Jazz Station Big Band : Moods (Hypnote Records), 17 décembre 2021
1. A Mood (Steven Delannoye) - 2. Ma Elle (Stéphane Mercier) - 3. Artichoke Facial (Stéphane Mercier) - 4. Amazing Angel's Life (François Decamps) - 5. Route 166 (Stéphane Mercier) - 6. Mixed Feelings (Jean-Paul Estiévenart) - 7. Don't Butt In Line (Stéphane Mercier) - 8. My Number One (François Decamps) - 9. Peace Over Tone (Steven Delannoye). Enregistré par Pierre Dozin au Jet Studio, Bruxelles, septembre 2020. Stéphane Mercier (sax alto, flûte, direction artistique) ; Daniel Stokart (sax alto et soprano, flûte, flûte alto) ; Steven Delannoye (sax tenor) ; Vincent Brijs (sax baryton) ; Loïc Dumoulin, Pauline Leblond, Jean-Paul Estiévenart (trompette, bugle) ; Peter Delannoye, David De Vrieze (trombone) ; Bart Delausnay (trombone basse ; François Decamps (guitare) ; Vincent Bruyninckx (piano) ; Boris Schmidt (contrebasse) ; Toon Van Dionant (batterie)
Après un disque live sorti en février dernier qui offrait une prestation mémorable, en compagnie de l'harmoniciste Grégoire Maret, sur la scène du Festival de Jazz de Dinant en 2017, le Jazz Station Big Band propose un nouvel album studio enregistré en septembre 2020. Soit neuf nouvelles compositions écrites et arrangées par des membres de l'orchestre. Dû à la plume de Steven Delannoye, A Mood ouvre le répertoire en enchaînant une batterie en verve, un thème qui claque, et une explosion orchestrale qui porte la marmite à ébullition. Comme dans les grands films historiques, on a droit dès l'ouverture du rideau à une charge aussi bariolée que furieuse, avec tous les étendards levés et les cuivres qui rutilent. Pour une mise en bouche, on ne pouvait guère rêver mieux : le big band est en pleine forme et sa sonorité est luxuriante. Après ce début en technicolor et surround, la suite du répertoire va nous emmener dans un voyage inattendu dont les paysages changeront à chaque morceau. Il y a bien sûr les balades comme Amazing Angel's Life et, surtout, le splendide Ma Elle qui dégage une sorte de plénitude. En émergent un beau solo de contrebasse par Boris Schmidt et un autre de saxophone qui tourbillonne comme un paquet de feuilles mortes emporté par la brise. Artichoke Facial, un nouvel arrangement d'un titre autrefois joué en duo avec Eric Legnini sur l'album Duology de Stéphane Mercier, a un petit air africain dû à sa pulsation naturelle. Mixed Feelings swingue en douceur quand il n'est pas stimulé par les masses orchestrales qui s'entrechoquent avec précision. Et puis, il y a aussi quelques titres sous-tendus par le groove comme Route 166, une autre composition de Stéphane Mercier dont la version originale se trouve sur son album Trip. Ici, les solistes s'en donnent à cœur joie, poussés dans le dos par une rythmique souple, enrichie par les riffs des sections de cuivres. Fort de ses 14 musiciens, le Jazz Station Big Band donne l'impression de créer une musique sans effort mais c'est une illusion car ces miniatures sont arrangées avec une telle précision qu'elles ont sûrement demandé un travail considérable ... un travail qu'à l'écoute, nous auditeurs, on ne ressent pas. C'est ça qui est magique ! [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Moods (CD / Digital) ] [ A écouter : A Mood ] |
KLGO : Almost Blue (Acel), France, 24 septembre 2021
1. Almost Blue (04:40 ) - 2. Babooshka (03:32 ) - 3. Guess Who I Saw In Paris (03:36) - 4. Black Crow (04:08) -5. Hi-Lili, Hi-Lo (05:47) - 6. Free Man In Paris (02:56)- 7. What Is There To Say? (03:04) - 8. Let's Get Lost (04:00) - 9. Bittersweet (04:27) - 10. Consider Me Gone (03:54) Lexie Kendrick (voix) ; Sébastien Lovato (piano,claviers) ; Bernard Gallone (contrebasse, voix) ; Ichiro Onoe (batterie). Enregistré et mixé par Julien Bassères les 25 et 26 mai 2020 au Studio De Meudon, France. Produit par Bernard Gallone.
Les histoires d'amour finissent toujours mal, en général ? Le titre de cette chronique est un clin d'œil nostalgique au duo de rock français, les Rita Mitsouko, dont l'album The No Comprendo sorti en 1986 débute par le morceau Les Histoires d'A. Dans ce titre, le duo d'auteurs-compositeurs-interprètes, Catherine Ringer et Fred Chichin, démontre la complexité des relations amoureuses, en scandant leur refrain : Les histoires d'amour finissent mal en général. Le dossier de presse de l'album Almost Blue relate le même pessimisme que le duo des années quatre-vingt : « Les chansons de cet album ont plusieurs points communs : elles parlent d'amours déçus, d'occasions ratées, de vies fatiguées... ». Les sentiments amoureux sont souvent source d'inspiration de nombreuses créations artistiques. Le musicologue grec Constantin Floros explique dans son livre l'Homme, l'Amour et la Musique : « Le mystère de l'amour est plus grand que le mystère de la mort ». Il y définit la musique comme « le langage de la passion ». Ces éclaircissements confirment que l'amour restera encore longtemps le principal sujet de toute production artistique. Mais l'écoute de l'album de KLGO ne pourrait-elle pas donner de nouvelles indications sur le mystère de l'amour ? Ecrit par Elvis Costello, le premier morceau commence par la nostalgique et langoureuse voix de Lexie Kendrick qui invite l'auditeur à une balade; quant au pilote, Sébastien Lovato au piano, il propose un voyage sonore entre le bleu « Almost blue » nostalgique et le rouge de la tristesse « Now your eyes are red from crying ». L'alchimie artistique des quatre musiciens permet à l'auditeur de ressentir la douleur des sentiments amoureux. Dans un tout autre registre, la reprise de Babooshka par le quartet, donne à écouter une version du morceau de Kate Bush qui ne perd rien de sa tonicité rythmique originelle, grâce au travail combiné de la main gauche du pianiste, du prodigieux jeu syncopé des baguettes d'Ichiro Onoe et de la ligne de basse soutenue de Bernard Gallone. Le résultat musical de cette revisite du succès des années quatre-vingt est une sensation de malaise presque intrigante que les paroles merveilleuses chantées, presque déclamées, par la chanteuse confirment : « She wanted to test her husband (Elle voulait tester son mari) ». Encore une histoire qui pourrait donner raison aux Rita Mitsouko, « les histoires d'amour finissent mal ». L'écoute de ce très bel album en apprend un peu plus sur le mystère de l'amour : les sentiments amoureux, même douloureux, qui poussent tout humain à les rechercher sans cesse, sont également ressentis par les auditeurs grâce à la nature sonore de la création musicale. Cette spécificité de la musique est décrite par le philosophe Arthur Shopenhauer dans son livre « Le Monde Comme Volonté et Comme Représentation » : « La musique n'est pas comme tous les autres arts, une manifestation des idées ou des degrés d'objectivation du vouloir, mais l'expression directe de la volonté elle-même. De la provient l'action immédiate exercée par elle sur la volonté, c'est à dire sur les sentiments, les passions et les émotions de l'auditeur qu'elle n'a pas de peine à exalter ou à transformer. » [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ KLGO : Almost Blue (CD / Digital) ] [ A écouter : Almost Blue ] |
David Linx : Be My Guest, The Duos Project (Cristal Records), 12 novembre 2021
1. Letter To Trevor (3:48) - 2. Hunter (3:59) - 3. Pagina De Dor (4:26) - 4. Close To You (4:00) - 5. Waves (5:19) - 6. Making Do, Making New (4:46) - 7. Round Midnight (7:51) - 8. My Bee (5:25) - 9. Tonight You Belong To Me (2:29) - 10. By The Seine (4:20) – 11. The Bystander Effect (3:00) - 12. Vanguard (6:52) - 13. I Think It's Going To Rain Today (3:29) – 14. Emportez Moi (3:19) – 15. Como La Cigarra (5:28) David Linx (chant, piano); Trevor Baldwyn (narration : 1) ; Or Solomon (piano, voix parlée : 2) ; Hamilton De Holanda (cavaquinho : 3) ; Magic Malik (flûte : 4) ; Theo Bleckmann (chant : 5) ; Eric-Maria Couturier (violoncelle : 6) ; Tigran Hamasyan (piano : 7) ; Nguyên Lê (guitare électrique : 8) ; Rani Weatherby (chant, ukulélé : 9) ; Bart Quartier (vibraphone : 10) ; Diederik Wissels (électronique, claviers : 11) ; Ran Blake (piano : 12) ; Peter Hertmans (guitare électrique : 13) ; Marc Ducret (guitare acoustique, guitare électrique : 14) ; Gustavo Beytelmann (piano : 15)
Ce n'est que quelques semaines à peine après And Still We Sing avec la charismatique chanteuse néerlandaise Fay Claassen et le WDR Big Band, que le plus parisien des vocalistes de jazz belges revient en ce mois de novembre avec Be My Guest, The Duos Project. La renommée internationale de David Linx n'est plus à faire, quand on considère une carrière de trois bonnes décennies, couronnée de Prix et de distinctions en Belgique et en France, comme les Victoires de la Musique pour son album solo Skin The Game paru en 2020. Pour autant, le chanteur, auteur et compositeur, mû par la curiosité et par cette perpétuelle recherche de nouveaux paysages sonores, poursuit sa quête exploratoire avec ce nouveau répertoire regroupant quinze duos. Pour cette occasion, il a invité autant d'amis musiciens issus du jazz que d'ailleurs. Divers artistes contemporains ont également apporté leur contribution à travers des dessins animés, sculptures, peintures, photos, et bien sûr des vidéos dont celle retenue pour la promotion de l'album, le clip de Round Midnight réalisé par Shelomo Sadak dans lequel le chanteur donne de nouvelles couleurs au thème de Thelonious Monk ; cette pièce donne la pleine mesure de son chant tout en nuances, au vibrato quasi absent, et au phrasé si personnel, même si l'on peut par moments penser à Al Jarreau et surtout à Mark Murphy, influenceur majeur ; David est accompagné sur ce standard par l'étonnant pianiste arménien Tigran Hamasyan. Avec ces quinze artistes à bord, ce sont autant d'univers musicaux différents que le chanteur parcourt. Sur The Bystander Effect, il retrouve Diederik Wissels, le partenaire de ses débuts (sur l'inoubliable Up Close entre autres) et dans Como La Cigarra, un autre pianiste, l'argentin Gustavo Beytelmann qui joua autrefois sur Label Bleu aux côtés de Juan José Mosalini & Patrice Caratini. Sur Close To You, son chant est porté par la flûte du leader de l'éclectique Magic Malik Orchestra dont le claviériste Or Solomon accompagne également David sur un autre titre (Hunter). Soutenu par le violoncelliste classique Eric-Maria Couturier, Making Do Making New nous plonge dans la musique contemporaine. Bien entendu, des duos vocaux s'imposent dans un tel répertoire comme Waves avec l'allemand basé à New York Theo Bleckmann, ou Rani Weatherby alias Champagne Honeybee qui joue également de son inséparable Ukulélé dans Tonight You Belong To Me. Comme bercé par le fleuve parisien, le vibraphone de Bart Quartier carillonne en douceur dans By The Seine, tandis que le brésilien Hamilton De Holanda a laissé son bandolim pour un cavaquinho le temps de Pagina De Dor. Enfin, certains virtuoses de la six-cordes viennent également enrichir la musique : l'indispensable compatriote Peter Hertmans (I Think It's Going To Rain Today), l'avant-gardiste Marc Ducret (Emportez Moi) ou encore Nguyên Lê sur l'envoûtant My Bee. Après ce fascinant festival de sons et de couleurs du monde enluminant une voix d'exception, l'agenda de David Linx continue à se remplir avec une suite à Skin The Game en plus d'un nouveau projet incluant le pianiste Guillaume de Chassy et le clarinettiste Matteo Pastorino ; ajoutons encore à cela quelques dix collaborations sur l'année dont les dates de principe sont pour la plupart déjà prises. Nul doute que David Linx est aujourd'hui dans la phase la plus ascensionnelle de sa pourtant déjà longue histoire. [ Chronique de Michel Linker ] [ Be My Guest : The Duos Project (CD / Digital)" ] [ A écouter : Hunter - Close to You - Round Midnight ] |
Jelle Van Giel Group : Third Story (Hevhetia), 6 Novembre 2021
1. Pandemica (6:09) - 2. La Marche des Sixtes (1:04) - 3. Third Story (8:51) - 4. Running After The Clock (1:08) - 5. Comes Sun (8:53) - 6. Turbulence (1:16) - 7. The Internet Is My Mentor (5:52) - 8. Where The Heart Is (0:59) - 9. Crazy Together (Tom intro) (2:133 - 10. Crazy Together (9:02) - 11. Impro #3 (1:13) - 12. Christiania (8:17) - 13. Pelagic (1:02) - 14. Tilikum (9:28) Jelle Van Giel (drums, compositions); Thomas Mayade (trompette, bugle); Tom Bourgeois (sax alto, clarinette basse); Egor Doubay (sax ténor); Tim Finoulst (guitare, slide guitare); Bram Weijters (piano, claviers); Janos Bruneel (contrebasse)
Fondé en 2012, ce groupe basé à Anvers a déjà sorti précédemment deux albums remarqués : Songs For Everyone en 2015 et l'excellent The Journey en 2017, chroniqué ailleurs dans ce magazine. Formé dans les conservatoires d'Anvers et de La Haye, Jelle Van Giel est un batteur doté d'une belle technique qu'il met au service d'un septet qui sonne comme un mini big band. Third Story poursuit cette belle aventure en proposant une musique globalement basée sur le jazz modal des années 50 mais avec des couleurs modernes apportées par les arrangements mais aussi par l'inclusion d'instruments comme des synthés, une guitare électrique et une guitare « pedal steel ». Les arrangements sont exceptionnels et Jelle Van Giel se révèle ici comme un « metteur en sons » particulièrement doué, capable de donner à son orchestre une sonorité claire et feutrée qui flatte l'oreille. Pandemica par exemple, dont l'intitulé renvoie au Covid-19, est en ce sens une petite merveille d'écriture aboutie dans laquelle les sonorités acoustiques et électriques composent des textures originales aux reflets luxuriants. Au cœur de la masse orchestrale, la batterie enveloppante du leader est bien mise en avant, encadrant la charge avec maîtrise, soulignant les breaks et libérant les solistes grâce à une pulsation inventive. En plus d'être batteur et arrangeur, le leader est aussi un compositeur qui écrit de belles mélodies autour desquelles viendront s'articuler les différentes improvisations. Que ce soit le groovy The Internet Is My Mentor ou la balade Come Sun aussi lyrique que relaxante, les compositions sont toujours séduisantes et même chantantes dans l'exposé de leur thème. Evidemment, comme Jelle a laissé beaucoup de place à l'improvisation dans sa musique, la qualité des solistes est une composante essentielle et, sur ce plan, on est plutôt gâté. Tim Finoulst assure de belles parties de guitare électrique sur The Internet Is My Mentor ; Tom Bourgeois impressionne au saxophone alto (sur Third Story) ou à la clarinette basse (sur Crazy Together) ; et le trompettiste Thomas Mayade se fend de quelques beaux chorus comme celui impétueux de Christiana. A noter que parmi les 14 titres du répertoire, six sont des intermezzos joués en duo par le batteur-leader avec un de ses musiciens, une manière pour lui de les mettre en lumière et de reconnaître leur apport essentiel à sa musique. Enraciné dans la tradition mais ciselé par des choix modernes, Third Story est une production réussie dont les milles nuances se savourent et se découvrent au fil des écoutes. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Third Story sur Bandcamp ] [ A écouter : Third Story - Pandemica - The Internet Is My Mentor ] |
Manu Codjia, Giuseppe Millaci, Lieven Venken : Phases (Hypnote Records), 22 octobre 2021
1. Phase I (2:09) - 2. How My Heart Sings (Earl Zindars) (5:40) - 3. Stingy Blues (5:36) - 4. Al Blade (4:22) - 5. Phase II (2:45) - 6. My One And Only Love (6:18) - 7. Turn Over (4:55) - 8. Frozen Boots (5:18) - 9. Phase III (3:01) Manu Codjia (guitare), Giuseppe Millaci (basse) & Lieven Venken (batterie). Enregistré et mixé par Jonas Verrijdt au Noise Factory Studio à Namur.
