Jazz & Fusion : Sélection 2016 (1)

Chroniques de Pierre Dulieu et Albert Maurice Drion





Retrouvez sur cette page une sélection des grands compacts, nouveautés ou rééditions, qui font l'actualité. Dans l'abondance des productions actuelles à travers lesquelles il devient de plus en plus difficile de se faufiler, les disques présentés ici ne sont peut-être pas les meilleurs mais, pour des amateurs de jazz et de fusion, ils constituent assurément des compagnons parfaits du plaisir et peuvent illuminer un mois, une année, voire une vie entière.

A noter : les nouveautés en jazz belge font l'objet d'une page spéciale.


Album ParisSébastien Paindestre : Album Paris (La Fabrica’Son), France, juin 2016

1. Scottish Folk Song (4:04) - 2. Jazz'titudes (5:46) - 3. Gaza-Paris-Jérusalem (6:56) - 4. Mother Nature's Son (5:42) - 5. Blues for Violaine (4:32) - 6. Louise-Anne (6:04) - 7. La paindestrerie (3:47) - 8. Round' Radiohead (3:49)

Sébastien Paindestre (p, Fender Rhodes), Jean-Claude Oleksiak (b), Antoine Paganotti (dr) + Nicolas Prost (ss). Enregistré les 14 et 15 décembre 2015 au studio des Egreffins.


Imaginez un trio qui existe depuis une quinzaine d'années. Au vu de l'inconstance qui caractérise cette époque, c'est déjà un événement en soi. Ecoutez-Moi, leur premier album de 2005, révélait une approche intuitive et contrastée propre à décrire d'une manière impressionniste les rencontres et les aléas de la vie. En 2008, Parcours confirmait à la fois l'originalité des compositions, la beauté des harmonies et la fluidité d'un trio en nette progression créatrice. Enfin, sorti en 2010, Live @ Duc des Lombards entérinait en concert, et donc en direct, toutes les qualités de ce groupe hors pair dont la musique chaleureuse était encore magnifiée par une prise de son exemplaire. Et voilà, six années plus tard, cet Album Paris abordé avec le même enthousiasme que jadis mais aussi avec une nouvelle attitude œcuménique, inspirée d'autres aventures musicales, qui a poussé le leader un peu plus loin en dehors des clous.

Ainsi à côté d'un Jazz'titudes où l'on retrouve toutes les qualités et le classicisme du trio acoustique d'hier, le répertoire offre une reprise inattendue de Mother Nature’s Son interprétée au Fender Rhodes. la mélodie y est limpide tandis que son développement d'une déconcertante fluidité et "un peu paresseux sous le soleil" ne se départit jamais de la sérénité de la composition originale écrite par Paul McCartney. L'alternance entre piano acoustique et Rhodes électrique, d'un titre à l'autre mais aussi parfois au sein d'un même morceau (Scottish Folk Song et Paris-Gaza-Jérusalem), permet d'astucieux contrastes qui révèlent un monde intérieur foisonnant tout en apportant à l'album une diversité de ton bien agréable. Par contre, quelle que soit la formule instrumentale choisie, on a toujours comme autrefois cette impression fugace de partager avec le compositeur des émotions ressenties qui échappent au simple domaine musical. Blues For Violaine groove tout du long avec aisance, le Rhodes tricotant autour d'une rythmique en verve tandis que La Paindestrerie renoue avec un post-bop sur lequel le pianiste se laisse aller à une exubérance virtuose qui lui est peu coutumière. On comprend à l'écoute de ces deux derniers titres le rôle essentiel du tandem composé de Claude Oleksiak à la contrebasse et d'Antoine Paganotti à la batterie, dont le jeu dynamique relève davantage du dialogue que du simple accompagnement. Le temps d'une ballade dédiée à sa fille (Louise-Anne), et le disque se termine sur une rencontre singulière entre le pianiste et un saxophoniste classique, Nicolas Prost, qui interprètent en duo une composition inspirée par l'univers aventureux du groupe de rock alternatif Radiohead, décidément fort courtisé par les musiciens de jazz (Brad Mehldau, Jamie Cullum, Yaron Herman...). Cette pièce sophistiquée, élégante et lyrique qui décloisonne encore un peu plus la musique de Sébastien Paindestre et qui nous laisse en finale complètement sous le charme est probablement déjà un écho d'autres belles surprises à venir.

