autant d'importance au travail d'écriture qu'à l'interprétation, par ailleurs époustouflante. Il arrive même, comme sur Inflatedbyspinning, qu'il ne joue pas du tout sur l'une de ses compositions confiée alors entièrement au quatuor à codes. Le leader accorde également une grande importance au message poétique ou social véhiculé par sa musique comme en témoigne les intitulés de des disques et de ses chansons. Sur Rollcall For Those Absent, un petite fille (Muna Blake, la fille du batteur Johnathan Blake) déclame, sur un fond solennel joué aux claviers par Akinmusire, la liste des jeune Afro-américains tués par la police (incluant Trayvon Martin dont l'assassinat à 17 ans par un gardien privé a été abondamment médiatisé) tandis que sur Ceaseless Inexhaustible Child, la voix pleine de soul de la Canadienne Cold Specks raconte en une sorte de gospel hanté la désespérante histoire d'une jeune prostituée emprisonnée à vie pour meurtre à l'âge de 16 ans. Enfin, le disque se clôture sur quelque chose d'encore différent : Richard (Conduit) est une sorte de jam session de plus de 16 minutes captée live, entre post-bop, jazz modal et free, où chacun à l'occasion de bander ses muscles. Toutefois, j'avoue aujourd'hui zapper régulièrement ce dernier titre qui paraît déplacé dans un recueil aussi cohérent et minutieusement réfléchi dont la durée, sans lui, s'étend déjà sur plus d'une heure. Encore une fois, cet album n'est pas destiné à être passé en musique de fond. Comme pour un bon livre, il faut lui accorder 100% de son attention si l'on veut en explorer tous les recoins et profiter de son abondante richesse. [ The Imagined Savior Is Far Easier to Paint (CD & MP3) ] [ A écouter : As We Fight - Our Basement ] |
Danilo Pérez - John Patitucci - Brian Blade : Children of the Light (Mack Avenue Records), 2015
Children of the Light (6:54) - Sunburn and Mosquito (4:34) - Moonlight on Congo Square (5:01) - Lumen (4:26) - Within Everything (3:21) - Milky Way (3:40) - Light Echo/Dolores (9:49) - Ballad for a Noble Man (In Memory of Doug Sommer) (4:32) - Looking for Light (5:33) - Luz del Alma (2:38) - African Wave (5:25) - Durée Totale : 55'54" Danilo Pérez (piano); John Patitucci (basse); Brian Blade (batterie) Ils ont été les trois quarts du quartet de Wayne Shorter pendant plus d'une décade et, aujourd'hui, ils forment un trio de piano qui excite la curiosité avant même d'en avoir entendu une seule note. Et on n'est déçu au moment de l'écoute tant ces morceaux de musique, qui combinent composition et improvisation en un processus spontané nommé par eux "comprovisation", sont lumineux. Un terme qui convient particulièrement à un disque portant le nom Children Of The Light et dont quasiment tous les titres font référence à la lumière. Mais "The Light" c'est bien sûr Wayne Shorter à qui ce disque est dédié, l'homme qui fut si longtemps leur mentor et dont-ils se considèrent comme les fils spirituels: Children Of The Light renvoie d'ailleurs à Children Of The Night, un titre de Shorter datant de 1961 qui figure sur l'album Mosaic d'Art Blakey et les Jazz Messengers. Si l'on excepte Dolores repris du songbook de leur ancien patron, toutes les nouvelles compositions sont de la plume des trois musiciens, Pérez se taillant la part du lion avec sept nouveaux thèmes qui sonnent déjà comme des standards modernes. Qu'il joue en acoustique ou sur un "Yamaha electric" comme sur Lumen, Pérez captive par son jeu fluide, inventif et d'une grande clarté. Blade n'a apporté qu'une seule composition mais elle est magnifique: Within Everything est tellement chantant qu'on souhaite que quelqu'un écrive vite des paroles à mettre dessus. Quant à Patitucci, auteur de trois titres, son Milky Way, aussi grandiose que son titre l'annonce, est cosmique tandis que Moonlight On Congo Square est emprunt d'un mystère sous-jacent lié à ce lieu mythique de la Nouvelle Orléans. Ensemble, ces trois là ne révolutionnent pas le trio de piano mais, quoi qu'ils jouent, grâce à une absence de bavardage, de prétention et de maniérisme qui sévissent parfois dans d'autres formations du même acabit, ça fonctionne avec allégresse. Wayne peut être satisfait de sa guidance : les enfants de la lumière en ont fait bon usage ! [ Children Of The Light (CD & MP3) ] [ A écouter : Children of the Light: The Making of the Album - Light Echo / Dolores ] |
John Scofield : Past Present (Impulse!), USA 2015
Slinky (7:10); Chap Dance (5:21); Hangover (6:34); Museum (6:30); Season Creep (5:04); Get Proud (5:21); Enjoy The Future (5:23); Mr. Puffy (5:02); Past Present (6:04) - Durée Totale : 52'25" John Scofield (gt); Joe Lovano (sax); Larry Grenadier (b); Bill Stewart (dr) Un premier album pour le mythique label Impulse!, ça compte … même quand on est l'un des guitaristes les plus appréciés du jazz. Scofield l'a intitulé Past Present, un titre révélateur puisque ce disque en trio est en fait une réactivation de son quartet sans piano avec Joe Lovano qui, au début des années 90, sortit dans la foulée trois albums séminaux sur Blue Note : Meant To Be, Time On My Hands et What We Do. Si le bassiste initial Marc Johnson a été remplacé par Larry Grenadier, la musique, elle, est toujours aussi variée et colorée. Elle retrouve