Auteur de quelques disques en leader sortis sur Bee Jazz et de pas mal d'autres en sideman (avec Erik Truffaz, Daniel Humair et Henri Texier entre autres), le Français Manu Codjia est un guitariste caméléon recherché pour sa capacité d'adaptation à toutes sortes d'univers musicaux. Il joue ici en trio avec deux musiciens très actifs sur la scène jazz belge : le contrebassiste d'origine sicilienne, actuellement basé en Belgique, Giuseppe Millaci et le batteur Lieven Venken (Sal La Rocca quartet, Ramon van Merkenstein trio). L'éclectisme et la technique de Manu Codjia éclatent tout au long du répertoire dont le style oscille entre jazz et rock. Placés aux endroits stratégiques, Phases I, II et III en constituent l'ossature, les trois musiciens découvrant leur complémentarité en créant dans l'instant des climats atmosphériques agrémentés de sons divers. Manu Codjia module le son de sa guitare via des effets électroniques qui amplifient le côté expérimental mais aussi l'étrangeté de ces pièces improvisées. Les trois complices ont chacun contribué à l'écriture d'un ou plusieurs titres. Turn Over est un thème de Giuseppe Millaci et c'est l'un des morceaux les plus jazz de l'album. La symbiose entre les musiciens est maximale tandis que guitare et basse se croisent comme des chemins de fer en créant un swing intense. Apportés par Lieven Venken, Frozen Boots et Stingy Blues offrent un petit côté fusionnel tout en mettant en exergue la fantastique entente qui règne au sein de la paire rythmique. Dû à la plume de Manu Codjia, Al Blade est un splendide morceau de quitare en apesanteur. Deux reprises complètent le répertoire : How My Heart Sings tant prisée par Bill Evans et la balade My One And Only Love, qui fit jadis le bonheur de John Coltrane et de Johnny Hartman, ici rendue dans une version aérienne où l'on perçoit l'influence de Bill Frisell. Enregistré par trois musiciens faits pour s'entendre, cet album très inspiré est une excellente addition au catalogue du jeune label indépendant Hypnote Records créé en 2016 par le contrebassiste Giuseppe Millaci en collaboration avec l'ingénieur du son Jonas Verrijdt. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Phases (CD / Digital) ] [ A écouter : Turn Over - Manu Codjia, Giuseppe Millaci & Lieven Venken live à la Jazz Station, 2020 ] |
Robin Nitram 'Motto Trio' : Vroum Vroum (Autoproduction / Bandcamp), 24 septembre 2021
1. Marguerite - Intro (4:24) - 2. Noeuf (4:43) - 3. Utopia II (5:25) - 4. Toe Zone (5:05) - 5. Goury Lighthouse (4:41) - 6. Strange Bill (4:32) - 7. Marguerite - Dialogue & Outro (6:36) - 8. Enfin La Pluie (5:12) - 9. Burnotope (2:55) - 10. À Quoi Ça Sert ? (5:53) Robin Nitram (guitares); Nicolas Zentz (basse) ; Ewen Grall (batterie)
Les « images » ont souvent servi d'inspiration à Robin Nitram. Ce guitariste originaire de Chamonix-Mont-Blanc, aujourd'hui basé à Paris, a déjà enregistré précédemment deux albums : Rêveries Sonores en 2018 dans lequel il texturait sa musique en direct et en solo, tel un artiste créant une peinture abstraite au gré de son inspiration, et Voyages Immobiles en 2020, soit quatre titres inspirés par quatre photos permettant à l'auditeur de voyager dans sa tête en période de confinement. Pour Vroum Vroum qui sort maintenant, le guitariste s'est entouré du bassiste Nicolas Zentz et du batteur Ewen Grall, composant ainsi un trio qui a épousé sa vision « photographique » de la musique. Car Vroum Vroum est encore un périple sonore dans lequel Robin, qui a écrit toutes les compositions, restitue des impressions fugaces collectées au cours de voyages effectués avec la pandémie. Dès le premier titre, Marguerite - Intro, le trio expose ses envies d'apesanteur, évoquant les nuages qui passent et les arbres qui ploient sous la brise. La musique est empreinte d'une charge émotionnelle que parvient à transmettre le guitariste grâce à de multiples effets comme des « soundscapes » électroniques et des boucles passées à l'envers. Basse et guitare s'étirent ensuite avec langueur, installant un climat propice à la méditation qui se prolonge dans le morceau suivant (Noeuf). L'album est toutefois varié et réserve pas mal de surprises. Ainsi, la suite de Marguerite (Dialogue et Outro) est-elle habitée par une batterie tonifiante qui, en conjonction avec la basse, impose un groove sous-jacent sur lequel la guitare électrique devient sinueuse et même agressive, évoquant même par endroit, par ses intonations et son phrasé, les volutes acides d'un John Scofield. Utopia II et Goury Lighthouse sont deux pièces enlevées et franchement jazz avec de splendides improvisations de six-cordes qui prennent le temps de se développer. Le titre À Quoi Ça Sert? qui clôture le disque en beauté résume toutes les qualités de cette musique : sensibilité, relief, espace avec, en plus, des effets soigneusement dosés et des solos bien construits qui achèvent de nous convaincre de la finesse et de l'originalité de cette musique. Avec ce disque, Robin Nitram a clairement élargi sa palette, gagnant en nuances et en maturité aussi bien dans l'écriture de pièces diversifiées que dans leur interprétation. Le passage à un trio et le déploiement réussi de nouvelles structures et approches esthétiques font passer d'un coup cet excellent musicien dans la catégorie supérieure. Recommandé ! [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Vroum Vroum sur Bandcamp ] [ A écouter : Marguerite - intro - Burnotope - À Quoi Ça Sert ? ] |
BAM! Trio : One (MaineCoon Records), 24 Septembre 2021
1. Icarus (5:31) - 2. Bj blues (4:17) - 3. Distancing (5:17) - 4. Jardin des éphémères (4:59) - 5. Poker sundae (5:13) - 6. Rue de Savoie (3:52) - 7. Swirl (4:05) - 8. Why not (4:30) - 9. Les abyssales (5:13) Bastien Jeunieaux (guitare) ; Maxime Moyaerts (orgue Hammond) ; Arnaud Cabay (batterie)
BAM! trio comprend le claviériste Maxime Moyaerts qui joue ici exclusivement de l'orgue Hammond, le guitariste Bastien Jeunieaux et le batteur Arnaud Cabay (Fils du vibraphoniste Guy Cabay). Enregistré à l'hiver 2019, leur premier album sobrement intitulé One offre 9 compositions originales qui s'inscrivent dans la tradition d'un jazz-soul mélodique et classique que ce genre de trio présuppose. Le premier titre, Icarus, installe d'emblée l'ambiance de l'album : la musique est chaleureuse et groove en douceur. L'orgue souligne à pas feutrés la mélodie délicate déclinée à la guitare avant les passages improvisés. La musique se construit comme une dentelle, pas à pas, sans trop de surprise mais avec un sens aigu de la perfection qui en rend l'écoute agréable. C'est le genre de musique qu'on aime entendre en club « after hours » et même « after midnight » quand le poids du monde s'est enfin estompé dans la pénombre des lumières tamisées. Comme son nom l'indique, BJ Blues est plus proche du blues qui a toujours allaité ce genre de trio. On l'impression que les cinq lignes de la portée musicale se sont soudain mises en mouvement, ondulant comme les fils électriques aériens sous la brise. Le reste du répertoire s'inscrit dans une approche similaire retenue et très mélodique. Au fil des titres, on s'éloigne des embruns, des affaires et des chimères pour s'enfoncer davantage dans la nuit vers le carrefour des nostalgies. Parfois, le swing se fait un peu plus pressant comme dans Rue De Savoie où guitare et orgue échangent des phrases fluides dans des régions qui restent toutefois familières. Distancing, Jardin Des Ephémères, Swirl ... sont l'incarnation du temps suspendu, le décor de nos rêves, un sentier secret vers l'oubli. Le disque se referme sur Les Abyssales dont il existe aussi une version single : une autre balade à la mélancolie suave dont la douceur vénéneuse et le swing sous-jacent achèveront de vous empêcher de rentrer chez vous alors le club a déjà éteint ses néons. One est un disque d'ambiance composé et interprété par d'admirables musiciens dont la maîtrise et la sensibilité sont déjà étonnantes pour un premier essai. Nul doute que dans l'avenir, on les verra s'épanouir dans d'autres registres plus étendus. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ One (Digital) ] [ A écouter : Icarus - Les Abyssales ] |
Julien Daïan Quintet : Cut-Up (Indépendant / French Paradox), France, 28 mai 2021
1. End Working (04:28) - 2. Bring Some Love (avec Luciano et Mikey General) (05:55) – 3. September Nine (05:21) – 4.Trop C'est Trop (avec un extrait du morceau "Ecce Homo Et Caetera" interprété par Serge Gainsbourg) (02:46) – 5. Storm At The Beat Hotel (05:24) – 6. Everybody Love Me Biship (avec Biship Chasten) (02:33) – 7. Shinjuku Nemura Naï (avec Sofie Sörman) (04:01) – 8. Sometimes At Night I Think Of You (04:04) – 9. June Dance (avec Sylvain Gontard) (03:57) -10. Woman In Chains (avec Guillaume Perret) (04:03) Julien Daïan (saxophone); Alex Tassel (bugle); Cyril Benhamou (flûte); Edouard Monnin (piano); Octave Ducasse (batterie); Tommaso Montagnani (basse) + Invités: Luciano & Mikey General (voix : 2); Biship Chasten (voix : 6); Kiyoshi Tsuzuki (voix :7); Kiko (guitare et effet supplémentaires : 2); Sofie Sörman (chœurs : 7); Sylvain Gontard (trompette : 9); June & Antonin (chœurs : 9); Guillaume Perret (saxophone : 10) - Extrait du morceau "Ecce Homo Et Caetera" interprété par Serge Gainsbourg (voix : 4). Enregistré et mixé par Julien Birot en juillet 2019 au Studio Peninsula (56370 Sarzeau), France.
