![]() Rencounter 1 à 20 Stephen Altoft (trompette, blugle) ; Gilbert Isbin (guitare, luth, électronique)
Après Soundscapes sorti en 2024 sur Jazz’Halo, le duo composé du guitariste belge Gilbert Isbin et du trompettiste allemand Stephen Altoft propose sur le même label un second album qui poursuit l’exploration de paysages sonores inédits mêlant électronique, guitare ou luth, et trompette ou bugle. Déclinée comme une longue suite, en 20 parties quasiment ininterrompues, qui serpente à travers diverses ambiances, la musique est avant-gardiste (Rencounter 2, 7…) ou vaporeuse (Rencounter 1, 3…), mélodique (Rencounter 6, 15…) ou atonale (Rencounter 5, 17…), suggérant plus qu’elle ne raconte de courtes scénettes mystérieuses que chacun interprétera comme il veut. Mais dans tous les cas, cette exposition de sons inédits suscite chez nous une émotion, apportant même au fil de l’écoute une profonde plénitude. Minimaliste, cette fresque musicale rappelle aussi plus d’une fois les expériences « ambient » de Brian Eno et Jon Hassell et, plus encore, le jazz new-age d’Arve Henriksen et ses improvisations subtiles. S’il fallait comparer cette musique à l’œuvre d’un peintre, je choisirais les tableaux suggestifs de William Turner mettant en scène des navires fantômes surgissant de nulle part à travers des brouillards de lumière. Quand la forme se dissout dans le son, c’est bien l’immense pouvoir de l’abstraction lyrique qui pointe le bout de son nez.
[ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Rencounters sur Bandcamp ] [ A écouter : Rencounters 1 - Rencounters 2 - Rencounters 3 ] |
![]() 1. Belle-Île-En-Mer (3:50) - 2. Alone for You (4:48) - 3. Hope (3:29) - 4. Hidden Truth (4:07) - 5. Colette (4:36) - 6. Eloquence (3:00) - 7. Daniel's Farfars Lat (3:11) - 8. La Vie en Rose (3:51) - 9. Man in the Fog (3:00) - 10. Float (4:22) - 11. Life (4:02) - 12. Lullaby for Two (4:11) Paolo Fresu (trompette, bugle); Richard Galliano (accordéon, melowtone); Jan Lundgren (piano)
Cette quatrième production du trio international réunissant le trompettiste sarde Paolo Fresu, l’accordéoniste français Richard Galliano et le pianiste suédois Jan Lundgren confirme que Mare Nostrum est un concept qui plaît. Créé en 2005 comme une réunion éphémère pour une série de concerts, le jazz fluide, débonnaire et ancré dans la tradition européenne de ce trio à su séduire le public par sa musique enracinée dans les plaisirs d’une époque optimiste et d’un lieu frivole où l’on valsait avec insouciance sur les bords de la Seine en voyant la vie en rose. Mélodies romantiques, improvisations contenues et unissons enchanteurs sont enrobés dans des arrangements suffisamment célestes pour que l’on puisse goûter tour à tour les timbres magnifiques des différents instruments. Dix titres sur douze sont des compositions originales et tous relèvent de la même alchimie, composant un répertoire qui ne se démarque jamais d’une esthétique – tonalités, couleurs, lyrisme, choix mélodiques, tempos – fixée dès les origines du trio. Et ce qui frappe derechef dans cette musique, c’est la richesse de cet univers sonore, le jeu entrecroisé des trois musiciens dont l’entente naturelle est si grande qu’elle semble relever de la magie. Pour autant, chacun parvient quand même à perfuser dans la musique quelques bribes de sa propre culture : les brumes du Nord envahissent la composition de Jan Lundgren (Man in the Fog) ; la musique chambriste rehausse celle de Richard Galliano (Eloquence) ; et le soleil méditerranéen illumine celle de Paolo Fresu (Float). Après deux décennies, ce trio, qui porte l’art de la nuance à un niveau rarement atteint, continue de charmer comme au premier jour de sa naissance. [ Chronique de Pierre Dulieu (initialement publiée le 10/04/25 dans la revue JazzMania) ] [ Mare Nostrum IV sur Amazon (*) ] ] [ A écouter : Hope - La Vie en Rose - Man in the Fog ] |
