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Une sélection pour 2004 Comme chaque année, je retourne sur mes pas et fouille ma discothèque à la recherche des compacts qui se sont incrustés dans ma platine l'année dernière, ceux que j'ai glissés dans mon Case Logic pour les voyages, ceux dont il est difficile de me séparer. En voici quelques uns listés sans aucun ordre de priorité et tous dans des genres différents. Conseillés, recommandés, en tout cas à écouter si vous ne les connaissez pas encore, voici les choix de DragonJazz :
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Steve Smith & Vital Information : Come On In (Tone Center), 2004. Ne vous laissez pas avoir par la pochette ringarde de ce compact car ce qui est à l'intérieur est tout simplement un régal pour les amateurs de Jazz-rock électrique. Vital Information, fondé en 1983 par le batteur vétéran Steve Smith (Journey, Jean-Luc Ponty, Steps Ahead …), a connu de multiples changements de personnel au fil de sa discographie déjà longue de 11 albums. Rejoint par l'organiste Tom Coster en 1986, le guitariste Frank Gambale en 1988 et le bassiste Baron Browne en 2000, Steve Smith a finalement stabilisé le line-up de son groupe qui fait aujourd'hui partie des meilleurs représentants du genre. Come On In par exemple vous en mettra déjà plein la vue avec sa partie de basse électrique à la Jaco Pastorius intiment imbriquée à la guitare de Gambale. Mais le disque est varié avec deux plages acoustiques en trio (Beneath The Surface et Fine Line), une valse qui rend hommage aux origines italiennes du guitariste (From Naples to Heaven), l'emploi occasionnel d'un accordéon joué par Tom Coster sans oublier l'extraordinaire Baton Rouge, improbable croisement entre la musique cajun et des rythmes indiens. Le quartet démontre aussi ce que Funk veut dire avec Cat Walk, un titre chaloupé soutenu par un orgue Hammond B-3 qui n'est pas sans rappeler le grand Jimmy Smith (dont l'ombre plane encore davantage sur un titre Hard Bop plus classique comme Little Something). Gambale apparaît sur toutes les plages comme un guitariste inventif et d'une incroyable vélocité, mettant à l'occasion en pratique sa fameuse technique de sweep picking qui consiste approximativement en de rapides remontées ou descentes sur plusieurs cordes simultanées (bonjour le tricotage des doigts) : la frénésie qui s'en dégage, qui n'a rien de gratuite tant ces effets sont parfaitement naturels et maîtrisés, est tout bonnement ahurissante. Quant à Steve Smith, sa pulsation marque le temps avec une précision métronomique avec de soudaines poussées de fièvre qui font passer la ligne jaune sans qu'on s'en aperçoive, poussant alors les solistes dans leurs retranchements ultimes et engageant avec eux des passes d'armes aussi courtes que redoutables. Le dernier morceau du compact, High Wire, est à écouter en priorité par les aficionados de fusion tant le quartet s'en donne à cœur joie : Hammond B-3 déchaîné, guitare furieuse rappelant les plus grands moments de Tribal Tech ou du Chick Corea électrique, cadence étincelante du batteur… le groupe est ici au sommet de sa complicité et quand tout s'arrête sur une infernale série de breaks, on n'a qu'une envie : rester là haut et remettre ça encore une fois. Décidément, Vital Information est le secret le mieux gardé du Jazz-rock. A ne pas rater !
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The RH Factor : Hard Groove (Verve), 2003 - The RH Factor : Strength (Verve EP), 2004. Le trompettiste Roy Hargrove, depuis ses premiers pas pour le label Novus en 1989, a montré un bel éclectisme dans ses choix musicaux. Son premier opus pour Verve en 1993 intitulé With the Tenors of Our Time, dans lequel il se frottait à cinq des plus grands ténors de l'époque, est resté dans les mémoires comme une belle leçon de Hard-bop, un style dans lequel les chroniqueurs l'ont un peu trop vite enfermé. En 1997, il remettait les compteurs à zéro en prenant la tête d'un orchestre américano-cubain dont l'exubérance latine mit le feu à sa réputation de bopper mainstream. Habana, avec Chucho Valdez au piano et un Russell Malone transcendant à la guitare, fut assurément l'une des productions les plus chaudes de l'année. Deux ans plus tard, il surprenait encore avec Moment To Moment, un disque nettement plus cool à la gloire d'un jazz classique enrobé d'un orchestre à cordes comme la plupart des grands trompettistes ont rêvé d'en enregistrer un jour. Mais la vraie révolution était encore à venir et elle fleurit au printemps 2003 avec un projet personnel par lequel Hargrove ouvrit la boîte de Pandore, libérant d'un coup toutes ses envies et