instantanément les ambiances de ces disques-là en tirant comme hier sa substance de tous ces genres de musique afro-américaine dont on sait le guitariste friand: la fusion, la soul, le blues, et bien sûr le hard-bop qui, à la base, brassait déjà tout ça. Les neuf nouvelles compositions sont toutes mémorables même si elles ne remettent jamais en question le style Scofield désormais aussi unique qu'universellement connu. Les mélodies accrochent, la guitare parfois rendue sale par une saturation volontaire brode des lignes contagieuses, et Lovano, qui en oublie toute velléité avant-gardiste, souffle un jazz body et soul avec une chaleur et une sensibilité intérieure à faire pâlir de jalousie le grand Stanley Turrentine lui-même. Voici une musique féline et décomplexée qui s'abreuve à la source du groove et qui, dans un monde idéal, devrait tourner en rotation lourde sur toutes les chaînes FM. Scofield n'a pas raté son entrée sur le label créé en 1960 par Creed Taylor mais qui en doutait ? [ Past Present (CD & MP3) ] [ A écouter : Past Present (teaser) ] |
Julian Julien : Terre II (A Bout de Son), France 2015
Prélude (2:55) - Terre II (3:31) - Iris I (1:38) - Ailleurs (4:34) - Iris II (1:55) - Iris III (2:48) - Une attente (4:18) - Iris IV (3:06) - Doudou (3:22) - Iris V (3:07) - Non-Sens (7:56) - Iris VI (1:14) - Mr John Barry (4:41) - Durée Totale : 44'55" Julian Julien (composition, programmation, arrangement, production) + invités D'après son titre, Terre II se veut une séquelle à l'album Terre sorti en 2000, un disque éclectique pour ne pas dire inclassable fusionnant musique de chambre, jazz et influences diverses glanées dans toutes les parties du monde. Constitué de 13 morceaux relativement courts (tournant pour la plupart autour de trois ou quatre minutes), le répertoire de Terre II obéit au même syncrétisme en offrant des sons apaisés et évocateurs qu'on n'aura d'ailleurs aucun mal à coller sur des images (similaires entre autres à celle de la superbe photographie illustrant la pochette de l'album). Proches de certaines expériences développées autrefois par Brian Eno, Jon Hassell, ou Moebius et Roedelius, les textures de cette musique sont toutefois beaucoup plus riches que si elles n'avaient été conçues que sur des synthés. On ressent en effet la présence permanente d'instruments acoustiques comme la flûte, la clarinette ou le violoncelle tandis qu'au fil des plages émergent des improvisations diverses rappelant les liens étroits que Julian Julien entretient avec le jazz et la fusion (confer le disque Surrané de son autre projet Fractale).
Ecoutez par exemple Prélude et le titre éponyme qui lui succède : ils constituent une pièce unique dont la solennité est tempérée par un rythme lancinant sur lequel se développent des interventions entrelacées de saxophone (Michaël Havard) et de clarinette basse (Rémi Dumoulin). L'homogénéité de cette musique est incontestable et témoigne du véritable travail de "direction musicale" réalisé par Julian. Le même principe est appliqué sur le magique Non Sens qui bénéficie en outre d'un fantastique solo de cornet par Médéric Collignon, lui-même grand prêtre des collisions musicales en tous genres. C'est toutefois la suite Iris, constituée de six sections réparties de manière disjointe sur le disque, qui constitue le véritable cœur de ce disque. Mystérieuse, sombre parfois, la musique suggestive s'ouvre aux grands espaces en installant une poétique onirique entre ciel et terre qui n'est pas sans rappeler certaines œuvres contemplatives du trompettiste Mark Isham. Et puis, il y a ce finale intitulé Mr John Barry, dédié au compositeur des bandes sonores de James Bond mais aussi d'Out Of Africa et de Macadam Cowboy, qui rappelle et confirme le potentiel de la musique de Julian Julien en tant qu'amplificateur émotionnel d'un visuel quelconque. Mais ceci dit, même sans image, Terre II reste un excellent album qui se suffit à lui-même et dont la profondeur est apte à séduire sans peine tout amateur de voyage intérieur!. [ Terre II sur le site de Julian Julien ] [ A écouter : Iris I - Iris III ] |
Joe Locke : Love Is A Pendulum (Motéma), 2015
Variation On Wisdom (2:08) - Love Is the Tide (11:37) - Love Is a Planchette (7:54) - Love Is a Pendulum (8:44) - Love Is Letting Go (4:52) - Love Is Perpetual Motion (10:37) - For Jesse Mountain (5:45) - Last Ditch Wisdom (6:43) - Embrace (7:44) - Durée Totale : 66'14" Joe Locke (vibraphone); Robert Rodriguez (piano); Terreon Gully (batterie); Ricky Rodriguez (basses acoustique et électrique); Rosario Giuliani (saxophone alto: 2, 5-8, saxophone soprano: 4); Donny McCaslin (saxophone ténor: 6, 7); Victor Provost (steel pan: 6, 9); Theo Bleckmann (voix: 3); Paul Bollenback (guitare: 1, 7). Plus de trente années de musique ont fait du vibraphoniste américain Joe Locke l'un des maîtres de l'instrument sans pour autant que sa renommée n'égale celle de Gary Burton ou même de Stefon Harris. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir enregistré au cours de sa carrière quelques excellents disques mettant en relief sa fabuleuse technique et la diversité de son art (Live In Seatle de 2006 et Signing de 2012 sont particulièrement recommandés). Love Is A Pendulum devrait remédier à cela car ce nouvel album démontre mieux encore la profondeur de sa musique et l'originalité des compositions de ce Bobby Hutcherson moderne. Le cœur du répertoire est une suite éponyme de 44 minutes en cinq parties (qui commencent toutes par Love Is) basée sur un poème de la chanteuse et auteure newyorkaise Barbara Sfraga. Bien que sans paroles, cette suite aussi ambitieuse que sophistiquée parvient à lever des émotions diverses grâce à des mélodies originales et des changements inattendus d'atmosphère, parfois au sein d'un même titre, qui vont de pair avec une tension entre les passages lyriques et toniques, sans oublier le son cristallin des lames qui vibrent sous les quatre mailloches tenues par des mains expertes. Entre ballades (For Jesse Mountain et Embrace) et post-bop endiablé (Last Ditch Wisdom), le reste est a la hauteur. Il faut dire que Locke est secondé par un trio exceptionnel où l'on épinglera la frappe énergique et ultra précise, digne d'un Antonio Sanchez, du batteur Terreon Gully, également coproducteur avec Locke de l'album, et le piano versatile de Robert Rodriguez qui paraît savoir tout faire. Et c'est sans parler des invités comme le guitariste Paul Bollenback et les saxophonistes Rosario Giuliano (alto et soprano) et Donny McCaslin (ténor) qui, vu l'espace qu'ont leur a laissé, font bien plus qu'étendre la palette sonore. Love Is A Pendulum est un bien bel album qui demande certes un peu de temps pour en pénétrer toutes les arcanes et les subtilités mais qui, par la suite, récompense largement l'investissement consenti. [ Love Is A Pendulum (CD & MP3) ] [ A écouter : Love Is A Pendulum (Album Teaser) - Love Is A Pendulum (Official EPK) - Last Ditch Wisdom live at New York City Winter Jazz Festival 2015 ] |
Gary Peacock Trio : Now This (ECM), 2015
Gaia (6:39) - Shadows (5:00) - This (5:42) - And Now (4:31) - Esprit de Muse (6:13) - Moor (5:13) - Noh Blues (5:45) - Christa (4:39) - Vignette (4:54) - Gloria’s Step (3:56) - Requiem (4:47) - Durée Totale : 57'55" Marc Copland (piano); Gary Peacock (contrebasse); Joey Baron (batterie) Keith Jarrett a confirmé la fin de son fameux Standard Trio tandis, que dans une interview récente pour Jazz Magazine, il justifiait cette séparation par des problèmes d'audition handicapant de plus en plus la contribution de Gary Peacock. Le moins qu'on puisse écrire est que ça n'est pas du tout apparent à l'écoute de ce magnifique album qui voit le contrebassiste renouer, après ses fructueuses collaborations avec Bill Evans, Paul Bley et Keith Jarrett, avec la formule du trio de piano cette fois en qualité de leader. Enregistré à Oslo en 2014, le répertoire revisite le passé de Peacock en offrant de nouvelles versions de quelques unes de ses compositions comme Moor (Paul Bley with Gary Peacock, 1970), Requiem (Voices, 1971), Gaya (Oracle, 1993) et surtout Vignette, ce chef d'œuvre fragile de finesse mélodique qui ouvrait l'album Tale Of Another (ECM, 1977 - En fait le véritable acte de naissance du Standard Trio de Keith Jarrett). Sans tabler sur l'osmose télépathique d'un trio au long cours, cette nouvelle formation, incluant le pianiste Marc Copeland et le batteur Joey Baron, fait plutôt circuler les idées, exacerbant les échanges entre les trois hommes qui prennent des solos de toute beauté. Le répertoire comprend des pièces éthérées comme Gaia, Shadows qui s'inscrivent parfaitement dans l'esthétique ECM, mais d'autres sont plus alertes (Vignette, Requiem) ou complexes, allant même jusqu'à receler de légères et subtiles dissonances (Esprit de Muse et, surtout, Moor). Et puis, il y a aussi Noh Blues, une étrange composition de Copland basée sur un motif fascinant de piano autour duquel gravitent les deux autres instruments. Loin d'être en retrait, la contrebasse du leader est partout, Peacock explorant son manche avec gourmandise, nourrissant les mélodies et tirant la musique dans toutes les directions comme il l'a toujours fait depuis son étonnante participation au Spiritual Unity d'Albert Ayler en 1964. Géant ! [ Now This (CD & MP3) ] [ A écouter : Album Now This sur ECM ] |
Marius Neset: Pinball (ACT), Norvège, Janvier 2015
World Song Part 1 (8:43) - World Song Part 2 (6:24) – Pinball (6:51) - Odes of You (6:52) – Police (6:09) - Music for Cello and Saxophone (3:18) - Theatre of Magic (6:26) – Aberhonddu (3:33) – Jaguar (2:53) - Music for Drums and Saxophone (2:19) - Summer Dance (5:59) - Hymn from the World (1:44) - Durée Totale : 61'10" Marius Neset (saxophones ténor et soprano); Ivo Neame (piano, orgue Hammond B3, CP 80, Clavinet); Jim Hart (vibraphone, marimba, batterie additionnelle: 4); Petter Eldh (contrebasse); Anton Eger (batterie); Andreas Brantelid (violoncelle:1-2, 6-7); Rune Tonsgaard Serensen (violon: 1, 11); Ingrid Neset (flûte: 1, 5, 11); August Wanngren (tambourin: 3); Pinball band (clapping: 1-2, 7) Marius Neset : un "look beau gosse" inhabituel dans le monde du jazz… Annoncé par le label ACT comme "un des plus grands saxophonistes de la nouvelle génération", largement encensé par la critique (The Guardian, allaboutjazz@com,…). Que nous réserve donc l'écoute du nouvel album de ce jeune talent venu tout droit des fjords de Norvège. Ce qui ne souffre