Retrouvez sur cette page une sélection des grands compacts, nouveautés ou rééditions, qui font l'actualité. Dans l'abondance des productions actuelles à travers lesquelles il devient de plus en plus difficile de se faufiler, les disques présentés ici ne sont peut-être pas les meilleurs mais, pour des amateurs de jazz et de fusion, ils constituent assurément des compagnons parfaits du plaisir et peuvent illuminer un mois, une année, voire une vie entière.
A noter : les nouveautés en jazz belge font l'objet d'une page spéciale. |
Anne Wolf Quatuor : Danse Avec Les Anges (Igloo Records), 16 août 2019
1. Légitime Désir (6:35) - 2. Blues Bubbles (6:39) - 3. Petite Pièce En Faux Mineur (9:12) - 4. Danse Avec Les Anges (a song for Anthony) (5:41) - 5. Sixte, Sept And Fun (5:47) - 6. 500 Miles High (6:20) - 7. Very Early (5:29) - 8. Intimacy (6:08) - 9. December In New-York (5:16) Anne Wolf (piano); Sigrid Vandenbogaerde (violoncelle); Theo de Jong (guitare basse acoustique); Lionel Beuvens (drums) + Fabrice Alleman (sax soprano : 4). Enregistré en avril et mai 2019 au Synsound Studio à Bruxelles, Belgique
L'emploi de quatuor au lieu de quartet le suggère et les deux instruments solistes, piano acoustique et violoncelle, le confirment : ce disque serait plus proche du classique que du jazz. Pourtant, à l'écoute du premier titre, Légitime Désir, c'est bien du jazz qu'on écoute avec sa part d'improvisation et sa rythmique légère, toute en retenue certes, mais quand même bien présente. Bien sûr c'est d'un jazz européanisé qu'on parle, plus sophistiqué, plus écrit et plus tendre aussi, ornementé et teinté de romantisme. La référence au jazz américain est pourtant toujours présente, ne serait-ce que par la reprise de deux standards. 500 Miles High, jadis enregistré au piano électrique par Chick Corea avec Return To Forever sur l'album Light As A Feather, est ici rendu dans une version aérienne où l'improvisation incendiaire du saxophoniste Joe Farrell est omise au profit d'un échange serein entre guitare basse acoustique et violoncelle. En revanche, la ballade de Bill Evans, Very Early, est un choix beaucoup plus évident puisque cette valse écrite dans sa jeunesse était déjà à l'origine une composition classicisante d'inspiration lyrique. Les autres titres, tous de la plume d'Anne Wolf, incitent le temps à suspendre son vol. La pianiste y fait constamment miroiter les mélodies auxquelles la violoncelliste apporte des nuances délicates. Comme dans une peinture de Monet qui exalte la couleur et rend visible la lumière, les notes ondoyantes dansent dans l'air en se mélangeant et invitent l'auditeur à recréer sa propre image du monde. Le quatuor se fait quintette sur le merveilleux Danse Avec Les Anges où un saxophone soprano vient souligner la mélodie avant de s'envoler comme une plume dans l'air frais du matin : c'est celui de Fabrice Alleman qui joue ici comme d'habitude avec une aisance qui laisse pantois. Le répertoire se referme sur December In NY, une composition où le swing émerge avec un entrain et une fraîcheur qui évoquent l'esprit du duo jadis composé par Stéphane Grappelli et Michel Petrucciani. Danse Avec Les Anges est un disque purement poétique dont on profitera le mieux à l'aube, au crépuscule ou en plein jour au fil de l'eau, en tout cas dans un espace naturel où aucun bruit parasite ne viendra perturber la splendide harmonie des sons qui en émanent. Un bien bel ouvrage par un quatuor (ou un quartet, à vous de choisir) en état de grâce ! [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Danse Avec Les Anges (Digital / CD) ] [ A écouter : Anne Wolf Quatuor (teaser) - Danse Avec Les Anges ] |
Serena Fisseau et Vincent Peirani : So Quiet (ACT), France, 24 mai 2019
1. Bengawan Solo (traditionnel) (02:43) - 2.La Javanaise (Serge Gainsbourg) (03:55) - 3. What A Wonderful World (George D. Weiss / Bob Thiele) (01:56) - 4. Close To You (Burt Bacharach) (03:03) - 5. La Tendresse (Hubert Giraud / Noël Roux) (03:34) - 6.La Bourdique (Richard Hertel / André Minvielle) (02:31) - 7. Bintang Kecil (traditionnel) (04:43) - 8. Malandrinha (Freire Junior) (04:04) - 9. Luiza (Antônio Carlos Jobim) (04:16) - 10. Alguem Cantando (Caetano Veloso) (03:56) - 11. Small Song (Lhasa de Sela, François Lalonde et Jean Massicotte / Lhasa de Sela) (03:04) - 12. And I Love Her (John Lennon & Paul McCartney) (04:00) - 13. 3 Petites Notes de Musique (George Delerue / Henri Colpi) (03:08) - 14. Over The Rainbow (Harold Arlen / Edgar Harburg) (03:15) Serena Fisseau (voix et percussions corporelles sur 6); Vincent Peirani (accordéon, Wurlitzer, piano, boîte à musique et voix). Enregistré en décembre 2018 par Nicolas Djemane au Studio Soult, Maisons-Alfort (Paris)
Si la nécessité de la musique au bien-être des humains est une évidence, ses effets seraient plus spécifiquement favorables au développement des bébés. Les berceuses et les comptines en particulier seraient bénéfiques aux jeunes enfants. Mieux, elles constitueraient un remède miracle pour apaiser les bébés, mettre fin à leurs pleurs et aider à leur épanouissement. Les deux artistes Serena Fisseau et Vincent Peirani ont tenté d'approfondir les bienfaits de cette pratique avec les quatorze morceaux de cet album. Les deux musiciens ne sont pas seulement un couple sur le plan artistique, mais aussi dans la vie personnelle et, comme l'annonce le dossier de presse, ils ont enregistré les morceaux de So Quiet d'abord pour leurs deux enfants. D'origine indonésienne, la chanteuse n'en est d'ailleurs pas à son premier projet sur le sujet. En 2010 avec son CD et son spectacle jeune public D'Une Île A L'Autre, elle a déjà exploré des berceuses et des chants traditionnels. Ce disque offre à l'auditeur un merveilleux tour du monde. La version délicate de What A Wonderfull World proposée par les deux artistes apporte une douceur et un calme dont le résultat sur le rythme cardiaque est immédiat. Chaque reprise est dans la même veine, la voix de Serena Fisseau et les arrangements de Vincent Peirani installant à chaque fois une belle atmosphère sereine. Le choix du titre, So Quiet, s'impose au fur et à mesure que les morceaux défilent, le charme et la quiétude absorbant l'auditeur grâce en partie à la variété des langues utilisées, corse pour La Bourdique, indonésien pour Bintang Kecil, ou en portugais pour Luiza... L'apaisement ressenti à l'écoute de So Quiet est indéniable : la fin du morceau Close To You incite à fermer les yeux et à s'assoupir. Cet album qui parvient à mitiger le stress responsable de la plupart des maux du 21ème siècle s'avère vite indispensable et peut être prescrit sans modération aux grands comme aux petits. [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ So Quiet (CD / Digital) ] [ A écouter : What A Wonderful World - Close To You ] |
Thomas Boffelli : Howls (WeSeeMusic Records), France, 27 Septembre 2019
1. Howls (7:21) - 2. Ho (1:36) - 3. Papoose (5:22) - 4. Close Path (7:48) - 5. Ow (1:50) - 6. Le Bâton Et La Pluie (6:04) - 7. Riding The Sun (4:3) - 8. Ls (4:01) - 9. Totem (5:11) Thomas Boffelli (trompette, composition); Jérôme Girin (saxophone ténor); Matthieu Marthouret (piano); Sylvain Dubrez (contrebasse); Damien Françon (drums)
D'emblée, le titre éponyme nous plonge dans un jazz moderne mais terriblement relax qui ondule avec classe à l'écart des modes et des démonstrations. Cette musique a des sonorités chaudes qui placent l'auditeur dans un climat de détente propice à la rêverie. Et pourtant, on n'est pas ici dans un nocturne de Chopin. C'est d'un vrai quintet de jazz qu'il s'agit, et dans sa configuration la plus célèbre avec saxophone, trompette, piano et rythmique. Mais les deux solistes, le trompettiste Thomas Boffelli et le saxophoniste Jérôme Girin, savent comment tirer le meilleur de leurs instruments, inventant des contrepoints émotionnels ou se lâchant dans de subtiles improvisations qui n'oublient jamais la mélodie. La basse ronde et charnue de Sylvain Dubrez et la batterie souple de Damien Françon contribuent largement aux textures veloutées tandis que le piano omniprésent de Matthieu Marthouret enrichit les harmonies. Ce morceau particulièrement séduisant surprend car souvent, il faut attendre plusieurs disques enregistrés par un même groupe avant que ce dernier ne puisse développer un tel son d'ensemble, or le projet Howls est leur première production. Si l'on excepte quelques poussées de fièvre libertaire sur les courts Ho et Ow qui ressemblent plus à des interludes qu'à de vraies compositions, le reste du répertoire, beaucoup plus en phase avec un jazz cool tendance Côte Ouest qu'avec le hard-bop brûlant des Messagers newyorkais, confirme la première impression d'une musique en suspension, élégante mais dynamique, et présentée dans des arrangements sophistiqués. Celui de Totem par exemple, qui clôture le disque, est particulièrement remarquable en ce qu'il parvient même à installer une atmosphère mystérieuse quasi cinématographique. Sinon, j'aime beaucoup également Le Bâton Et La Pluie, une composition illuminée par de subtiles nuances qui engendrent une certaine nostalgie propre aux jours humides. Howls est un album soigné et équilibré qui ne fait pas que marquer la naissance d'un nouveau quintet : il en confirme aussi l'étonnante et précoce maturité. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Howls (CD & Digital) ] [ A écouter : Howls - Close Path ] |
Clément Landais : Inland (Hypnote), 31 mai 2019
1. Skyscrapper (6:36) - 2. Traffic (4:11) - 3. CM12 (3:39) - 4. CM3 (2:46) - 5. Mystère (7:23) - 6. Sinless (5:49) - 7. Burgler (7:35) - 8. Alice (3:40) - 9. CM6 (1:43) - 10. Filu Feru (2:26) Fred Borey (saxophones); Pierre Perchaud (guitare); Julien Jolly (drums, claviers); Clément Landais (contrebasse, basse électrique). Enregistré au Studio Acces Digital, Rouen, France.
