A noter : les nouveautés en jazz belge font l'objet d'une page spéciale. |
En août 2002, le dernier jour du mois, s'est éteint dans un hôpital de Manhattan à l'âge vénérable de 94 ans, le grand Lionel Hampton. Comme Louis Armstrong pour la trompette et Coleman Hawkins avec son saxophone ténor, Hampton changea la face du jazz en y introduisant un instrument hybride à la fois rythmique et mélodique : le vibraphone. Sous l'impulsion de Louis Armstrong pour qui il tenait la batterie dans une session restée historique, il en joua la première fois le 16 octobre 1930 sur le titre Memories of You. Et il en devint rapidement le roi incontesté, imposant au monde entier l'image d'un musicien frénétique frappant toutes mailloches dehors sur ses lamelles métalliques en marmonnant des phrases musicales qu'il inventait au fur et à mesure. Durant près de six décades, il continuera à jouer du vibraphone dans un style flamboyant où le mot swing prend tout son sens. Son nom restera associé à Benny Goodman qui le découvrit en 1936 et avec qui il enregistra de nombreux disques, participant notamment au fameux concert au Carnegie Hall en 1938. A cette époque, il enregistra aussi en leader pour le label Victor de multiples et mémorables sessions au cours desquelles il avait l'habitude de convier le gratin des musiciens de swing. Et à partir de 1940, Hampton créa son premier Big Band et forgea son style exhibitionniste décrochant un succès populaire qui ne l'a plus quitté depuis grâce à des interprétations énergiques de titres excitants comme Flying Home et Hey Ba-Ba-Re-Bop. En attendant les innombrables et nouvelles rééditions et compilations qui ne manqueront pas de voir le jour pour honorer sa mémoire, on pourra piocher dans sa longue discographie déjà éditée en compact quelques œuvres majeures à réécouter tout de suite. Lionel Hampton and his Orchestra 1939-1940 (Classics) qui compile des titres enregistrés sous son nom en quartet avec des pointures du swing comme Benny Carter (as), Coleman Hawkins (ts), Chu Berry (ts), Ben Webster (ts), Henry Red Allen (tp) et Nat King Cole (p), est un classique avec des titres incontournables comme Hot Mallets, Dinah et Flying Home. Hamp and Getz (1956) disponible chez Verve est la rencontre du chaud et du froid avec Hampton, maître du feu, confronté au prince du Cool, Stan Getz, mais le swing qui se moque de ces différences d'école emporte ces deux géants et la rencontre accompagnée par une rythmique West Coast (Lou Levy , Leroy Vinnegar et Shelly Manne) est définitement un grand moment de musique improvisée. Et en ce qui concerne l'œuvre en Big Band, beaucoup de choses attendent encore d'être rééditées mais on peut sélectionner sans risque de se tromper Lionel Hampton & His Orchestra : Midnight Sun (Decca/GRP) qui regroupe quelques titres plus Bop que d'habitude et enregistrés pour la firme Decca en 1946 et 1947. On pourra y entendre au fil des plages Arnett Cobb (ts), Johnny Griffin (ts), Milt Buckner (p) et beaucoup d'autres solistes moins connus s'en donner à cœur joie au sein d'un orchestre particulièrement exhubérant et totalement irrésistible. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur ce géant du jazz, on conseillera une visite sur le site The Lionel Hampton Story 1908 - 2002 qui réunit sur une page interminable une foule incroyable de photos, d'infos actualisées et de liens. |
Medeski Martin & Wood : Uninvisible (Blue Note Records), 2002. Le dernier opus du célèbre trio Medeski Martin & Wood (ils en sont déjà à leur dixième disque depuis 1992) délivre un groove des plus infectieux. Si les amateurs d'orgue Hammond et de funk moderne avec une sensibilité hip-hop - ce qui fait déjà beaucoup de monde - y trouveront sûrement leur compte, leur musique provocante et stylisée, un peu à la manière dont Miles Davis la concevait sur la fin, risque également d'emporter l'adhésion d'un public beaucoup plus large, qu'il soit intéressé par les musiques actuelles avec leur arsenal de machines et de platines à