aucune discussion, est qu'avec Pinball on est loin de la Nordic Touch évoquée dans cette même rubrique (voir la chronique de Gefion de l'excellent guitariste danois Jakob Bro). Les mélodies sont enlevées, rythmées. Rien à voir avec l'ambiance feutrée et éthérée des productions de musiciens scandinaves chers au label ECM. Et si à l'instar de l'esthétique Nordic Touch, Pinball intègre des éléments folkloriques, l'ambiance générale de l'album est toute emprunte d'une énergie vivifiante. Il n'y qu'à se laisser emporter par le rythme et le caractère enjoué de titres tels que Pinball et Summer Dance, soutenus par des mélodies accrocheuses, voire colorées. Des morceaux tels World Song, Pinball, Theatre of Magic, Summer Dance se présentent comme de véritable kaléidoscopes musicaux où, çà et là, se superposent ou se dédoublent les couches incisives de saxophone ténor ou soprano. Et l'auditeur de se surprendre lui-même par une envie de se lever, de danser ou même de frapper des mains comme le font les musiciens sur World Song Part 1, Part 2, et Theatre of Magic. Mais tout cela n'est pas le fruit d'une concession à la facilité. Chacune des compositions de l'album est savamment construite, mettant en exergue des arrangements d'une réelle inventivité (violon, violoncelle et flûte interviennent fréquemment en appoint du quintet de base avec une intelligence et un réel à-propos). Tout cela est soutenu par des musiciens qui prennent, de manière évidente, du plaisir à se mettre au service d'une démarche qui laisse tout autant place à l'interprétation qu'à l'improvisation mais en déjouant les codes formels d'une musique jazz de facture plus classique. La complicité des quatre musiciens qui entourent le jeune leader provient certainement de leur engouement et de leur volonté de faire souffler sur la scène jazz un vent de jouvence qui ne peut que la stimuler et la rendre plus accessible à un public jeune et curieux de découvrir de nouveaux horizons musicaux. On ne s'étonnera pas dès lors que deux des comparses du saxophoniste, à savoir Anton Eger et Ivo Neame font partie, avec le contrebassiste Jasper Hoiby, du groupe Phronesis dont l'album Life To Everything, sorti l'année passée, a suscité l'enthousiasme tant auprès des critiques que d'un jeune public. On ne peut donc que se réjouir de voir Marius Neset affirmer sur Pinball un talent incontestable qui ne doit rien à des musiciens qui occupent sur la scène une place bien plus confirmée : une inspiration d'une grande ingéniosité se déployant sur des mélodies convaincantes ainsi qu'une belle présence renforcée par une maîtrise du son et du phrasé ainsi que par une générosité dans le jeu qui nous font parfois penser au regretté Michael Brecker. Tout cela fait de Pinball une réussite qui enchante… Que demander de plus ? [ Chronique de Albert Maurice Drion ] [ Pinball (CD & MP3) ] [ A écouter : Présentation de l'album Pinball - Marius Neset Quintet live au Festival de Jazz de Francfort 2014 ] |
Steve Coleman and the Council of Balance : Synovial Joints (Pi Recordings), USA, Avril 2015
Acupuncture Openings (5:26) - Celtic Cells (9:36) - Synovial Joints I : Hand and Wrist (8:20) - Synovial Joints II : Hip and Shoulder (3:51) - Synovial Joints III : Torso (2:44) - Synovial Joints IV : Head and Neck (2:38) - Tempest (5:57) - Harmattan (8:53) - Nomadic (9:25) - Eye Of Heru (5:13) - Durée Totale : 61'42" Steve Coleman (saxophone); Jonathan Finlayson (tp); Anthony Tidd (el b); Marcus Gilmore (drums); Miles Okazaki (gt); Jen Shyu (vocals); David Bryant (piano); Tim Albright (trombone); Maria Grand (ts); Barry Crawford (piccolo, flûte); Rane Moore (cl); Jeff Missal (tp); David Nelson (bass tb); Kristin Lee (violon); Chris Otto (violon alto); Jay Campbell (violoncelle); Greg Chudzik (contrebasse); Alex Lipowski, Ned Sacramento, Ramon Garcia Perez & Mauricio Hererra (percussions). Steve Coleman a beau avoir une conception du rythme et un son d'alto complètement originaux, sa musique extraordinairement complexe n'en reste pas moins difficilement abordable. Et le fait qu'au-delà de ses aspects techniques, elle soit intimement interconnectée avec des réflexions mêlant astrologie, I Ching, cosmogonie, géométrie, histoire, divination, spiritualité, égyptologie, météorologie, anatomie, en plus d'autres considérations pas toujours évidentes à saisir, n'aide certainement pas à suivre le fil de son développement. Aussi, pour fascinante que cette musique soit et en dépit de l'influence positive qu'elle ait pu avoir sur d'innombrables musiciens (Octurn et Aka Moon entre autres), ce n'est pas sans circonspection que l'on aborde ses polyrythmies, ses métriques inusitées, sa logique imaginative d'improvisation, ainsi que la densité et l'articulation singulière de son jeu sans oublier cette approche urbaine qui, en évoquant une forme très altérée des musiques actuelles, suscite la sympathie naturelle des rappeurs. Dans ce nouvel album, Coleman poursuit sa quête unique mais avec une formation inhabituelle incluant cuivres, cordes, bois, voix et percussions. En utilisant avec une grande lucidité ces différents couleurs, Coleman a empilé, parfois en plusieurs étapes, des couches sonores qui forment de riches textures aussi étranges que