Inland est le premier album d'un quartet assemblé par le bassiste Clément Landais, compositeur de la majorité des titres. A l'instar de la pochette sur laquelle on distingue à peine un navire noyé dans la brume marine, la musique atmosphérique renferme une part de mystère propice à faire tourner l'imagination. Skyscrapper, qui ouvre le répertoire emmène illico l'auditeur au dernier étage d'un gratte-ciel, là où le monde réel disparaît dans les premiers stratus et cumulus. Le saxophoniste Fred Borey, compositeur du thème, joue avec fluidité des phrases limpides aux teintes pastel tandis que le guitariste Pierre Perchaud révèle une grande finesse dans un jeu tout en retenue dont la fluidité évoque le grand John Abercrombie dans ses productions pour ECM. D'autres titres comme Mystère, Sinless et Alice, écrit par le leader en hommage à sa fille, témoignent d'une sensibilité à fleur de peau chez ces musiciens qui semblent guidés par la même vision partagée d'une musique éthérée et intimiste. On trouve aussi sur ce disque trois pièces de Clément Landais intitulées CM12, CM3 et CM6 qui ressemblent à des épures et renvoient peut-être à des études issues des années d'apprentissage au conservatoire. Le court Filu Feru, qui clôture l'album, témoigne en revanche que ce quartet peut aussi swinguer à l'ancienne s'il le souhaite et, incidemment, laisse entendre que d'autres voies pourraient être explorées plus tard. En attendant, Inland est un album très mélodique dont le lyrisme et la sonorité ouatée invitent à la réflexion, à la méditation et, finalement, au rêve. A écouter en voyage, sur les chemins de terre qui montent vers les nuages. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Inland (CD & Digital) ] [ A écouter : Skyscrapper ] |
Sylvain Cathala Septet : Cullinan (Connexe Records), France, 6 mai 2019
1. Entremêlés 2 (10:11) - 2. Phases of Gravity 2 (7:19) - 3. Cullinan VII (6 :28) - 4. Nassak (8:31) - 5. Wittelsbach - Part 1 (5:52) Sylvain Cathala (saxophone ténor) - Marc Ducret (guitare) - Benjamin Moussay (Fender rhodes) - Guillaume Orti (saxophone alto) - Bo Van der WERF (saxophone baryton) - Sarah Murcia (contrebasse) - Christophe Lavergne (batterie). Enregistré live au Triton (Les Lilas) le 30 juin 2016.
Il y a deux ans sortait l'album Hope enregistré au Triton le 30 juin 2016 par le septet de Sylvain Cathala à propos duquel je soulignais dans ces pages tout à la fois le souffle créatif, les influences de Steve Coleman et d'Aka Moon, et le groove "né de la collusion des souffleurs avec une rythmique dont l'audace n'a d'égale que son épaisseur". Cullinan est le deuxième volet de ce même concert qui offre cinq nouveaux titres confirmant les impressions laissées par son prédécesseur. Mais ce second opus, inséparable du premier qu'il complète (qui voudrait n'avoir qu'un demi-souvenir de ce mémorable concert ?), a aussi ses moments de gloire. On se contentera de mettre en exergue l'envolée tempétueuse de la six-cordes de Marc Ducret sur Wittelsbach - part 1 suivi de près par un solo d'anthologie du saxophoniste Guillaume Orti qui amplifie d'abord la houle en prenant appui sur une rythmique trampoline avant de la faire mourir dans un petit matin blême. Phases of Gravity 2 est bâti sur les improvisations des souffleurs qui s'entremêlent comme des destins tandis que Cullinan brille par ses harmonies aussi savantes que nostalgiques. Nassak apparaît beaucoup plus chaotique et même bruitiste encore qu'en se fixant sur les mystérieuses lignes de cuivre qui agissent ici comme un fil rouge, on s'imagine vite en train de caracoler dans les replis d'ombre d'une grotte peuplée d'étranges créatures. Le batteur Christophe Lavergne, une nouvelle fois au centre du jeu, dynamise tout ce petit monde, lançant la machine (comme sur Entremêlés 2), réagissant au quart de tour à la moindre idée qui fuse ou, au contraire, suggérant des mouvements qui font danser les solistes comme s'ils étaient ses marionnettes. La cohésion de ce collectif qui tourne comme une horloge fait vraiment plaisir à entendre et j'imagine que les voir en (inter)action sur scène devait encore être plus fascinant. D'ailleurs, si vous y étiez, je suis certain que Hope et Cullinan sont déjà sécurisés dans votre discothèque. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Cullinan (CD) ] [ Cullinan sur Bandcamp ] [ Hope sur Bandcamp ] |
The Jamie Saft Quartet : Hidden Corners (Rarenoise Records), USA, 2019
1. Positive Way (5:07) - 2. Seven are Double (5:41) - 3. Yesternight (8:08) - 4. 231 Gates (3:13) - 5. Turn at Every Moment (5:20) - 6. Hidden Corners (8:10) - 7. The Anteroom (4:11) - 8. Landrace (4:56) Jamie Saft (piano) ; Dave Liebman (sax ténor & soprano, flute) ; Bradley Christopher Jones (basse acoustique) ; Hamid Drake (drums). Enregistré à Potterville International Sound, NY.
Hidden Corners, la seconde production du Jamie Saft Quartet, est la hauteur du talent des musiciens qui composent ce quartet (bien différent de celui qu'on retrouve sur l'album précédent Blue Dream) : Jamie Saft dont la créativité n'est plus à démontrer et que j'ai personnellement découvert au côté de John Zorn, notamment sur l'album Six Litanies For Heliogabalus du trio Moonchild; David Liebmam qui n'est plus à présenter; Hamid Drake, l'immense batteur et percussionniste; et Bradley Jones à la contrebasse, étonnant d'aisance dans cette configuration. Des compositions à la fois sobres et éminemment bien charpentées, une identité musicale qui ne se dément jamais tout au long des neuf titres composés par Jamie Saft et une interaction entre les musiciens qui atteint des sommets sur des titres comme Seven Are Double, aussi décapant qu'éblouissant, sont autant d'atouts faisant de Hidden Corners un projet musical captivant qui suscite non seulement un plaisir musical évident mais également une forme de rémanence spirituelle prolongeant l'effet de son écoute. Yesternight et Hidden Corners renvoient clairement à l'approche mystique de John Coltrane dans A Love Supreme (version live à Antibes). Dave Liebman au soprano s'y montre particulièrement inspiré, entraînant dans son sillage un Jamie Saft impressionnant de technicité et de musicalité, tous deux soutenus par une rythmique qui transcende ces deux magnifiques compositions. La suite de l'album n'est pas en reste. 231 Gates sonne comme un appel à la réflexion introspective. Le lyrisme de Jamie Saft sur Turn At Every Moment atteint des sommets. Enfin, l'intriguant The Anteroom et un Landrace bien balancé clôturent un album à la fois séduisant et envoûtant. Eugene Gregan, peintre américain apprécié de musiciens tels que John Lennon et Miles Davis, est l'auteur de la très belle couverture de l'album : cela méritait aussi d'être souligné. [ Chronique d'Albert Drion ] [ Hidden Corners (CD, Vinyle, Digital) ] [ Hidden Corners sur Bandcamp ] |
Tabasco : The Very Last Blues (Clapson), France, 10 mai 2019
1. Go Go Go (5:16) - 2. Mer de Nuit (4:44) - 3. Mountain Journey (4:45) - 4. Trocadéro (3:42) - 5. En apesanteur (5:02) - 6. Scirocco (5:32) - 7. Comète (Part II) (4:28) - 8. Janvier (4:45) - 9. When I Grow Too Old to Dream (5:02) Robin Nicaise (saxophone ténor), Loïc Réchard (guitare), Leo Montana (piano), Ivan Réchard (contrebasse) et Fred Pasqua (batterie). Enregistré et mixé les 11 et 12 décembre 2018 au studio Prado.
