A noter : les nouveautés en jazz belge font l'objet d'une page spéciale. |
Wadada Leo Smith's Organic : Heart's Reflections (Cuneiform Rune), 2011
CD 1 : Don Cherry's Electric Sonic Garden (For Don Cherry) (20:50) - The Dhikr Of Radiant Hearts, Pt. I (2:33) - The Dhikr Of Radiant Hearts, Pt. II (6:27) - The Majestic Way (9:13) - The Shaykh, As Far As Humaythira (6:29) - Spiritual Wayfarers (6:11) - Certainty (5:24) - Ritual Purity And Love, Pt. I (3:35) - Ritual Purity And Love, Pt. II (2:32) - Durée Totale : 64'09" CD 2 : Heart's Reflections / Splendors Of Light And Purification / Silsila (5:35) - Heart's Reflections / Splendors Of Light And Purification / The Well / From Bitter To Fresh Sweet Water, Part I (6:13) - Heart's Reflections / Splendors Of Light And Purification / The Well / From Bitter To Fresh Sweet Water, Part II (5:02) - The Black Hole / Conscience And Epic Memory (For Toni Morrison) (10:35); Leroy Jenkin's Air Steps (For Leroy Jenkins) (22:29) - Durée Totale : 49'51" Wadada Leo Smith (tp, el tp); Brandon Ross (el gt); Michael Gregory (el gt); Josh Gerowitz (el gt); Lamar Smith (el gt); Pheeroan aklaff (drums); Angelica Sanchez (piano, el piano); Casey Anderson (as); Casey Butler (ts); John Lindberg (b); kuli Sverrisson (el b); Mark Trayle (laptop); Charlie Burgin (laptop); Stephanie Smith (violon). Sur certaines photos, l’homme ressemble à un rastafari et sur d’autres, à un gourou soufi. A moins que ce ne soit à ces jazzmen cosmiques qui, à l’instar de Pharoah Sanders ou de John Coltrane, cherchaient la liberté dans un tourbillon de folie mystique. Originaire de Leland (Mississippi), le trompettiste Wadada Leo Smith a touché à tout, du blues au rhythm and blues en passant par l’ethno-jazz, le free et l’avant-garde à la manière d’Anthony Braxton. Mais son relatif succès, il le doit à sa collaboration avec le guitariste californien Henry Kaiser avec qui il a fondé le groupe Yo Miles pour rendre hommage à la musique électrique de Miles Davis. Les disques qui en résulteront (Yo Miles, 1998 ; Sky Garden, 2004 ; Upriver, 2005, Lightning et Shinjuku, 2010) comprennent de longues improvisations et rendent hommage, sans pour autant les copier, aux chef d’œuvres finalement encore peu explorés que sont Bitches Brew, Big Fun, Ife et autres Agharta. Sa dernière production, Heart's Reflections, est en quelque sorte une extension de Yo Miles mais sans reprise et avec une vision plus personnelle faisant le lien avec ses autres intérêts. Les longues plages réparties sur deux compacts commencent généralement par des thèmes funky, enracinés dans le blues, qui évoluent progressivement vers d’autres horizons où se mêlent une constellation d’influences. Aidé par un band électrique de quatorze musiciens comprenant quatre guitaristes et deux bassistes, Smith part à l’aventure et impose son jeu de trompette doté d’un incroyable sustain, actualisant la musique électrique de Miles et lui procurant un nouveau futur. Sans concession, à la fois spirituelle, tribale et envoûtante, la musique interpelle différentes sortes de public tout en restant accessible, comme l’était auparavant celle de Miles. Il y a quarante ans, ce disque aurait été édité par Columbia sous une double pochette dessinée par Maty Klarwein. Aujourd’hui, il sort sur Cuneiform Records, le label de Steven Feigenbaum qui édite aussi Univers Zero, Soft Machine, Nucleus, Henry Kaiser, Hugh Hopper et Matching Mole. C’est là bien sûr, et pas sur les labels majeurs, que la musique progresse ! [ Heart's Reflections (CD & MP3) ] |
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Jeremy Pelt : The Talented Mr. Pelt (ECM), 2011
Pandora's Box (4:27) - All My Thoughts Are Of You (6:34) - Paradise Lost (7:19) - When The Time Is Right (5:36) - Pulse (9:06) - In Love Again (5:57) - Only (5:36) - David And Goliath (7:54) - Durée Totale : 52'29" Jeremy Pelt (trompette, bugle); J.D. Allen (ts); Danny Grissett (piano); Gerald Cleaver (drums) Cette musique est enregistrée et mixée par Rudy Van Gelder dans ses studios d'Englewood Cliffs. Le son est celui des légendaires albums Blue Note et même la pochette a un look suranné qui rappelle celles des sixties. Quand au trompettiste Jeremy Pelt, il joue un post-bop moderne et sophistiqué, parfois modal, toujours inventif, imprévisible et tranchant comme un rasoir. Une caractéristique qu’il faut encore souligner est que ce quintet, formé en 2007 avant l’enregistrement de November, est une vraie phalange, pas un simple collectif de stars rassemblées en studio le temps d’un album et ça, on ne l’avait plus vu depuis longtemps. Ca joue avec panache comme au temps des Cookin’ et autres Steamin’ de Miles Davis. Les ballades (All My Thoughts Are Of You et sa sourdine ou la vibrante mélodie d’In love Again autrefois chantée par Peggy Lee ici interprétée au bugle) débordent de lyrisme tandis que les morceaux plus rapides, dont le plus palpitant est le formidable David And Goliath qui frôle les huit minutes, sont autant de machines infernales que les musiciens doivent enfourcher avec une immense satisfaction pendant les concerts. Et puis, il y a cet étonnant batteur pyromane nommé Gerald Cleaver qui met le feu aux tempos avec une efficacité redoutable : écoutez-le monter en puissance au milieu de Paradise Lost. Si Men Of Honor, sorti en 2010, était déjà presque parfait, ce Talented Mr. Pelt l’est à 100%. [ The Talented Mr. Pelt (CD & MP3) ] |