Cut Up, l'album de Julien Daïan, ne serait-il pas le digne héritier de la Beat Generation ? Si souvent l'écriture d'une chronique est une enquête, destinée à découvrir la source créatrice du projet, alors le sujet du jour est le troisième album du saxophoniste Julien Daïan avec son parcours musical tout terrain. Principalement jazz, il peut aussi bien s'entourer « d'un rappeur new-yorkais descendant de poète à la voix rocailleuse » et « d'un beatmaker pubard émergeant des bas fonds électro parisiens » que de « monter le projet punk et néo-situ Vanilla Sax and the Radiators ». Avec Bring Some Love, l'écoute de Cut Up emmène l'auditeur vers une très belle mélodie d'amour sur une rythmique reggae, suivi d'un morceau dans la tradition jazz, pour ne pas dire free jazz où le très beau solo d'Alex Tassel au buggle enchantera les jazzophiles. Mais le sommet de cet album est atteint avec Trop C'est Trop. Le dossier de presse explique ce miracle: « Une histoire de hasard. Sorti du studio, le morceau Trop C'est Trop est en boite mais pas vraiment fini, il n'a pas encore de titre non plus... Il manque un truc mais allez savoir quoi. Quelques semaines se passent, Julien réécoute les titres, projette, remet tout en question et au hasard d'un soir égayé par un très bon rhum agricole s'esclaffe : « C'est Gainsbourg qui aurait dû chanter là-dessus, tu imagines ». Oui mais non. Et pourtant... c'est évident. Les ayants droits ? La maison de disques ? L'éditeur ? Ils ont dit oui. On est content, on n'y croyait pas vraiment, on est touché, c'est en train de se réaliser. Tiré du titre Ecce Homo Et Caetera ce texte, Serge Gainsbourg le susurrait sur une musique Reggae. La musique est alors transposée cette fois-ci dans un univers finalement très Gainsbarien et pourtant, rien n'avait été vraiment pensé ou prémédité en ce sens. C'est beau les hasards ». Déterminer la source créatrice de Cut Up pourrait sembler difficile si le hasard à nouveau ne s'en était mêlé. C'est autour d'un café partagé qu'un spécialiste d'art contemporain me donne la clef du mystère : « Le cut-up (le découpé) est une technique (ou un genre) littéraire inventée par l'artiste Brion Gysin et expérimentée par l'écrivain américain William S. Burroughs où un texte original se trouve découpé en fragments aléatoires puis ceux-ci sont réarrangés pour produire un texte nouveau. Le cut-up est intimement lié au mode de vie et à la philosophie de la Beat Generation définie par William S. Burroughs et Jack Kerouac. Burroughs y voit l'écriture comme un lâcher prise de la conscience ». Cette définition convient tout à fait aux propos de Julien Daïan, quand il clôture l'explication de la création de son morceau Trop C'est Trop par « C'est beau les hasards ». Si Cut Up est arrivé à nos oreilles par hasard, le hasard a bien fait les choses car cet album est un vrai délice sonore. [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ Cut-Up (CD / Digital) ] [ A écouter : Trop C'est Trop - End Working ] |
Julien Lourau : Power Of Soul - The Music of CTI (Komos), 20 août 2021
1. People Make The World Go Round (5:05) - 2. Psalm 150" (6:21) - 3. Westchester Lady" (4:45) - 4. Piece Of Mind (5:12) - 5. Power Of Soul (6:29) - 6. Don't Mess With Mr T (4:45) - 7. Firebird/Birds Of Fire (9:05) - 8. Red Clay (6:10) - 9. In The Beginning" (8:39) - 10. Love & Peace (5:59) Julien Loureau (ts, ss) ; Léo Jassef (piano) ; Arnaud Roulin (claviers analogiques) ; Sylvain Daniel (basse) ; Jim Hart (dr) + Bojan Z (piano : 10)
Comme beaucoup d'entre nous, le saxophoniste français Julien Lourau est resté un grand nostalgique des productions sophistiquées de la firme discographique CTI fondée en 1967 par le producteur américain Creed Taylor. Aussi, après avoir réécouté bon nombre de disques de l'époque, il a décidé de rendre hommage au label, à ses musiciens, à ses arrangeurs, à ses ingénieurs du son et à son producteur en piochant quelques morceaux incontournables du catalogue. Julien est resté fidèle à ce qui fit le succès de Creed Taylor mais ça ne l'a pas empêché d'ajouter sa touche personnelle. Il a aussi choisi la simplicité en débarrassant certains titres de leur écrin de cuivres et de cordes pour les réinterpréter dans une formule plus compacte : un saxophone, deux claviéristes, une basse et une batterie. C'est donc avec un plaisir immense que l'on (re)découvre ces tubes jazz/soul/funk réinventés avec autant de passion que de respect : Red Clay de Freddie Hubbard, Wetchester Lady de Bob James, Don't Mess With Mr. T de Marvin Gaye version Stanley Turrentine, Power Of Soul de Jimi Hendrix revu par Idris Muhammad et Grover Washington Jr., ou l'incontournable People Make The World Go Round des Stylistics que le vibraphoniste Milt Jackson avait inclus sur son inoubliable album Sunflower. La playlist est parfaite, les nouvelles interprétations fidèles mais intelligemment réarrangées et l'ensemble du disque s'écoute comme on ferait un retour dans le passé : avec enchantement mais un grand étonnement aussi de constater combien ces anciens morceaux ont aujourd'hui gardé toute leur magie. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Power Soul - The Music Of CTI (CD / Vinyle / Digital) ] [ Power Of Soul sur Bandcamp ] [ A écouter : Piece Of Mind ] |
Joachim Caffonnette Extended : Bittersweet Times (Hypnote Records), 10 Septembre 2021
1. Bittersweet Times (7:24) - 2. Nostalgie Du Futur (7:21) - 3. Presidential Blues (6:08) - 4. Any Where Out of the World (6:27) - 5. Endless Dreams (Intro) (2:46) - 6. Endless Dreams (5:07) - 7. Big Questions, Brief Answers (5:39) - 8. The 6 Am. Crosspath (4:13) - 9. On Green Dolphin Street (4:02) - 10. A Savvy Child (6:30) Joachim Caffonnette (piano and compositions); Jasen Weaver (contrebasse); Noam Israeli (drums); Hermon Mehari (trompette : 1, 2, 4, 6); Édouard Wallyn (trombone : 1, 4, 6); Quentin Manfroy (flûtes alto et basse : 1, 4, 6)
Avant aujourd'hui, le pianiste Joachim Caffonnette a produit deux albums : Simplexity en quintet sorti en 2015 et Vers l'Azur Noir en trio paru en 2019. Sur son nouveau disque, il approfondit sa musique en multipliant les configurations et en explorant différentes textures au gré des musiciens invités au fil des morceaux, le noyau de base étant constitué par un nouveau trio international qui, outre le leader lui-même, comprend le contrebassiste de La Nouvelle-Orléans Jasen Weaver ainsi que le batteur israélien installé à New York, Noam Israeli. Le répertoire s'ouvre avec Bittersweet Times qui donne son nom à l'album. La dimension orchestrale de cette pièce remarquablement bien arrangée surprend : la trompette de Hermon Mehari, le trombone d'Édouard Wallyn et la flûte de Quentin Manfroy donnent de l'épaisseur à l'ensemble, les deux premiers ayant par ailleurs reçu tout l'espace nécessaire pour s'exprimer en solo. En dépit de son intitulé (des temps doux-amers), la musique est enlevée, spontanée, fraîche et lyrique avec peut-être une petite pointe de mélancolie désabusée qui perce dans la mélodie. Le sextet est aussi présent dans deux autres titres : Any Where Out Of The World, une composition à l'ambiance raffinée dans laquelle le compositeur a joué au maximum de l'alliance du trombone, de la trompette et du piano pour donner de l'ampleur orchestrale, et Big Questions, Brief Answers dont le style de jazz dynamique renvoie à la chaleur, la puissance et la réactivité du fameux sextet de Dave Holland (sur Pass It On). Enfin, sur Nostalgie du Futur, une composition poétique aux harmonies rêveuses, le leader et le trompettiste rivalisent de lyrisme dans un véritable moment de grâce partagée. Les six autres morceaux mettent davantage en évidence l'interaction entre les membres du trio qui prennent aussi plus de liberté. Ainsi on appréciera le solo de contrebasse de Jasen Weaver sur le très enjoué Presidential Blues mais aussi la frappe hyper dynamique du batteur Noam Israeli qui n'arrête pas de relancer ce morceau aux accents monkiens. Toutes ces qualités se retrouvent également dans l'interprétation pleine d'énergie et de nuances du standard On Green Doplphin Street : le solo de Noam Israeli y est réellement habité tandis que les envolées du pianiste dont le phrasé est d'une extraordinaire fluidité rendent cette reprise particulièrement jouissive. Le répertoire se clôture sur le très beau A Savvy Child, une autre composition originale du leader qui allie élégance et lyrisme. Bittersweet Times, le disque, me paraît être à ce jour la réalisation la plus aboutie d'un pianiste à l'itinéraire musical passionnant. L'ampleur de cette musique, sa cohérence et son évidence sont tellement exceptionnelles qu'on n'hésite pas une seconde à retenir d'ores et déjà cet album parmi les productions de jazz les plus réjouissantes de cette année. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Bittersweet Times sur Bandcamp ] [ A écouter : Nostalgie Du Futur ] |
Eve Beuvens : Inner Geography (Igloo Records), Belgique, 17 Septembre 2021
1. Phagocyte (4:57)- 2. Super Nina's (3:37) - 3. Jolene (4:43) - 4. Rain Drops Moving On A Window (5:56) - 5. Snow Wind and Wings (5:48) - 6. Your Own Title To This Song (2:55) - 7. L'auditorium de Ténériffe (5:57) - 8. Caravan (3:52) Eve Beuvens (piano Steinway D-274). Enregistré les 26, 27 mars et les 14, 15 avril par Daniel Léon au Studio Igloo, Bruxelles.
La pianiste Eve Beuvens s'est lancée en solo au Gaume Jazz Festival il y a deux ans, une expérience rééditée à Flagey il y a quelques mois et qui a finalement débouché sur un premier album en solo. Ainsi après Noordzee en trio sorti en 2009, Heptatomic en septet en 2015 et deux enregistrements en quartet réalisés en collaboration avec le saxophoniste suédois Mikael Godée, Inner Geography présente un voyage plus introspectif en solitaire sur le prestigieux Steinway du studio Igloo. Des deux reprises au répertoire, Jolene, le tube de Dolly Parton, est celle qui surprend le plus mais cette version ralentie aux harmonies rêveuses, dont le thème reste néanmoins immédiatement reconnaissable, s'inscrit à merveille dans l'univers poétique de la pianiste. La déconstruction de la mélodie vers la fin de la pièce évoque avec ses résonances habitées une lente et fascinante décomposition, se transformant peu à peu en un éloge de l'informe. Caravan est lui aussi transcendé, son exotisme moyen-oriental étant altéré au profit d'une errance dans un paysage sonore indéfini d'où finira par surgir de manière inattendue la mélodie originale de Juan Tizol. Les six compositions originales s'inscrivent dans la même thématique d'un voyage intérieur et leurs intitulés sont autant d'indices pour en comprendre le sens. Phagocyte est l'histoire de deux thèmes qui s'entrechoquent et cherchent à s'imposer : l'un très sombre avec un emploi prédominant de notes graves et l'autre plus volatile et aérien. Rain Drops Moving On A Window est l'évocation des gouttes de pluie qui rebondissent sur une surface, créant une danse syncopée qui se prolonge, dans la seconde partie du morceau, par une belle improvisation. Quant à Snow Wind & Wings, il se rattache aux beautés hivernales, à ses sonorités cotonneuses ainsi qu'au mouvement des désormais célèbres perruches vertes de Bruxelles. On pense parfois à Debussy dont l'œuvre pour piano est pointilliste et légère, comme en absence de gravité : à l'instar de ce compositeur français, Eve Beuvens ouvre, elle aussi, des portes qui permettent d'accéder à une vision du monde plus contemplative et poétique. La maîtrise d'Eve Beuvens, son toucher raffiné et ses nuances subtiles font merveille. Seule au clavier, elle crée des vibrations à partir de mélodies reprises ou inventées et les module comme un peintre joue avec les effets de la lumière sur les couleurs et les formes. C'est là une définition de l'art pictural impressionniste dont la pianiste vient de délivrer une parfaite illustration musicale. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Eve Beuvens sur Igloo Records ] |
Robin Nicaise : Building and Piano Studies (Co-production Clapson Records), France, 9 septembre 2021
1. Building - 2. Waiting For Other Times - 3. La Source - 4. Inner Light - 5. Inner Light (piano solo) - 6. Autumn In Paris - 7. The Bells - 8. Jeux de Quintes et Jeux de Quartes - 9. Bretagne - 10. Venise - 11. Bill To The Stars - 12. Thriller - 13. Petru - 14. Welcome Home - 15. Emile - 16. Emile 3 ans - 17. The Happiness We Share Building: Robin Nicaise (sax ténor); Sandro Zerafa (guitare); Clément Simon (piano, Fender Rhodes); Yoni Zelnik (contrebasse); Fred Pasqua (drums), Youri Bessières (violon 1); Fanny Lévèque (violon 2); Alain Martinez (violon alto); Consuelo Uribe (violoncelle) Piano Studies: Robin Nicaise (piano)