cohérentes (Synovial Joints III - Torso). Ces dernières changent constamment, évoquant des fluides en mouvement et, par extension, les articulations synoviales qui permettent au corps humain de bouger. L'accent reste toutefois mis sur les rythmes qui sont comme toujours au cœur des préoccupations du leader mais l'envergure tonale s'est considérablement élargie tandis que certaines pièces (Celtic Cells, Synovial Joints et Tempest) laissent désormais percer un panel encore discret mais pourtant bien réel d'émotions diverses. Comme ces œuvres précédentes en étaient globalement dépourvues, cette grande différence est à mon sens capitale car elle rend sa musique plus attractive. On appréciera aussi quelques moments envoûtants quand le rythme s'abandonne à ses racines africaines (Nomadic). Grâce à ces moments d'humanité égayant un univers régi par des lois certes ésotériques mais qui n'en sont pas moins strictes, nous voilà enclin à écouter jusqu'au bout ces constructions rythmiques et mélodiques et ces improvisations déclinées sur des systèmes métriques réinventés, et même à entendre toutes ces indissociables références à la science, à l'art et au sacré qui sous-tendent la musique. Certes, Steve Coleman reste un personnage diffus et mystérieux mais s'il continue à évoluer dans le même sens que cet ambitieux et exceptionnel Synovial Joints, on aura de plus en plus envie d'être initié. [ Synovial Joints (CD & MP3) ] [ A écouter : Acupuncture Openings (extrait) - Tempest (extrait) - Harmattan (extrait) - Steve Coleman and The Council of Balance live au Jazz Festival La Villette, Paris, 3 juillet 1999 ] |
Jakob Bro : Gefion (ECM), Danemark, février 2015
Gefion (10:37) - Copenhagen (4:26) - And They All Came Marching Out Of The Woods (4:34) - White (5:10) - Lyskaster (4:19) - Airport Poem (3:33) - Oktober (4:22) - Ending (2:47) - Durée Totale : 39'42" Jakob Bro (guitare & composition); Thomas Morgan (basse); Jon Christensen (batterie) En supportant une fusion hybride originale dont l'épicentre se trouve au cœur des pays scandinaves, des labels comme Rune Grammofon et surtout ECM ont fini par imposer au fil des années une vision alternative du jazz, aujourd'hui connue sous le nom global de "Nordic Tone". Toutefois, cette nouvelle esthétique ne consiste pas seulement à inclure des éléments folkloriques régionaux dans une musique improvisée d'origine américaine. Il s'agit bien davantage d'une réinterprétation d'un genre par un peuple élevé aux accents romantiques d'Edvard Grieg mais ouvert sur le vaste monde et ses innombrables cultures. Ainsi le Nordic Tone inclut ainsi aussi bien des samplings modernes que des sons exotiques issus de pays extérieurs à la sphère d'influence qui sont assimilés et rendus sous une forme affichant une réelle identité. Quant à la suggestion de paysages glacés et de fjords immobiles bien souvent représentés sur les pochettes d'ECM, elle est indubitable même si ces images, auxquelles on recourt habituellement dans les chroniques, ne suffisent pas à définir les contours de cette musique. A tout ceux qui souhaiteraient en savoir davantage sur le Nordic Tone, on peut déjà conseiller l'écoute de Gefion du guitariste danois Jakob Bro. Membre du Tomasz Stanko's Dark Eyes Quintet, Bro a déjà derrière lui une discographie fournie en solo ou en sideman mais Gefion est son premier enregistrement en leader pour Manfred Eicher qui, comme il l'a déjà fait pour tant d'autres, a su une fois encore sublimer la musique du guitariste danois. Les notes éthérées et la sonorité claire de la guitare, dont l'évanescence est amplifiée par une subtile réverbération et quelques autres effets, ne font pas l'impasse sur l'imagerie scandinave, ses mers froides et ses brumes opaques d'où émergent parfois des montagnes sombres et désertes. On distingue toutefois dans le jeu mélancolique de Jakob Bro une appétence pour les mélodies oniriques qui rappelle beaucoup Bill Frisell, avec qui il a enregistré trois albums pour Loveland Records, sans pour autant n'en être qu'une copie. Le choix de ses complices compte aussi pour beaucoup dans la réussite de cet album : le jeune contrebassiste Thomas Morgan et le légendaire batteur Jon Christensen sont en effet un choix judicieux sinon incontournable. Tous les deux sont aussi passés par l'école Stanko (Christensen joue sur Litania - The Music Of Krzysztof Komeda et From The Green Hill tandis que Morgan est le batteur du New York Quartet sur le récent Wislawa) et savent comment accompagner ces escapades saturniennes en leur donnant un sentiment d'imprévisibilité. Morgan fait penser au Charlie Haden des grands espaces (celui de Beyond The Missouri Sky) tandis que le jeux abstrait de Christensen, typique quand il joue sur les cymbales, apporte sa part de mystère à l'ensemble. Pour autant que l'on aime ce genre de jazz sensible, poétique et méditatif où les atmosphères célestes comptent pour l'essentiel, cet album puissamment évocateur sera un ravissement. [ Gefion (CD & MP3) ] [ A écouter : Change Of The Guard - Fiordlands (from album Time (2011) avec Bill Frisell - Evening Song (from album Balladeering (2009) avec Bill Frisell ] |
Kamasi Washington : The Epic (3 CD / Brainfeeder), USA 2015