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Marcin Wasilewski Trio : Faithful (ECM), 2011
An Den Kleinen Radioapparat (4:30) - Night Train To You (10:41) - Faithful (7:16) - Mosaic (10:34) - Ballad Of The Sad Young Men (5:30) - Oz Guizos (6:32) - Song For Swirek (8:15) - Woke Up In The Desert (5:32) - Big Foot (6:22) - Lugano Lake (6:33) - Durée Totale : 71'42" Marcin Wasilewski (piano); Slawomir Kurkiewicz (contrebasse); Michal Miskiewicz (drums) Après avoir accompagné Tomasz Stanko sur trois de ses plus beaux disques (Soul Of Things, ECM, 2001), Suspended Night (ECM, 2003) et Lontano (ECM, 2005), ce trio au long cours fit son entrée sur ECM en 2005 avec un album qui connut un beau succès sans être en tout point remarquable. Deux années plus tard, January, toujours sur ECM, laissait éclater le potentiel de ce formidable triangle rebaptisé par le nom de son pianiste devenu leader et principal compositeur. Moins de babillage, plus de focus sur des mélodies pensives et la magie opère comme par miracle. Faithful confirme les qualités lyriques et l’interaction fraîche et vivace des trois hommes qui s’écoutent et jouent ensemble depuis plus de 15 ans. Car comment imaginer cette formation sans les apports formidables du contrebassiste virtuose Slawomir Kurkiewicz et du batteur Michal Miskiewicz dont le jeu raréfié intègre le silence comme un principe directeur. Ici, tout est pensé au niveau le plus microscopique même si la musique diaphane et saturnienne coule avec une douceur inouïe sans même que l'on ne se rende compte du travail accompli. L’ombre de Keith Jarrett est parfois perceptible mais qui s’en soucie puisqu’à part le sien, aucun trio contemporain ne saurait vous emporter aussi loin et aussi facilement. Quel extraordinaire chemin parcouru par ces Polonais partis de Koszalin pour conquérir l’Europe et, finalement, la planète jazz toute entière ! [ Faithful (CD & MP3) ] |
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Eliane Elias : Light My Fire (Concord Picante), 2011
Rosa Morena (4:18) - Stay Cool (4:03) - Aquele Abraço (5:19) - Light My Fire (5:39) - Isto Aqui O Que E (Silver Sandal) (4:00) - My Cherie Amour (4:31) - Toda Menina Baiana (4:24) - Bananeira (3:28) - Made In Moonlight (5:12) - Turn To Me (Samba Maracatu) (3:40) - Take Five (5:13) - What About The Heart (Bate Bate) (4:47) - Durée Totale : 54'05" Eliane Elias (vocals, piano); Gilberto Gil (vocals, guitare); Randy Brecker (tp); Oscar Castro-Neves(gt); Romero Lubambo (gt); Ross Traut (gt); Lawrence Feldman (fl); Marc Johnson (b); Marivalso dos Santos (percussions); Paulo Braga (drums); Rafael Barata (drums); Amanda Brecker (vocals : 7) Originaire de Sao Paolo, Eliane Elias a quitté le Brésil à l’âge de 21 ans pour découvrir New York alors qu’elle ne parlait pas un mot d’anglais. Par chance, elle y fut tout de suite engagée comme pianiste dans le groupe de semi-fusion Steps Ahead où sa présence aux côtés de Michael Brecker, Eddie Gomez, Peter Erskine et Mike Mainieri en a surpris plus d’un, encore que quand on réécoute aujourd’hui l’album éponyme enregistré en 1983, on comprend ce qui a pu séduire ces légendes du jazz américain. Depuis, Eliane a eu le temps de se réapproprier la musique de son pays natal, devenant l’une des plus grandes interprètes de la musique d’Antonio Carlos Jobim (Eliane Elias Sings Jobim, 1998, Plays Jobim, 1990 plus le célèbre et magnifique Double Rainbow de Joe Henderson, 1995). Sur ce nouvel album, la pianiste, devenue aussi une chanteuse accomplie, reprend une célèbre chanson des Doors (Light My fire) dont elle donne une version lente et sensuelle enluminée par le piano et la guitare de Ross Traut. Les douze titres, partagés entre nouvelles compositions et reprises imaginatives, bénéficient d’un casting de rêve où brillent son époux actuel, le bassiste Marc Johnson, ainsi que le guitariste Oscar Castro-Neves, symbole de la bossa nova, et le maître de la batterie brésilienne, Oscar Braga. Le standard hard bop Stay Cool de Kenny Dorham, adouci par la flûte de Lawrence Feldman, est emblématique du style laid-back dont Eliane Elias s’est fait une spécialité, tout autant d’ailleurs que sa version alanguie du Take Five de Paul Desmond ici zébré de phrases suaves lâchées à la trompette mutée par son mari précédent Randy Brecker. Light My Fire réussit le pari difficile de combiner l’authenticité de la musique brésilienne et l’inventivité du jazz moderne, le tout avec une séduction immédiate et irrésistible. Il est clair que les récompenses ne vont pas tarder à pleuvoir. [ Light My Fire (CD & MP3) ] |