![]() 1. Metanoïa (6:44) - 2. In The Woods (7:31) - 3. Choose Change (5:39) - 4. Night of Joy (10:07) - 5. Desert Mood (4:02) - 6. Tan (10:19) - 7. Kundalini Snake (5:39) - 8. Saptan (6:24) Manuel Hermia (bansuri, clarinette, saxophone soprano) ; Simon Leleux (dohola, bendir, daf)
Quelques mois après The Lotus Path enregistré avec Christine Ott, le très prolifique Manuel Hermia sort un autre album en duo mais cette fois avec Simon Leleux, spécialiste des percussions moyen-orientales et membre fondateur des projets Spëcht et Auster Loo Collective. On connait le goût de Manuel Hermia pour l’Inde, le bansuri et les mélopées orientales si bien que, dans le contexte d’une scène belge assez réduite où tout le monde se connaît, la rencontre entre ces deux musiciens semblait aussi probable que naturelle. Comme on pouvait s’y attendre, le répertoire est composé de pièces libres aux saveurs multiples qui ne sont pas sans évoquer un autre album que Manuel Hermia a sorti en 2005 : Le Murmure de l'Orient, un projet inspiré par l’Inde, sa culture, sa spiritualité et par la musique hindustani. Prolongeant en quelque sorte cette première aventure hors-jazz, cette nouvelle production est elle aussi liée à un concept : celui de la métanoïa, une dynamique de retournement intérieur permettant à l’homme de s’ouvrir à plus grand que lui-même et de voir le monde différemment, voire à plus long terme de le changer au moins dans sa sphère personnelle. Manuel joue du saxophone soprano, de la clarinette et surtout de cette grande flûte traversière de l’Inde du Nord appelée bansuri. Quant à Simon, ses instruments sont le dohola (une large darbouka que l’on trouve dans tous les orchestres orientaux), le bendir et la daf (deux instruments assez similaires qui sont des tambours sur cadres, le premier très utilisé au Maghreb et l’autre issu de la tradition persane). Envoûtante (In the Wood, Desert Mood) ou trépidante (Choose Change, Kundalini Snake), la musique peut évoquer ici la quiétude des sables du désert et là, l’agitation incessante de la place Jemaa el-Fna à Marrakech, le tout dans une diversité aussi dépaysante qu’enchanteresse. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ I Will sur Sam First Records ] [ A écouter : Roach - Mambo Inn ] |
![]() 1. Roach - 2. It Ain’t Necessarily So - 3. I Will - 4. Mambo Inn - 5. Embraceable You - 6. Jesus Was A Cross Maker - 7. Somewhere (digital) - 8. Sing Song (digital) Larry Goldings (piano) ; Karl McComas-Reichl (basse) ; Christian Euman (drums)
Larry Goldings est aujourd’hui l’un des plus grands organistes de jazz et ses albums en trio avec le guitariste Peter Bernstein et le batteur Bill Stewart ont fait l’unanimité. En revanche, son talent au piano acoustique est beaucoup moins connu. C’est pourquoi I Will mérite une attention spéciale : il met en effet en vedette Larry Goldings au piano avec Karl McComas-Reichl à la basse et Christian Euman à la batterie, enregistrés live pendant deux nuits en octobre 2023 au Sam First, un club de Los Angeles. Des standards de Gershwin (It Ain’t Necessarily So, Embraceable You) et Leonard Bernstein (Somewhere) au blues (Roach), du jazz afro-latin (Mambo Inn) aux ballades pop (I Will de Paul McCartney), Larry Goldings montre un grand éclectisme dans ses choix tandis que son jeu reflète un large éventail d’influences ainsi que ses multiples expériences musicales. I Will est un beau voyage musical qui permettra aussi d’apprécier l’évolution en tant que pianiste de cet artiste qui avait déjà sorti, il y a 27 ans, un disque en trio de piano avec le bassiste Larry Grenadier et le batteur Paul Motian (Awareness).