Ce disque dont l'intitulé intrigue est le cinquième en leader du saxophoniste français Robin Nicaise. En lisant le livret, on comprend qu'il a été conçu en deux parties distinctes: la première, Building, est une sorte de concerto en quatre mouvements dans lesquels le saxophoniste, accompagné d'un quartet de jazz, dialogue avec un quatuor à cordes tandis que la seconde, Piano Studies, est un recueil d'études pour piano solo composées et interprétées par le leader. Les deux parties sont en quelque sorte reliées par un titre, Inner Light, qui figure deux fois au répertoire, l'une dans sa forme orchestrale et l'autre jouée au piano. Buiding, dont le nom se réfère en partie à la construction de cet ensemble de neuf musiciens, révèle une profondeur et, dans le premier mouvement, une certaine solennité (selon son auteur, le concerto est aussi un hommage à son père disparu). L'arrangement est fluide : quatuor et quartet sont imbriqués avec finesse et leurs sonorités respectives n'empiètent pas l'une sur l'autre. Ensemencée par les notes délicatement électriques d'un Fender Rhodes, Waiting For Other Times est une petite perle colorée traversée d'un long et beau solo de guitare par Sandro Zerafa suivi par un autre tout aussi jouissif joué au saxophone par le leader. Plus évocateur, La Source, qui est dans sa première section une pièce quasi-classique, donne une impression de pureté et de fraicheur. Le concerto se clôture sur le paisible Inner Light, une composition pastorale aux accents tranquilles faite d'harmonies rêveuses et de nuances subtiles. La partie Piano Solo comprend 13 « études » dont la durée ne dépasse pas deux minutes, le temps de jouer l'un ou l'autre motif et d'installer rapidement une atmosphère qu'on imagine résumée dans chaque titre. Ainsi, The Happiness We Share est basé sur une mélodie enjouée et gracieuse tandis que Thriller reflète une ambiance plus mystérieuse et que Venise suggère les jeux d'ombre et de lumière sur les eaux de la lagune. Mais c'est à chacun de se faire son cinéma sur ces ébauches rassemblées ici comme les pièces d'une bande originale d'un film imaginaire. Building and Piano Studies est donc un disque à deux facettes avec deux parties qui restent toutefois cohérentes par leur style « classicisant ». Si la première met davantage en exergue les capacités de compositeur et d'arrangeur de Robin Nicaise, la seconde affiche de façon inattendue un autre aspect de sa personnalité qui consiste à pouvoir exprimer musicalement des impressions fugaces. L'ensemble confirme le talent singulier que ce musicien n'arrête pas d'afficher au cours d'un itinéraire musical qui lui est très personnel. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ A écouter : Building (teaser)- Building and Piano Studies (teaser II) - The Happiness We Share (version trio sax / live) ] |
Olivier Collette : Classical Tribute (Heptone), 2021
1. Valse posthume en la mineur n°17 (F. Chopin) - 2. Variation sur le prélude en do mineur (O. Collette / J.S. Bach) - 3. Liebestraum (F. Liszt) - 4. Concerto n°21 2è mouvement (W.A. Mozart) - 5.The Little Negro (C. Debussy) - 6. Sicilienne (J.S. Bach) - 7. Boléro (M. Ravel) - 8. Concerto en Sol Majeur 2e mouvement (M. Ravel) - 9. Cold Song (H. Purcell) - 10. Nocturne en mi bémol majeur op.9 n°2 (F. Chopin) - 11. Variation sur le prélude en do majeur (O. Collette / J.S. Bach) Olivier Collette (piano, arrangements), Victor Foulon (double bass), Daniel Jonkers (drums), Eliane Reyes (piano : 1 & 11)
Classical Tribute, qui n'est actuellement disponible que sur le site de son créateur, est un album regroupant 11 pièces de musique classique interprétées en trio selon les codes du jazz. Olivier Collette l'a enregistré avec sa rythmique habituelle qui comprend le contrebassiste Victor Foulon et le batteur Daniel Jonkers. En outre, la célèbre pianiste classique verviétoise Eliane Reyes a été invitée à interpréter la première et la dernière pièce du répertoire. Deux styles distants, le classique et le jazz peuvent à l'occasion se rejoindre dans des œuvres intéressantes qui forment quasiment un genre à part. Jacques Loussier, le Classical Jazz Quartet, Eugen Cicero ou l'European Jazz Trio sont quelques-uns des artistes qui puisent leur inspiration aussi bien dans le jazz que dans la musique classique et combinent ces deux genres en des approches parfois très respectueuses et parfois très originales. Le répertoire de ce Classical Tribute se classe plutôt dans la première catégorie : ici, c'est clairement le jazz qui pénètre respectueusement et sans exotisme le monde classique, et non l'inverse, alors que les thèmes de Chopin, Liszt, Mozart, Ravel ou Bach sont interprétés avec fidélité avant d'irriguer des improvisations fluides qui conservent néanmoins l'esprit du morceau original. Le trio joue avec aisance et vivifie la musique. Les parties improvisées sont inspirées, très agréables à entendre et ne rompent pas le charme des pièces sur lesquelles elles s'appuient. La musique est globalement fraîche grâce au jeu souple et dynamique des musiciens mais aussi grâce aux arrangements d'Olivier Collette qui a su privilégier respiration et approche légère dans ces onze reprises. Les mélomanes aux oreille ouvertes et ceux qui apprécient particulièrement les artistes et groupes précités peuvent investir sans crainte dans l'acquisition de ce bel album « crossover » au croisement du classique et du jazz : ils ne seront pas déçus. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Classical Tribute sur le site d'Olivier Collette ] |
Radoni/Hertmans/Loveri/Rassinfosse : Around Paolo Radoni (Red Box Records), mai 2021
1. Have You Met Miss Jones ? (6:35) - 2. Monday Morning (5:38) - 3. Sandu (5:39) - 4. E la Chiamano Estate (5:12) - 5. Brigas Nunca Mais (3:44) - 6. My Funny Valentine (4:58) - 7. Red Cross (5:04) - 8. Storie Vere (4:25) - 9. Tangerine (5 :08) Paolo Radoni, Peter Hertmans, Paolo Loveri (guitare); Jean-Louis Rassinfosse (contrebasse). Enregistrements additionnels réalisés au home studio de Peter Hertmans, septembre 2015 à mars 2016
Musicien né en Italie mais rapidement installé en Belgique, Paolo Radoni est devenu, après diverses expériences musicales et dès le milieu des années 70, un guitariste et compositeur remarqué de la scène jazz. Malheureusement disparu prématurément, à l'âge de 59 ans, en décembre 2007, il nous a laissé quelques disques en souvenir dont Vento (1978), Hotel Love (1983), A Day Or Two (1993), Coast To Coast (1999) sans oublier le merveilleux Storie Vere, sorti en 1988, un album intimiste et personnel qui reste pour moi sa plus belle réussite discographique. Régulièrement, Paolo Radoni se rappelle à notre bon souvenir via la réédition de ses disques par le label Igloo : Storie Vere en 2010 et A Day Or Two l'année suivante. Mais aussi par la parution chez Mogno Records d'un superbe album hommage, intitulé Radoni's Tribe, interprété par une tribu de musiciens ayant joué autrefois avec le guitariste et qui ont réinterprété avec émotion quelques-unes de ses compositions les plus marquantes : des ballades pour la plupart mais aussi quelques titres plus enjoués, véritables autoroutes pour les fabuleux solistes (Gino Lattuca, Ben Sluijs, Philip Catherine …) convoqués pour l'occasion. Et voici que paraît ce nouvel album hommage dont la conception est toutefois différente puisqu'il s'agit d'un des derniers enregistrements réalisés par Paolo Radoni sur lequel deux autres guitaristes, Paolo Loveri et Peter Hertmans, plus le contrebassiste Jean-Louis Rassinfosse ont superposé leurs instruments. On peut reconnaître les trois guitaristes à leur style et à leur tonalité mais aussi grâce à la stéréo : Paolo Radoni est au centre dans le mixage, Paolo Loveri sur le canal gauche et Peter Hertmans sur le canal droit. Aucune composition de Paolo Loveri ne figure au répertoire. En revanche, il y en a une, superbe, de Paolo Loveri : Monday Morning qui figurait sur son album 3 for 1. Les solistes rivalisent d'émotion sur cette lumineuse balade un rien suave qui coule comme du miel au soleil. Elle est suivie par une reprise du standard Sandu de Clifford Brown, un blues classique dont on ne sait toujours pas à quoi le titre se rapporte, mais qui s'avère être du pain béni pour les solistes. Ce morceau constitue en effet un thème idéal pour une jam-session où les guitaristes peuvent s'étendre à l'aise. Au milieu d'autres standards comme Have You Met Miss Jones ? de Rodgers & Hart et Brigas Nunca Mais, une adaptation splendide d'une chanson latine d'Antonio Carlos Jobim, on trouve aussi une reprise de Red Cross, une des premières compositions de Charlie Parker enregistrée en 1944 avec le guitariste Tiny Grimes. C'est du Be-Bop au tempérament bien affirmé sur lequel les guitares croisent le fer avec ardeur avant de s'envoler dans des chorus propulsés par la contrebasse en verve de Jean-Louis Rassinfosse. Et puis, il y a ce thème écrit par Armando Trovajoli en 1964 pour le film "Mariage à l'italienne" de Vittorio De Sica et dont Paolo Radoni s'était emparé avec tant de grâce qu'il était devenu un incontournable de son répertoire. Sans occulter l'arrangement original de Paolo, cette nouvelle version de Storie Vere n'en est pas moins magnifique, légère mais habile, jolie mais captivante, riche en harmonies et en improvisations et toujours avec le soleil de l'Italie par-dessus qui la rend encore plus rayonnante. Around Paolo Radoni est un album qui comblera ceux qui se souviennent de Paolo Radoni (quelle émotion de l'entendre à nouveau !), mais aussi, indépendamment, les guitaristes comme les amoureux de belles mélodies arrangées avec grâce. En conclusion, ce disque qui sonne de façon radieuse est une vraie bénédiction. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Around Paolo Radoni sur Red Box Records ] |
Alexandre Furnelle / AF New 5 : Different Kinds Of Blue (Indépendant / Bandcamp / Red Box Trib), Mars 2019/Janvier 2021
1. Blossom (6:31) - 2. Like Someone in Love (6:10) - 3. Brumes (7:11) - 4. Au Milieu de Nulle Part (4:53) - 5. Ever Since (5:26) - 6. Sound of Jupiter (6:05) - 7. Prelude in Cm n°20 (4:39) - 8. Eyes to Wonder (3:04) - 9. Winter blues (5:26) - 10. Country (5:18) Alexandre Furnelle (contrebasse, compositions); Kristina Fuchs (chant); Daniel Stokart (saxophones); Peter Hertmans (guitare); Jan de Haas (drums). Enregistré en avril 2017 au Studio Elles par Pascale Snoeck.
En musique, on connait bien une sorte de bleu, celle de Miles Davis Davis, mais il en existe d'autres qu'a tenté d'exprimer avec sa grande sensibilité habituelle le contrebassiste Alexandre Furnelle. Pour l'occasion, il s'est entouré d'excellents musiciens qui servent au mieux sa vision lyrique : le guitariste Peter Hertmans, le saxophoniste Daniel Stokart et le batteur Jan de Haas. A ce quartet instrumental vient s'ajouter la voix de Kristina Fuchs qui interprète des textes qu'elle a parfois écrits elle-même (Blossom). Sa contribution essentielle fait de cet album quelque chose de spécial par rapport aux autres productions du contrebassiste. Surtout qu'en plus de chanter des paroles, elle utilise également sa voix en « scat » comme un nouvel instrument au sein du quartet, augmentant ainsi le nombre de solistes. Sur plusieurs titres, comme sur le standard Like Someone In Love de Jimmy Van Heusen ou sur Country de Keith Jarrett, Peter Hertmans prend de beaux solos de guitare électrique avec cette tonalité fluide et douce dont il a le secret. Il est également l'auteur de deux titres : Ever Since (co-écrit avec Paul Berner) et le splendide Winter Blues qui figurait déjà sur son propre disque, Dedication, enregistré également avec Daniel Stokart. Evidemment, l'arrangement est ici différent, rendu plus sombre encore avec un fort sentiment de solitude procuré par la voix de Kristina : « one lonely tree in the snow, one lonely bird singing low … », ambiance enténébrée sous le linceul blanc de l'hiver. Ce morceau bénéficie en outre d'un solo très prenant du saxophoniste. Alexandre a écrit deux morceaux, Brumes et Au Milieu de Nulle Part, qui se succèdent et s'inscrivent tous deux dans une même atmosphère étrange aux contours indistincts d'où surgissement épisodiquement quelques lignes de saxophone, de guitare ou de contrebasse. La voix de Kristina contribue largement au sentiment bizarre d'être « perdu en translation » dans un no man's land ouaté à la lisière de la réalité. Et puis il y a Sounds Of Jupiter, une composition avant-gardiste, pour ne pas dire futuriste, apparemment basée sur la représentation sonore par la Nasa de la sonde Juno pénétrant la puissante magnétosphère jovienne. Ne manquent que les impressionnantes images de la planète géante mais le son est digne des partitions de György Ligeti utilisées dans la fameuse Odyssée de Stanley Kubrick. Cette étrange musique se fond intelligemment et sans interruption dans le Prélude n°20 de Chopin, celui qui fut rebaptisé « La Marche Funèbre », ici présenté dans un arrangement avec voix qui le rend solennel mais qui est aussi habité par une belle et profonde improvisation de contrebasse. Different Kinds Of Blue est l'une des œuvres les plus originales d'Alexandre Furnelle. Contrastée, raffinée et toujours surprenante, elle fait naître toutes sortes d'émotions et, en l'écoutant, on ne peut qu'imaginer des images qui viennent se superposer comme par magie à cette musique inouïe. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Different Kinds Of Blue sur Bandcamp ] [ Different Kinds Of Blue sur Red Box Trib ] |
Jaco Parmentier Group : Après l'Orage (La Traversée des Apparences), 16 octobre 2020
1. On Devine (2:20) - 2. Les Sentiers De La Terre (3:01) - 3. Après L'Orage (5:18) - 4. Prophétie (3:38) - 5. Valse De Joël (7:07) - 6. Premier Matin (3:53) - 7. La Femme Des Marées (9:27) - 8. Danse Ombrée (6:03) - 9. Avant-Propos (5:39) - 10. Minuscule Blues (4:14) - 11 L'Oiseau (4:09) - 12. Tindumiel (6:57) - 13. Aimer (3:26) Jaco Parmentier (piano); Henri De La Taille (basse, contrebasse); Jean Victor De Boer (batterie)