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David Binney : Barefooted Town (Criss Cross), 2011
Dignity (9:42) - Seven Sixty (7:25) - The Edge Of Seasons (10:51) - Barefooted Town (7:42) - Secret Miracle (7:35) - A Night Every Day (5:22) - Once, when She Was Here (6:48) - Durée Totale : 55'21" - Enregistré le 15 novembre 2011 à Brooklyn, NY, USA David Binney (alto saxophone, voix); Ambrose Akinmusire (trumpette); Mark Turner (tenor saxophone); David Virelles (piano); Eivind Opsvik (bass); Dan Weiss (drums) Paru sur le label néerlandais Criss Cross sous une pochette plutôt banale, le dernier disque du saxophoniste alto américain David Binney n’en est pas moins une révélation. Celle d’un musicien accompli dont l’écriture très originale se complète par des improvisations obéissant à une vision tellement claire qu’elles en deviennent éblouissantes. Avec le jeune trompettiste Ambrose Akinmusire et le sax ténor Mark Turner en première ligne, Binney explore six de ses compositions particulièrement inspirées. Basées sur des mélodies superbes et montrant une extraordinaire dynamique, elles donnent l’impression de se promener dans un pièce claire-obscure où ombres et lumières changent constamment de position. La rythmique composée du batteur Dan Weiss, collaborateur de longue date, et du bassiste Eivind Opsvik est à la hauteur des solistes, parvenant à faire swinguer le sextet malgré la complexité de certains passages. Quant à Turner, sa prestation sur The Edge Of Seasons fait réfléchir au fait qu’il ne soit pas plus connu du grand public. Décidément, David Binney, qui fut découvert dans les clubs newyorkais et catalogué dans la nouvelle scène jazz alternative, est devenu à l’âge de 50 ans un jazzman incontournable au style incisif et personnel. Même quand ses disques sont enregistrés en un jour comme ce Barefooted Town (politique du label oblige), ils ont l’air d’avoir été ciselés durant une éternité. [ Barefooted Town (CD & MP3) ] |
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Ambrose Akinmusire : When The Heart Emerges Glistening (Blue Note), 2011 - [ Chronique de Albert Maurice Drion ]
Confessions To My Unborn Daughter (8:36) - Jaya (5:28) - Henya Bass Intro (0:49) - Henya (5:21) - Far But Few Between (1:57) - With Love (6:53) - Regret (No More) (4:36) - Ayneh (Cora) (1:10) - My Name Is Oscar (3:49) - The Walls of Lechuguilla (5:29) - What's New (3:04) - Tear Stained Suicide Manifesto (4:56) - Ayneh (Campbell) (1:36) - Durée Totale : 53'43" Ambrose Akinmusire (tp); Justin Brown (dr); Gerald Clayton (p); Harish Raghavan (b); Walter Smith III (ts); Jason Moran (Fender Rhodes : 4,12) Jeremy Pelt, Christian Scott, Ralph Alesi, Sean Jones, autant de jeunes talents qui sont à l’origine du renouveau de la trompette, instrument roi du jazz s’il en est. Ambrose Akinmusire trouve sa place dans cette liste d’artistes qui, ancrés dans leur univers baigné de rap, RnB et hip-hop, n’en assument pas moins toute la tradition du jazz. Autre point commun qui réunit ces jeunes trompettistes : ils se singularisent par un son plus que par une virtuosité même s’ils font tous preuve d’une maîtrise technique digne de leurs prestigieux prédécesseurs. Et dans le cas d’Ambrose Akinmusire, on est face à un talent qui ne fera sans doute que s’affirmer dans les années qui viennent. Le son est époustouflant, tantôt âpre, tantôt envoûtant ou encore non exempt de romantisme et, surtout, générateur d’émotion. Comment résister à un titre comme « Regret (No More) » où le jeune trompettiste frôle des sommets : quelle fêlure dans le son de cette trompette ... Comme une voix humaine sortie du néant. Avec When The Heart Emerges Glistening, produit par le pianiste Jason Moran (lui-même au Fender Rhodes sur un Henya élégamment éthéré et en duo avec le trompettiste sur le magnifique et méditatif Tear Stained Suicide Manifesto), Ambrose Akinmusire nous livre son premier album sur le label Blue Note. Entouré de musiciens omniprésents de la scène jazz actuelle en la personne de l’irrésistible - et je pèse mes mots - bassiste Harish Ragahvan et du génial saxophoniste Walter Smith III (deux musiciens que nous avons déjà pu apprécier sur l’album d’Eric Harland, Voyager / Live By Night, objet d’une précédente chronique), du batteur Justin Brown et du jeune et talentueux pianiste Gerard Clayton, Ambrose Akinmusire nous fait découvrir au travers de compositions qu’il signe toutes à l’exception de la reprise What’s New et du titre Jaya composé par Harish Raghavan, de riches mélodies autour desquelles il tisse, en totale fusion avec le saxophoniste et le pianiste, de longues envolées qui ne peuvent laisser l’auditeur indifférent, comme une invitation à partager un univers fait de mystère et d’émotion. Le mot est une fois de plus lâché ! Il s’agit bien de cela. Et ce n’est pas le moindre talent d’Ambrose Akinmusire de nous proposer de tels moments qui démontrent que la musique interprétée avec passion est un moyen d’expression qui, comme l’affirme le musicien dans les notes de pochette, peut nous connecter avec une autre part de nous-mêmes, à la fois unique et complexe. [ When The Heart Emerges Glistening (CD & MP3) ] |