disques ou tout simplement par les atmosphères groovy où vivent encore à leur manière l'âme du jazz et son improvisation. Aidés à l'occasion par le scratch de DJ Olive (Pappy Check), la section de cuivres de l'Antibalas Afrobeat Orchestra ou la voix sudiste et bluesy de l'excentrique Colonel Bruce Hampton, le claviériste John Medeski, le batteur Billy Martin et le bassiste Chris Wood ont définitivement inventé le jazz sonique dont les sources multiples sont difficiles à épingler. Superbement produit par Scotty Hard, sombre et envoûtant, ce compact ne pêche à la longue que par un petit côté répétitif et son absence de mélodie. Pour le reste, si vous ne connaissez pas encore le MMW trio, vous pouvez commencer avec celui-ci : Uninvisible, contrairement à son titre, en met plein la vue. |
Majid Bekkas : African Gnaoua Blues (IGLOO IGL 163). Comme le blues nord-américain ou la macumba latine, la musique Gnaoua jouée en Afrique du Nord a ses racines en Afrique de l'Ouest. Il y a cinq cents ans, à l'époque de la conquête du Soudan, une partie de la population noire migra vers le Nord sous les effets conjugués du commerce, de l'enrôlement et surtout de l'esclavage, emmenant avec elle ses coutumes, ses croyances et sa musique. La tradition Gnaoua s'est perpétuée depuis dans les pays du Maghreb et il n'est pas surprenant qu'aujourd'hui cette musique présente des analogies aussi bien avec les premiers country-blues qu'avec le vaudou haïtien ou les mélopées sonrai d'Afel Bokoum. Basés sur la gamme pentatonique, les chants lancinants sont soutenus par une rythmique propulsée par une guitare ou un guembri et des percussions diverses où l'on distingue parfois le son de castagnettes métalliques. Véhiculant une profonde nostalgie - peut-être celle d'un royaume perdu enfoui dans les sables du Sahara - et un mysticisme lié à ses origines spirituelles, la musique Gnaoua traditionnelle est ici agrémentée de diverses influences intelligemment mixées. L'apport oriental tout d'abord avec la flûte arabe (ney) accentue le côté spirituel et religieux des mélopées, leur donnant cette couleur particulière que l'on retrouve si souvent dans les chants du désert. Des percussions africaines évoquent l'origine des Gnaouas et confèrent à la musique ce côté lascif propre à l'Afrique de l'Ouest. Enfin, les guitares de Paolo Radoni et de Marc Lelangue, spécialistes du blues invités chacun sur deux titres, rappellent la filiation qu'il y a entre cette musique née de l'esclavage et celle du blues américain beaucoup plus médiatisé en Occident. Superbement produit et enregistré, African Gnaoua Blues, outre le plaisir direct qu'il procure, est un disque indispensable pour comprendre la part africaine de bon nombre de musiques actuelles. A ranger précieusement entre un Ali Farka Touré et un John Lee Hooker ! |
Une place importante est réservée au jazz dans le programme culturel de "Brugge 2002 - Capitale Culturelle de l'Europe" et c'est dans ce cadre que le centre artistique DE WERF a décidé de célébrer le jazz belge. Après consultation d'une cinquantaine de professionnels et de journalistes spécialisés (dont 100 CD de Jazz), un classement des dix musiciens ou groupes les plus marquants de la scène actuelle a été établi et chacun d'entre eux se verra offrir l'occasion d'enregistrer une nouvelle œuvre. Les compacts paraîtront à raison d'une unité par mois de février à novembre 2002 et seront ensuite regroupés dans un coffret intitulé "The Finest in Belgian Jazz" qui comprendra aussi un livret de 300 pages décrivant le parcours des musiciens primés et présentant un aperçu de l'histoire du jazz belge. Le double CD du Brussels Jazz Orchestra de Frank Vaganée (The Music of Bert Joris - WERF 029 - 030), est déjà dans les bacs et celui de Greetings From Mercury avec Jeroen Van Herzeele et Peter Hertmans (Heiwa - TRACKS 002) vient de sortir. Aka Moon est attendu pour avril avec son nouveau disque Guitars (WERF 031). Celui du trio de Nathalie Loriers, augmenté pour l'occasion de