Après The Last Blues, sorti en 2017, le saxophoniste Robin Nicaise et son quintet Tabasco reviennent sur leur assertion en proposant un second disque intitulé cette fois The Very Last Blues. Si l'on excepte l'arrivée du nouveau batteur Fred Pasqua, le line-up est resté le même avec deux solistes en parfaite osmose, le guitariste Loïc Richard et le leader qui, en plus d'être les principaux compositeurs, imbriquent ou alternent leurs envols respectifs avec une connivence qui fait plaisir à entendre. Mais il ne faut pas non plus minimiser l'apport du pianiste omniprésent Léonardo Montana dont les subtiles harmonies mettent en valeur les chants croisés de la guitare et du saxophone. Sur Go Go Go, premier titre du répertoire, le combo est emporté par une rythmique terriblement festive. On a l'impression d'être revenu à l'hiver 1962 et d'être assis avec Rudy Van Gelder devant la vitre de son studio à Englewood Cliffs quand Grant Green, Sonny Clark et Ike Quebec faisaient monter la température. Ça groove et ça mord mais ça chante aussi avec une belle musicalité qui rend l'écoute de cette musique des plus agréables. Cette approche groovy est réitérée sur Scirocco dans un format plus relaxant et, à l'inverse, portée à ébullition sur Janvier et surtout sur Comète (Part II) en forme de hard-bop pyromane qui exsude le plaisir de jouer d'un quintet en état de grâce. En équilibre judicieux avec ces plages plus énergiques, d'autres morceaux dont les intitulés parlent d'eux-mêmes (Mer de Nuit, En Apesanteur …) trouvent leur expression dans l'installation de climats évocateurs : une promenade en mer, en montagne ou dans les nuages sont des occasions propices à épancher ses sentiments, en particulier pour Robin Nicaise qui dévoile sur ces pièces plus retenues une sonorité chaleureuse qui fait rêver. Le rêve est aussi au cœur du standard de Sigmund Romberg, When I Grow Too Old To Dream autrefois popularisé par Nat King Cole, qui clôture l'album en beauté dans une élégante fluidité. A ce stade, Tabasco pourrait tout aussi bien intituler ses prochaines productions The Sun Of The Last Blues ou The Return Of The Last Blues, on n'en a cure : tant que ses disques conserveront la même qualité, c'est comme avec les bons films, on sera toujours présent pour les séquelles. [ Chronique de P. Dulieu ] [ The Very Last Blues (CD & Digital) ] [ The Last Blues (Digital) ] [ A écouter : Go Go Go - Mer de Nuit ] |
Nicolas Folmer : So Miles (Cristal Records), France, 1er mars 2019
1. Blue in Green - Nefertiti (6:13) - 2. Around Pinocchio (6:47) - 3. Gil Ahead (5:31) - 4. Human Nature (3:57) - 5. Footprints (4:42) - 6. Miles from the Sky (2:58) - 7. What's Happen (2:57) - 8. Get Lucky (8:34) - 9. So What (5:13) - 10. Blue in Green (Alternate Take) (3:49) - 11. Get Lucky (Radio Edit) Nicolas Folmer (trompette, direction, compositions et arrangements); Laurent Coulondre (claviers); ; Olivier Louvel (guitare); Julien Herné (basse); Yoann Serra (batterie et percussions) + Invités.
Le trompettiste Nicolas Folmer a consacré son nouvel album, So Miles, à Miles Davis dans toutes ses dimensions : de l'électrique à l'acoustique, du pop-funk au jazz moderne. Mais à côté des reprises de titres célèbres comme So What, Blue In Green, Footprints ou Human Nature figurent aussi deux arrangements de Daft Punk et quatre nouvelles compositions auxquelles Nicolas Folmer a donné des titres qui évoquent ceux d'autres morceaux de Miles, par exemple Around Pinocchio qui renvoie à Pinocchio sur l'album Nefertiti ou Miles From The Sky pour Miles In The Sky. Sur Miles For The Sky, le trompettiste joue avec une sensibilité à fleur de peau dans un environnement acoustique. L'ambiance légère et la mélodie élévatrice nous font illico quitter la gravité terrestre pour un moelleux nuage en apesanteur et on regrette seulement que le morceau soit si court et qu'il faille après trois minutes seulement retomber déjà sur ses pieds. Around Pinocchio est au contraire un vrai condensé de fusion électrique. Le trompettiste y est entouré d'un quintet explosif où l'on remarque la basse efficace de Julien Herné et la batterie de Yoann Serra particulièrement bien mise en avant dans le dernier tiers de ce morceau. Le leader s'est en plus adjoint sur ce titre les services du multi-instrumentiste Stéphane Guillaume et du saxophoniste ténor Rick Margitza. On retrouve ici le bouillonnement créatif de Miles au tournant des années 70, quand il réinventait le jazz une fois encore en lui offrant un nouvel habit électrique. Dans une interview, Nicolas Folmer dit "j'ai composé un nouveau répertoire en alliant plusieurs périodes de l'artiste à la manière d'un Picasso musical." Son disque en effet très éclectique échappe en outre à une simple relecture : il ravira les fans de Miles non seulement par qu'il évoque la musique du maître mais aussi parce qu'il la prolonge. [ Chronique de P. Dulieu ] [ So Miles (CD & Digital) ] [ Elastic Borders sur Bandcamp ] [ A écouter : Miles From The Sky - Around Pinocchio ] |
Etienne Manchon Trio : Elastic Borders (Troisième Face), France, 22 février 2019
1. 16h32 (3:54) - 2. Cobby Bartel (6:53) - 3. Wendel (5:04) - 4. Conference (6:39) - 5. Debussy Réunion (Part I) (7:02) - 6. Debussy Réunion (Part II & III) (12:30) - 7. Debussy Réunion (Part IV) (5:26) - 8. Duo (5:54) - 9. Because (5:37) - 10. Bersamo (6:17) - 11. Windows (5:24) Etienne Manchon (piano, Fender Rhodes, composition); Clément Daldosso (contrebasse); Théo Moutou (batterie, percussions) + invités : Pierre de Bethmann (Fender Rhodes); Pierre Lapprand (sax ténor); Ossian Macary (trombone). Enregistré du 3 au 6 septembre 2018 aus Studios Midilive (Villetaneuse).
Grâce à une campagne de financement participatif, Etienne Manchon a pu enregistrer un premier disque qui aura probablement ravi tous ceux qui ont cru en lui. Elastic Borders est en effet une belle réussite qui se distingue rapidement dans un créneau fort encombré : le trio de piano jazz. Le morceau Cobby Bartel permet d'emblée de saisir les capacités du pianiste ainsi que quelques-unes des influences qui ont façonné son jeu : la musique classique, et Bach en particulier sur ce titre, apparaît ici comme une référence évidente qu'Etienne Manchon transcende au cours d'une flamboyante improvisation dont le flux vivifiant de notes évoque l'impressionnisme d'un Bill Evans. Cette composition écrite par le leader est en outre une petite merveille de concision rassemblant en une suite cohérente toute une série de petites sections qui s'emboîtent à la perfection. Cette attirance pour le classique se confirme dans la suite en trois mouvements, intitulée Debussy Réunion, qui dépasse les vingt minutes. Mais assez fidèle au caractère non conformiste et parfois iconoclaste du grand compositeur français, le trio joue une musique hybride où le côté évocateur des préludes romantiques côtoient des passages enlevés, un splendide solo de contrebasse et même des rythmes métissés. Le titre de l'album prend ici tout son sens avec des styles aux frontières élastiques qui se chevauchent de manière aussi surprenante que jouissive. Deux reprises viennent s'ajouter aux neuf compositions du leader : une relecture très personnelle du Because des Beatles dans laquelle la belle mélodie, inspirée à John Lennon par la Sonate au Clair de Lune de Beethoven, reste tout du long très reconnaissable et Windows, l'un des premiers titres majeurs de Chick Corea, ici interprété dans une version qui respecte le côté primesautier de l'original et inclut de belles interventions du contrebassiste Clément Daldosso et du batteur Théo Moutou. Des invités apparaissent au fil des plages comme Pierre de Bethmann qui dialogue au Fender Rhodes avec le piano du leader sur le bien nommé Duo ou Pierre Lapprand qui intervient au saxophone ténor sur un Bersamo très lent et quasi pastoral et sur un Wendel ouvragé et délicat comme de la musique de chambre mais avec quelques surprises en finale. Pour conclure, Elastic Borders se révèle être un disque ambitieux, extrêmement pensé, travaillé et structuré. Etienne Manchon est parvenu à créer un univers propre et cohérent qui est un modèle d'équilibre entre les différents styles abordés, entre les parties écrites et les improvisations, et entre les moments lyriques et ceux plus intenses. Comme pour la plupart des bons disques exigeant une attention soutenue de l'auditeur, plus on l'écoute, plus on le découvre et plus on l'apprécie. [ Chronique de P. Dulieu ] [ Elastic Borders (CD / Digital) ] [ Elastic Borders sur Bandcamp ] [ A écouter : 16h32 - Sleeping Ravel (live) ] |
Yochk'o Seffer Neffesh Music : Sugarzo Terep (ACEL / Distribution MUSEA), France, 2019
1. Feladat (10'59) - 2. Lucifer Suite : Sohaj (9'04) ; Les 72 Femmes Sacrées (6'58); Energia (6'14) - 5. Tritonia (7'51) - 6. Malkuth (11'45) - 7. Vihar (6'05) - 8.Lumiu (4'23) Yochk'o Seffer (tarogato basse, piano, saxophone sopranino); Trio Volpato : Hsin-Yu Shih (violon), Shih-Hsien Wu (violon alto), Laure Volpato (violoncelle); Olivia Scemama (basse); Philippe Gleizes (batterie); François Causse (percussions); Sandrine Faucher-Matheron (piano sur Lumiu). Enregistré aux studiox FC par François Causse.