[ Album Paris (CD & MP3) ]
[A lire : chroniques de Ecoutez-Moi - Parcours - Live @ Duc des Lombards ]
[ A écouter : Gaza-Paris-Jerusalem (live au Studio de l'Ermitage, Paris, 15/01/2016) ]


Notes From New-YorkBill Charlap Trio : Notes From New-York (Impulse!), USA, Avril 2016

1. I’ll Remember April (4:55) - 2. Make Me Rainbows (7:05) - 3. Not A Care In The World (5:59) - 4. There Is No Music (6:08) - 5. A Sleepin’ Bee (4:52) - 6. Little Rascal On A Rock (5:08) - 7. Too Late Now (8:55) - 8. Tiny’s Tempo (5:59) - 9. On The Sunny Side Of The Street (5:04)

Bill Charlap (piano); Peter Washington (contrebasse); Kenny Washington (drums).


Tombé tout petit dans la grande marmite du jazz classique, Bill Charlap est le pianiste idéal pour interpréter les songbook de Gershwin, de Hoagy Carmichael et de Leonard Bernstein, ou les standards de Broadway en général, ou encore pour accompagner des chanteurs comme Tony Bennett. Non seulement, il a une connaissance encyclopédique de cette musique et de ceux qui l'ont jouée mais ses interprétations, à l'opposé de celles flamboyantes et étendues d'un Keith Jarrett, sont toujours fraîches, précises, sobres et concises avec le point focal fixé sur la chanson elle-même et son embellissement plutôt que sur les émois de son interprète. Du coup, son jazz mainstream, pour peu qu'on l'écoute distraitement, pourrait vite passer pour une musique de grand restaurant. Dans ce premier disque pour le label impulse, Charlap, à la tête de son trio habituel comprenant le contrebassiste Peter Washington et le batteur Kenny Washington, revisite une nouvelle fois ce répertoire de la chanson américaine qu'il connaît sur le bout des doigts. Pourtant, ce qu'on entend est fort attachant: le trio en parfaite communion sait infuser du lyrisme, de la grâce et du swing à ces vieilles choses qui reprennent des couleurs et qu'on redécouvre non sans un réel plaisir. Particulièrement attachants sont le très aéré Make Me Rainbows écrit par John Williams, le compositeur des musiques de Star Wars; le saturnien Too Late Now; le fort sympathique Tiny's Tempo sur un air de be-bop tranquille; ainsi que cette étonnante version de On The Sunny Side Of The Street interprétée tout en langueur par Charlap en solo. Enregistré avec une dynamique exceptionnelle et bien emballé dans une superbe pochette dont le graphisme cubique évoque lui-aussi un certain classicisme du disque de jazz, Notes From New York révèle en fin de compte beaucoup de qualités et pourra séduire aisément n'importe quel amateur de piano jazz subtil, sensible et relaxant.

[ Notes From New York (CD & MP3) ]
[ A écouter : Bill Charlap Trio : The Nearness Of You (from album Stardust, 2002) - Blue Skies (Solo, Live in Concert, Germany 2002)) ]


MoOviesMédéric Collignon & Jus De Bocse : MoOvies (Just Looking Productions), France, Février 2016

1. Snow Creatures (12:01) - 2. Dirty Harry's Creed (5:30) - 3. Scorpio's Theme (6:29) - 4. Brubaker Adagio's and Coda (3:50) - 5. The Talking of Pelham 1,2,3 (2:55) - 6. The Pelham's-Moving-Again Blues (5:10) - 7. The Way to San Mateo (6:57) - 8. Robbery Suspect (4:36) - 9. Money Runner (3:50) - 10. End Titles (4:01) - 11. Money Montage (5:02) - 12. Up Against the Wall (5:48) - 13. Magnum Force (2:02)

Médéric Collignon (cornet, voc, effets); Yvan Robillard (el-p); Emmanuel Harang (el-b); Philippe Gleizes (dr). Enregistré au Studio Meudon, Meudon, décembre 2014.