quelques souffleurs, paraîtra en mai (77 Production). Et viendront ensuite : l'ensemble Octurn dirigé par Bo Van der Werf en juin (WERF 032), le quartet du saxophoniste Ben Sluys en juillet (WERF 033), le projet de Philippe Catherine sur Dreyfus Jazz, le quartet du trompettiste Bert Joris en septembre (WERF 034), le trio du pianiste Erik Vermeulen en octobre (WERF 035) et enfin le quartet du pianiste Kris Defoort en novembre (WERF 036). Un choix judicieux d'artistes talentueux dont la plupart ont déjà fait l'objet d'une sélection comme disque du mois sur ce site. Par ailleurs, ces parutions sont associées comme il se doit à des concerts et même à un festival d'été consacré au jazz européen qui sera organisé à Bruges du 15 au 18 août prochain. Toute cette agitation autour du jazz belge n'est pas passée inaperçue hors de nos frontières, notamment en France et en Hollande, où les productions de nos jazzmen trouvent enfin une place bien méritée dans les journaux spécialisés aux côtés des productions nationales. Décidément, la vitalité du jazz est contagieuse. DE WERF, par son obstination et la qualité artistique de sa démarche, a planté un arbre dont les fruits surprendront et réjouiront des milliers de mélomanes : allez leur rendre une petite visite sur leur site. C'est le moins que vous puissiez faire ! |
Andy Sheppard est un saxophoniste britannique dont le premier enregistrement remonte à 1987. Connu notamment pour avoir joué dans le Living Time Orchestra de George Russell, et aux côtés de Carla Bley et du bassiste Steve Swallow, il s'est par la suite fait une réputation de musicien éclectique en travaillant avec des artistes d'horizons divers comme le violoniste indien Shankar, le DJ Rita Ray, le percussionniste Nana Vasconcelos ou l'organiste Barbara Dennerlein. Sur Nocturnal Tourist, son troisième disque paru sur le label Provocateur (distribué chez nous par Culture Records), il improvise en solo sur les rythmes de Stephane San Juan agrémentés de sons électroniques programmés et d'un échantillonnage de bruits de rue ou d'orage, de conversations à demi-mots, de chants africains, de cris d'enfants ou d'oiseaux. Forcément la musique évoque des images et s'avère riche en climats divers. La sonorité chaude et sobre du leader, le tempo binaire et le recours aux techniques électroniques et au sampling font penser à l'œuvre du trompettiste Nils Petter Molvær : dans les deux cas, on se sent bien dans ce genre d'ambiance idéale pour un " chill out ". |
Né en 1964, le pianiste suédois Esbjörn Svensson, après avoir acquis une solide expérience sur les scènes suédoises et danoises, a formé son propre trio vers 1993 avec Dan Berglund à la basse et Magnus Öström à la batterie. En décembre de la même année, il enregistre son premier disque When Everyone Has Gone sur Dragon suivi par Mr and Mrs Handkerchief (Prophone, 1995), EST plays Monk (BMG, 1996), Winter in Venice (ACT, 1997) , et enfin les superbes From Gagarin´s point of view (ACT, 1999) et Good Morning Susie Soho (ACT, 2000). Immédiatement reconnu comme un artiste original en Suède où ses disques collectionnent les récompenses, EST a rapidement gagné une grande notoriété dans le reste de l'Europe. Inspiré au départ par Keith Jarrett et Chick Corea, le pianiste évolue aujourd'hui dans un univers sonore très personnel qui peut rappeler Debussy ou Bill Evans, Thelonious Monk ou des chants folkloriques, un jazz-rock semi-électrique ou une pop psychédélique. Habilement secondé par deux musiciens à l'esprit aussi ouvert que le sien, Svensson, incapable de se limiter à un seul style, est à la croisée de toutes les tendances du piano moderne. From Gagarins Point of View et Good Morning Susie Soho qui représentent assurément le meilleur du jazz européen de la fin de ce millénaire, ont été compilés cet été sur un nouveau compact intitulé Somewhere Else Before qui sera édité aux Etats-Unis sur Columbia Jazz, entérinant ainsi la reconnaissance internationale du fabuleux talent de cet incroyable trio.