En 1976, alors qu'il venait juste de s'émanciper du groupe de fusion ZAO, Yochk'o Seffer créa une formation hybride, comprenant un trio de jazz et un quatuor à cordes, appelée Neffesh-Music. Trois albums en résulteront qui font une synthèse des musiques qu'il aime : du jazz improvisé au dodécaphonisme en passant par les folklores magyar et tzigane, soit un sacré mélange qui, mieux vaut le rappeler, fut une percée progressiste complètement originale. En 2008, Yochk'o a repris cette approche en la modifiant légèrement avec l'introduction d'un quatuor de violoncelles plus un DJ remplaçant la basse. Et dix ans plus tard, en alchimiste des sons éternellement insatisfait, il remet encore son amalgame au feu avec cette fois un trio à cordes et une rythmique de free-rock. Le projet Neffesh-Music, qui soit-dit en passant signifie musique de l'âme en hébreu, prend ainsi de nouvelles couleurs sonores plus en phase avec une époque davantage ouverte aux rhythmiques de fer qu'elle ne l'était dans les années 70. Premier titre d'une durée de 10 minutes, Feladat met tout de suite les choses au point : la musique est bien une synthèse de musique classique contemporaine, d'improvisations libres et de rock progressiste à la Art Zoyd marqué par des rythmes appuyés mais complexes. Cordes et saxophone dialoguent continuellement sur la trame tissée par la basse de Olivia Scemama, la batterie de Philippe Gleizes et les percussions de François Causse. Les sonorités sont tendues à l'extrême et les mélodies angulaires flirtent parfois avec la dissonance sans jamais toutefois franchir la frontière du free jazz. La Lucifer Suite en trois parties est, dans sa première section, un dialogue entre cordes et piano; et dans les deux suivantes, une rencontre entre cordes et saxophone sopranino. Au niveau du ressenti, la musique y apparaît plus mystérieuse, évoquant parfois les ambiances sombres d'Univers Zero ou de Present. Après Tritonia et son déluge de percussions, Malkuth apparaît comme un moment de méditation. Le trio de cordes installe une atmosphère éthérée et l'on y ressent davantage le poids du folklore tandis que la nostalgie pointe même son nez au détour de certaines phrases. Cette musique intelligemment mise en place impressionne d'abord par sa complexité mais se laisse ensuite apprivoiser. L'album se conclut sur Lumiu qui est un duo entre le piano de Sandrine Faucher-Matheron et le tarogato basse, un instrument à vent d'origine hongroise à la sonorité un peu rauque que Yoshk'o Seffer a entrepris de réhabiliter il y a plus de 10 années. Quand soudainement on en a assez des musiques binaires, il est bon de trouver dans sa discothèque un album comme celui-ci. Sa musique qui vient d'une exoplanète vous stimule et vous rend étrangement créatif. D'ailleurs, en l'écoutant, j'ai pu écrire cette chronique d'une traite en moins de 10 minutes, un texte "neffesh" qui s'est déroulé comme une intense improvisation de jazz et que j'ai choisi ne pas relire ni modifier. [ Chronique de P. Dulieu ] [ Yochk'o Seffer Neffesh-Music : Sugarzo Terep (CD) ] [ Yochk'o Seffer Neffesh-Music : Noce Chimique (CD / Digital) ] [ Le label ACEL ] |
Joachim Horsley : Via Havana (Café de la Danse), USA, 15 février 2019. 1. Beethoven In Havana (4:27) ( Ludwig Van Beethoven) - 2. Dmitri's San Millan (2:24) (Dimitri Chostakovitch)- 3. Amadeus Guanguanco (2:45) (Wolfgang Amadeus Mozart) - 4. Vodou Moldau (4:14) (Bedrich Smetana) - 5. Sheherazade In Cape Verde (Nikolaï Rimski-Korsakov) (3:38) - 6. Mahler's Resurrection Rumba (4:32) (Gustave Malher) - 7. Rumba Prelude (2:48) (Jean-Sébastien Bach)- 8.Rumbacabre (3:29) (Camille Saint-Saëns) - 9.Impromptuno (2:51) (Franz Shubert) - 10. New World Rumba (3:50) (Antonin Dvorak). Joachim Horsley (piano, piano sourdine basse, piano percussion) + Invités : Willy Mayo (percussions (camaco, clarin, maracas, shaker, quitiplas : 2) ; Jeikov Voguel (clarin, quitiplas : 2) ; Lorena Perez Batista (caisse claire, guiro, timbale, cloches et diverses percussions : 2, 9) ; Jeff Pierre (mama drum, kata drum, congas, cloches et diverses persussions : 4) ; Charlie Siem (violon : 5) ; Saria Convertino ( accordéon : 8) ; Mb Gordy (batterie : 8) ; Charles « Trey » Macias (congas, cloches, et diverses percussions : 8, 9, 10) ; Chelsea Stevens ( basse électrique : 8, contrebasse :9) ; Aldo Mazza (timbale, cloches et diverses percussions : 8). Enregistré au studio Joachim Horsley à Los Angeles, Californie, USA sauf Sheherazade In Cape Verde enregistré au Flux Studios à New-York, USA et Rumba Prelude au studio Grande Armée à Paris, France.
Si Beethoven avait été cubain ! Depuis le 5 mars 2019, le monde de la musique est en deuil avec la disparition du pianiste compositeur Jacques Loussier, que les adaptations jazz de l'œuvre de Jean-Sébastien Bach ont rendu célèbre. Le décès de cet artiste laisse planer un regret au regard du manque de diffusion et de reconnaissance : les spécialistes du jazz lui ont en effet refusé d'être cité dans le Dictionnaire du Jazz et très peu de passionnés de Bach l'ont écouté, même si tous lui reconnaissent le mérite d'avoir construit des passerelles entre deux mondes musicaux. Avec Via Havana, Joachim Horsley propose une performance similaire, en reprenant les grands succès de la musique classique des maîtres du style (Beethoven, Mozart, Chostakovitch, Mahler...) dans des adaptations ébouriffantes. Joachim Horsley est sorti de l'anonymat en 2016, après un voyage à Cuba, en postant la vidéo de Beethoven In Havana. Il explique sa démarche ainsi : Je propose un mariage entre la musique classique européenne et le style afro-caribéen. C'est une grande poignée de main entre ces deux mondes. La modestie avec laquelle le musicien définit son travail pourrait faire croire à une simplicité d'arrangement mais il n'en est rien. L'ensemble des œuvres reprises furent composées pour orchestre symphonique, aussi la première tâche fut de les réécrire pour piano, et ensuite de les "cubaniser". Le pianiste explique : J'essaye d'aller le plus loin possible dans ma démarche et je ne peux me contenter d'un copier-coller. Je cherche la rencontre et la fusion. Être juste et ne pas faire de concessions avec moi-même est devenu une exigence majeure. Ce travail colossal a duré deux ans pour apprendre et maîtriser les œuvres les plus complexes et techniques du répertoire classique européen (Mozart, Beethoven, Saint-Saëns, Malher…), puis les arranger suivant les codes esthétiques des musiques latines (jazz cubain, salsa, rumba…) sans dénaturer les œuvres originales, ni tomber dans l'appropriation culturelle des musiques du monde. Une vraie gageure ! Pour avoir une idée du travail de réécriture, visionnez la partition jouée en temps réel de Amadeus Guanguanco : même les percussions exécutées sur le piano y sont notées. Le coup de cœur de cet album, exemple du perfectionnisme de Joachim Horsley, est Rumbacabre, une réécriture-rumba de la Danse Macabre de Saint-Saëns où le thème est joué par la virtuose accordéoniste italienne Saria Convertino. Il faut espérer que cet opus aura plus de reconnaissance professionnelle que le regretté Jacques Loussier. On peut le penser, puisque Beethoven In Havana et Impromptuno viennent déjà d'être mis en scène par la chorégraphe Marie Cazorla pour la compagnie de danse ALEGRIA Dance Company de Montpellier. Pour conclure en reprenant les mots du pianiste Glenn Gould à propos de l'album Play Bach de Jacques Loussier : Via Havana me paraît une excellente façon de faire revivre les compositeurs classiques. [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ Via Havana (CD / Digital) ] [ A écouter : Beethoven In Havana - Scheherazade in Cape Verde ] |
Jeff Ballard : Fairgrounds (Edition Records), US, 25 janvier 2019
1. Grounds Entrance - 2. Yeah Pete! - 3. The Man's Gone - 4. I Saw A Movie - 5. Hit The Dirt - 6. Twelv8 - 7. Marche Exotique - 8. Grungy Brew - 9. Miro - 10. Soft Rock - 11. Cherokee Rose. Lionel Loueke (guitare, voix); Kevin Hays (piano, claviers, voix); Reid Anderson (électronique); Pete Rende (piano, Fender Rhodes); Jeff Ballard (drums, percussions) + Invités : Mark Turner (saxophone ténor : 6, 8); Chris Cheek (saxophone ténor : 5, 11).