ses innombrables influences. The RH Factor prit l'Europe (et dans une moindre mesure l'Amérique) par surprise en étalant une fusion libératrice de jazz, funk, R&B, néo-soul, hip-hop et rap tellement jouissive qu'on l'a comparée à la grande révolution que fut le Jazz-rock pour Miles Davis à la fin des années 60. C'était oublier bien sûr que d'autres avant lui avaient eu la même idée comme Brandford Marsalis avec Buckshot Lefonque par exemple, mais avec Hard Groove, le trompettiste, en se moquant des bien-pensants de son petit monde élitiste, a quand même ramené le jazz dans la rue. Et tout ça sans s'aliéner son passé de jazzman car il n'est pas question ici de sampler des musiques anciennes en les recyclant sur des rythmes bass'n'drums. C'est bien de vrai jazz moderne qu'il s'agit mais subtilement mélangé à ces nouvelles formes de musique noire populaire qui font vibrer les jeunes d'aujourd'hui. Pour ça, il s'est entouré d'un nouveau band (Keith Anderson, Sax ; Bernard Wright, keyboards ; Bobby Sparks, Fender-Rhodes ; Spanky, guitare ; Reggie Washington, basse acoustique ; Jason Thomas, drums) excellent dans ce contexte et sans doute incapable de rejouer les classiques de Habana mais armé pour s'imposer dans les clubs ou sur les radios branchées du monde entier. En invités, Erykah Badu, D'Angelo, Stephanie McKay, Q-Tip, Common et d'autres dont les noms sont totalement inconnus du jazzfan de base sont venus parfaire et adouber cette entreprise osée et bouillonnante. Et la meilleure, c'est que tout ça n'a rien d'une banale histoire commerciale tant la musique paraît honnête et spontanée. Pari réussi : les ventes ont grimpé et tout le monde parle sur le Net de Hard Groove comme d'une œuvre majeure. 25 titres furent enregistrés avec l'intention de sortir un double album mais en définitive, pour des raisons commerciales, Verve n'édita qu'un unique compact de 14 plages. Alors, à la demande de la division française du label, six autres titres issus des mêmes sessions sont maintenant gravés sur un nouvel EP intitulé Strength. Tous sont cette fois bien axés sur le côté funk de l'entreprise et le feu se ravive de plus belle. Nul ne sait ce que fera Roy Hargrove sur son prochain disque mais en attendant, vous pouvez faire tourner ces deux galettes sans modération. Ca se danse, ça s'écoute et ça fait plaisir à tout le monde. Recommandé !
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Steps Ahead (Elektra), 1983 (réédition 2004). Voici une réédition bienvenue : celle du premier disque sorti en 1983 aux USA par le groupe Steps Ahead. Fondé par le vibraphoniste Mike Mainieri, Steps Ahead réunissait à l'époque, autour du leader, des pointures comme Michael Brecker (ts), Eddie Gomez (b) et Peter Erskine (batterie) en plus de la pianiste plus discrète et moins connue Eliane Elias, pour un disque de Jazz-rock / R&B / Fusion acoustique efficace, mélodique et magnifiquement interprété. Erskine, dont on connaît les qualités et qui profite ici de la technique sans faille du bassiste Eddie Gomez mixé bien devant, se révèle comme le vrai organisateur de cette musique à laquelle il confère une souplesse féline. Mainieri par son jeu profond et nuancé vous fera aimer le vibraphone même si vous avez des craintes à ce sujet. Quant à Brecker, c'est évidemment le soliste le plus imposant, délivrant des solos inventifs plein de passion tout en restant au service d'un jazz moderne qui s'est fixé quelques limites en matière de construction et d'accessibilité. Parmi les sept titres offerts, le premier, Pools, composé par Don Grolnick (pianiste de Steps, ancienne mouture du groupe) et Islands de Mainieri se distinguent comme des modèles du genre. Le disque se conclut par Trio, un titre de près 8 minutes mettant en évidence les capacités d'improvisation de Mainieri, Brecker et Gomez.. Le groupe connaîtra par la suite plusieurs changements de personnel et s'orientera vers une fusion électrique plus traditionnelle, devenant l'un des tremplins du fameux saxophoniste. Passeront ainsi entre autres au fil des disques, Tony Levin (Chapman stick), les pianistes Warren Bernhardt et Rachel Z, Darryl Jones et Victor Bailey (basse), le batteur Steve Smith et même le guitariste Mike Stern. Mais cet album-ci reste le meilleur de tous grâce à un line-up presque parfait (si Don Grolnick était resté aux claviers, ça n'aurait pas été plus mal !) et parce que c'est l'un des premiers véritables disques de fusion acoustique sophistiquée comme on n'en trouve pas tellement dans l'histoire du jazz. Croyez-moi, ça vole bien plus haut que Spyro Gyra, The Yellowjackets ou Elements à qui Steps Ahead a parfois été comparé. A redécouvrir !