|
Dans Nocturne (Verve / Gitanes), le contrebassiste Charlie Haden s'associe au pianiste cubain Gonzalo Rubalcaba ainsi qu'au batteur Ignacio Berroa et ajoute un chef d'œuvre de plus à son abondante discographie. Aidé au fil des titres par David Sanchez ou Joe Lovano au ténor ou par le violon expressif de Federico Britos Ruiz, Haden explore l'univers intimiste du bolero, ces ballades romantiques puisées ici pour l'essentiel dans le répertoire mexicain ou cubain. Pat Metheny aussi est venu ajouter son phrasé mélodique sur le magnifique Noche de Ronda, laissant au passage augurer du bonheur qu'il pourrait semer en entraînant son propre groupe dans une aventure comme celle-là. Et quelle belle surprise d'entendre Rubalcaba, qu'on a connu plus exubérant ailleurs, s'aligner avec classe sur le jeu dépouillé et méditatif de son leader. C'est le temps des promesses et des secrets, celui de la romance murmurée au cœur de la nuit andalouse. Quelques instants de sérénité avant que la passion n'emporte tout. |
A 32 ans, le fils du légendaire saxophoniste Dewey Redman, adulé par le public et parfois désavoué par la critique pour ses disques jugés trop conventionnels, est pourtant un musicien intègre, formidablement doué, et animé d'une réelle volonté d'affiner sa vision musicale qui s'affirme au fil de sa discographie. Passage of Time (Warner Bros.) marque ainsi d'une pierre blanche l'évolution de cet artiste. Accompagné par Aaron Goldberg au piano, Reuben Rogers à la basse et Gregory Hutchinson à la batterie, Joshua Redman a conçu cette œuvre ambitieuse comme un concept album autour du thème du temps : les titres s'enchaînent avec fluidité et s'interpellent l'un l'autre tandis que se cristallisent dans l'instant des échanges intenses entre quatre musiciens qui se connaissent sur le bout des doigts. Le tandem Redman / Goldberg en particulier est une merveille de précision et d'improvisation collective. Au point de passage du temps, Redman écoute les notes qui filent dans le passé tout en jouant celles qui lui parviennent de l'avenir. C'est ce que symbolise cette très belle pochette avec ce saxophone figé dans la vapeur comme une machine temporelle " steampunk ", fantastique illustration de l'interface entre les deux concepts du temps perçu à la fois sur les deux plans philosophique et mécanique. |
Né à Indianapolis en 1938, le trompettiste Freddie Hubbard est l'auteur de quelques uns des plus beaux fleurons du Hard Bop que ce soit, en leader, sur ses propres albums chez Blue Note, Atlantic et Impulse! ou, en compagnie de Coltrane, Hancock, Oliver Nelson ou Eric Dolphy, sur ces disques historiques que sont Ascension, Maiden Voyage, Blues And The Abstract Truth et Out To Lunch. Après une éclipse due à des problèmes de santé, le voici de retour avec ce compact intitulé New Colors (Hip Bop Records HIBD 8026 / Culture Records). Enregistré avec un octet et l'aide de quelques prestigieux invités comme Kenny Garrett et Javon Jackson, True Colors permet d'entendre le maître jouant uniquement du bugle avec une expression et une imagination intactes. Confronté à d'excellents solistes (Craig Handy au saxophone ténor, Ted Nash ou Myron Walden à l'alto, Garrett sur le funky Blues For Miles et Javon Jackson sur Dizzy's Connotations), il est dignement accompagné par un orchestre finalement assez sage et calibré mais dont les arrangements vigoureux, dus pour la plupart à Hubbard lui-même et au trompettiste David Weiss, tournent avec la réelle puissance d'un moteur V8. Bien sûr, c'est du Hard Bop dans la pure tradition mais ce disque s'inscrit dans la veine de ses meilleures réalisations (The Artistry of F.H. sur Impulse! par exemple) et on n'attend pas de Hubbard qu'il remette en question son style à l'âge de 63 ans. Seulement qu'il le perpétue le plus longtemps possible en enregistrant des disques de qualité comme celui-ci pour le plus grand plaisir des amateurs qui l'ont suivi jusqu'à aujourd'hui et des plus jeunes qui le découvriront demain. A ne pas rater ! |
Les News plus anciennes sont encore en ligne : |
Commentaires et avis sur ce site : livre d'or Contact pour promotion et chronique : @dragonjazz.com |