Longtemps complice de Chick Corea (Change), Kurt Rosenwinkel (The Next Step) et de Brad Mehldau (Metheny Mehldau Quartet), le batteur virtuose Jeff Ballard nous offre avec son second album en solo, Fairgrounds, un festival de musique fusionnelle improvisée qui n'est pas sans évoquer, au moins par l'esprit, les grandes heures du Miles électrique. Ballard y est secondé par Reid Anderson en charge des effets électroniques, par deux claviéristes, Kevin Hays et Pete Rende, ainsi que par le guitariste Lionel Loueke, seconde star du disque, plus, en invité sur quatre plages, un saxophoniste ténor, soit Mark Turner, soit Chris Cheek. Le moins qu'on puisse dire est que Fairgrounds ne se laisse pas piéger dans un style : chaque titre est ici une aventure différente où sont intégrées diverses influences comme la musique de l'Afrique de l'Ouest (Marche Exotique), le funk (Hit The Dirt), le jazz-rock flottant à la Weather Report (Soft Rock) ou même un jazz moderne et libre proche de celui du trio FLY dans lequel Ballard joue avec Mark Turner qui est aussi le souffleur sur ce titre (Twelv8). Sur le papier, un tel répertoire pluriel tirant tous azimuts pourrait sembler disparate voire hétérogène mais en réalité, ces enregistrements live, captés sur diverses scènes européennes au printemps 2015 et par la suite édités et copié-collés en studio, constituent un sacré happening, le batteur lui-même au centre de sa formation assurant par son jeu inimitable une cohésion spectaculaire entre tous les éléments qui composent sa musique. Tout comme son prédécesseur Time's Tales sorti en 2014, Fairgrounds est tout simplement I.R.R.E.S.I.S.T.I.B.L.E. [ Chronique de P. Dulieu ] [ Fairgrounds (Vinyle / CD / Digital) ] [ Minuit 10 Website ] [ A écouter : Fairgrounds (trailer) ] |
Julie Wintrebert & Noël Akchoté : Venexia (Autoproduction), France, 14 mars 2019. 1. Donna Sel Cor Legasti (Felice Anerio) (02:36) - 2. Ben Mio Chi (Yvo de Vento) (01:48) - 3. Anima Mia Che Pensi (Giovanni Animuccia) (02:43) - 4. Non Date Fede (Orazio Vecchi) (02:49) - 5. Doppo Tanti (Giovanni Croce) (02:47) - 6. Un Tempo Vissi in Gioia (Stefano Felis) (01:25) - 7.Quindi Nascea (Giammateo Asola) (02:32) -8. Occhi Vezzosi E Belle (Adriano Banchieri) (04:35) - 9.Vermiglio E Vago (Ruggiero Giovanelli) (01:24) - 10. Clori Gentil Dicea (Giovanni Maria Artusi) (02:18) - 11.Non Ress'al Colpo (Nollet) (02:33) - 12. Ardenti Miei Sospiri (Giacomo Peetrino) (02:08) -13. Vivo In Foco Amoroso (Simone Molinaro Genovese) (01:40) -14.Vola Fra Gli Altri (Simone Molinaro Genovese) (01:24) -15. Fuggit' Amore (Giovane Domenico da Nola) (01:13) - 16.Lo Dico Et Dissi (Cipriano de Rore) (02:38) - 17.Fra Questi Sassi (Luca Marenzio) (02:30) - 18.Da Quel Foco (Giammateo Asola) (02:23) - 19.Crudel Acerba (Jacques Arcadelt) (01:32) - 20. Nisa Dolce Ben Mio (Gemignano Capi Lupi da Modena) (01:13) - 21.Quante Son Stelle (Claudio Monteverdi) (02:42) - 22.Donna, Tue Chiome d'Oro (Annibal Stabile) (01:24) - 23.La Laguna (Noël Akchoté) (03:36) -24. Vaporetto (Noël Akchoté) (02:34) - 25. Santa Lucia (Noël Akchoté) (01:52) Julie Wintrebert (101 Photos haute définition); Noël Akchoté (guitare dobro, arrangements et compositions). Enregistré du 10 au 13 mars 2019 à Saint-Gildas De Rhuys (France). Photographies de Julie Wintrebert.
Venexia est un guide touristique en images et musique de la Sérénissime par deux électrons artistiques libres : Noël Akchoté et Julie Wintrebert. Les fans du guitariste ont l'habitude des explorations poussées de Noël Akchoté dont aucun style ne semble être une limite : blues avec KCS, sorti en 2017, accompagné entre autre de la guitariste Mary Halvorson ; musique indienne avec la série des albums Bhangra Jazz, etc... Même si cette chronique était uniquement destinée à faire la liste des musiques qu'il a déjà explorées, cela ne suffirait pas. La musique classique a aussi souvent été abordée par le guitariste et les passionnés de musique baroque se souviennent de ses interprétations des Répons et Madrigaux de Carlo Gesualdo en 2011 et 2012. Venexia pourrait être classé dans ce dernier répertoire de musique, les vingt-deux morceaux de reprise faisant référence à des compositeurs du 16ème siècle. Cette richesse de palette pousse l'auditeur à rechercher les histoires de ces compositeurs plus ou moins oubliés mais ressuscités dans cet opus. Noël Akchoté avoue qu'il a choisi un grand nombre de compositeurs dans cette intention : « C'est le but, ouvrir tout ce qui peut l'être, Passeur / Passerelles, j'aime bien faire des disques pour qu'on aille voir ailleurs, au-delà. » Une particularité de Venexia est le travail en commun du musicien et de la photographe Julie Wintrebert. L'album en téléchargement est livré avec cent photos et un livret de 92 pages où alternent photographies et citations d'hommes célèbres : Proust, Nietzche, Bossuet ... toutes plus croustillantes les unes que les autres. Ainsi, l'écrivain Giorgo Baffo, né le premier août 1694 à Venise et auteur de satires moralistes écrit « Per renfrescarne, e per magnar el pan, cussi la mona è fatta per el cazzo. » Vu le caractère libertin de cette citation, il est politiquement plus correct, comme Noël Akchoté nous le propose, de laisser le lecteur en découvrir le sens par lui même. Côté visuel, l'ambiance des œuvres de la photographe est décrite par le musicien comme « le crépuscule, un peu morbide genre Eros et Thanatos, comme le carnaval (représenté dans certains clichés) au temps de la Renaissance plutôt XV-fin XVIIe siècle. » La pochette de l'album illustre cette tonalité, le spectateur pouvant y distinguer le campanile de San Giorgio, l'île en face de la célèbre place San Marco, à travers la brume et le flou artistique. Le ton est ainsi donné pour découvrir Venexia en prenant son temps, comme à l'époque des gondoles avec Donna Sel Cor Legasti, ou en Vaporetto dans la composition de Noël Akchoté. Dans ce dernier morceau, la dissonance et les longues phrases musicales blues / baroques égrenées par le dobro de Noël Akchoté nous invitent à contempler l'ensemble des photos où les ombres et les reflets des palais sur les eaux du canal nous laissent imaginer l'histoire et les intriques qui ont façonné Venise. En écoutant Venexia, on ne peut s'empêcher de penser à l'un des héros de la ville mythique, Giacomo Casanova également présent dans l'album photos du CD, qui disait : « J'ai donné la préférence à l'imagination, puisque la réalité en dépend. » [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ Venexia (Digital) ] [ A écouter : Vaporetto - Un Tempo Vissi In Gioia ] |
Minuit 10 : Les Enfants de l'Amour (Indépendant / InOuïe distribution), France, 12 avril 2019
1. Ojo De Pez - 2. Le temps Est A L'Orage - 3. Unfairy Tale - 4. Les Enfants De L'Amour - 5. Agathe And The Naïads' Lullaby - 6. La Rosa Enflorece - 7. Mise A Mort - 8. Passé Sous Silence - 9. Pizza Roll - 10. Le Vol Du sphinx Thibaud Rouviere (gt, chant); Sylvain Rouviere (gt, claviers); Matis Regnault (basse); Etienne Rouviere (drums). Enregistré à l'IMFP, Salon-de-Provence du 31 août au 9 septembre 2018.
Finaliste du tremplin Jazz à Vienne en juin 2018, ce quartet originaire du Sud de la France propose une musique singulière à la croisée de différents styles. Leurs chansons sans paroles sont à la fois très mélodiques et soutenues pas des rythmiques complexes, mais aussi légères et même parfois discrètes, ainsi que par un zeste d'électronique. Le groupe évolue dans une veine jazz-fusion-rock plutôt cool qui doit l'essentiel de sa couleur aux guitares entrelacées des frères Thibaud et Sylvain Rouviere. Certaines compositions comme Ojo De Pez ont un petit côté musique de chambre tandis que d'autres comme le morceau éponyme, Agathe And The Naïads' Lullaby ou La Rosa Enflorece sont marqués par des chœurs et une certaine influence de la musique classique. Un titre luxuriant comme Le Temps Est A L'Orage fourmille de sections diverses souvent imprévisibles et reliées les unes aux autres dans un arrangement méticuleusement ciselé. Sa sophistication combinée à un réel raffinement en fait l'un des grands moments du disque. Certes l'écriture prime sur l'improvisation mais, incrustés dans l'architecture globale, quelques chorus limités mais bien cadrés viennent quand même ouvrir la composition. Sinon, j'aime également beaucoup Passé Sous Silence et son atmosphère étrange qui est une rampe de lancement pour l'imaginaire ainsi que Pizza Roll et son solo de guitare plus fusionnel. Et puis, il y a Le Vol Du Sphinx, une pièce qui regroupe toutes les qualités de cet ensemble pour le moins original : mélodie onirique, textures veloutées, ambiance planante, parties de guitare magnifiques, travail impeccable sur les sonorités plus quelques fulgurances maitrisées qui maintiennent l'attention en éveil. Ce premier essai enthousiasmant est en tout cas une belle carte de visite pour ces jeunes musiciens qui n'auront guère de mal à émerger du jazz hexagonal. A découvrir sur disque et en concert ! [ Chronique de P. Dulieu ] [ Les Enfants de l'Amour (Digital) ] [ Minuit 10 Website ] [ A écouter : Ojo de Pez - Le Vol du Sphinx ] |
Fondé en 2009, El Negocito Records est un label lié au club/café du même nom à Ghent (Gand) où des musiciens produisent en toute liberté une musique créative dans laquelle l'improvisation est reine. A l'instar du label De WERF à Brugge (Bruges), les productions d'El Negocito reflètent cet état d'esprit en proposant des albums joliment emballés dans des pochettes artistiques et dans lesquels on découvre invariablement des sonorités rares issues de rencontres interculturelles et intergénérationnelles. Ce mois-ci, je vous en propose deux à découvrir d'urgence. BackBack : 4 (El Negocito eNR086), 20 février 2019. 1. Bari (4:08) - 2. Dub (3:52) - 3. Pew (5:38) - 4. Copper (4:25) - 5. Blade (3:06) - 6. End (4:13) - 7. Seven (4:50) Marc De Maeseneer (saxophone, claviers); Giovanni Barcella (drums); Filip Wauters (gt él, basse 6 cordes) + Hanne De Backer (sax baryton : Copper). Enregistré à Assenede en novembre 2017.
Ce trio produit une musique sombre entre électrique et acoustique. Dès les premières mesures de Bari, la basse résonne dans un brouillard épais, annonçant la venue de créatures innommables. Et quand le saxophone se joint à elle telle une menaçante corne de brume, c'est l'univers de Lovecraft qui s'entrouvre lentement. Et puis, l'enfer se déchaîne avec Dub animé par la frappe implacable de Giovanni Barcella. Le son est dense et organique, rampant tel un monstrueux serpent à travers le feuillage humide d'une jungle perdue. Plus mystérieux et sournois, Copper fait émerger des bribes de cauchemar fantomatique. Le son grave du saxophone baryton, venu du fond des âges, prend aux tripes. On pense parfois à Univers Zero dont la noirceur renvoie elle aussi au mythe de Cthulhu : "la furie animale et la licence orgiaque se stimulaient l'une l'autre vers des sommets démoniaques à l'aide de hurlements et d'extases rauques qui déchiraient ces bois nuiteux et s'y réverbéraient comme autant de tempêtes pestilentielles venues des gouffres de l'enfer."