CD 1 : Change of the Guard (12:15) - Askim (12:34) - Isabelle (12:12) - Final Thought (6:31) - The Next Step (14:48) - The Rhythm Changes (7:43) - Durée Totale : 66'03" CD 2 : Miss Understanding (8:46) - Leroy and Lanisha (9:24) - Re Run (8:19) - Seven Prayers (67:35) - Henrietta Our Hero (7:13) - The Magnificent 7 (12:45) - Durée Totale : 54'02" CD 1 : Re Run Home (14:05) - Cherokee (08:14) - Clair de Lune (11:07) - Malcolm's Theme (8:40) - The Message (11:08) - Durée Totale : 53'14" Kamasi Washington (sax ténor); Stephen Bruner (basse électrique); Miles Mosley (basse); Cameron Graves (piano); Brandon Coleman (claviers); Dontae Winslow (trompette); Ryan Porter (trombone); Ronald Bruner Jr. (batterie); Tony Austin (batterie); Leon Mobley (percussions); Patrice Quinn (vocal); Miguel Atwood-Ferguson (direction cordes et choeur) Cette œuvre monumentale, judicieusement nommée The Epic, se présente à coup de superlatifs à l'instar d'un péplum hollywoodien des années 60 : trente jours d'enregistrement, 200 morceaux composés pour 17 conservés, trois CD, 172 minutes de musique, un orchestre de 32 musiciens, un chœur de 20 personnes, plus le combo de base de dix musiciens où la basse, la batterie et les claviers sont doublés. Tout ça dirigé par le compositeur et saxophoniste ténor de Los Angeles, Kamasi Washington, qui à l'âge de 34 ans, était encore à ce jour quasi inconnu des amateurs de jazz. Comme la superbe pochette le laisse imaginer, la musique est un maelstrom cosmique dans la ligne des John Coltrane, Pharoah Sanders, McCoy Tyner (période Blue Note) et autres Kenny Garrett (celui de The Beyond The Wall) où viennent se télescoper des genres divers comme le jazz modal, le free, les standards (une reprise poppisante du Cherokee de Ray Noble), la musique classique (le Clair De Lune de Debussy), la soul, le funk, le panafricanisme et un peu de culture DJ. Les plages tournent chacune autour des dix minutes, ce qui laisse le temps aux solistes de s'étendre à l'aise, la partie congrue revenant bien sûr au leader lui-même qui délivre sur son ténor des chorus puissants et mélodramatiques à la Coltrane mais avec une sonorité profonde qui n'est pas sans rappeler celle de Pharoah Sanders. Il laisse toutefois suffisamment d'espace à ses sidemen qui ont également l'occasion de briller comme, entre autres, le trompettiste Igmar Thomas fantastique sur Miss Understanding, le tromboniste Ryan Porter ou le pianiste Cameron Graves. Ceci dit, tout n'est pas parfait dans cet ambitieux projet. Des titres comme Change Of The Guard, Askim, Miss Understanding, Re Run, The Magnificent 7 ou Re Run Home sont énergiques et émotionnels, entraînant une immédiate adhésion mais d'autres (Henrietta Our Hero, Cherokee, Malcolm's Theme), surtout sur les deuxième et troisième disques, recyclent les idées du premier CD ou dérivent dangereusement vers une musique smooth et policée qui fait regretter le degré d'incandescence atteint ailleurs. Qu'on ne se méprenne pas toutefois, le répertoire relève essentiellement d'un jazz spirituel dense, vertigineux et habité par une ancienne magie mais on ne peut s'empêcher de penser qu'une sélection plus stricte, entraînant l'élimination des redondances et de ces titres plus ternes interprétés de manière grandiloquente par un team surdimensionné, aurait sûrement conduit à un double compact hors-normes. En dépit de ces réserves et d'une sonorité d'ensemble un peu étriquée, cet album est en soi une première réalisation prodigieuse de la part d'un jeune musicien dont la générosité, l'ambition et l'engagement laissent attendre énormément. L'album est édité sur le label californien indépendant Brainfeeder, fondé par Steven Ellison, alias Flying Lotus, petit neveu de feu-Alice Coltrane, elle-même épouse de John Coltrane. Coïncidence ? Peut-être mais avec une musique qui danse avec les esprits, on ne sait jamais… [ The Epic (CD & MP3) ] [ A écouter : Change Of The Guard - Miss Understanding - Re Run Home - Cherokee ] |
Nobu Trio : Mystic Flow (Areasonica Records), Italie 2015
Mystic Visions of the Underworld (8:01) - Crazy Drunk (3:52) - Oh Gentle Traveller, do You know the Demon (7:31) - Garden of Peace (5:52) - Mr.6 (9:24) - Moanin' (8:37) - The Nameless Prophet (7:18) - Durée Totale : 50'29" Andrea Pregnolato (basse); Alessio Guazzini (guitares); Angelo Brezza (batterie) Nobu est un nom japonais qui, à peu de choses de près, signifie "extension". Un patronyme que ce trio italien s'est choisi pour signifier sa volonté d'étirer les genres jusqu'à ce qu'ils se recouvrent pour former une musique plus rare. Et le fait est que l'on trouve dans les compositions de ce premier album une multitude de fragments de jazz, de rock progressiste, de psychédélisme, de musique d'ambiance et d'expérimentations sonores diverses, intégrés de manière singulière pour façonner des textures originales. Par son atmosphère sonique mystérieuse, le premier titre, Mystic Visions Of The Underworld, évoque ainsi l'esprit du Prezens de David Torn, la guitare d'Alessio Guazzini s'immergeant continuellement dans une panoplie d'effets sur fonds de percussions qui s'avère aussi hypnotique que dérangeante. Plus jazz apparaît Crazy Drunk qui inclut une section improvisée tout à fait conventionnelle durant laquelle