Après Shangri-Tunkashi-La qui gravitait autour de l'univers de Bitches Brew et A La Recherche Du Roi Fripé dédié à King Crimson, le nouveau projet de l'enfant terrible du cornet de poche s'inspire à nouveau des glorieuses seventies. Mais cette fois, c'est l'univers des polars américains et leurs bandes sonores qui ont alimenté son imaginaire. Ceux qui se sont un jour passionnés pour des films comme Magnum Force, Bullitt, Dirty Harry, Brubaker, The Lost Man, Dollars, ou The Taking of Pelham 123, ont encore en tête les musiques inspirées par le jazz qui sous-tendent le suspense et les scènes d'action de ces thrillers urbains. Quincy Jones, David Shire, Jerry Fielding et surtout Lalo Schifrin furent les créateurs de cette nouvelle tendance qui, depuis, a émulé de nombreux compositeurs de bandes sonores. Pas question toutefois pour Collignon de recopier simplement ses sources d'inspiration. Comme à chaque fois, il transcende avec brio et une bonne dose d'humour le matériau d'origine pour en donner sa propre vision, un peu à l'instar du faux poster de film illustrant la pochette sur laquelle le leader pose, tel Clint dans Magnum Force, avec un revolver transformé en tromblon par le pavillon de sa trompette. Mais les rythmes sont jubilatoires, les mélodies fantastiques, les arrangements ciselés avec amour, les solos déchaînés, et c'est sans parler des folles parties de scat et des scènes d'ambiance qui parsèment le répertoire comme le fameux monologue de Clint Eastwood (Do you feel Lucky, punk?) ou des extraits parlés de The Taking Of Pelham 123. Aux côtés du cornettiste, l'autre grande vedette du disque est Yvan Robillard qui joue du piano électrique Fender Rhodes avec une déconcertante agilité, apportant cette couleur essentielle et cette touche funky qui font partie du genre depuis ses origines. Il faut avoir entendu son groove sur le Snow Creatures de Quincy Jones pour comprendre combien son apport est ici essentiel. En tout cas, vu la luxuriance et le pouvoir évocateur de ce disque qui donne envie de revoir ces anciens films, les metteurs en scène modernes de thrillers souhaitant mettre en musique folles poursuites, traques obsessionnelles et tensions à répétition peuvent appeler Médéric Collignon: il a prouvé que non seulement il connaît tous les rouages de ces légendaires soundtracks mais aussi qu'il peut les tordre au gré de ses envies pour en tirer de nouvelles émotions. C'est tellement géant qu'on veut un volume 2: They Call Me Mister Tibbs, In The Heat Of The Night, The Thomas Crown Affair, The Gauntlet, The Getaway, The Outfit..., il y a tant d'excellentes bandes-son dont les sillons attendent encore d'être revisités.

[ MoOvies (CD & MP3) ]
[ A écouter : Dollars (live au Triton, Les Lilas, 23/01/2014) - Les Pirates du Métro (live au Triton, Les Lilas, 23/01/2014) - Bullitt (live au Triton, Les Lilas, 23/01/2014) ]


Bluezzin T'il DawnNatalia M. King : Bluezzin T'il Dawn (Challenge Records), avril 2016

1. Traces in the Sand (3:26) - 2. Don’t Explain (4:29) - 3. Insatiable (4:35) - 4. This Time Around (5:33) - 5. Love You Madly (4:14) - 6. Baby Brand New (6:43) - 7. Paint it Black & Blue (3:22) - 8. You came & Go (5:10) - 9. Little Bit of Rain (3:31)