Après le crescendo d'un Blade toujours noir mais plus rythmé, l'album se termine dans une implacable logique sur End dynamité par une jeu de batterie arborescent qui s'interrompt d'un coup comme si tout le groupe avait été avalé par une créature colossale. Mais il y a une surprise : un septième morceau ajouté en extra au répertoire comme une forme de rédemption où la musique se fait plus légère, quasi planante, en nous emmenant ailleurs, sur un nuage moelleux où l'on se réveille enfin au grand jour après cette virée nocturne. BackBack 4 est une expérience sans doute parfois éprouvante mais aussi attirante qu'une bon roman fantastique où l'on vient quémander un frisson en côtoyant des esprits et des formes dont seules les légendes ont gardé le souvenir. Recommandé ! [ BackBack sur le site d'El Negocito Records ] [ BackBack sur Bandcamp ] Jozef Dumoulin & Lidlboj : Live In Neerpelt (El Negocito), 10 novembre 2018. Roger Et Ses Gâteaux (10:33) - 2. August 22nd (8:38) - 3. Walk 3 (4:07) - 4. Ik Roep (9:38) - 5. Onze-Lieve-Vrouw Van Vlaanderen (2:55) - 6. January 9th / Lips (excerpt) (10:16) Lynn Cassiers (voix & électroniques); Bo Van der Werf (saxophone baryton); Dries Laheye (basse électrique); Eric Thielemans (percussions); Jozef Dumoulin (claviers). Enregistré live à Neerpelt (Limbourg, Belgique) le 13 janvier 2011.
Live In Neerpelt est l'enregistrement d'un concert de 2011 qui a été tardivement mixé et mastérisé à Tokyo en 2017 avant d'être édité fin 2019 sur le label gantois El Negocito. A priori, l'idée de sortir un compact avec des enregistrements datant de sept années peut sembler saugrenue mais quand on l'écoute, on comprend vite pourquoi. Ce concert était une expérience unique pour plusieurs raisons : un répertoire neuf à explorer, l'arrivée dans le groupe du bassiste Dries Laheye, et l'adoption par Jozef Dumoulin d'un ensemble éphémère de claviers, duquel son fameux Fender Rhodes était exclu, sont les principaux facteurs qui firent de ce concert un évènement spécial que le leader lui-même a pris plaisir à réécouter. Quant à la musique, elle se révèle flottante avec un pied ancré dans le jazz grâce aux volutes improvisées du saxophone baryton de Bo Van der Werf et l'autre dans la musique "ambient" avec des nappes sonores synthétiques enveloppant la voix cotonneuse de Lynn Cassiers. Des bribes de mélodie émergent éventuellement des alliages sonores qui se déploient avec lenteur, installant des atmosphères envoûtantes. Parfois, le rythme s'accentue somme sur August 22nd et l'on pense parfois à ces musiques expérimentales qu'exploraient autrefois des groupes comme Octurn ou Aka Moon. Mais très vite, tout se déforme et la musique reprend son style fluide et mouvant comme l'océan. Les textures sonores sophistiquées varient constamment tout en restant confinées dans une lointaine distance. Ik Roep donne l'impression d'avoir été capté au fond d'une piscine tant on imagine les bulles montant lentement à la surface dans l'eau bleue. Et cet aspect liquide est encore plus apparent sur Onze-Lieve-Vrouw Van Vlaanderen. Live In Neerpelt est un disque étonnant, et d'autant plus qu'il a été créé en concert. Voici en tout cas une musique porteuse de climats oniriques que, personnellement, j'apprécierai encore bien davantage seul dans une pièce feutrée qu'au milieu d'un public aussi sage soit-il. [ Chronique de P. Dulieu ] [ Live In Neerpelt sur le site d'El Negocito Records ] [ Live In Neerpelt sur Bandcamp ] |
Nicolas Parent trio : Mirage (L'intemporel), France, 29 mars 2019 1. Doux Mirage (3:32) - 2. Joy (5:23) - 3. Désert Blanc (7:27) - 4. Sakana (5:18) - 5. Joaninha (3:39) - 6. Songe d'Automne (6:28) - 7. Selfish (4:47) Nicolas Parent (guitare, composition); Kentaro Suzuki (contrebasse); Guillaume Arbonville (percussions) + Invité : Vincent Segal (violoncelle : 1 et 6). Enregistré live les 20, 21 et 22 novembre 2018 au Studio Hinterland Lab à Ivry-sur-seine, France.
Mirage acoustique, un nouveau concept créé par Nicolas Parent. En 2015, le guitariste avait proposé un voyage imaginaire musical avec Tori. Aujourd'hui, le projet va plus loin et propose un mirage. La différence est de taille. Le mirage jusqu'alors uniquement défini comme phénomène optique, n'est pas une hallucination puisqu'on peut le photographier. Mais comment pourrait-on dans le domaine de l'acoustique définir un tel phénomène ? La question est posée au compositeur :
La vidéo du concert du groupe en 2017 au temple "Engaku-ji" à Kamakura au Japon affine la sensation ressentie à l'écoute de Mirage. L'émotion corporelle est celle perçue aux sons des bols tibétains. Plusieurs études menées sur l'effet de ces bols sur la santé font ressortir que l'efficacité des vibrations harmoniques des sons émis n'est possible que si on dépasse l'oreille pour ressentir ces sons. Les sons tibétains ne prennent effet que s'ils pénètrent profondément chacune de vos cellules. Lorsque le son parvient au niveau du noyau intérieur, il le réharmonise. C'est la sensation profonde ressentie à l'écoute de Mirage : le pouls et la respiration se ralentissent, surtout quand Vincent Segal joue du violoncelle dans Doux Mirage et Songe d'Automne. A ce stade, on peut confirmer que le mirage acoustique est une réalité. Le temps devient tranquille. Chaque auditeur peut savourer la vie passant au son de la guitare de Nicolas Parent qui, comme une horloge comtoise dans Joaninha, permet de se raconter une histoire … Une histoire qui appartient à chacun comme vient de nous le confier Nicolas Parent. [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ Mirage (CD / Digital) ] [ A écouter : Doux Mirage - Désert Blanc ] |
Joachim Caffonnette Trio: Vers l'Azur Noir (Neuklang records), Belgique/France, 18 Avril 2019
1. Perspectives (4:42) - 2. Inner Necessity (5:24) - 3. Tripoli's Sorrow (4:40) - 4. Hey Jude (7:33) - 5. Vers l'Azur Noir (6:22) - 6. Sugar Man (4:05) - 7. A Mawda (4:41) - 8. Monk's Dream (7:53) - 9. Jax & Reddy (7:01) Joachim Caffonnette (piano); Alex Gilson (basse); Jean-Baptiste Pinet (drums)
On a déjà dit dans ces pages tout le bien qu'on pensait du quintet de Joachim Caffonnette et de son album Simplexity. Revoici le pianiste dans un contexte différent né de la rencontre il y a deux ans avec le contrebassiste Alex Gilson et le batteur Jean-Baptiste Pinet, tous deux d'origine française. Après avoir mis leur entente à l'épreuve et développé leur synergie sur différentes scènes, les trois musiciens ont décidé de réaliser un album en trio qu'ils ont intitulé Vers l'Azur Noir en référence à un poème de Rimbaud mais aussi à la tragédie actuelle des migrants morts en Méditerranée sur la route de l'Europe. Ce premier disque enregistré en deux temps donne un aperçu complet des possibilités du trio. Il comprend en effet six titres enregistrés en novembre 2017 au Jet Studio et trois autres captés live sur une scène bruxelloise. Les premiers privilégient des thèmes originaux, tous écrits par le pianiste, mettant en valeur les mélodies, les harmonies et l'agencement des différentes parties. On voit ainsi émerger un saisissant trio d'une grande homogénéité capable de faire vivre des pièces chatoyantes qui comportent de brillantes improvisations dans lesquelles le pianiste déploie ses ailes en entraînant ses partenaires dans son sillage. Ça swingue parfois avec fougue comme dans Inner Necessity tandis qu'ailleurs, le trio se fait plus introspectif en déroulant des accords nuancés et empreints de lyrisme. Le groupe reprend aussi deux chansons populaires traitées avec beaucoup de sensibilité : le célèbre Hey Dude de Paul McCartney et, plus surprenant, Sugar Man, sorti en 1972 par Sixto Rodriguez. Les trois titres "live" restants sont, comme on pouvait s'y attendre, plus libres et mettent encore davantage en exergue l'interaction entre les membres du trio. Très chaleureux et boisé, le son d'ensemble est admirable. À Mawda qui swingue avec beaucoup d'allant s'attire en finale une salve nourrie d'applaudissements tandis que Monk's Dream démontre que le trio connaît ses classiques sur le bout des doigts. Héritier de ceux enregistrés jadis par des Gardner, Kelly, Evans ou Monk, cet album, qui parvient encore à nous surprendre et à nous éblouir par sa stupéfiante musicalité autant que par son intensité, nous rappelle combien le trio de piano acoustique est une configuration inusable. [ Chronique de P. Dulieu ] [ Vers L'azur Noir (CD & Digital) ] [ Joachim Caffonnette Website ] [ A écouter : Perspectives (Live @ Cellule 133a, Bruxelles, septembre 2018) ] |
Kheireddine Mkachiche & Manuel Hermia : Bahdja (Igloo IGL 303), Algérie / Belgique / France, 8 février 2019
1. Passerelles (8:35) - 2. Bahdja (8:58) - 3. Kenza (10:29) - 4. Nadrat Mahfoud (10:00) - 5. Maghrébine (9:45) - 6. The smell Of The desert (9:24) - 7. The cycle (6:30) - 8. Rencontre (5:28) Manuel Hermia (saxophone, clarinette, bansuri); Kheireddine Mkachiche (violon); Zinou Kendour (piano); François Garny (basse); Franck Vaillant (batterie)