[ Chronique de Pierre Dulieu ] [ I Will sur Sam First Records ] [ A écouter : Roach - Mambo Inn ] |
![]() 1. Hope – 2. Uplift – 3. Chant – 4. Eftir Allt – 5. Hægur Dans – 6. April Dreams – 7. Continuation – 8. Desember – 9. Escaped Ingi Bjarni (piano) ; Anders Jormin (basse) ; Hilmar Jensson (guitare) ; Magnús Trygvason Eliassen (drums)
Hope est le septième album du pianiste islandais Ingi Bjarni, cette fois enregistré en quartet avec Anders Jormin (basse), Hilmar Jensson (guitare) et Magnús Trygvason Eliassen (drums). Sept des neuf titres ont été composés par le pianiste l’année de la disparition de sa mère qui écrivait des poésies teintées d’espoir, ce qui justifie le choix de « Hope » comme intitulé de l’album. Et il est vrai que si la musique d’Ingi Bjarni est globalement intimiste et mélancolique, elle n’est jamais sombre ni triste. Au contraire, elle véhicule un sentiment de bien-être qui la rend fort agréable à écouter. Le choix d’Anders Jormin a été judicieux pour l’exposé de cette musique qui présente aussi un aspect profondément spirituel, presque mystique. Sa basse profonde ancre, épouse ou explore les mélodies comme en témoigne la superbe introduction jouée à l’archet sur le morceau éponyme ou son solo aérien dans Eftir Allt (Après tout), une sorte de méditation religieuse imaginée dans la vielle cathédrale en grès rouge de Hólar. Le jeu d’Ingi Bjarni est parcimonieux : toutes les notes comptent tandis que chacune de ses phrases dévoile un lyrisme qu’on pourrait qualifier de nordique en se référant à certaines productions du label ECM (Tord Gustavsen et Bobo Stenson entre autres). La musique se fait parfois plus ouverte comme dans Hægur Dans mais, la plupart du temps, elle reste onirique et évocatrice, tout en miroitements harmoniques. L’album se referme sur Escaped marqué par un dynamisme légèrement accru mais toujours rempli d’âme. D’album en album, Ingi Bjarni se réinvente dans la nuance et continue de séduire.
[ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Playground sur Amazon (*) ] [ A écouter : Hope - Eftir Allt - Continuation ] |
![]() 1. Almost - 2. Bishops & Boffins - 3. Playground - 4. Last Minute - 5. Optimistic - 6. We See the Moon Between the Trees - 7. But What If We Fly ? - 8. Seriously Gaëtan Casteels (contrebasse) ; Laurent Blondiau (trompette) ; Bruno Grollet (sax ténor) ; Nathan Surquin (trombone) ; Pierre Hurty (drums)
Ozaín 4tet est devenu un quintet. Le saxophoniste Bruno Grollet, le tromboniste Nathan Surquin, le batteur Pierre Hurty et, bien sûr, l’indispensable contrebassiste, compositeur et leader Gaëtan Casteels sont toujours fidèles au poste tandis que le trompettiste Laurent Blondiau est venu compléter le quartet original. On reste dans le contexte d’un groupe atypique sans instrument harmonique si bien que la musique s’inscrit derechef dans le style du premier album (« The Missing Ones » sorti en 2022) à propos duquel, dans une chronique publiée dans ces pages, j’avais évoqué un cousinage avec l’habillage et le son du Dave Holland Quintet, celui d’ « Extended Play » et de « Critical Mass ». La référence reste valable même si le vibraphone de Steve Nelson est ici remplacé par une trompette agile qui complémente à merveille les autres instruments. Les huit compositions, qui tournent toutes autour de cinq minutes, laissent du champ aux différents solistes pour s’exprimer, ce qu’ils ne manquent pas de faire. Les chorus se succèdent et s’entrecroisent en multipliant les possibilités d’interaction, le tout sur des structures rythmiques mouvantes. Unissons, contrepoints, improvisations simultanées, ornementations et richesse de la poussée rythmique constituent la base d’un morceau comme « Almost », véritable pieuvre musicale dont les tentacules pointent dans toutes les directions. Mais pour sophistiquée qu’elle soit, cette musique imprévisible, chaleureuse et pleine de swing s’écoute facilement et s’avère même envoûtante. “Une des raisons en est la cohésion du groupe qui s’ajoute à la fluidité de ces musiciens empathiques entièrement dévoués à faire vivre les thèmes de Gaëtan Casteels.”