Natalia M. King (guitare acostique et électrique, chant), Anders Ulrich (contrebasse), Anthony Honnet (piano), Davy Honnet (batterie), Ronald Baker (trompette), Xavier Sibre (saxophone ténor & alto, clarinette, flûte)


Il y a bien longtemps, la chanteuse à la voix intense Natalia King était aux portes de la gloire et puis, la vie l'a rattrapée d'une façon ou d'une autre et elle est tombée dans une faille temporelle de sept longues années. Pour ressurgir en 2014 du Sud de la France avec Soulblaze et aujourd'hui avec ce Bluezzin T'il Dawn, un cinquième album qui suinte encore le blues et la soul mais de manière différente, plus introspective, plus profonde aussi. D'origine dominicaine, elle est venue du barrio comme elle aurait pu venir d'un ghetto sud-africain tant son style singulier évoque la grande Nina Simone. Déjà, la pochette d'un bleu monochrome saisissant impressionne: l'expression est tendue, concentrée, tournée vers l'intérieur, traduisant l'émotion qui traverse ses compositions. Toutes sont ancrées dans le blues en laissant filtrer des pans d'incertitudes, de souffrances et de petits bonheurs. Natalia s'accompagne à la guitare et ça aurait pu suffire mais elle a préféré s'entourer d'un quintet apportant des colorations jazzy à ses chansons et c'est encore mieux. Quand le saxophone de Xavier Sibre s'enroule autour de sa voix sur Insatiable, c'est à Billie Holiday qu'on pense, ses fêlures, sa vulnérabilité, ses lumineuses romances et son air fragile. D'ailleurs, elle lui emprunte aussi l'un de ses plus fameux titres: Don't Explain dont elle donne une version habitée, peuplée par les notes haut-perchées d'un piano en errance. Plus loin This Time Around mettra en exergue les qualité vocales de Natalia King, sa décontraction, ses inflexions bluesy, sa facilité d'élocution et, toujours, cette impression que douceur rime forcément avec douleur. Baby Brand New sonne comme du jazz pur avec une introduction bluesy de trois minutes qui se métamorphose ensuite en un rythme basé sur le fameux Take Five de Paul Desmond, écrit pour le quartet de Dave Brubeck, dont la mélodie finit par émerger. Remontant plus loin encore dans la musique noire, le minimaliste You Came & Go a des accents de gospel amplifiés par des chœurs qui vont crescendo. L'album se clôture sur Little Bit of Rain, une ballade écrite par Fred Neil (l'auteur de Everybody's talking, la chanson fétiche de Macadam Cowboy enluminée par l'harmonica de Toots Thielemans). Avec son texte à propos d'une possible séparation et sa trompette bouchée qui pleure dans la nuit calme, la nostalgie cristallise comme le givre en hiver. Belle conclusion pour un disque hors du temps et des modes qui saura toucher les cœurs de ceux qui savent écouter.

[ Bluezzin T'il Dawn (CD & MP3) ] [ Bluezzin T'il Dawn sur Challenge Records ]
[ A écouter : Bluezzin T'il Dawn (album teaser) - This Time Around - Today I Sing the Blues (from album Soulblazz, 2014) ]


Sky DancersHenry Texier : Sky Dancers (Label Bleu), France, février 2016

1. Mic Mac (11:08) - 2. Dakota Mab (8:21) - 3. Clouds Warriors (7:49) - 4. He Was Just Shining (9:33) - 5. Mapuche (7:35) - 6. Hopi (7:48) - 7. Navajo Dream (1:52) - 8. Comanche (11:39) - 9. Paco Atao (4:06). Enregistré au Studio Gil Evans à Amiens en septembre 2015.