Bahia qui réunit le saxophoniste et flûtiste belge Manuel Hermia et le violoniste algérien Kheireddine Mkachiche est vraiment spécial. Certes, au cours de sa déjà longue carrière, Manuel Hermia nous a habitué à des projets excentrés par rapport au jazz pur. Du Murmure de l'Orient tourné vers les ragas indiens et leurs ambiances méditatives au jazz-rock alternatif et branché de Slang en passant par son trio de jazz contemporain à tendance free, chacun de ses disques est en soi une aventure pour lui et une découverte pour l'auditeur. Et voilà qu'il côtoie cette fois un musicien natif d'Alger dont les styles de prédilection sont à l'origine l'andalou, le hawzi et le chaâbi avant que ses horizons ne s'ouvrent vers des collaborations diverses avec entre autres Cheb Hassan, la chanteuse marocaine Amina Alaoui, le violoniste indien L. Subramaniam, le pianiste norvégien Jon Balke au sein de Siwan et même le trompettiste américain Jon Hassel. On imaginait bien que deux artistes aussi ouverts allaient non seulement se comprendre mais également que leur rencontre allait engendrer quelque chose de spécial. Et Bahia a délivré. Kheireddine Mkachiche qui est ici dans son élément, puisque les cadences sont essentiellement d'inspiration maghrébine, joue parfois (en tout cas à Alger) en tenant son instrument à la verticale posé sur son genou comme le font là-bas les musiciens traditionnels, mais il ne s'aventure pas moins hors de sa zone de confort, improvisant comme un vrai jazzman et créant des passerelles (qui est d'ailleurs le titre du premier morceau) entre les genres avec une aisance stupéfiante. Quant à Manuel Hermia, qui joue du saxophone, de la clarinette et du bansuri (une flûte traversière indienne classique qui tient ici le rôle du nay arabe), il parvient par de subtiles nuances à faire vivre cette musique comme si elle était sienne depuis toujours. Le duo est accompagné du pianiste algérien Azzeddine Kendour qui a parfois un jeu percussif mais s'envole aussi à l'occasion dans de belles improvisations (The Cycle et Kenza) et d'une rythmique européenne composée du bassiste belge François Garny, au jeu très énergique, et du batteur français Franck Vaillant. Dans les moments les plus calmes (The Smell Of The Desert, Nadrat Mahfoud, Kenza) la musique envoûte et rappelle parfois l'esprit du jazz arabe de Rabih Abou-Khalil au temps où il jouait avec Charlie Mariano et Selim Kusur. On y ressent aussi un peu de la nostalgie dégagée par un certain folklore des Balkans. En revanche, Bahdja et surtout Maghrebine sont plus typiques des rythmes nord-africains, le premier gardant une forte inspiration arabo-andalouse, et le second évoluant dans sa dernière partie en une transe hypnotique comme on en entend parfois aux marges du Sahara. Bahdja est un album qui s'affranchit des frontières et tisse des liens entre les cultures. C'est grâce à ce genre de musique à la fois jouissive et respectueuse que le jazz pénètrera vraiment les populations de pays qui, sans vraiment le connaître, y sont encore globalement réfractaires. La programmation de ce groupe dans des évènements comme celui du Festival Culturel Européen d'Alger et, cette année, du Festival Jazz à Carthage en Tunisie est en tout cas susceptible d'ouvrir l'esprit des nouvelles générations à une musique universelle qui saura aussi répondre à leur propre sensibilité. [ Chronique de P. Dulieu ] [ Bahdja (CD / Digital) ] [ Bahdja sur le site de Manuel Hermia ] [ A écouter : Kenza - Nadrat Mahfoud - The Smell Of The Desert ] |
Manu Katché : The ScOpe (Anteprima Productions), France, 2 février 2019
1. Keep Connexion (03:10) - 2. Glow (03:08) - 3. Vice (04:03) - 4. Overlooking (03:35) - 5. Please Do (03:59) - 6. Paris Me Manque (02:50) - 7. Let Love Rule (04:14) - 8. Don't U Worry (03:39) - 9. Goodbye For Now (04:13) - 10. Tricky 98' (03:15) Manu Katché (batterie, chœur, composition); Jérôme Regard (basse); Patrick Manouguian (guitare); Elvin Galland alias Jim Henderson (claviers, composition). Invités : Faada Freddy (vocal : 3); Jazzy Bazz (vocal : 6); Jonatha Brooke (vocal : 7). Enregistré en 2018 au studio Piccolo à Paris, France.
Avec son dixième album, Manu Katché propose un parallèle entre la musique et la médecine. La pochette, signée par le photographe Arno Lam, représente le batteur cadré de profil, « un profil africain » confie le musicien natif de la banlieue est de Paris. Il est indéniable que l'Afrique est présente tout au long de l'album : l'invitation du chanteur rappeur sénégalais Faada Freddy sur Vice le confirme comme les mélodies jouées dans une tonalité de kora dans Overlooking et Keep Connexion. Dans ces morceaux, les nappes synthétiques d'Elvin Galland semblent faire écho aux circuits électroniques visibles sur les joues du musicien sur ladite photo. Au sujet de The ScOpe, Manu Katché explique s'être imposé des règles d'écrivain pour enfanter cet album. « En studio pendant treize heures par jour, avec des breaks de tâtonnements » pour passer au microscope ses émotions, analyser l'alchimie des sons et sonder les êtres en profondeur. Pendant mes recherches pour l'écriture de cette chronique, j'ai assisté en parallèle à une conférence proposée aux étudiants de médecine sur « Quelle conduite à tenir devant une urgence grave ? » Certains évoqueront le hasard mais l'urgentiste maître de séance a commencé son exposé par la réponse « D'abord scoper le patient ! » Un court instant, je me suis posé la question si ce médecin avait reçu lui aussi le dernier album de Manu Katché ! Mais non ! le docteur a expliqué que le scope (ou moniteur) est un écran TV qui permet de suivre en permanence les paramètres vitaux du patient auquel il est relié par des électrodes. Et si pour l'écoute et la chronique de cet album, nous suivions comme aux urgences, le rythme cardiaque des morceaux ? Manu Katché a confié le 20 février 2019 à l'animateur Alex Jaffray que « la batterie, c'est le cœur. » Pour lui « quand on fait de la musique, peu importe l'instrument, il y a vraiment un rapport aux battements de cœur, à cette pulsation qui est très forte et qui est ancrée en nous. » Pour scoper l'album, le réglage doit être sur électro-soul-pop, style défini par le compositeur lui même sur France Info, « cela permet plus facilement de groover et de mettre en avant la batterie. » Dès les premières notes, la technique rimshot sur la caisse claire marque sans aucune hésitation les temps forts du morceau. La locomotive rythmique est lancée : aucune inquiétude pour le patient, le cœur de l'album ne fait que des arythmies volontaires. Cela n'insinue pas une rythmique trop présente. Sur Vice, elle n'apparait que tardivement, par un léger son de grosse caisse. Dans ce troisième morceau de l'album, le dernier tiers de la piste voit son rythme subitement se modifier par un marquage des temps et des contretemps. Que les urgentistes ne s'inquiètent pas, la passion fait souvent battre le cœur plus rapidement ! Let Love Rule avec la chanteuse Jonatha Brooke devrait même provoquer un changement du rythme cardiaque de l'auditeur, notre scope nous signalant que la balade mélodique à la trompette induit de la douceur. Le batteur parle souvent de ses origines. Paris Me Manque avec le rappeur Jazzy Bazz propose une promenade nostalgique où il avoue ne pas reconnaître « Paris », sa ville. La cadence soutenue en est presque agressive. L'enfance souvent fait battre le cœur d'espoir et de rêve et la vie semble avoir comblé le musicien né à Saint-Maur Les Fossés. Cette réussite, il l'expose sur son morceau Tricky 98' qui a accompagné les bleus en juin 2018 pour célébrer les 20 ans de leur coupe du monde à l'U-Arena. Le parallèle entre l'écoute d'un disque et le travail des urgentistes laisse imaginer que la pochette pourrait être un selfie d'un examen médical du musicien qui permettrait peut-être de comprendre le processus de création de la musique. Si dans l'avenir la technologie permettait cette prouesse, parole de chroniqueur, j'écrirais un livre sur le sujet. [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ The Scope (CD / Vinyle / Digital) ] [ A écouter : Vice - Paris Me Manque ] |
Mikael Godée - Eve Beuvens Quartet : Looking Forward (Igloo Records IGL 296), 25 janvier 2019
1. Aaron (6:44) - 2. My T.T.T. (5:53) - 3. Lacy (6:07) - 4. Summer 2017 (4:03) - 5. Tycho (5:15) - 6. Did You Find Your Happiness ? (3:51) - 7. The Thing I Wish To Say Is This (3:56) - 8. Nothing To Declare (3:31) - 9. Le Bruly (6:38) - 10. How Do You Do ? (6:12) Mikael Godée (saxophone soprano); Eve Beuvens (piano); Magnus Bergström (basse); Johan Birgenius (drums). Enregistré les 25, 26 et 27 février 2018 aux Studios Igloo, Belgique.