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Julian Lage Group : Gladwell (Emarcy), 2011
233 Butler (05:34) - Margaret (06:50) - Point The Way (02:12) - However (06:28) - Freight Train (02:10) - Cathedral (02:09) - Listening Walk (04:29) - Cocoon (02:21) - Autumn Leaves (03:16) - Iowa Taken (09:07) - Listen Darkly (01:08) - Telegram (04:53) - Durée Totale : 50'36" Julian Page (guitare); Dan Blake (saxophone); Aristides Rivas (violoncelle); Tupac Mantilla (percussions); Jorge Roeder (basse) Scofield et Metheny, deux guitaristes considérés comme les meilleurs du jazz moderne, viennent de sortir leur dernier album. Aussi réussis qu’ils soient, la surprise ne réside pas cette année dans ces deux productions sages et intimistes mais bien dans ce Gladwell de Julian Lage, jeune prodige qui semble tirer son inspiration de musiciens aussi différents que Django, l’inventeur du jazz manouche, Tony Rice, le prince du bluegrass ou Joe Pass, technicien hors pair d’un jazz classique et virtuose. Sur ce second album, il brouille les pistes en compagnie de son quartet comprenant Dan Blake au saxophone, Aristides Rivas au violoncelle, Jorge Roeder à la basse et Tupac Mantilla aux tablas et aux percussions. Et ça swingue du tonnerre, Lage tirant de sa six-cordes, qu’elle soit électrique ou pas, un son acoustique organique qui remonte des années 40 et qu’il a pris soin de ne pas trop polir comme le font bon nombre de guitaristes actuels. Le disque est conçu comme un concept album censé représenter une ville fictive dont l’ambiance de chaque quartier correspond à une composition, Autant dire que le répertoire est varié d’autant plus que Lage transforme parfois son quintet en trio quand il ne joue pas seul sur certaines titres (sa technique en fingerpicking sur le traditionnel Freight Train est époustouflante), allant jusqu'à s'accompagner lui-même par la magie du multi-pistes. Un petit morceau d’Irlande par ici, des percussions latines par là, de la musique de chambre ailleurs et du grand jazz tout autour. Et le plus étonnant est que cette diversité ne nuit pas à une écoute intégrale : tout s’enchaîne sur ce disque avec la plus grande fluidité dans un bonheur indescriptible. Le jeune protégé de Gary Burton (qui apparaît aussi en vedette sur le récent Common Ground du vibraphoniste) n’a plus besoin de son mentor : il a les capacités pour voler en solo, très haut tout près du soleil. [ Gladwell (CD & MP3) ] |
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John Scofield : A Moment's Peace (Emarcy), 2011
Simply Put (05:30) - I Will (03:16) - Lawns (06:33) - Throw It Away (06:06) - I Want To Talk About You (07:56) - Rainy Days and Mondays (05:01) - Gee Baby Ain't I Good To You (05:01) - Johan (05:11) - Mood Returns (04:28) - Already September (05:34) - You Don't Know What Love Is (06:01) - Plain Song (05:02) - I Loves You Porgy (04:00) - Durée Totale : 64'26" John Scofield (guitare); Larry Goldings (piano, orgue); Scott Colley (basse); Brian Blade (drums) Au moment où Pat Metheny sort un disque intimiste enregistré en quelques soirées sur un guitare acoustique, John Scofield aussi choisit aussi de troquer son groove légendaire contre une approche calme, lyrique et suave. Aidé par un casting de rêve composé de Larry Goldings aux claviers (piano et orgue), Scott Colley à la basse et Brian Blade à la batterie, le guitariste se penche sur quelques standards bien choisis (You Don’t Know What Love Is interprété autrefois par Billie Holiday, l’incontournable I Loves You Porgy de Gershwin, Throw It Away immortalisé par Abbey Lincoln …) et ajoute dans la marmite quelques compositions de sa plume qui ne déparent pas le répertoire. Et il y a même, comme chez Metheny, une reprise d’un titre des Beatles, en l’occurrence le très romantique I Will traité avec sobriété et tendresse. Ce nouveau projet est donc un disque de jazz mainstream, épuré et direct. Les amateurs inconditionnels du guitariste aux doigts funky peuvent passer un tour mais les amoureux des ballades paisibles, ici interprétées avec une sensibilité et une profondeur inégalables, seront plus que comblés. [ A Moment'S Peace (CD & MP3) ] |
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Pat Metheny: What's It All About (Nonesuch Records), 2011