Sébastien Texier (saxophone alto, clarinette alto, clarinette), François Corneloup (saxophone baryton), Nguyên Lê (guitare), Armel Dupas (piano, piano électrique), Henri Texier (contrebasse, composition), Louis Moutin (batterie)


Tous les films hollywoodiens le disent: les Indiens d'Amérique n'ont pas le vertige et c'est pour cette raison qu'ils ont participé à la construction des gratte-ciel, en particulier ceux de New- York. C'est à ces "danseurs du ciel" qu'Henry Texier, depuis longtemps fasciné par la culture amérindienne et son rapport à la nature, a dédié son nouvel album, embarquant avec lui des complices de longue date comme Sébastien Texier, Louis Moutin et François Corneloup ainsi que deux nouveaux venus extérieurs à son monde: le pianiste Armel Dupas et le guitariste Nguyên Lê. Ce dernier étant absent sur le premier titre Mic Mac, la musique y est plus classique dans un style post-bop avec de beaux solos de saxophone et de piano acoustique. Mais à partir de Dakota Mab, la présence de Lê apporte une consonance plus moderne, voire fusionnelle d'autant plus qu'il est propulsé par la frappe énergique du batteur Louis Moutin et qu'Armel Dupas est passé à l'électricité. Ça groove et, à quatre-vingt et un ans, le contrebassiste ne montre aucun signe de faiblesse. Emporté par la frénésie euphorisante de son orchestre, il contribue avec la même verve qu'autrefois au son collectif tout en se réservant quelques solos bien affirmés indiquant, en définitive, qui est le vrai patron. Sur le très beau He Was Just Shining, Texier a rendu hommage à Paul Motian (qui fut le batteur de l'un de ses plus beaux disques : Respect, sorti en 1997) en écrivant une mélodie sinueuse et indolente qui finit par s'installer durablement dans la mémoire. Sur Mapuche et sur Dakota Mab, la rythmique (basse et batterie combinées) résonne comme des tambours de guerre tandis que le contrebassiste joue seul sur Navajo Dream. Et si Commanche est un morceau épique en forme de cavalcade sauvage au beau milieu d'une sierra désertique, le disque se clôture en apesanteur sur un atmosphérique Paco Alto qui s'élève bien au-dessus de la dernière poutrelle du plus haut des buildings américains. Sky Dancers est un album d'évasion que l'on vit comme un rêve éveillé.

[ Sky Dancers (CD & MP3) ]
[ A écouter : Mic Mac - Mapuche - Dakota Mab live au Triton, Les Lilas, 19/12/2015 - Sky Dancers (album complet) ]


Opening LinesSimon Vincent's The Occasional Trio : Opening Lines (Vision Of Sound), UK / Allemagne, Mai 2016

1. Tender Love (7:24) - 2. Raindrops in June (5:06) - 3. Future Memory (7:01) - 4. Well You Shouldn't (4:50) - 5. Children's Song Nr.1 : The Oak Tree (3:11) - 6. I Can See You Now (6:33) - 7. Last Call (7:46) - 8. Prayer Unto The People And Unto The Land (5:24) - 9. Portsmouth Blue (4:13)

Simon Vincent (piano); Roland Fidezius (contrebasse); Rudi Fischerlehner (batterie, percussions)