. Mieux encore ! Voici une musique capable d’ouvrir la porte à un panel d’émotions diverses qui incitent à la réécouter en boucle. [ Chronique de Pierre Dulieu (initialement publiée le 18/02/25 dans la revue JazzMania) ] [ Playground sur Mogno Records ] [ A écouter : Playground - Bishops & Boffins - We See the Moon Between the Trees ] |
![]() 1. Moving Pictures - 2. Falafel - 3. A View - 4. Orev (Crow) - 5. Story of a Traveler - 6. Pastures 2.0 - 7. Bait (Home) Tomer Cohen (guitare); Shai Maestro (piano); Cyrille Obermüller (contrebasse); Gert-Jan Dreessen (drums)
Une année après un premier album, Not the Same River, qui n’est pas passé inaperçu, le guitariste Tomer Cohen en propose un second qui confirme son appétence naturelle pour les ambiances bucoliques, les belles mélodies et une certaine sobriété dans l’interprétation. Toutefois, l’équipe a changé et c’est désormais en quartet qu’il déploie son univers musical. Avec une rythmique composée du bassiste Cyrille Obermüller et du batteur Gert-Jan Dreessen, deux musiciens appréciés de la scène belge, plus le pianiste israélien Shai Maestro, contributeur essentiel au trio du contrebassiste Avishai Cohen à la fin des années 2000, le leader s’est constitué un groupe superlatif capable de mettre en valeur son jeu de guitare et de sublimer ses compositions. Un titre comme Moving Pictures souligne le talent qu’a Tomer Cohen pour écrire de belles mélodies et installer des ambiances à la fois flottantes et nostalgiques. On se laisse facilement captiver par les envolées de guitare et de piano qui, ensemble ou séparément, donnent une impression de sobriété, de délicatesse, de résonance colorée, et de lyrisme à fleur de peau. Des qualités qui reviendront à plusieurs endroits du répertoire, comme dans le magnifique A View ou dans Bait (Home). En revanche, portés par la frappe dynamique de Gert-Jan Dreessen, Falafel et Orev (Crow) sont plus impétueux et prouvent que le leader sait aussi attaquer ses cordes avec ardeur. Quant à Pastures 2.0, une reprise d’un titre du premier album, elle met en exergue l’évolution du guitariste avec une nouvelle version plus fluide, plus resserrée et, du point de vue de la sonorité, plus profonde. D’une rare finesse, Story of a Traveler est un second effort remarquable de la part de Tomer Cohen, un guitariste et un compositeur d’une grande fraîcheur dont on peut désormais attendre beaucoup. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Story of a Traveler sur Amazon (*) ] [ A écouter : Orev (Crow) ] |
![]() 1. Muffled Screams (15:25) - 2. Bloomed - 3. MYanx - 4. Owled - 5. s-/Kinfolks Ambrose Akinmusire (trompette); Kokayi (chant : 1,3-5); Sam Harris, (piano); Chiquita (synthés); Justin Brown (drums) + Mivos Quartet
Le compositeur et trompettiste Ambrose Akinmusire sortira son nouvel album intitulé Honey From a Winter Stone sur Nonesuch Records le 31 janvier 2025. Qualifié d'autoportrait, cet album met en vedette le chanteur improvisateur Kokayi, le pianiste Sam Harris, Chiquita au synthétiseur, le batteur Justin Brown et le quatuor à cordes Mivos. Akinmusire a déclaré : « à bien des égards, cette œuvre constitue un hommage à l’œuvre du compositeur Julius Eastman et à son concept de musique organique qui l'ont inspirée ». Le morceau d’ouverture, Muffled Screams, est déjà disponible.
[ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Honey From a Winter Stone sur Amazon (*) ] [ A écouter : Muffled Screams ] |
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