The Sound of Silence (06:31) - Cherish (05:27) - Alfie (07:46) - Pipeline (03:26) - Garota de Ipanema (05:11) - Rainy Days and Mondays (07:11) - That's the Way I've Always Heard It Should Be (06:02) - Slow Hot Wind (04:26) - Betcha By Golly (05:18) - And I Love Her (04:21) - Durée Totale : 55'52" Pat Metheny: guitare baryton (2, 3, 5-9), guitare Pikasso 42 cordes (1), guitare acoustique 6 cordes (4), guitare à cordes en nylon (10) On pense tout de suite à One Quiet Night (Nonesuch) paru en 2003 : Pat Metheny en solo, une guitare et une interprétation en direct sans réenregistrement. Même les pochettes sont similaires en présentant un homme errant en solitaire dans une ville nocturne. Pourtant, le résultat est un peu différent. D’abord Metheny utilise quatre types de guitares en fonction des morceaux : la guitare acoustique baryton accordée selon un mode appelé « Nashville » reste la plus présente (7 titres) à côté d’une guitare Pikasso à 42 cordes, une guitare acoustique standard et une guitare « classique » à cordes de nylon, chacune employée sur un titre. Ensuite, au lieu de jouer ses compositions, Metheny revisite des thèmes plus ou moins connus, issus tout droit de son enfance, comme The Sound of Silence de Simon & Garfunkel, La Fille d’Ipanema d’Antonio Carlos Jobim, Pipeline des Ventures, Alfie de Burt Bacharach ou And I Love Her des Beatles. Tout ça est ré-harmonisé avec goût mais dans le respect des mélodies que le guitariste s'approprie et module selon son humeur avec l'immense talent qu'on lui connaît. Certes, le fan se doute bien qu'il n'y aura rien de bien surprenant dans ce nouvel exercice de style mais c’est quand même avec plaisir qu'il ira au rendez-vous de ce nouvel album accessible et intimiste. [ What'S It All About (CD & MP3) ] |
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Eric Legnini & The Afro Jazz Beat : The Vox (Discograph), 2011
The Vox (04:43) - Joy (04:28) - Kitchen Maquis (04:35) - I Need You (04:26) - London Spot (04:19) - Ner The House On The Hill (04:48) - The Old And The Grey (04:57) - Black President (05:31) - Rose Coloured Glasses (05:27) - Canyon Lady (06:15) - Cinematic (04:34) - Durée Totale : 70'18" Eric Legnini (piano, Fender Rhodes); Krystle Warren (vocals); Thomas Bramerie (contrebasse); Frank Agulhon (drums), Da Romeo (guitare électrique); Kiala Nzavotunga (guitare électrique); Boris Pokora (saxophone); Julien Alour (trompette); Jerry Edwards (trombone); Okutu Moses - Percussions Après trois albums de jazz soul plus ou moins similaires (Miss Soul, Big Boogaloo et Trippin'), Eric Legnini avait annoncé qu’il renouvellerait son style, qu’il aiguiserait son intérêt pour l’Afrique et qu’il y aurait en plus quelques surprises. Globalement, il a tenu parole car son nouveau disque entrouvre les porte à l’Afro Beat, jadis popularisé par les Nigériens Tony Allen et Fela Anikulapo Kuti, qu’il actualise comme d’habitude par un son moderne et sophistiqué. La surprise, elle, résulte plutôt de son alliance avec la chanteuse américaine Krystle Warren dont la voix sensuelle et rocailleuse, entre pop, folk et jazz, habite de bien belle manière six des compositions du pianiste. Pour donner vie à sa nouvelle musique, Legnini, toujours accompagné par ses fidèles Frank Agulhon à la batterie et Thomas Bramerie à la contrebasse, a aussi convié un bassiste électrique, le Belge Daniel Roméo, spécialiste du funk musclé et tout terrain, ainsi que le guitariste congolais Kiala Nzavotunga qui joua avec « Egypt 80 » de Fela au début des années 80. Plus, bien sûr, une section de cuivres à l’ancienne pour faire claquer le tempo. Il ne fait aucun doute que The Vox élargit, plutôt qu’il ne remplace, la palette déjà bien riche d’Eric Legnini. Le voici désormais à la tête d’un véritable combo versatile et brillant de mille feux, interprète, compositeur, arrangeur, accompagnateur de tubes chantés, magicien fougueux du piano acoustique et du Fender Rhodes, organisateur d’happenings musicaux et incroyable réunificateur d’un funk soul à l’ancienne et d’un beat actuel mondialiste tout prêt à se faire sampler. En définitive, Eric Legnini a imposé sa vision originale d’un jazz ambitieux, passionné et ludique qui pourrait à nouveau se faufiler dans les Charts et sur les pistes de danse. Cet homme-là n’a probablement pas fini de nous surprendre. [ The Vox (CD & MP3) ] |
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Nguyên Lê : Songs Of Freedom (ACT), 2011
Eleanor Rigby (07:04) - I Wish (05:48) - Ben Zeppelin (00:51) - Black Dog (06:22) - Pastime Paradise (08:03) - Uncle Ho’s Benz (00:40) - Mercedes Benz (06:25) - Over The Rainforest (00:36) - Move Over (07:01) - Whole Lotta Love (05:18) - Redemption Song (05:29) -vSunshine of your Love (04:46) -vIn A Gadda da Vida (05:25) - Topkapi (00:43) - Come Together (05:47) - Durée Totale : 70'18" Nguyên Lê (guitares, Vietnamese Cai Luong acoustic guitar); Illya Amar (vibraphone, marimba, électronique); Linley Marthe (basse électrique); Stéphane Galland (drums) + invités Si c’est par le rock que vous êtes venus au jazz, cet album va réveiller certains souvenirs enfouis sous des années de swing. Car Songs Of Freedom est un hommage très personnel à quelques groupes et artistes qui ont changé