D'origine anglaise mais basé à Berlin, Simon Vincent est surtout connu pour ses œuvres électroacoustiques et dans ce cadre, sa route avait croisé dernièrement celle de la chanteuse Sophie Tassignon pour un disque de musique de chambre futuriste intitulé Charlotte & Mr. Stone. Aussi, Opening Lines constitue-t-il une surprise puisqu'il permet de l'écouter dans le contexte plus traditionnel d'un trio de piano acoustique. Accompagné par le contrebassiste Roland Fidezius et le batteur Rudi Fischerlehner (tous les deux membres essentiels de l'excitant projet hardcore Gorilla Mask du saxophoniste Peter van Huffel), Simon Vincent expose sur son piano neuf compositions nouvelles, dont sept de sa plume, qui s'étirent en apesanteur vers les quatre points cardinaux de son univers émotionnel. Dès le premier titre, Tender Love, on découvre un pianiste au toucher délicat engageant ses compagnons dans une musique lyrique et terriblement évocatrice. D'autres ballades comme Future Memory ou Last Call mettent encore en exergue le côté méditatif d'un trio qui, à l'instar de celui d'un Paul Bley, privilégie l'intériorité et l'allusion. Sur Prayer Unto The People et sur I Can See You Now, les deux improvisations libres du répertoire, les échanges prennent le dessus, luxuriants mais toujours très nuancés, comme dans une conversation intime ou les phrases surgiraient spontanément en réponse à d'autres, sans intention ni ordre établi. Avec un intitulé qui renvoie à une composition célèbre de Thelonious Monk, ce qui n''est peut-être pas aussi innocent qu'on pourrait le croire, Well You Shouldn't s'avère être du post-bop plus classique et c'est l'occasion d'entendre le pianiste poussé dans le dos par une turbine propulsive alimentée par la frappe nerveuse d'un Rudi Fischerlehner particulièrement en verve. Enfin, Portsmouth Blue qui est dédié à Dave Brubeck est arpenté avec enthousiasme et contient sûrement dans son opulence exquise quelques références discrètes ou même cryptées au plus classique des grands pianistes de jazz. Au final, Opening Lines s'avère un disque non seulement agréable mais aussi remarquablement construit et propice à engendrer des émotions diverses. Enfin, je m'en voudrais de ne pas mentionner les notes de pochette informatives écrites par Vincent lui-même à propos de ses motivations artistiques ainsi que le grand piano Bösendorfer du studio dont le son majestueux a été si bien enregistré et mixé.

[ Simon Vincent Website ]
[ A écouter : Portsmouth Blue ]


ParallaxPhronesis : Parallax (Edition Records), Danemark/Suède/UK, 8 avril 2016

1. 67000 MPH (6:04) - 2. OK Chorale (6:50) - 3. Stillness (8:14) - 4. Kite For Seamus (7:42) - 5. Just 4 Now (3:37) - 6. Ayu (7:36) - 7. A Silver Moon (5:53) - 8. Manioc Maniac (7:09) - 9. Rabat (7:49)

Jasper Hoiby (contrebasse); Ivo Neame (piano); Anton Eger (drums)


En Angleterre où on n'hésite pas à le comparer à un nouveau E.S.T., ce trio multinational a déjà acquis depuis plusieurs années une réputation enviable. Composé du contrebassiste danois Jasper Hoiby, du batteur suédois Anton Eger, et du pianiste britannique Ivo Neame, Phronesis (un concept philosophique grec qui a trait à la sagesse pratique) atteint sur ce sixième album un pic créatif qui devrait encore étendre leur réputation. L'empathie entre les trois musiciens est magique à tel point qu'il est impossible de savoir qui conduit la musique. Sur Stillness dont le titre décrit parfaitement ce qui se passe, la frappe frénétique du batteur, intriquée à des lignes de basse élastiques, excite un pianiste survolté dont les phrases fougueuses enjambent avec allégresse les barres de mesure tandis que la symbiose entre les trois musiciens, acquise pendant dix années de route ensemble, saute aux oreilles. Pour parfaite qu'elle soit, cette cohésion, alliée à une virtuosité débordante, n'est pourtant pas l'essentiel. Car si ce maelstrom sophistiqué captive autant, c'est parce qu'il ne fait jamais l'impasse sur la puissance de mélodies originales émergeant des rythmes tumultueux. Même Manioc Maniac, en dépit d'un piano turbulent à la Cecil Taylor, ne fait pas l'impasse sur des lignes mélodiques inusitées percolant sans cesse à travers le magma sonore. Et quand le tempo se ralentit comme sur la ballade Silver Moon, l'émotion est bien présente dans les notes cristallines et romantiques du piano ou dans celles agiles d'un contrebassiste dont la puissance créatrice est digne d'un Dave Holland. Que les compositions soient écrites par l'un ou l'autre des trois membres du trio, elles ont ceci en commun d'être partagées, phagocytées, vécues par les deux autres au point de devenir des compositions triangulaires indiscernables d'un point de vue individuel. Enregistré en une seule journée dans les légendaires studios Abbey Road à Londres, Parallax est un disque tendu et dense véhiculant une lumière et une énergie phénoménales qui se déverseront bientôt sur les scènes des festivals de l'été. A ne pas rater!