Après L'Orage nous fait découvrir une musique à la fois originale et nuancée. Cet enregistrement dans des conditions live confère d'emblée fraîcheur et spontanéité à la musique. Ce premier opus d'un trio formé en 2017 par le pianiste Jaco Parmentier fait suite à deux années de tournées et concerts stoppés par le confinement. Ayant abandonné la vie parisienne pour le cadre plus bucolique de la Normandie, cet artiste a retrouvé son instrument de prédilection qu'il avait délaissé depuis les années 80 au profit de la guitare. Au fil des ans, son inspiration s'est nourrie de sources aussi diverses que le répertoire classique notamment impressionniste (Debussy, Satie), les musiques du monde venues d'Afrique et d'Orient (Munir Bashir, Geoffrey Oryema, Ali Farka Toure...), ainsi que le rock progressif, en particulier pour les formations attachées à la recherche sonore et à ses effets (Pink Floyd). Peu lié à une « étiquette », Jaco Parmentier a su simplement, sans barrière mentale ni conceptuelle, écouter son cœur et ses sens dans une création très personnelle qui restitue des émotions et des ambiances comme il le fit lorsqu'il mettait jadis en musique des documentaires ou encore des spectacles de danse dont sont d'ailleurs reprises, dans de nouveaux arrangements, deux pièces de cet album : Après L'Orage et Aimer. Porté par une section rythmique tour à tour douce et puissante, ce pianiste au jeu délicat et aux notes cristallines nous conduit au fil de ce répertoire en des contrées riches en rythmes et couleurs. Apparaissent ainsi des ballades célestes dans lesquelles le piano de Jaco joue un thème accrocheur et répétitif, appuyé subtilement par la basse fretless d'Henri De La Taille: les somptueux Sentiers De La Terre ainsi que Premier Matin ou encore L'Oiseau. Prophétie est une pièce contemplative qui fait naître des images mentales de mouvements et de paysages. On se laisse ensuite emporter par la Valse De Joël et par la Danse Ombrée où le piano s'envole sur un swing au rythme latin avant de se libérer dans une réjouissante improvisation. C'est également dans la plus belle tradition jazz que se situent le Minuscule Blues et Tindumiel avec, entre autres, un chorus du batteur franco-néerlandais Jean Victor De Boer. Mais on épinglera surtout deux pièces majeures que nous pouvons qualifier de « Jazz progressif », à savoir Après L'Orage pour sa belle montée en énergie, et surtout La Femme Des Marées, pièce la plus longue et la plus complexe du répertoire : une première phase d'exposition et de développement du thème peuplée de bruits et sons semblant faire écho au premier et mystérieux morceau On Devine ; ensuite, la contrebasse suivie de la batterie embarquent le piano avant de redescendre sur une rythmique très légère et accompagnée cette fois par une basse fretless. Aimer, au titre si évocateur, clôture finalement l'album sur les notes douces et mélancoliques d'un piano en solo. Réunissant une variété de compositions inspirées et remarquablement arrangées, Après L'Orage réussit le tour de force de maintenir une véritable unité. Ce trio, qui peut aussi bien faire penser à celui d'Enrico Pieranunzi (avec Hein Van De Geyn et André Ceccarelli) qu'à certains artistes du label ECM, possède cette rare vertu de trouver un juste équilibre entre technicité et sensibilité mélodique, faisant ainsi des treize plages de cet opus un enchantement permanent. [ Chronique de Michel Linker ] [ Après l'Orage sur Bandcamp ] [ A écouter : On Devine - Danse Ombrée ] |
Thomas Champagne feat. Adam O'Farrill : Tide (Igloo), 18 juin 2021
1. Bad Date (6:58) - 2. BreathBreath (6:07) - 3. Tide (3:02) - 4. Interlude I (1:46) – 5. Muse (5:00) - 6. Looking Forward (6:58) - 7. Interlude II (3:02) - 8. Gentle Breeze (4:34) Thomas Champagne (saxophone alto) ; Adam O'Farrill (trompette) ; Guillaume Vierset (guitare) ; Ruben Lamon (contrebasse) ; Alain Deval (batterie)
Thomas Champagne a gardé pour ce disque le même quartet que sur son album précédent, Sweet Day, sorti il y a quatre ans. Outre le saxophoniste, ce combo fondé en 2014 et baptisé Random House comprend le guitariste Guillaume Vierset (LG Jazz Collective, Harvest Group), le contrebassiste Ruben Lamon (Bravo Big Band) et le batteur Alain Deval (leader de l'excellent groupe avant-gardiste Collapse). Mais quand il était à New York, Thomas a vu Adam O'Farrill sur scène, un jeune trompettiste originaire de Brooklyn qui a joué avec la guitariste Mary Halvorson, avec le bassiste Stephan Crump ainsi que dans le quintet de Rudresh Mahanthappa's, trois références qui en disent long à propos de son ouverture sur un jazz moderne et créatif. Impressionné par sa prestation, Thomas a alors invité Adam en Belgique pour une série de concerts avec son quartet qui, l'alchimie fonctionnant bien, ont finalement débouché sur l'enregistrement fin mars 2019 de Tide. Le premier titre, Bad Date, donne le ton. La frappe robuste d'Alain Deval, la guitare électrisante de Guillaume Vierset, le thème enjoué évoquant une danse dans une fête balkanique, et puis, la trompette d'Adam O'Farrill qui s'élève comme habitée par un feu sacré : c'est du jazz moderne, ouvert et d'une belle intensité propre à réveiller les plus blasés. BreathBreath est introduit par des accords « pop-rock » dont Guillaume Vierset, qui en est le compositeur, a le secret. Propulsés par une rythmique au groove souterrain et soutenus par des accords de guitare bien épais et parfois soumis au vibrato, les solistes s'envolent littéralement dans de longs chorus savoureux. Et quand le thème revient à la fin, il est tellement bien imbriqué qu'on ne l'a pas venu venir. Aussi est-on un peu surpris que ce morceau évolutif de plus de 6 minutes soit déjà fini. Le disque réserve aussi une belle place à des compositions plus aériennes comme Tide, écrit par Adam O'Farrill, où l'on imagine aisément les vagues de la marée grignoter la plage avec une irrépressible lenteur. Muse, dû à la plume du leader, est une splendide évasion dans un paysage onirique aux couleurs pastel habité par un saxophone en suspension. Le répertoire de 38 minutes seulement (une durée appropriée pour un disque avec autant d'idées) se referme sur une autre composition de Thomas Champagne, Gentle Breeze, dont le nom ne laisse aucun doute sur l'idée derrière la musique : une envie de liberté qui prime sur la poésie pourtant bien réelle des évocations. Tide est l'histoire d'une rencontre réussie entre un jeune musicien parmi les plus convaincants de la scène jazz newyorkaise et un quartet belge aux idées larges : leur musique nuancée, sophistiquée et aventureuse a incontestablement de quoi séduire les mélomanes des deux côtés de l'Atlantique. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Tide sur Igloo Records ] [ A écouter : Tide ] |
Chad McCullough – Forward (Outside in Music), USA, 2020
1. November Lake (5:41) - 2. Oak Park (9:43) - 3. Gentle (5:49) - 4. Grace At The Gravel Or Grace At The Gallows (6:41) - 5. Focal Point (7:12) - 6. Water Tower Sunset (5:39) Chad McCullough (trompette); Rob Clearfield (piano); Matt Ulery (basse); Jon Deitemyer (drums); Ryan Cohan (électronique). Enregistré le 4 avril 2019 aux Studios Transient, Chicago.
Basé à Chicago, le trompettiste américain Chad McCullough s'est fait connaître chez nous par trois albums lumineux enregistrés en quartet avec le pianiste Bram Weijters comme coleader. Ce nouvel album sorti sous son seul nom aux Etats-Unis en octobre 2020 le présente cette fois en leader accompagné par trois musiciens de la scène de Chicago : le pianiste Rob Clearfield , le bassiste Matt Ulery et le drummer Jon Deitemyer, un quartet auquel vient s'ajouter le producteur Ryan Cohan qui contribue occasionnellement par une programmation électronique. Le son et le style du premier morceau, November Lake, évoque le regretté Tomasz Stanko (celui du New York Quartet et des albums Wisława et December Avenue). La trompette sereine qui plane au-dessus des harmonies fait basculer cette splendide composition dans une dimension onirique. Comme chez Stanko, la poésie naît de cet univers moiré. De son côté, Rob Clearfield fait preuve d'une belle maîtrise instrumentale : son toucher, son agilité et son sens de la nuance servent à merveille l'atmosphère de cette pièce aussi raffinée que délicate. Débutant par un ostinato de piano, Oak Park est plus contemplatif. Il s'agit d'un hommage à l'architecte Frank Lloyd Wright, concepteur du « style Prairie » en harmonie avec l'environnement et les éléments naturels du paysage, dont le studio se trouvait à Oak Park près de Chicago. C'est sans doute la beauté utopique de cette architecture organique où homme et nature sont étroitement imbriqués qui a inspiré ce thème lyrique et reposant dans lequel il fait bon se dissoudre. Sur Grace At The Gavel Or Grace At The Gallows, on entend bien la couche subtile d'électronique ajoutée par Ryan Cohan : on dirait qu'un quatuor à cordes fantôme est venu jouer dans la distance quelques mesures rares et discrètes vite emportée par le vent. C'est tellement subtil et bien intégré à l'ensemble qu'il faut faire très attention pour le remarquer. Après un Focal Point qui met particulièrement bien en évidence la frappe foisonnante du batteur Jon Deitemyer, l'album se referme sur Water Tower Sunset, un hymne élégiaque à la fin du jour rempli de la poésie d'un musicien au sommet de son art. Réalisé pendant le confinement lié à la pandémie du Corona virus, Forward n'a pu jusqu'à présent être joué en concert mais une tournée est prévue en Belgique en octobre 2021 dans laquelle ce nouvel album conjointement avec Pendulum, enregistré auparavant en duo avec Bram Weijters, seront enfin présentés live au public. Croisons les doigts pour que cet évènement ait bien lieu... et vivement l'automne ! [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Forward (CD / Digital) sur Amazon ] [ Pendulum (CD / Digital) sur Amazon ] [ Forward sur Bandcamp ] [ A écouter : Oak Park - Water Tower Sunset ] |
Pascal Mohy, Sam Gerstmans, Quentin Liégeois : Session 53 (MLG Records), 1er Juin 2021
1. Wet Sun (4:31) - 2. Projection (6:34) - 3. Tripotico (3:20) - 4. Saké & Soba (5:51) - 5. Green Book (5:05) - 6. Brume (5:51) - 7. Gioia (6:15) - 8. Pickpocket (5:42) - 9. In the Red (5:29) Pascal Mohy (piano); Quentin Liégeois (guitare); Sam Gerstmans (contrebasse)
L'envie chez les nouvelles générations de jazzmen de redécouvrir d'anciennes formules qui firent le succès du jazz des années 40 et 50 est légitime pour autant qu'en exploitant les trouvailles du passé, on aille de l'avant sous le signe d'une « nouvelle tradition », un oxymore qui suggère un parfait équilibre entre héritage et modernité. Le modèle est ici le trio de piano/guitare/contrebasse porté au pinacle par des formations comme, entre autres, Nat King Cole (plus Oscar Moore et Wesley Prince), Art Tatum (avec Tiny Grimes et Slam Stewart) ou Oscar Peterson (avec Barney Kessel et Ray Brown). C'est à l'évidence le cas avec ce trio qui a eu bien souvent l'occasion de peaufiner sur scène la relecture de standards avant de se décider à enregistrer ce disque. Un disque qui ne comprend toutefois que des compositions originales, toutes, à l'exception de Gioia signée par Quentin Liégeois, dues à la plume de Pascal Mohy. Des titres qui racontent des histoires et composent un répertoire privilégiant chaleur, ambiance et musicalité. Comme cette balade judicieusement intitulée Wet Sun qui nous téléporte dans un paradis luxuriant où moiteur et brise fraîche s'assurent du bien-être de ses résidents. Le pianiste Pascal Mohy n'a pas enregistré beaucoup de disques en leader (en fait, je n'en connais qu'un : Automne 08 sorti il y a 12 années déjà) mais on sait à travers ses multiples collaborations (Houben & Son, Sal La Rocca, Manu Hermia, Mélanie De Biasio...) sa grande appétence pour la mélodie et l'harmonie combinée à un toucher d'une belle sensibilité. A l'écoute de leur musique, il devient vite apparent que Quentin Liégeois et Sam Gertsmans partagent les mêmes qualités que le pianiste si bien qu'il ne faut guère de temps pour se rendre compte qu'on a affaire à une vraie rencontre. Une pièce comme Brume, construite sur un ostinato de guitare sur lequel s'envolent le piano et la contrebasse, démontre que si le trio puise bien à la source, c'est pour mieux se regénérer : la musique est aussi fraîche que gourmande tandis que les trois musiciens s'échangent la parole avec une facilité et un naturel confondant. Des titres comme Tripotico ou In The Red (dédié au pianiste Red Garland) sonnent comme des standards modernes qu'on aimerait entendre par surprise à la radio et qui mériteraient à leur tour d'être repris et exploités par d'autres jazzmen. Session 53 est un de ces disques indémodables ou mieux, intemporels. Le genre qui jette une passerelle entre passé et avenir et que l'on aime bien faire tourner chez soi pour se calmer les nerfs, par exemple tout de suite après avoir écouté les dernières nouvelles du monde. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ A écouter : Mohy/Gerstmans/Liégeois live @Confluent Jazz Festival 2021 - Mohy/Gerstmans/Liégeois sur Soundcloud ] |
Escoms Devard Ebster Trio : Sweet Lorraine (Claviers & Crayons), France, 2 avril 2021
1. My Romance (5:30) - 2. Sweet Lorraine (4:45) - 3. On Green Dolphin Street (4:59) - 4. Angel Eyes (5:44) - 5. Beautiful Love (4:57) - 6. Billy Boy (4:47) - 7. Brazilian Like (4:53) - 8. Bluesette (5:03) - 9. Girl Talk (3:55) - 10. Stella By Starlight (4:38) - 11. Estate (5:56) - 12. You Go To My Head (6:35) - 13. When Lights Are Low (4:35) Stéphane Escoms (piano); Michel Devard (guitare); Bernhard Ebster (basse). Enregistré les 15 et 16 février 2021 au Wellington Sound Studio, Colroy-La-Grande.