le cours de la musique populaire : Led Zeppelin, The Beatles, Janis Joplin, Iron Butterfly, Bob Marley, Cream et Stevie Wonder. Et si Jimi Hendrix n’y figure pas, c’est parce que Nguyên Lê lui a déjà consacré un album complet il y a une dizaine d’années (Purple, Celebrating Jimi Hendrix, ACT, 2002). Attention toutefois ! Pas question ici de relecture plus ou moins respectueuse ni même de jazzifier des mélodies mille fois entendues mais plutôt de s’en servir comme tremplin pour explorer des mondes imaginaires. Du coup, c’est à une véritable collision des cultures que l’on est confronté. Du Vietnam à l’Afrique en passant par l’Orient, le leader repeint ces chansons mythiques avec de nouvelles couleurs exotiques (qui n’auraient probablement pas déplu aux créateurs originaux) tout en dynamitant leur essence binaire par des solos grandioses et des arrangements à couper le souffle. Aidé par son quartet au sein duquel on retrouve avec bonheur la frappe précise de Stéphane Galland, Lê a également fait appel à une pléthore d’invités de toutes origines - comme, entre autre,Youn Sun Nah (vocal), David Linx (vocal), Karim Ziad (percussions), David Binney (as) et Dhafer Youssef (vocal) - qui se sont investis à fond dans le projet. A l’arrivée, cet album a atteint l'objectif que suggère son titre inspiré par une chanson de Bob Marley : créer librement une expression musicale à partir de ce qu’on aime. [ Songs Of Freedom (CD & MP3) ] |
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Ralph Alessi : Cognitive Dissonance (Cam Jazz), 2010
Cognitive Dissonance (4:27) - Buying, Selling (4:28) - Dog Waking (2:55) - Duel (4:38) - A Plenty (3:26) - One Wheeler Will (3:45) - Sir (3:47) - Goodbye Ruth's (3:42) - Hair Trigger (6:37) - Better Not To Know (3:32) - Sunflower (3:42) - Same Old Story (3:55) - Option 8 (4:45) - Wait (3:51) - Goodbye Ruths (slow) (2:53) - Durée Totale : 60'30" Ralph Alessi (tp); Jason Moran (piano : 1-6, 8-11, 13-15); Andy Milne: (piano : 7, 12); Drew Gress (contrebasse); Nasheet Waits (drums) Le trompettiste californien sait ce qu’il veut. Avec son combo qui ressemble à un casting de rêve, il lâche quinze titres dont le minutage serré, entre 3 et 5 minutes, ne permet que d’aller à l’essentiel. Et si ses anciens complices, comme Steve Coleman ou Ravi Coltrane, ne sont pas totalement absents de sa musique actuelle, cette dernière s’inscrit quand même pour l’essentiel dans ce que l’on peut désormais appeler le style Alessi : des pièces courtes, mathématiquement agencées et bourrées d’idées en dépit de leur concision. Si Andy Milne est au piano pour deux titres (dont la reprise Same Old Story de Stevie Wonder, à peine reconnaissable), c’est surtout Jason Moran qu’on retiendra tant ses accords et ses solos poussent la bête en avant, s’imposant plus que jamais comme un formidable pianiste à l’intelligence pétillante. Quant à la rythmique, qui d’autre que le batteur Nasheet Waits (du Bandwagon de Moran) et le contrebassiste Drew Gress auraient convenus pour un tel voyage au bout de l’ambition. Le titre de l’album pourrait tenir l’amateur à l’écart alors que la dissonance est ici absente au profit de mélodies bien ciselées dont la singularité va jusqu’à rappeler celles de Thelonious Monk (l’extraordinaire Buying Selling). Et si l’ont peut déplorer l’approche intellectuelle du géomètre Alessi qui prend parfois le pas sur l'émotion, on est par contre béat d’admiration devant son agilité instrumentale et sa créativité musicale qui, elles, sont incontestables. A l'instar du Meaning and Mystery de Dave Douglas qui a marqué jadis les esprits, ces qualités font de Cognitive Dissonance un grand disque de jazz moderne, incisif, tendu et sophistiqué. [ Cognitive Dissonance (CD & MP3) ] |
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Eric Harland : Voyager Live by Night (Space Time), 2010 - [ Chronique de Albert Maurice Drion ]
Treachery (7:34) - Intermezzo 1 (2:38) - Turn Signal (11:28) - Voyager (7:39) - Intermezzo 2 (7:45) - Development (5:03) - Eclipse (9:47) - Intermezzo 3 (2:14) - Cyclic Episode (4:44) - Get Your Hopes Up Part 1 (5:21) - Get Your Hopes Up Part 2 (4:24) - Get Your Hopes Up Part 3 (2:43) - Get Your Hopes Up Part 4 (5:57) - Durée Totale : 78'09" Eric Harland (drums), Julian Lage (gt), Taylor Eigsti (p), Harish Raghavan (b), Walter Smith III (sax) C’est en leader que nous retrouvons Eric Harland pour cet album compilé à partir de trois concerts que le batteur originaire de Houston a donné successivement à Paris (Sunside, octobre 2008) et au festival Jazz En-Tête de Clermont Ferrand en juin 2010. Un batteur leader, ce n’est pas courant. Et pour l’occasion, Eric Harland a rassemblé autour de lui trois musiciens qui ont en commun un talent fou et un plaisir extrême à s’exprimer sur scène, plaisir qu’ils communiquent sans aucune retenue à un public qu’on devine conquis et subjugué. Eric Harland batteur, Eric Harland compositeur (huit des dix titres de l’album sont de sa plume) mais surtout artificier… Son jeu explosif met sur orbite ses trois jeunes compères qui tout au long de l’album vont entraîner l’auditeur aussi bien que les spectateurs dans un voyage nocturne durant lequel les moments de répit ne seront pas légion. Car tout est énergie dans cette musique. Il y a cette pulsion constante qui, bien sûr, doit beaucoup au jeu puissamment organique d’Eric Harland mais également à cette présence constante du contrebassiste Harish Raghavan (que j’avoue découvrir sur cet album). Comme le dirait un commentateur sportif, durant tout l’album, il ne lâche rien. Et que dire du jeune guitariste Julian Lage. A découvrir absolument. Quelle sonorité, quel jeu tout en finesse, tantôt rivé à la mélodie tantôt s’échappant en mille volutes étincelantes éclairant un ciel obscur. Et le ravissement ne serait pas complet sans les interventions du pianiste Taylor Eigsti qui, tel un magicien, transforme les touches de son piano en multiples notes cristalline qui tantôt subliment la musique, tantôt la rythment en autant d’accords qui se combinent ici aux accents de la guitare, là à ceux du saxophone. Car à maintes reprises, le jeu de ces musiciens hors du commun se télescope, s’entrelace, se bouscule, dialogue, avec toujours en arrière - plan ce diable de Harish Raghavan tendant un fil à ses audacieux complices qui finiront bien par s’y raccrocher. Et puis vient le moment où le son du saxophone de Walter Smith III s’échappe. Son jeu circulaire, à la sonorité incisive, se fait envoûtant, voire hypnotique, mais jamais ne laisse indifférent. Le plaisir est total, sans concession. Pas un seul instant d’ennui durant ces 78 minutes que dure l’album. Un seul moment de calme et de repos au premier intermède (Intermezzo 1). Car si l’album nous propose deux autres intermèdes, ils ne sont pas pour autant voués à nous procurer une douce quiétude mais plutôt à nous mettre dans un état proche de la transe, état où nous mène inéluctablement les deux solos de l’époustouflant Eric Harland, plus percussionniste que batteur. Epoustouflant comme tout cet album que je vous recommande sans réserve. [ Voyager Live By Night (CD & MP3) ] |
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Fred Hersch Trio : Whirl (Palmetto), 2010 - [ Chronique de Albert Maurice Drion ]
You're My Everything (5:03) - Snow Is Falling... (6:15) - Blue Midnight (4:49) - Skipping (4:18) - Mandevilla (5:3) - When Your Lover Has Gone (5:14) - Whirl (7:03) - Sad Poet (6:47) - Mrs. Parker Of K.C. (4:20) - Still Here (6:44) - Durée Totale : 56'12" Fred Hersch (piano), John Hebert (bass), Eric McPherson (drums) Même s’il est sorti en septembre de l’année passée sur le label Palmeto Records, je ne voudrais pas passer sous silence le très bon album Whirl de Fred Hersch. Simplement parce que cet album est le premier que nous propose le pianiste après être sorti d’un profond coma dans lequel l’avait plongé la maladie dont il souffre depuis longtemps, le VIH Sida, et parce qu’il nous est revenu que, suite à ce coma, le musicien était incapable de tenir dans sa main ne serait-ce qu’un stylo… et à fortiori de jouer du piano. Dans l’album Whirl, Fred Hersch nous propose une musique d’une réelle beauté aux accents poétiques, voire romantiques, indéniables. Son phrasé d’une remarquable fluidité et d’une grande richesse harmonique, nourri d’une sonorité limpide qui, à certains moments (When Your Lover Has Gone), n’est pas sans rappeler celle de l’emblématique Bill Evans, ne peut laisser insensible. Il suffit pour cela de se laisser emporter dans le tourbillon du titre éponyme de l’album, Whirl, de s’imprégner de la nostalgie qui se dégage d’un morceau tel que Snow Is Falling… et de s’ouvrir aux inflexions lyriques de la très belle composition Sad Poet. Beaucoup d’hommages dans cet album : hommage à Paul Motian (dont il joue avec une extrême finesse la très belle composition Blue Midnight qu’on retrouve sur Lost In A Dream précédemment chroniqué dans cette rubrique), Louis Armstrong, Jaki Byard, Wayne Shorter, Antonio Carlos Jobin et à la danseuse Suzanne Farrel. Et si Whirl est une réelle réussite, on le doit également à la section rythmique composée des excellents John Hebert à la contrebasse et d’Eric Mcpherson à la batterie. En effet, elle fait plus que s’approprier le propos de Fred Hersch, elle se fonde véritablement dans le jeu protéiforme du pianiste, en lui insufflant ce zeste de pulsion organique qui donne encore plus de profondeur à la musique qui nous est proposée. [ Whirl (CD & MP3) ] |
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Jason Moran : Ten (Blue Note), 2010 - [ Chronique de Albert Maurice Drion ]