[ Parallax (CD & MP3) ]
[ A écouter : Ok Chorale - Stillness - Rabat ]


UnstaticManu Katché : Unstatic (Anteprima Productions), Multinational, 11 mars 2016

1. Introduccion (2:20) - 2. Unstatic (5:15) - 3. Flame & Co. (5:55) - 4. City (3:56) - 5. Blossom (5:48) - 6. Daze Days (4:33) - 7. Rolling (6:03) - 8. Ride Me Up (4:51) - 9. Trickle (4:23) - 10. Out of Sight (4:14) - 11. Presentation (3:19)

Manu Katché (dr), Jim Watson (claviers); Tore Brunborg (saxophones); Luca Aquino (trompette); Ellen Andrea Wang (contrebasse); Nils Landgren (trombone)


En préalable, il est bon de rappeler deux choses à propos de Manu Katché. La première est qu'il fut longtemps le batteur des stars comme Peter Gabriel, Sting, Tracy Chapman, Joni Mitchell ou Jan Garbarek mais que ça ne l'a pas empêché de créer sa propre musique. La seconde est qu'après un premier essai pop-rock encore impersonnel (It's About Time, 1992), il s'est rapidement imposé dans le monde du jazz en créant pour ECM une musique originale qui croise avec bonheur les subtiles mélodies glacées de la Scandinavie et les rythmes chauds hérités de ses ancêtres ivoiriens. Son nouvel album Unstatic ne fait rien d'autre que poursuivre dans la même veine sauf que le batteur compositeur a étoffé les ingrédients de son menu et essayé de nouvelles épices, ce qui est largement suffisant pour que l'on succombe une fois de plus à sa nouvelle production.

En effet, à son quartet de base incluant Jim Watson aux claviers, Tore Brunborg aux saxophones et Luca Aquino à la trompette, il a cette fois ajouté la jeune contrebassiste norvégienne Ellen Andrea Wang qui vocalise aussi avec le leader sur le mélancolique Blossom. Sa contribution est réjouissante surtout sur les compositions les plus rythmées qui n'auraient jamais sonné ainsi en son absence. Sur quelques morceaux comme City, Jim Watson troque ses claviers habituels (piano et orgue) contre un piano électrique Wurlitzer qui fit les beaux jours des années 60 (c'est avec lui que Ray Charles enregistra son fameux What'd I Say) et qui apporte un côté funky réjouissant. Mais la plus grande surprise du répertoire est d'avoir invité sur cinq morceaux le tromboniste et grand maître européen du jazz R&B, le Suédois Nils Landgren qui, en duo avec Aquino, constitue une mini section de cuivres, une première dans un album de Manu Katché. Son groove souple et naturel est immédiatement reconnaissable sur le titre éponyme, sur Rolling et sur Introduccion en forme de salsa. Sinon, le répertoire est d'une belle variété avec comme constantes la saveur des mélodies et la frappe stylée du leader, gorgée de soul, qui fait sonner la musique comme en rêvent tous les batteurs du monde. N'oublions pas de mentionner les rôles clés du saxophoniste Tore Brunborg, dont le jeu au départ très scandinave à la Garbarek s'affirme de plus en plus comme une voix originale, ainsi que du trompettiste italien Luca Aquino dont la sonorité veloutée, et parfois trafiquée, évoque au gré des plages aussi bien Tomasz Stanko, que Nils Petter Molvaer ou Paolo Fresu. Sur le dernier titre, Manu Katché présente ses musiciens un à un comme dans un concert. Une idée originale qui témoigne incidemment de sa fierté d'avoir à ses côtés un tel panel de talents. Savamment dosé sur le plan de l'énergie, des climats et des sonorités, Unstatic se révèle au final être l'un des projets les plus captivants de Manu Katché. Le genre de disque dans lequel on entre facilement et dont on a bien difficile à ressortir.