Le nouveau projet de Stéphane Escoms consiste cette fois en un trio qui comprend, outre le pianiste vosgien, le guitariste Michel Devard et le contrebassiste Bernhard Ebster. Le répertoire généreux, d'une durée de plus d'une heure, est composé de 13 standards aux mélodies inusables revisités dans une configuration peu usitée de nos jours mais qui fit jadis les beaux jours des clubs avec, entre autres, Nat King Cole (plus Oscar Moore et Wesley Prince), Art Tatum (avec Tiny Grimes et Slam Stewart) ou Oscar Peterson (avec Barney Kessel et Ray Brown). D'ailleurs, le second titre, qui donne son nom à l'album, est Sweet Lorraine, une chanson composée en 1928, reprise plus tard par Teddy Wilson et, surtout, par Nat King Cole qui la popularisera et la transformera en standard du jazz. L'interprétation par le trio de Stéphane Escoms est pétillante et rappelle incontestablement le jazz swinguant des années 30 et 40 quand le bop n'avait pas encore été inventé. Le trio jazz piano/guitare/contrebasse est assurément l'une des formations musicales parmi les plus difficiles à maîtriser mais le son d'ensemble est ici particulièrement rond et boisé : on a l'impression d'être téléporté dans un club de jazz (quand ça existait encore) où il faisait bon venir se distraire "after hours" et oublier les contraintes du monde réel. Les mélodies éternelles de Stella By Starlight, On Green Dolphin Street et When Light Are Low coulent paisiblement tout en donnant lieu à de belle improvisations gourmandes enracinées dans le terreau du swing. Chaque musicien a l'occasion de se faire plaisir et de briller sur son instrument tout en restant fidèle à l'esprit et au style de la chanson revisitée. On ne pourra s'empêcher de dodeliner de la tête sur le fameux Bluesette de Toots Thielemans délivré avec une belle vitalité ou sur le Billy Boy endiablé de Red Garland habité par un piano sautillant et par des lignes véloces de guitare qui renvoient au-moins jusqu'à Tal Farlow. Le répertoire compte aussi une fort belle reprise du Brazilian Like de Michel Petrucciani interprétée avec ferveur et marquée par une interaction maximale entre les trois instrumentistes. Bien sûr, cette musique donnera sa pleine mesure sur scène mais en attendant, grâce au disque, rien n'empêche de s'organiser un petit concert chez soi en lumière tamisée et, tout en se laissant bercer par la musique chaleureuse et conviviale, de claquer des doigts en évoquant l'époque enfouie d'un jazz coloré tour à tour émouvant et swinguant mais toujours jubilatoire. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Sweet Lorraine ] [ A écouter : Sweet Lorraine ] |
Pierrick Pedron : Fifty-Fifty (1) New York Sessions (Gazebo / L'Autre Distribution), 5 mars 2021
1. Bullet T (5:24) - 2. Be Ready (4:56) - 3. Sakura (7:10) - 4. Boom (3:09) - 5. Trevise (3:58) - 6. Unknown 2 (6:49) - 7. Origami (5:06) - 8. Mr. Takagi (4:37) - 9. Mizue (6:21) Pierrick Pédron (as), Sullivan Fortner (p), Larry Grenadier (b), Marcus Gilmore (drums)
Après avoir sorti en 2006 le disque Deep In A Dream enregistré à New-York, Pierrick Pedron a renouvellé l'expérience avec ce nouvel album pour lequel il a réuni autour de lui le contrebassiste Larry Grenadier, le pianiste Sullivan Fortner et le batteur Marcus Gilmore, petit-fils du grand Roy Haynes. Produit par Daniel Yvinec et enregistré aux Sera Sound Studios près de Times Square dans des conditions quasi live, la musique de Fifty-Fifty (dont le nom fait référence entre autres aux 50 ans de l'artiste) a un caractère vif et urgent à l'instar de celles jouées jadis par un Charlie Parker ou un Sonny Stitt. En ouverture de l'album, Bullet T, qui se réfère au TGV japonais surnommé Bullet Train, déboule à toute allure sur un tempo extrêmement véloce et donne le ton à un répertoire où technique et virtuosité se mêlent en exigeant une grande concentration de l'auditeur. L'osmose entre les musiciens est phénoménale: écoutez par exemple l'unisson entre le pianiste et le saxophoniste sur le thème de Boom et l'improvisation qui s'ensuit : c'est du bop sans compromission comme on en jouait chez Blue Note dans les années 50. Mais cet album offre aussi quelques moments de lyrisme intense comme le splendide Sakura qui évoque les fameux cerisiers en fleur du Japon : l'introduction onirique de Sullivan Fortner est splendide tandis que Pierrick Pedron déroule ses phrases rêveuses avec une sonorité somptueuse. Mizue, qui est le nom de la maison du pianiste Yukata Shiina qui héberge le leader pendant ses tournées au Japon, clôture également l'album en douceur : les balais, le solo de contrebasse et le ton suave de l'alto contribuent à crééer un moment idéal pour la méditation. Ce projet sent la préparation mais aussi la guidance d'un vrai producteur qui a su conseiller les musiciens. Le résultat est un disque audacieux et passionnant de bout en bout. Les cascades torrentielles de notes sont époustouflantes de vivacité et les balades d'une rare beauté. Ce quartet en état de grâce emmené par un leader au sommet de son art mérite vraiment toute votre attention. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Fifty (1) New York Sessions (CD / Digital) ] [ A écouter : Bullet T - Sakura ] |
Belmondo Quintet : Brotherhood (B-Flat Recordings / Jazz & People), 12 mars 2021
1. Wayne's Words (5:56) - 2. Yusef's Tree (6:44) - 3. Prétexte (7:13) - 4. Doxologie (7:32) - 5. Woody 'n Us (3:48) - 6. Letters to Evans (5:24) - 7. Sirius (7:27) - 8. Song for Dad (4:03) Lionel Belmondo (saxophone ténor, soprano, flute); Stephane Belmondo (trompette, bugle, conques); Eric Legnini (piano); Sylvain Romano (contrebasse); Tony Rabeson (batterie)
Après 10 années, les frères Belmondo regroupent leurs talents sur ce passionnant nouvel album bien nommé Brotherhood dans lequel ils rendent hommage à quatre musiciens légendaires : Yusef Lateef (Yusef's Tree), Bill Evans (Letters To Evans), Wayne Shorter (Wayne's Words) et Woody Shaw (Woody 'n Us). D'autres compositions magnifiques complètent les huit thèmes du répertoire comme Sirius, une pièce lyrique et nostalgique, lumineuse comme la brilliante étoile à laquelle cette musique se réfère ou encore Song For Dad, une émouvante balade dédiée par les deux frères à leur père disparu fin 2019. Tony Rabeson est à la batterie et l'ancien complice Sylvain Romano est à la contrebasse tandis qu'au piano, c'est Eric Legnini qui abat un travail formidable derrière les deux souffleurs. Pas étonnant que dans le dernier numéro de Jazz Mag, Stéphane Belmondo a déclaré : "je connais Eric Legnini depuis trente ans, c'est même le parrain de ma fille, et l'un des meilleurs pianistes au monde." Enregistré du 20 au 22 janvier 2020 au studio Gil-Evans d'Amiens par Tristan Devaux, Brotherhood, qui réactive par la même occasion le label B-Flat Recordings laissé en jachère, est l'album d'un grand retour riche en émotions. Un album fraternel qui séduira les amateurs de jazz acoustique élégant, exigeant et pétri de tradition. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Brotherhood (CD / Vinyle / Digital) ] [ A écouter : Wayne's words (live in studio) ] |
Stefano Di Battista : Morricone Stories (Warner Music), 02 avril 2021
1. Cosa Avete Fatto A Solange (3:59) - 2. Peur Sur La Ville (3:23) - 3. La Cosa Buffa (4:21) - 4. Verushka (4:46) - 5. Deborah's Theme (3:43) - 6. Metti, Una Sera A Cena (3:55) - 7. Apertura Della Caccia (4:57) - 8. Il Grande Silenzio (4:16) - 9. Flora (2:35) - 10. La Donna Della Domenica (6:40) - 11. Gabriel's Oboe (3:30) - 12. The Good, The Bad And The Ugly (3:32) Stefano Di Battista (saxophone); Frédéric Nardin (piano); Daniele Sorrentino (contrebasse); André Ceccarelli (batterie)
Après un disque consacré au standards italiens sorti en 2016, le saxophoniste romain Stefano Di Battista propose un nouvel album dédié à Ennio Morricone. Il n'est certes pas le premier à s'attaquer aux thèmes du plus célèbre des compositeurs de musiques de films : Jens Thomas, Enrico Pieranunzi, John Zorn, et Charlie Haden avec Pat Metheny s'y sont entre autres déjà essayés, produisant des versions parfois très personnelles et souvent non orthodoxes mais qui tous rendaient hommage à leur manière au talent de conteur mélodiste qu'était Ennio Morricone. Dès l'annonce de ce projet avec Stefano Di Battista, virtuose du saxophone et propagateur d'un néo-hard-bop fougueux, notre intérêt était déjà éveillé de savoir comment ces mélodies parmi les plus célèbres du cinéma seraient cette fois rendues. Déjà, le répertoire est attrayant en ce qu'il combine des thèmes nerveux et dramatiques avec d'autres lyriques mais aussi des musiques de films hyper connus avec d'autres qui le sont moins comme celle de Poesia Di Una Donna, un obscur film italien de 1971 sur la vie du modèle Veruschka. Dans tous les cas, si les thèmes sont préservés et immédiatement reconnaissables, leur traitement est franchement jazz aves de splendides improvisations du leader et du pianiste Frédéric Nardin sur une rythmique des plus efficaces composée du contrebassiste Daniele Sorrentino et du batteur André Ceccarelli. Prenez le célèbre The Good, The Bad And The Ugly par exemple : après l'exposé du thème devenu légendaire de ce western de Sergi Leone, Stefano s'envole avec sa virtuosité coutumière en explorant tous les recoins possibles de la mélodie. C'est frais, encore évocateur et musicalement riche. Il en est de même avec Peur Sur La Ville, Deborah's Theme (Once Upon A Time In America), Il Grande Silenzio et le splendide Gabriel's Oboe (The Mission, dans lequel le hautbois est remplacé par un soprano) qui comptent tous parmi les mélodies les plus connues du maître reprises sur ce disque. Mais les thèmes les moins balisés sont également porteurs d'émotion. La musique mémorable mais méconnue de La Cosa Buffa, un drame romantique italien de 1972, est stylée et pleine de nostalgie avec un saxophone soprano qui virevolte comme emporté dans la tourmente de cette histoire d'amour impossible. Dans un contexte plus ou moins similaire, Cosa Avete Fatto A Solange ? offre une petite part de mystère en plus, ce thème étant à l'origine celui d'un giallo. Et puis, il y a Flora, une composition inédite que le Maestro a offerte à Di Battista (qui eut la chance de travailler avec lui) et qui s'avère une ballade quasi bucolique d'une intense fraîcheur. Stefano Di Battista a retravaillé la musique d'Ennio Morricone avec intelligence et sensibilité, la faisant entrer de plain-pied dans un jazz lyrique ou swinguant en fonction des thèmes choisis. Si l'expressivité de ces derniers est conservée, une dimension jazz a été ajoutée grâce à une appropriation artistique exceptionnelle qui les transforment en véritables standards. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Morricone Stories (CD / Vinyle / Digital) ] [ A écouter : Cosa Avete Fatto A Solange ? - Peur Sur La Ville - Gabriel's Oboe ] |
Echoes of Zoo : Breakout (De WERF), Belgique, 5 Mars 2021
1. Breakout (4:04) - 2. Monkey Burns Lab (5:19) - 3. Bull Blood Boiling (6:23) - 4. Rilke's Panther (6:38) - 5. Dance Around Bullets (5:21) - 6. Lab Mouse Mayhem (6:45) - 7. Adrenaline Run (4:18) - 8. Diversionary Tactics (7:15) Nathan Daems (saxophone, percussions); Bart Vervaeck (guitare électrique); Lieven Van Pée (basse électrique); Falk Schrauwen (batterie). Enregistré au Studio Boma à Gent, Belgique
Voilà quelque chose de différent et de franchement roboratif ! Le titre de l'album en résume l'idée générale : s'évader des carcans, des modes, des habitudes, du communautarisme et de tout le reste dans une décharge d'énergie contrôlée. Ici, les sources ruissellent de toutes les cultures et de tous les continents pour abreuver une musique plurielle et contrastée. Le titre éponyme qui démarre l'album ouvre les portes de la cage et c'est tout de suite le débordement avec un jazz rock intense où le saxophone épouse la guitare électrique sur une rythmique de plomb et où, déjà, percent diverses influences : des bribes de Zappa et d'Aka Moon mais aussi des rythmes exotiques qui conduisent à la transe. La barque d'Echoes Of Zoo vogue en mer houleuse tandis que Monkey Burns Lab enfonce le clou dans une jubilation rythmique intense qui ne prendra fin que sur des riffs brûlants de saxophone. On imagine un collectif d'au-moins sept ou huit musiciens créant un tel univers sonore transgenre mais ils ne sont que quatre à la barre. Changement de décor avec Bull Blood Boiling et ses arabesques dessinées à la guitare électrique. A partir d'une introduction lente et évocatrice, la musique va crescendo jusqu'à se perdre dans un final âpre et rageur. Rilke's Panther est une superbe composition mélodique agrémentée de quelques effets sonores tandis que Dance Around Bullets s'impose à mes oreilles comme le sommet de ce disque particulièrement bigarré : les Balkans y sont invoqués tandis que le saxophoniste Nathan Daems s'envole dans des improvisations exubérantes, prolongées sur Lab Mouse Mayhem où elles remuent autant que celles d'un John Zorn en rocker klezmer iconoclaste. Après un Adrenaline Run très jazz-rock dont le titre dit l'essentiel, l'album se clôture sur Diversionary Tactics dans une fusion urbaine de rock, de jazz et de musiques actuelles ensemencées d'effets électroniques. Echoes of Zoo propose une musique libertaire au croisement de différentes approches, riche de contrastes et nourrie par une belle énergie ... une musique qui prendra assurément toute sa dimension en concert. Mais en attendant de les voir sur scène, on peut déjà s'offrir une soirée live virtuelle chez soi en écoutant à fond ce Breakout dont la fusion addictive et cosmopolite possède indéniablement un grain de folie. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Echoes of Zoo : Breakout sur Bandcamp ] [ A écouter : Dance Around Bullets - Adrenaline Run ] |
Jean-Paul Daroux Project : Change Or No Change (Plaza Mayor Company), France, 2021
1. Rencontre avec le petit peuple de la forêt (3:55) - 2. Les ours polaires ne regardent plus les aurores boréales (5:44) - 3. Change or no Change (6:01) - 4. Le sacre du Pangolin (6:07) - 5. Un indicible bonheur (4:14) - 6. Le corridor sans fin (4:01) - 7. Un matin de canicule sur Oxford street (4:38) - 8. La trépidante odyssée d'un bébé tortue (4:20) - 9. Escapade sous la lune rousse (4:23) - 10. Le ballet des méduses (3:40). Jean-Paul Daroux (piano, compositions arrangements); Jean-Christophe Gautier (contrebasse, arrangements); Luca Scalambrino (batterie, arrangements). Enregistré au studio 26 Antibes en novembre 2019 et juillet 2020.