le trio révèle son art de l'interaction triangulaire tout en maintenant, au niveau du guitariste, une ligne sobre aussi bien au niveau du son que du phrasé. Etonnant quand même que Nobu Trio ait sélectionné ce titre peu représentatif du reste pour le sortir en simple et se présenter ainsi au niveau international. Plus intéressant est Oh Gentle Traveller, Do You know The Demon qui renoue avec une approche protéiforme. On y appréciera notamment le solo de basse d'Andrea Pregnolato qui porte avec un bel enthousiasme les moments les plus décisifs de cette composition à tiroirs. Minimaliste dans sa forme, Garden of Peace témoigne une nouvelle fois de la faculté du trio à générer des esthétiques surréalistes. S'étalant au-delà de 10 minutes, Mr.6 est le moment fort de l'album. Groove sournois et dérives soniques y font bon ménage pour un morceau envoûtant, porté par le rythme tribal du batteur Angelo Brezza, imbibé de l'héritage d'une filiation issue du rock expérimental allemand des 70's (Can entre autres). Un hommage à Charlie Mingus est ensuite rendu par la reprise de sa fantastique composition Moanin' ici à peine reconnaissable tant l'original était dynamité par le souffle énorme des quatre saxophonistes en ligne. Mais le rythme est bien là, lissé et modernisé, propice à un solo électrisant de six-cordes entre fusion et rock psyché. Enfin, l'album se referme sur l'ambiance onirique de The Nameless Prophet sur laquelle va se construire peu à peu un groove aux contours aussi mystérieux que la bande sonore d'un film noir. Sophistiquée mais accessible, la fusion postmoderne du Nobu Trio bouscule les repères et vaut bien la peine d'être découverte. [ Mystic Flow (CD & MP3) ] |
Alice Testa : Alice's Room (Azzurra Music TRI1215), Italie 2015
If I Were a Bell (4:21) - Alice's Room (4:45) - Black Hole Sun (3:51) - Exit Signs 0.2 (7:05) - Kites (4:32) - The Core (4:02) - Pure Imagination (5:22) - Nature Boy (7:32) - Skylark (2:28) - Morrow's Song (2:59) - Durée Totale : 47'03" Alice Testa (chant); Matteo Alfonso (claviers); Lorenzo Conte (basse); Kyle Poole (batterie); Giancarlo Bianchetti (gt électrique et acoustique : 2-9-10); Francesco Geminiani (ts : 4-7-8). Enregistré au Studio Azzurra Music (Italie) les 25 et 216 janvier 2014. Alice's Room est un beau nom pour un disque : il suggère qu'on est ici chez Alice Testa pour écouter ce qu'elle aime et ce qu'elle sait faire. Et l'éventail des plaisirs offerts est fort large puisque qu'on y trouve aussi bien des compositions originales dont la musique a été écrite par le bassiste Lorenzo Conte et les textes par la chanteuse (Alice's Room et Kites); une chanson de l'artiste Ivoirien Ismaël Morrow (Morrow's Song); un tube de 1994 emprunté au groupe de hard-rock Soundgarden (Black Hole Sun); et quelques standards rendus dans des versions réarrangées (If I Were A Bell, Nature Boy et Skylark). Tout un programme à la croisée des chemins qui permet à cette chanteuse originaire des environs de Venise d'essayer sa voix dans des genres très différents abordés sans complexe et sans cliché. If I Were A Bell est une bonne introduction : le chant est clair, le phrasé fluide et l'articulation dénote une propension à swinguer naturellement et en douceur sur le soutien rythmique tout en souplesse du tandem Lorenzo Conte (basse) et Kyle Poole (batterie). On y appréciera aussi le chouette chorus de piano électrique par Matteo Alfonso qui s'inscrit dans la même ambiance de fraîcheur prévalant sur cette reprise d'une chanson du répertoire de Broadway jadis interprétée de façon plus extravertie par la plupart des grandes chanteuses de jazz classique. Certains titres comme Pure Imagination flirtent avec une pop soul sensuelle qui n'est pas sans évoquer l'esthétique suave et sophistiquée de Sade Adu. D'autres sont franchement plus jazz comme cet excellent Exit Signs 0.2 ou les vocaux sans paroles vient s'entrecroiser avec le saxophone ténor de Francesco Geminiani dans un style post-bop enlevé. Du très lourd Black Hole Sun subsiste la jolie mélodie mais aussi cette ambiance surréaliste et mélancolique qui suinte de ce texte bizarre un peu apocalyptique. De Skylark réinventé en duo avec le guitariste Giancarlo Bianchetti au reggae africain de Morrow's Song en passant par Kites, une jolie chanson éthérée interprétée avec nonchalance, on se dit qu'Alice Testa aurait tout aussi bien pu faire carrière comme chanteuse à part entière de pop-rock ou de folk. Il se fait qu'heureusement pour nous, elle a choisi un jazz smooth et panaché où elle évolue avec une belle aisance. [ Alice's Room ] [ A écouter : If I Were a Bell - Alice's Room - Black Hole Sun - Nature Boy - Pure Imagination ] |
Jean-Paul Daroux Quartet : Déambulations (ACM Jazz), France, Juin 2015