Blue Blocks (4:36) - RFK In The Land Of Apartheid (4:10) - Feedback Pt.2 (4:54) - Crepuscule With Nellie (5:58) - Study No.6 (3:17) - Pas De Deux-Lines Ballet (3:31) - Study No.6 (4:04) - Gangsterism Over 10 Years (6:56) - Big Stuff (5:17) - Play To Live (4:21) - The Subtle One (5:35) - To Bob Vatel Of Paris (6:06) - Old Babies (5:44) - Durée Totale : 64'20" Jason Moran (piano), Taurus Mateen (bass), Nasheet Waits (drums) Brillant, talentueux, virtuose, inventif, créatif, étonnant … tous ces qualificatifs conviennent au pianiste Jason Moran. On a pu le constater sur l’album Rabo De Nube de Charles Lloyd (ECM, 2008) ainsi que plus récemment sur l’album Lost In A Dream de Paul Motian (ECM, 2010) chroniqué dans cette même rubrique. Comme accompagnateur, il n’en a pas moins contribué à la réussite incontestable de ces deux magnifiques albums. TEN, son dernier opus , marque les dix années de collaboration de son groupe, le Bandwagon dans lequel on retrouve le contrebassiste Taurus Mateen et le batteur Nasheet Waits, avec le label Blue Note. Et cela démarre très fort. Le premier titre Blue Blocks débute sur un air de blues de facture classique. Cela dure 1’05. Ensuite, en quelque « block chords » bien placés, le pianiste soutenu par une rythmique qui n’est pas en reste, nous délivre un exercice de style de haut vol qui, 2’30 plus tard, laisse l’auditeur pantois. Il lui reste alors une minute, durant laquelle le trio revient au thème initial, pour s’en remettre. Et ce n’est pas le seul exercice de style auquel nous convie le trio. La reprise de Crépuscule For Nellie, ne constitue pas en soi une réelle surprise tant le pianiste s’approprie, dans une filiation qu’il ne renie pas, la musique de Thelonious Monk. Et l’album nous délivre ainsi une série de perles qui nous surprennent tantôt pour leur originalité (Feedback Pt.2 et Study No.6 du compositeur né américain mais naturalisé mexicain Conlon Nancarrow) tantôt par la capacité exceptionnelle de Jason Moran de nous entraîner dans un tourbillon de notes sans que ne se perde la mélodie que sert le trio (Big Stuff en est un bien bel exemple tout comme la version de To Bob Vatel Of Paris, composition que l’on doit au pianiste Jaki Byard) ou encore par le talent dont le pianiste peut faire preuve dans le seul dessein de servir avec retenue les compositions qu’il nous propose, qu’elles soient de sa plume ou non (Pas De Deux-Lines Ballet et le très beau Play To Live écrit avec un de ses mentors, le regretté Andrew Hill). Et pour nous ne pas déroger à ses habitudes, Jason Moran nous propose un titre de la série des « Gangstérism » (le bien nommé Gangsterism Over 10 Years) inspiré par l’œuvre de cet artiste hors du commun qu’est le peintre néo-expressionniste américain Jean-Michael Basquiat. Tout cela a le mérite de maintenir constamment l’auditeur sur le qui-vive. Et au final, on se dit que TEN constitue vraisemblablement, comme d’autres l’ont déjà affirmé ailleurs, le disque de la maturité pour ce pianiste qui est sans doute un des plus talentueux de sa génération. Et pour clore l’album, le trio nous réserve une réelle surprise. Ainsi sur le dernier titre, Old Babies, après que la mélodie se soit éteinte pendant près d’une minute, le trio nous sert une étonnante version de la célèbre chanson d’Edith Piaf, Mon Manège à Moi. Titre qui n’est renseigné ni dans les notes de l’album, ni dans les nombreux commentaires que j’ai lus à propos du CD. Etonnant ? [ Ten (CD & MP3) ] |
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Kenny Werner : New York Love Songs (Out Note), 2010
First Light/East River (6:59) - Ground Zero (3:53) - Song Of The Heart (6:32) - Scenes From Grand Central (6:24) - Central Park Suite (13:40) - Hudson Lament (4:18) - Twilight Riverside (5:02) - Back Home Again (4:58) - Durée Totale : 51'40" Kenny Werner (piano) Un homme, un piano, une ville, la sienne où Kenny Werner a vu le jour il y a près de 60 années. New York ne ressemble à rien d'autre. Pour la plupart de ceux qui y ont été, elle est le symbole de l’énergie, du dynamisme et quand la nuit tombe, elle se pare de milliers de lumières qui s’agitent et témoignent que la vie continue à un rythme effréné. Werner, lui, la voit autrement : c’est le New York meurtri de l’après 11 novembre (Ground Zero), celui des reflets qui dansent sur l’eau du fleuve (Hudson Lament) ou encore le New York de Central Park quand les ombres envahissent un jardin d’hiver déserté (Central Park Suite). En huit improvisations sereines et majestueuses, le pianiste explore en solitaire son intimité. Sa musique est introspective, reflétant des émotions enfouies au plus profond de l’âme qui ressurgissent au bout des doigts comme des pensées sonores. Kenny Werner, le philosophe, l’arrangeur, le compositeur, le musicien qui a touché à tout, du grand orchestre symphonique au blues-soul afro-américain d’Archie Shepp, retrouve la simple beauté de la note claire pour exprimer le plaisir ou la souffrance. Pour paraphraser Charlie Parker : si vous ne le vivez pas vraiment, ça ne sortira pas de votre instrument ! [ New York Love Songs (CD & MP3) ] |
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