Le pianiste français Jean-Paul Daroux présente son quatrième album intitule Change Or No Change. Les titres des compositions, toutes de la plume du leader, indiquent un projet motivé par un thème politique majeur, celui de la préservation de la flore et de la faune. Avec un tel sujet en toile de fond, la musique ne pouvait qu'être ample et narratrice à l'instar de certaines musiques de films ou de documentaires montrant une empathie pour la sauvegarde de la nature et de ses innombrables beautés. Le répertoire varie en fonction des différents climats abordés généralement bien reflétés dans les titres des morceaux. Ainsi, Les Ours Polaires Ne Regardent Plus Les Aurores Boréales nous emmène sur une mélodie reposante dans un doux voyage aux confins de monde. Le jazz est ici minimal, dissous dans d'autres genres comme la pop et la musique classique passée au filtre de "l'easy listening". A mi-parcours, l'arrangement a recours à l'électronique pour rendre la musique encore plus expressive. On retrouve une ambiance similaire quoique plus enlevée dans Escapade Sous La Lune Rousse rehaussé par une contrebasse jouée à l'archet qui apporte une dimension orchestrale. Il n'y a dans ces pièces aucune grandiloquence, mais plutôt une réelle sensibilité qui correspond bien à une vraie conscience ainsi qu'à une quête que l'on sent sincère. Rencontre Avec Le Petit Peuple De La Forêt est forcément décliné sur un rythme appuyé. Jean-Paul Daroux laisse ici beaucoup d'espace à ses deux comparses qui en profitent tandis que la musique plus dense emporte l'auditeur dans les dédales de la forêt vierge. Le Sacre Du Pangolin, une espèce en danger critique d'extinction, est un autre morceau rythmé à la limpidité chantante. J'ai personnellement un faible pour Change Or No Change qu'une structure mois linéaire, incluant même un solo de batterie, rend particulièrement vivant. Avec sa musique très écrite, Change Or No Change est un disque agréable à écouter qui nous immerge dans des atmosphères évocatrices. On pourra aussi s'en servir comme fond sonore pour méditer sur l'avenir du climat et de la planète bleue et même pour illustrer musicalement ses propres films de voyage remplis de beaux paysages. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Change Or No Change (CD) ] [ La Légende Des 7 Sages (CD / Digital) ] [ A écouter : Change Or No Change (album teaser) - Rencontre Avec Le Petit Peuple De La Forêt ] |
PierreJean Gaucher: Zappe Satie (Musiclip / Absilone), France, 5 Mars 2021
1. Vaine Agitation (0:25) - 2. Saties's Blues (5:40) - 3. Ecriture Totomatique (0:28) - 4. La Croisière Ça Use - Le Départ (3:30) - 5. Circulation Fluide (1:31) - 6. Les Clowns Dansent (3:42) - 7. Pesée Nocturne (2:09) - 8. Gymnopédie n°8 (4:57) - 9. En forme De Prune (1:10) - 10. Sad Satie (2.57) - 11. Service Coupé (1 :00) - 12. L'Office Des Etoiles (6:23) - 13. La Croisière Ça Use - Le Retour (4:25) - 14. Berçeuse Pudique (1:25) - 15. Le Binocle Et Le Moustachu (5 :15) - 16. Sad Franky (1 :37) - 17. Danse De Travers N°4 (4 :40) - 18. Circulation Dense (1 :33) PierreJean Gaucher (guitares, instruments divers) ; Thibaut Gomez (piano, Fender Rhodes) ; Alexandre Perrot (Contrebasse) ; Ariel Tessier (batterie) ; Quentin Ghomari (Trompette : 2,6,10) ; Robinson Khoury (trombone : 13,17) ; Julien Soro (saxophones, clarinette : 5,12,14, 15), Paul Vergier (saxophones : 2)
Après 40 ans de carrière et une vingtaine d'albums, en solo ou au sein de groupes (Abus Dangereux, New trio, Phileas Band...), le guitariste compositeur PJ Gaucher produit ici ce qui pourrait bien être l'un de ses albums les plus aboutis. Il est accompagné de sept jeunes musiciens chevronnés et reconnus sur la scène jazz française actuelle (l'O.N.J. notamment). Très enthousiastes de ce projet, ils assurent piano, Fender rhodes, trompettes, trombone, saxophones, clarinette, contrebasse et batterie auprès de P.J Gaucher (guitare et instruments divers). La crise sanitaire a permis, patiemment et soigneusement, de peaufiner cet opus pendant de longs mois. Toujours très influencé par l'inclassable Frank Zappa, (son album Zappe Zappa fut salué par la critique à sa sortie en 1998), il explore ici la musique d'un autre musicien hors normes, bravant les codes, refusant lui aussi toute étiquette, Erik Satie, qui inspira également bon nombre d'artistes de toutes catégories. On retrouve de fait dans Zappe Satie des caractéristiques propres à l'oeuvre de ce compositeur avant-gardiste et précurseur de la musique dite minimaliste, comme ses morceaux courts qui répètent obstinément une formule rythmique et harmonique accompagnant le thème. L'album est par ailleurs ponctué, comme dans l'opus de 1998, par la voix off de Frank Zappa annonçant la mélodie. Ces "variations" par PJ Gaucher nous transportent donc dans un monde musical très coloré dans lequel on retrouve, pèle mêle, les univers de ses albums passés. Après, un bref prélude en Vaine Agitation, Satie's blues est probablement le premier blues de l'histoire; Sad Satie se présente comme une ballade poétique conduite par une trompette aérienne. Dans Service Coupé, on retrouve encore cette répétition mélodique obsessionnelle inhérente à Satie que reprendront d'ailleurs King Crimson ainsi que le mouvement Zeuhl, emmené par Christian Vander avec Magma. Comme Les Clowns Dansent ou la Gymnopédie N°8, la Danse De Travers N°4 est un magnifique et harmonieux amalgame Satie/Gaucher. Enfin, les aficionados de Frank Zappa ne seront pas en reste avec La Croisière Ça Use, Le Retour ou Le Binocle Et Le moustachu ... ce grand moustachu qui conclut l'album par cette phrase résumant ainsi son esthétique : anything, anytime, in any place for no reason at all. [ Chronique de Michel Linker ] [ Zappe satie (CD / Digital) ] [ Zappe Satie sur Bandcamp ] [ A écouter : Satie's Blues - Sad Satie ] |
Jazz Station Big Band with Grégoire Maret : Live In Dinant (Hypnote Records), France/Belgique, 26/02/2021
1. The Jazz Studio (7:48) - 2. My Number One (6:05) - 3. Bluesette (6:48) - 4. Blueserinho (6:49) - 5. WGZFM (6:09) - 6. 26th of May (6:29) - 7. Don't Butt In Line (9:53) Grégoire Maret (harmonica); Stéphane Mercier (sax alto, flûte, leader); Daniel Stokart (sax alto et soprano, flute); Steven Delannoye (sax ténor); Joppe Bestevaar (sax baryton); Serge Plume (trompette); Michel Paré (trompette); Jean-Paul Estiévenart (trompette); Edouard Wallyn (trombone); David Devrieze (trombone); Laurent Hendrick (trombone basse); François Decamps (guitare); Vincent Bruyninckx (piano); Piet Verbist (contrebasse); Toon Van Dionant (batterie). Enregistré live à Dinant par RTBF / Musiq3 en juillet 2017.
Créé en 2006, ce Big Band est l'ensemble maison du club bruxellois "Jazz Station". Il accueille en son sein des jazzmen belges mais aussi des artistes internationaux comme le pianiste britannique Jason Rebello et, dans ce cas, l'harmoniciste d'origine suisse, Grégoire Maret. Ce dernier avait collaboré avec le Big Band au Festival de Jazz de Dinant en 2017. A cette occasion, de nouveaux titres, arrangés pour grand orchestre, avaient été proposés, rendant ce concert encore plus intéressant pour le public. Enregistré et ensuite mixé et mastérisé grâce à une campagne de financement participatif, ce moment live exceptionnel est aujourd'hui heureusement sauvegardé pour la postérité sur un compact édité par le label Hypnote. Cette collaboration a rencontré un succès considérable peut-être parce qu'en partie, elle rappelait au public d'autres grandes prestations mémorables avec Toots Thielemans. Grégoire Maret s'impose en effet de plus en plus comme le digne successeur du fameux harmoniciste belge et, comme lui, il est appelé de plus en plus souvent à souffler dans son petit instrument en compagnie des plus grands comme Pat Metheny, Marcus Miller, Steve Coleman, Herbie Hancock ou Cassandra Wilson. C'est donc tout naturellement qu'avec le Jazz Station Big Band, Grégoire a interprété ce jour-là une splendide version de Bluesette, le standard emblématique de Toots qui fut enregistré pour la première fois en 1961, ici rendu dans un arrangement moderne et complètement original. Il est aussi possible que le titre Blueserinho avec ses influences latines soit un autre hommage à Toots, grand amoureux comme Maret lui-même des musiques brésiliennes. Les arrangements sont très élaborés et l'harmoniciste tisse des liens très étroits avec l'orchestre. Dans les contextes les plus feutrés comme My Number One et, plus encore, sur 26th Of May, le soliste s'envole avec grâce en faisant preuve d'un talent intuitif pour l'improvisation et d'une grande justesse dans le choix des notes. En revanche, sur les titres les plus enlevés comme The Jazz Studio, les interventions de Grégoire sont incisives, incrustées au couteau dans la masse orchestrale rutilante d'un ensemble terriblement soudé. L'alliance entre un instrument minuscule et un big band est une idée qui peut paraître à priori surprenante mais c'est une alliance qui, dans ce cas, fonctionne à merveille. Pour vous en convaincre, écoutez le tonique Don't Butt In Line : harmonica, piano et cuivres s'y livrent en complète communion sur une rythmique qui groove du tonnerre. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Live in Dinant (CD) ] [ A écouter : The Jazz Studio ] |
EHA : Paris Rio New York (Kwazil / Plaza Mayor Company), France, 2020
1. 1984 (fanfare) (3:25) - 2. Mars (3:03) - 3. Missié Didié (8:19) - 4. Nuits Magnétiques (9:36) - 5. 1984 (funky cover) (3:51) - 6. 2 Stars in my Skies (6:08) - 7. Celeste A (5:15) - 8. Toronto Layover (4:35) - 9. Dudatjo (5:09) - 10. Plain Dance (5:22) - 11. Queen of my Nights (4:26) Philippe Coignet (guitare électrique); Cacau de Queiroz (saxophone, flute); Leandro Aconcha (piano); Michel Alibo (basse); Damien Schmitt (drums) + Invités : Mike Stern: (guitare); Minino Garay (percussions); Juan Manuel Forero (percussions); Mario Contreras (percussions); Andy Narell (steel pan); Rubinho Antunes (trompette); Sulaiman Hakim (saxophone alto); Lionel Segui (trombone, tuba).