Vent d'Est Dans les Vignes (4:55) - Sur les Traces du Promeneur Silencieux (5:37) - La Véritable Histoire d'Ernesto Guevara (5:17) - La transe de la Chenille Velue (6:33) - Déambulations Nocturnes (8:13) - What After the Sea (5:09) - The Eternal Question (4:35) - Deep Diving (5:32) - Doux Parfum d'Ecume (3:54) - Carnaval au Père Lachaise (3:48) - Durée Totale : 54'08" Jean-Paul Daroux (piano et compositions), Samy Thiébault (saxophone, flûte), Benjamin Moine (contrebasse), Gilles Le Rest (batterie). L'album s'ouvre sur une pièce tranquille à laquelle son compositeur, Jean-Paul Daroux, a attribué un intitulé poétique : Vent d'Est Dans les Vignes. Un nom qui va bien à cette musique au lyrisme feutré faisant affluer des images pastorales et des dégradés de couleurs printanières. Dans son chorus, le saxophone de Samy Thiébault virevolte comme une abeille en gardant tout du long une sonorité douce tandis que le pianiste qui lui succède renforce cet impressionnisme sonore qui ravira les amoureux des coteaux verts et des vendanges. Attiré dans sa prime jeunesse par Debussy, Jean-Paul Daroux en a manifestement gardé une lointaine appétence pour le sensoriel qui l'amène à traduire en notes des images, des couleurs et des émotions. Il y associe dans cette nouvelle production un sens du mouvement, concrétisé par le jeu fluide et vivace du saxophoniste, qui met en relief un goût pour les voyages en général et sur la mer en particulier. Ainsi, Parfum d'Ecume affiche la quiétude d'une paisible promenade marine. Les musiciens se concentrent sur l'essence d'une élégante mélodie qui respire le grand large tandis que Samy Thiébault souffle dans sa flûte avec la sereine évidence d'un navigateur au long cours. Dans la même veine expressive à dominante maritime, What After the Sea confirme la capacité du quartet à ouvrir des espaces qui font rêver. Les mélodies sont particulièrement soignées et beaucoup sont remarquables comme celle de La veritable Histoire d'Ernesto Guevara qui recèle en son cœur un drôle de parfum latin un peu trouble et nostalgique collant comme un gant à l'image ambiguë du grand révolutionnaire. Et sur La transe de la Chenille Velue, stratégiquement placé au centre du compact, le quartet s'envole en rompant l'harmonie d'un répertoire globalement plus propice à dépayser qu'à étourdir. Ici, le piano devient plus syncopé et le saxophone plus coltranien tandis que la rythmique, composée de Benjamin Moine à la contrebasse et de Gilles Le Rest à la batterie, dévoile son potentiel dans un registre plus dynamique. Tout cela est fort bien rendu par un enregistrement et un mixage attentifs qui ont su préserver les nuances, la balance et les belles sonorités acoustiques des instruments En fin de compte, Déambulations est un titre parfaitement approprié à cette musique belle et accessible dont on ne peut qu'être heureux d'en avoir partagé les moments de grâce. [ Déambulations ] [ A écouter : Vent d'Est Dans les Vignes (extrait) ] |
Manu Carré Electric 5 : Go (ACM Jazz), France Juin 2015
Afrunk (5:49) - Go (8:23) - Niou (6:52) - Spiralifère (6:37) - Scoubidou (7:28) - Soleil de Septembre (9:07) - 2pressions (5:06) - Mona (9:32) - Clémence (6:59) - Durée Totale : 65'49" Manu Carré (saxophone, compositions); Aurélien Miguel (guitare); Florian Verdier (claviers); Nico Luchi (basse); Max Miguel (batterie). Originaire du Nord de la France, Manu Carré, comme beaucoup de Picards, a toujours eu une envie de soleil. C'est donc à Menton, où il enseigne désormais le jazz au conservatoire municipal, qu'il a concrétisé la réalisation de ce nouvel album. En ouverture, Afrofunk laisse entendre un quintet terriblement soudé d'où émerge le saxophone au son chaleureux du leader. Après une minute en forme d'introduction funky à la syncope hachée, la composition change soudain de couleur et s'ouvre sur des rivages plus souriants où domine la mélodie. La sonorité du combo est électrique mais aussi aérée. Le guitariste Aurélien Miguel prend un beau solo bientôt soutenu par le saxophone et la tension monte jusqu'à se fondre en finale dans le rythme initial retrouvé comme par miracle. Voici une belle composition, concise et nuancée, idéale pour débuter cet album et prendre la mesure de ce qui va suivre. Le titre éponyme groove en douceur et c'est cette fois Florian Verdier qui s'illustre par un long solo de Fender Rhodes auquel succède une partie de basse vitaminée de Nicolas Luchi tandis que la rythmique implacable irrigue en permanence la musique d'une pulsation urbaine, conférant élan et énergie aux solistes. 2pressions poursuit dans cette même veine et accentue même le coté fusionnel de l'entreprise, la guitare devenant plus mordante et la ligne de basse plus infectieuse tandis que Manu Carré souffle dans son instrument avec panache, se rapprochant dangereusement de la brèche qui sépare le funk de la transe. Mais tout n'est pas que brûlant dans ce répertoire qui comprend aussi quelques moments plus suaves comme l'apaisant Scoubidou et surtout Mona en forme d'hymne à la nuit hanté d'envolées cuivrées et d'un piano, acoustique cette fois, qui fait chavirer les coeurs. Le disque se referme sur Clémence, une composition sophistiquée aux nuances multiples où le lyrisme côtoie avec bonheur un groove solaire, le tout emballé dans un arrangement d'une admirable rondeur. Il ne fait nul doute que l'écoute de ce disque gorgé des musiques noires de l'Amérique, fera vibrer les amateurs de jazz électrique et funky mais ceux qui apprécient les improvisations expressives et passionnées sur des thèmes originaux fort bien écrits ne seront pas déçus non plus. [ Go (CD & MP3) ] [ A écouter : Teaser de l'album Go ] |
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