Après le dense et ambitieux album Heptatomic qui mettait en relief les qualités d'écriture et de direction musicale d'Eve Beuvens, la pianiste revient à une musique plus intimiste qui évoque davantage celle de son premier disque Noordzee sorti chez Igloo en 2009. Dès les premières mesures, on se sent emporté par un puissant souffle lyrique qui vous pousse un peu plus au Nord, vers les grandes étendues sauvages. Pour autant, si la mélodie est au départ spacieuse et génératrice d'une nostalgie souvent ressentie à l'écoute des productions ECM, le "jeu" n'est pas oublié et Eve Beuvens se laisse rapidement happer par un léger tourbillon sonore conjuguant énergie et sensibilité dans une ambiance qui reste malgré tout climatique. La pianiste belge est ici associée à Mikael Godée, un saxophoniste soprano suédois avec qui elle partage une belle complicité. Leurs interventions se juxtaposent et s'enchevêtrent avec élégance, témoignant d'une déjà longue collaboration qui remonte à plusieurs années, à une époque où leurs premiers concerts étaient donnés en duo. Même le répertoire, entièrement original, est partagé équitablement entre les deux musiciens tout en formant un ensemble d'une parfaite cohérence, chacun servant au mieux les idées de l'autre. Mais la musique est quand même aussi le résultat d'un quartet, les deux solistes ayant fait appel à une section rythmique particulièrement efficace composée du contrebassiste Magnus Bergström et du batteur Johan Birgenius. On appréciera entre autres les vagues rythmiques de ce dernier sur le tournoyant How Do You Do ? tandis que la fluidité des lignes de basse de Magnus en conjonction avec le pianio saute aux oreilles dans l'énigmatique Le Bruly. Quand tout le monde s'emballe comme sur Tycho, c'est l'extase devant ces quatre voix talentueuses qui font vivre avec enthousiasme un thème à la chaleur contagieuse. Mais quand sur Lacy, le tempo suspend son vol, la musique devient élégiaque, extrapolant les mystères de la forêt hivernale avec inspiration et douceur. Parfois intimiste, souvent aventureux, toujours mélodique, Looking Forward, conçu et interprété par quatre musiciens aux qualités individuelles exceptionnelles, sonne d'abord comme un album de groupe à la fois équilibré, poétique et rafraîchissant. [ Chronique de P. Dulieu ] [ Looking Forward (CD / Digital) ] [ Noordzee (CD / Digital) ] [ Heptatomic (CD / Digital) ] [ Mikael Godée - Eve Beuvens Quartet sur Igloo ] [ A écouter : Summer 2017 - Did you find your happiness ? (live) ] |
Ntoumos : Back To The Roots (Indépendant), International, 9 Mars 2019
1. Apsilies (3:34) - 2. Tsifteteli By Manolis Karrantinis (3:29) - Vre Manges Dio Stin Filaki (5:54) - Mou Ipan Na Min Sagapo (3:41) - Kakouria Petera (3:49) - Annastacia (4:01) - Ap Tin Poli Enas Mortis (3:58) - Underground-Cocek (4:17) - Joc De Beica (2:07) Dominic Ntoumos (trompette, directeur musical); Evangelos Tsiaples (bouzouki); Greg Chainis (guitare); Javier Breton (basse); Maxime Zampieri (drums) + Mehdi Haddab (luth); Marcel Râmba (violon); Sotiris Papatragiannis (chant). Enregistré en septembre 2017 au Sixstudio à Bruxelles.
D'origine belgo-grecque, Dominic Ntoumos a choisi ne pas choisir ses envies musicales. D'un style à un autre et de l'acoustique à l'électronique, il se déplace dans le monde au gré de ses rencontres, jouant à Londres, au Maroc ou au Brésil en bousculant volontiers les modes comme les habitudes. Bref, on l'aura compris : chez Ntoumos (qui est aussi le nom de son groupe), l'amour de la musique prime sur l'étiquette. Sur ce sixième album dont la sortie est imminente, son regard s'est porté à l'Est vers ses racines grecques mais aussi vers la musique tsigane et comme il ne fait pas les choses à moitié, il a étudié les arcanes de ces musiques traditionnelles pendant cinq années avant de s'en inspirer pour les réinterpréter à sa manière. Quelques titres ont reçu un traitement moderne comme Kakoura et surtout Annastacia, marqué par un rythme plus rock et par une guitare électrique plus apparente. Au fils des plages, quelques invités viennent compléter le quintet de base : la texture de Ap Tin Poli Enas Mortis Est est colorée par le luth de Mehdi Haddad tandis que Marcel Râmba joue du violon sur Underground-Cocek, une composition de Goran Bregovic, originaire de Sarajevo, qui remet en mémoire les mélodies de son fabuleux Orchestre des Mariages et des Enterrements. On sent le trompettiste à l'aise : ça joue avec facilité et l'attaque des phrases est fulgurante. Les arrangements sont clairs, illuminés par le bouzouki de Evangelos Tsiaples et emmenés par une rythmique enjouée. Si bien qu'en écoutant Apsillies ou Tsifteteli, il ne faut pas attendre longtemps avant d'être pris dans le tournis des danses d'une de ces fêtes colorées et ensoleillées qui caractérisent ce coin de la Méditerranée. Par la nostalgie émanant de certains thèmes et le mélange des genres ainsi que par certaines tonalités de la trompette, ce disque évoque parfois les derniers enregistrements de Ibrahim Mahlouf. Les deux musiciens utilisent notamment le quart de ton même si Maalouf le fait en jouant sur une trompette à quatre pistons alors que Dominic Ntoumos a choisi d'obtenir cet effet avec les lèvres. Et ce n'est sans doute pas un hasard si les derniers disques de l'un (Red & Black Light) et de l'autre sont produits par Eric Legnini, pianiste renommé et lui-même bien connu pour brouiller les codes spatiaux et temporels. Back To The Roots est un retour explosif aux origines grecques de Dominic Ntoumos mais la réussite de son disque, il la doit à cette fusion efficace entre des plongées tournoyantes au cœur de la tradition et des envolées électriques qu'il a apprivoisées durant sa longue carrière polyvalente. A un moment, on hésite à s'imaginer dans un festival de musique grecque folklorique ou sur le dancefloor d'un club urbain de Londres ou Bruxelles. Qu'importe puisque dans les deux cas, on se lève et on danse ! [ Chronique de P. Dulieu ] [ Ntoumos sur FB ] [ A écouter : Apsilies ] |
Christian Gaubert - André Céccarelli - Diego Imbert - Ligne Sud Trio & Guests : Musiques de Film & Jazz (Cristal Records ), France, 19 janvier 2019
1. His Eyes Her Eyes (7:16) - 2. Un Eléphant Ça Trompe Enormément (5:21) - 3. The Little Girl Who Lives Down The Lane (6:51) - 4. Vivre Pour Pivre (5:41) - 5. La Puce Et Le Privé (3:19) - 6. Manha Do Carnaval (4:44) - 7. Le Passager De La Pluie (5:26) - 8. La Chanson d'Hélène (3:42) - 9. A Felicidad (6:12) - 10. Un Homme Et Une Femme (5:03) - 11. Moon River (4:51) - 12. E.T. The Extra Terrestrial (5:57) Christian Gaubert (piano); Diego Imbert (basse); André Céccarelli (batterie) + Invités : Julien Gaubert (guitare); Thomas Savy ( clarinette basse, saxophone); Christophe Leloil (trompette, bugle); Karine Michel (chant)
Ligne Sud Trio se compose du pianiste Christian Gaubert, du batteur André Céccarelli et du bassiste Diego Imbert. Sur cet album, le trio a choisi, à l'instar d'innombrables musiciens de jazz, de revisiter quelques bandes sonores de films célèbres interprétées en jazz, et donc arrangées différemment et agrémentées d'improvisations personnelles. On est tout de suite séduit par les thèmes qui ont été retenus et qui ne sont pas toujours ceux que l'on croise habituellement dans ce genre de projet. Si Manha Do Carnaval de Luiz Bonfa pour Orfeu Negro, Moon River de Henri Mancini pour Breakfast At Tiffany et His Eyes Her Eyes de Michel Legrand pour The Thomas Crown Affair ont fait l'objet de multiples reprises, les mélodies de Vladimir Cosma pour Un Eléphant Ça Trompe Enormément, de Francis Lai pour Le Passager De La Pluie ou de Philippe Sarde pour Les Choses De La Vie sont des choix insolites mais qui rendent ce répertoire beaucoup plus attrayant que d'autres plus conventionnels. En plus, le trio a fait appel à des invités dont la contribution était nécessaire pour s'approprier certaines de ces musiques (qu'aurait-on par exemple bien pu faire du célèbre Un homme Et Une Femme sans les fameuses paroles de Pierre Barough ici fort bien chantées par Karine Michel ?). En tout cas, la magie opère et non seulement on retrouve cette part de lyrisme que les bandes originales avaient su insuffler aux images mais on est également conquis par les trouvailles musicales et les sonorités fraîches introduites dans ces interprétations. Il faut dire que le 7ème art n'est pas étranger à Christian Gaubert qui a écrit plusieurs musiques de film, notamment pour la série de Nestor Burma, et est devenu l'arrangeur de prédilection pour le grand Françis Lai. On retrouve d'ailleurs sur ce disque deux de ses compositions : La Puce Et Le Privé ainsi que The Little Girl Who Lives Down The Lane, respectivement écrites pour les films éponymes de Roger Kay et de Nicolas Gessner. Aussi, en dépit de quelques harmonisations savantes et innovations rythmiques, la clarté des mélodies qui va de pair avec l'impact émotionnel est préservé pour le plus grand plaisir de l'auditeur. Personnellement, j'apprécie aussi bien le jazz que les musiques de film. Mais quand j'ai les deux à la fois et que le mariage est réussi, je suis aux Champs-Elysées. C'est le cas avec cet album très réussi. [ Chronique de P. Dulieu ] [ Musiques de Film & Jazz (CD / MP3) ] [ Musiques de Film & Jazz sur Cristal Records ] [ A écouter : La Chanson d'Hélène ] |
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