L'album commence en fanfare, au sens littéral du mot, avec 1984 et son riff de cuivre répété comme une litanie qui donne l'impression d'un big-band un peu déjanté. Sans doute une drôle d'entrée en matière mais finalement plutôt adéquate pour annoncer un album éclectique qui touche à différentes formes musicales, depuis la fusion jusqu'au funk en passant par le jazz latin. Le côté jazz-rock est illustré dans le second morceau, Mars, ensemencé de solos de guitare et de piano électriques. Ce titre est le seul sur les onze proposés à être joué par le quintet de base, les autres morceaux bénéficiant tous de la présence d'invités internationaux choisis en fonction du style de musique. Le plus célèbre d'entre eux est le guitariste Mike Stern qui intervient sur trois titres. Sa contribution à Nuits Magnétiques est particulièrement remarquable : après la mise en place d'une ambiance sereine relayée par un drumming explosif, débutent les fascinants et vigoureux solos de six-cordes parmi lesquels on reconnait immédiatement la sonorité spatiale et le style fluide du grand guitariste américain. Entre rock progressiste et fusion, cette superbe composition épique qui dure près de 10 minutes est assurément l'un des grands moments de cet album. Mais il y a plein d'autre surprises comme le splendide Celeste A joué en acoustique qui est enjolivé par le steel pan exotique d'Andy Narell mais aussi, en finale, par un beau solo de flûte du Brésilien Cacau de Queiroz, autrefois compagnon de route d'Hermeto Pascoal. Entre une reprise funky de 1984 dopée par la basse de Michel Alibo et un jazz-rock à l'ancienne roboratif et plein de verve (Toronto Layover), on a également droit à une fausse ballade ponctuée par des variations de rythmes et qui renferme d'autres belles interventions de guitares (2 Stars in my Skies). Le répertoire se referme sur un envoûtant Queen Of My Nights qui confirme toutes les qualités compositionnelles du leader Philippe Coignet. S'il est aussi un album de rencontres entre les hommes et les genres, Paris Rio New York, véritable mosaïque de talents, de styles et de couleurs, n'en parvient pas moins à créer une musique aussi fraîche que tumultueuse et capable de séduire toute personne qui voudra bien l'écouter. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Paris Rio New York sur le site d'EHA ] [ Paris Rio New York sur Amazon ] [ A écouter : 1984 Fanfare ] |
Azolia : Not About Heroes (Jazzwerkstatt Records), 29 janvier 2021
1. Shadwell Stair (4:55) - 2. On My Songs (6:07) - 3. Futility (6:25) - 4. Happiness (5:48) - 5. Not About Heroes (4:34) - 6. Greater Love (4:32) - 7. Storm (7:09) - 8. Song Of Songs (6:26) - 9. The Roads Also (4:30) - 10. Asleep (7:02) Sophie Tassignon (chant); Susanne Folk (saxophone alto, clarinette), Lothar Ohlmeier (saxophone soprano, clarinette basse), Andreas Waelti (contrebasse). Enregistré les 12, 14 et 15 décembre 2019 au Traumton Studio, Berlin
Consacrer un disque entier à la Grande Guerre (celle de 1914-1918) peut à priori surprendre d'autant plus de la part d'un groupe comme Azolia qui inclut deux jeunes femmes modernes, conscientes et probablement engagées dans plein de défis actuels. Le message relayé est celui d'un écrivain anglais nommé Wilfred Owen, considéré par beaucoup comme le plus grand poète de la Première Guerre mondiale : toutes les paroles des chansons sont reprises de ses poèmes. Le premier titre, Shadwell Stair, met tout de suite dans l'ambiance plutôt lugubre de son œuvre avec le récit d'un spectre qui hante sans but les docks de Londres jusqu'à l'aube avant de retourner s'étendre auprès d'un autre fantôme. Ce texte étrange qui renvoie à la mort omniprésente reste obscur (Shadwell Stair était aussi un quartier de Londres où se retrouvaient les homosexuels) mais provoque chez l'auditeur un sentiment de malaise d'autant plus qu'il est chanté d'une voix détachée comme si Sophie Tassignon était, elle-même, un esprit désincarné. Comme le suggère le titre, il n'y a pas de héros ici, seulement des personnages tourmentés au bord des ténèbres dont les émotions à fleur de peau sont encore décuplées par une musique envoûtante. Et si le mot bonheur est parfois prononcé (comme dans Happiness), c'est pour mieux l'opposer au chagrin dans des images sombres et métaphoriques qui, sans que la guerre ne soit jamais citée, en reflète les effets néfastes. Poursuivi par l'inexorabilité de son destin, Owen y trouvera la mort in extremis en novembre 1918, une semaine avant la fin du conflit, et sa mère en sera avertie en même temps que les cloches sonnaient l'armistice. Ainsi, comprend-on que ce disque, en rapportant les paroles parfois énigmatiques et souvent tragiques d'un soldat traumatisé par ce qu'il a vécu, se veut en réalité un plaidoyer pour la paix à l'attention des générations futures. Quant à la musique, comme dans tout album conceptuel, elle est d'abord liée à l'idée qu'elle sous-tend et l'écouter indépendamment du message auquel elle est reliée n'est pas, de préférence, souhaitable. Pour autant, elle renferme de beaux moments musicaux comme les vocalises célestes et toujours incomparables de Sophie sur On My Songs, les sons impressionnistes des souffleurs qui fleurissent sur la contrebasse jouée à l'archet dans Futility, ou les envolées splendides de saxophone dans le mélancolique Storm. Le répertoire se clôture sur le terrible Asleep qui décrit la mort d'un soldat tandis que les vocalises de la chanteuse enflent et montent au fur et à mesure que la vie s'évanouit et que le calme s'ensuit, éteignant peu à peu les bruits et les horreurs de la guerre. Beau certes mais surtout, terriblement poignant! Si vous aimez autant la poésie signifiante que le jazz de chambre, cet album singulier qui milite tout en douceur est pour vous. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Not About Heroes sur le site d'Azolia ] [ A écouter : Asleep (live at the B-Flat, Berlin, 2019) ] |
Enrico Pieranunzi / Bert Joris : Afterglow (Challenge Records), 15 Janvier 2021
1. Siren's Lounge (4:24) - 2. Afterglow (3:31) - 3. Millie (3:18) - 4. Cradle Song for Mattia (2:51) - 5. Five Plus Five (5:10) - 6. Anne April Sang (5:20) - 7. Freelude (2:24) - 8. What's What (2:38) - 9. How Could We Forget (5:22) - 10. Not Found (3:33) - 11. The Real You (3:03) Enrico Pieranunzi (piano); Bert Joris (trompette, bugle)
Une rencontre entre le trompettiste et bugliste de jazz belge Bert Joris et le pianiste italien Enrico Pieranunzi ne surprend guère tant leurs deux univers musicaux est compatible. Le jeu fluide et la sonorité douce de l'un s'accordent en effet à merveille avec les harmonies de l'autre, tous deux ayant en commun l'amour d'une musique mélodique et lyrique. Pétries de silences aussi lourds de sens que les notes, ces onze compositions, écrites individuellement ou conjointement par les deux musiciens, font naître l'émotion tandis qu'une douce mélancolie s'installe de façon rémanente (d'où titre de l'album : Afterglow). Pour autant, le répertoire est très varié : ainsi, si le morceau Afterglow est une splendide ballade aussi belle qu'Autumn Leaves, What's What est beaucoup plus angulaire avec des clusters de notes qui s'entrechoquent comme dans un duel musical. Et si Cradle Song for Mattia évoque une jolie comptine pleine de joie de vivre, Freelude apparaît beaucoup plus sombre et mystérieux. Quant à Siren's Lounge, c'est un grand moment de jazz acoustique interprété en duo : le temps y est suspendu entre un Enrico dont les élégantes dentelles résonnent dans l'air et un Bert Joris qui semble toujours avoir en réserve une idée mélodique à exposer avec brio. Cette rencontre intimiste est une splendide réussite : il est impossible de rester insensible face à une musique qui touche l'âme d'une manière aussi belle et aussi profonde. Recommandé. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Afterglow sur Challenge Records ] |
Paul Van Gysegem Quintet : Square Talks (El Negocito Records), 08 février 2021
1. Haaks (6:41) - 2. Brisk (4:53) - 3. Shouts (4:54) - 4. Wings (6:00) - 5. Woodpecker (5:47) - 6. On the Edge (7:19) - 7. Melancholia (For Joske) (7:53) - 8. Square Talks (6:42) Cel Overberghe (saxophones ténor et soprano); Patrick De Groote (tp, bugle); Erik Vermeulen (piano); Paul Van Gysegem (contrebasse); Marek Patrman (percussions). Enregistré live le 19 septembre 2019 au Jazzcase à Pelt, Belgique.
Entrelacer sa musique avec sa propre peinture et/ou sculpture n'est pas une chose banale. C'est pourtant ce que tente de faire régulièrement le contrebassiste Paul Van Gysegem. Surtout connu du grand public pour sa monumentale sculpture à la Station Saint-Pierre à Gand, Paul est aussi une figure importante du jazz avant-gardiste depuis au-moins 1965 ainsi qu'un peintre renommé de formes abstraites qui excitent l'imagination (voir le dessin de la pochette de Square Talks, pensé comme une partition, qui fait partie de la série "Scores"). Pour cet album en quintet avec le saxophoniste Cel Overberghe, le trompettiste Patrick De Groote, le pianiste Erik Vermeulen et le batteur Marek Patrman, le contrebassiste dessine des formes musicales qui émergent lentement du chaos. Sur Haak par exemple, les musiciens agissent comme des sculpteurs qui, partant d'un bloc de pierre brute, révèlent progressivement l'objet qui y était caché. Mais ici, il s'agit d'une œuvre collective, chacun attaquant la matière à sa façon pour finalement contribuer à une forme sonore dense et précise même si elle rend obsolète toute rassurance mélodique et toute tentative de définition. Ce free-jazz varie d'un titre à l'autre. En dépit de leur déconstruction, certains morceaux accaparent par leur climat apaisé comme Malancholia For Joske qui sonne presque comme un jazz improvisé normal. D'autres comme Shouts, dont le nom affiche clairement les intentions, sont l'expression d'une esthétique radicale qui provoque mais intrigue. D'autres encore, comme Woodpecker, inventent des bruits en se jouent des codes du jazz pour finalement développer une atmosphère évocatrice. Cette musique abstraite qui conviendrait parfaitement comme bande sonore d'une exposition des œuvres de Paul Van Gysegem plaira surtout aux amateurs de jazz libre ou aux fidèles des galeries d'art contemporain (comme le S.M.A.K. - Stedelijk Museum voor Actuele Kunst - à Gand) qui exposent les secrets et les déchirures du monde réel plutôt que ses apparences visibles. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Square Talks sur Bandcamp ] |
Toine Thys Overseas featuring Ihab Radwan : Tamam Morning (Igloo), 19 février 2021
1. Memory Of The Trees (5:13) - 2. Istanbul Kidz (part 1) / Bosphorus (3:33) - 3. Istanbul Kidz (part 2) / Tarlabasi (4:20) - 4. Istanbul Kidz (part 3) / Sufi (1:08) - 5. Cross My Border (5:17) - 6. Hollywood Catacombs (6:58) - 7. Seven Angels (7:30) - 8. Giacomo Casanova (5:02) - 9. Circling (2:12) - 10. Longa Nekriz (7:28) - 11. Tamam Morning (5:03) Toine Thys (saxophones ténor & soprano, clarinette basse); Ihab Radwan (oud); Ze Luis Nascimento (percussions); Annemie Osborne (violoncelle) + Harmen Fraanje (piano)
Après The Optimist et Orlando, sortis respectivement en 2019 et 2010, Toine Thys, décidément dans une phase particulièrement créative, propose un nouveau projet inspiré par les musiques du monde mais qui s'abreuve autant au répertoire classique qu'aux rythmes brésiliens ou au hijazz. Outre le saxophoniste belge, ce groupe comprend la violoncelliste luxembourgeoise Annemie Osborne, le percussionniste brésilien Zé Luis Nascimento, et le joueur de oud égyptien Ihab Radwan plus en invité le pianiste néerlandais Harmen Fraanje : un ensemble multiculturel qui, par son instrumentation inhabituelle, promet un mariage de styles nourri d'expériences multiples. Ourlé d'effluves orientales, Memory Of The Trees donne le ton avec ses improvisations ondoyantes qui envoûtent et dépaysent. Décliné en trois parties, Istanbul Kidz est un voyage lumineux sur les bords du Bosphore. La relation entre les instrumentistes est quasi télépathique tandis que les improvisations limpides se déroulent sur un tapis de percussions qui n'altère en rien l'impression de pureté ressentie à l'écoute de cette musique. Les autres titres restent globalement dans le même registre plein de ferveur et de lyrisme qui séduira autant les adeptes d'un jazz moderne que les amateurs de musiques du monde imbibées de traditions anciennes et de luth arabe (pensez à Rabih Abou-Khalil qui initia le rapprochement de ces genres musicaux). Les arrangements cristallins et la narration fluide rendent l'écoute de l'album très agréable : au fil de ces onze compositions originales, on se sent emporté comme dans un rêve vers le Levant et sa riche culture née du creuset des multiples civilisations qui s'y sont succédées. Ce bel album réconciliateur de différents savoirs apparaît salutaire en ces temps difficiles de repli sur soi, marqués par l'exacerbation des nationalismes : l'écouter, c'est s'ouvrir à des émotions cardinales et déjà faire un pas vers un monde plus apaisé. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Toine Thys sur Igloo Records ] [ A écouter : Taman Morning (teaser) - Longa Nekriz] |
Faton Cahen et Yochk'o Seffer / Ethnic Duo : Tarass Boulba (ACEL), 8 Janvier 2021
1. Alysée - Natura (24:13) - 2. Shardaz (5:59) - 3. In Jordan's Garden - Ob - Boogie Times - Ballade pour l'été (16:40) - 4. Franco-Hungarian Dance - Desert of Gobi Sands - Tarass Boulba - Changes (13:24) Faton Cahen (claviers); Yochk'o Seffer (saxophones et flûte)
François "Faton" Cahen s'est d'abord fait connaître comme pianiste au sein de Magma avec lequel il a enregistré leur premier album Kobaïa. C'est là qu'il a rencontré le saxophoniste Yochk'o Seffer qui partageait son intérêt pour la musique improvisée. Tous deux quitteront Magma en 1972 pour fonder le groupe ZAO afin de se livrer pleinement aux joies de l'improvisation débridée. Entre les deux hommes va naître une amitié durable qui se poursuivra après la fin de l'aventure ZAO, se concrétisant par diverses collaborations et ce jusqu'à la mort de Faton Cahen en Juillet 2011. Ainsi en 1980, les deux musiciens avaient décidé de créer cet Ethnic Duo qui participa au festival du Mans le 25 mai de cette année-là. La bande live de cette mémorable prestation, pendant longtemps perdue, a été retrouvée, nettoyée et mastérisée : c'est ce travail d'excellente qualité qui fait l'objet de cette édition sur le label ACEL de l'Association pour la Création et l'Edition en Liberté. Les morceaux y sont regroupés et enchaînés comme des longues suites. La première, "Alysée-Natura", laisse entendre une musique envoûtante et libre comme l'air : elle fait remonter à la surface les émotions qu'on peut ressentir face à la nature grandiose. On s'imagine aisément assis sur la crête d'une montagne en train de regarder un paysage alpestre dont les couleurs changent constamment au gré des aléas climatiques. C'est beau et chantant et quand, dans la deuxième partie, le vent se calme, c'est un soleil pâle que les deux hommes font lever à l'horizon. Fascinant ! Sur "In Jordan's Garden-Ob-Boogie Times-Ballade pour l'été", la musique repart en voyage à travers de nouvelles contrées tel un long fleuve cheminant de passages calmes en rapides. Le piano se pare d'une réverbération plus accentuée tandis que le saxophone émet de savoureux borborygmes, créant une atmosphère mystérieuse. On visite des tombes, des naos au cœur de temples anciens, de sombres couloirs enfouis sous des pyramides avant de revenir en pleine lumière avec une "ballade pour l'été" ensoleillée, reposante et élévatrice. La dernière suite, "Franco-Hungarian Dance - Desert of Gobi Sands - Tarass Boulba - Changes" est la plus dépaysante de toutes. Cap sur les Balkans, ses steppes et ses danses folkloriques colorées mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Franchissons allègrement les chaînes de montagnes pour se perdre à dos de chameau dans le désert de Gobi. Les deux complices explorateurs vont finalement s'y livrer à une course haletante derrière des cosaques fantasmés lancés à leur poursuite. Quelle imagination (l'auditeur qui en serait dépourvu n'a qu'à passer son chemin), quelle faconde et quelle densité créatrice de la part de ces musiciens qui, en une heure et trente minutes, ont emmené les festivaliers hors de leur quotidien ! Et quel bonheur d'écouter ce trésor musical unique, enfin exhumé et restauré après avoir été trop longtemps oublié. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Tarass Boulba sur Bandcamp ] [ A écouter : Desert of Gobi Sands (version studio) ] |
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