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John Abercrombie : Class Trip (ECM), 2004. Près de 60 ans et une liste de disques derrière lui tellement longue que celui qui ne le connaîtrait qu'imparfaitement aurait bien du mal à en choisir un. Pourtant, il y en a peu qui ne soient pas intéressants et celui-ci se classe parmi les tout meilleurs. Le style du guitariste John Abercrombie est devenu si parfait, si fluide qu'on est immédiatement troublé par la beauté des paysages sonores qui sont présentés ici. Le trio qui l'entoure est celui qu'il fallait pour donner à ces miniatures librement improvisées une profondeur peu commune. La rythmique composée de Marc Johnson à la contrebasse et du batteur Joey Baron est ample et réactive tandis que le violon de Mark Feldman, qui est l'autre secret de cette réussite, ajoute avec sophistication une extraordinaire touche d'émotion. Les hommes interagissent, se répondant l'un l'autre avec une science de l'écoute et de la répartie qui laisse pantois. Un peu comme si l'on écoutait le fameux trio (celui de Waltz For Debby) du pianiste Bill Evans réincarné en guitariste. On pourrait appeler ça de la musique de chambre non par ce qu'elle doit aux mélodies de la musique classique (et malgré une belle interprétation du Soldier's Song de Bela Bartok) que par la manière dont le quartet organise ses structures harmoniques et rythmiques. La seule autre comparaison possible que l'on puisse faire sans être sûr de se tromper, c'est avec Bill Frisell, un autre guitariste qui sait aussi faire passer avec calme, retenue et en quelques notes bien choisies, une dose massive de sentiments. Comme Frisell, Abercrombie a cette agilité, cette souplesse qui ouvre la musique sur les grands espaces où l'esprit se perd et le corps se régénère. Enfin, n'allez pas croire qu'il s'agit là d'un autre disque à la sonorité diaphane dominante destiné à la méditation. Non, c'est du pur jazz et, de la valse au bop en passant par la ballade romantique ou quelques effluves moyen-orientales, il y en a pour tous les goûts. Class Trip est varié, imprévisible, original et d'une indescriptible beauté. Bref, c'est le disque de guitare jazz de l'année 2004 ! |
Papa Noël est de retour. Des cadeaux ! Des cadeaux ! Et qu'est-ce qu'on peut offrir en 2003 à ceux ou celles qui aiment le jazz ? Piochez sans retenue dans cette sélection de dix disques choisis parmi les plus indispensables de l'année. Une sélection faite comme d'habitude sans préjugé, sans œillère et les pavillons grand ouverts sur la plus belle des musiques d'aujourd'hui. Pas de classement ni de priorité dans cette liste : juste 10 disques à écouter pour (se) faire plaisir sans retenue.
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Pat Metheny : One Quiet Night (Warner Brothers), 2003. Tout au long de sa prodigieuse carrière discographique, Pat Metheny n'aura cessé de surprendre, passant des ambiances les plus intimistes (ses débuts sur ECM) au rock (il va jusqu'à reprendre Third Stone from the Sun sur une compilation de guitaristes dédiée à Jimi Hendrix – Stone Free, 1993), du jazz climatologique qui se joue des genres (le Pat Metheny Group) à des expériences sonores à peine audibles (Zero Tolerance for Silence), du jazz classique (Question and Answer avec Dave Holland et Roy Haynes ou Trio 99>00 avec Larry Grenadier et Bill Stewart) à des incursions dans l'avant-garde en compagnie de Dewey Redman (80/81) ou David Liebman (Elements: Water) sans oublier sa participation à quelques musiques de film mémorables (Under Fire, Falcon and the Snowman). Et le voici une nouvelle fois qui expérimente sur ce disque enregistré au coin du feu, en solitaire devant un micro, avec une nouvelle guitare baryton acoustique acquise récemment et accordée dans un registre grave selon un mode dénommé « Nashville ». Avec un tel concept artistique comme fil conducteur, ce disque présente forcément une uniformité de ton et d'atmosphère. Mais quel talent ! De ces accords finement égrenés, sans l'ombre d'un solo, se dégage une sérénité, une émotion, un lyrisme dont on sait le guitariste capable mais qui surprendra toujours. Sur trois reprises, dont My Song de Keith Jarrett et un surprenant Ferry Cross The Mersey emprunté à Gerry and the Pacemakers, quelques improvisations originales et son fameux Last Train Home, le guitariste déploie sa science de l'instrument avec une telle maestria qu'on finit par en oublier les limites. Un disque comme New Chautauqua (ECM, 1979) est sans doute ce qui se rapproche le plus de cet essai mais One Quiet Night est plus dépouillé, plus homogène, plus austère aussi par la volonté de l'artiste de s'en tenir à sa singulière idée. En tout cas, Metheny démontre si c'était encore nécessaire qu'il reste aujourd'hui un véritable créateur et l'un des guitaristes majeurs du nouveau millénaire. Quant à ce CD, on le conseillera à tous les amoureux des musiques paisibles, particulièrement ceux qui s'en délectent le soir, au bord du rêve, juste avant que le silence de la nuit ne les emporte vers un monde meilleur. |
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