[ Unstatic (CD & MP3) ] [ Manu Katché sur Anteprima ]
[ A écouter : Unstatic (trailer) - Manu Katché Quintet live au Zéphyr (13/02/2016) ]


Eyewitness / Modern Times / Casa LocoSteve Khan : Eyewitness (Antilles, 1981) - Modern Times (Trio Records, 1982) - Casa Loco (Antilles, 1983) Réédition remastérisée des 3 LP sur 2 CD (BGO Records), USA, mars 2016

CD1: Where’s Mumphrey? (7:28) - Dr. Slump (8:21) - Auxiliary Police (5:25) - Guy Lafleur (10:30) - Eyewitness (7:16) - Blades (10:47) - The Blue Shadow (11:46)
CD2: Penguin Village (11:50) - Modern Times (11:03) - The Breakaway (3:09) - Casa Loco (12:32) - Penetration (6:17) - Some Sharks (7:20) - Uncle Roy (9:17) - The Suitcase (5:08)

Steve Khan (guitare); Anthony Jackson (basse); Steven Jordan (drums); Manolo Badrena (percussions)


Batteur au départ, Steve Khan opte pour la guitare à 19 ans et, après avoir acquis un bagage technique suffisant, émigre à New York en 1969 où il joue avec les Brecker Brothers et enregistre en leader pour Columbia Records quelques disques de fusion à tendance funky (Tightrope, 1977; The Blue Man, 1978; et Arrows, 1979) avec des pointures comme Michael et Randy Brecker, David Sanborn, Don Grolnick, Steve Gadd et Mike Mainieri comme complices. Mais en 1981, Khan sent qu'il est temps d'évoluer. Il troque alors sa Telecaster habituelle contre une Gibson ES-335 au son plus rond et plus chaud et constitue un nouveau quartet avec Anthony Jackson (basse), Steve Jordan (drums) et Manolo Badrena (percussions). Pendant les répétitions, ils improvisent sur des grooves aussi complexes qu'éclectiques et inventent un nouveau style de fusion plaisante et relax qui fera date pour le reste de la décennie. Après quelques retouches destinées à polir les thèmes, le quartet entre finalement en studio durant un weekend de novembre 1981. Il en résulte l'un des grands enregistrements du guitariste et celui dont il dira longtemps qu'il en est le plus fier: Eyewitness. Khan y développe des lignes claires avec un phrasé d'une rare fluidité, lâchant des notes pleines qui, par un effet de réverbération, résonnent mystérieusement dans l'air confiné du studio. On pense parfois, notamment sur Auxiliary Police dont l'intitulé est peut-être un hommage déguisé, à la manière singulière qu'avait le guitariste Andy Summers de faire sonner ses accords dans le groupe Police. Quand aux échanges entre les quatre musiciens, il est tout simplement magique, le plus grand bonheur étant de suivre l'intrication sophistiquée entre la guitare de Khan et la basse électrique à cinq cordes d'Anthony Jackson. Cet album séminal sera suivi d'un disque live enregistré au Pit Inn de Tokyo en mai 1982 (Modern Times) et d'un second disque en studio sorti en 1983 (Casa Loco). Enregistrés par le même quartet, ces trois albums offrent une musique similaire et constituent une trilogie cohérente, ce qui a amené le label britannique BGO Records à les remastériser et à les rééditer ensemble sur un double CD. Une aubaine pour redécouvrir un moment charnière particulièrement innovant dans la carrière de ce guitariste peut-être moins connu que d'autres sorciers de la six-cordes fusionnelle mais tout aussi essentiel.

[ Eyewitness (CD & MP3) ] [ Modern Times (MP3) ] [ Eyewitness/Modern Times/Casa Loco (BGO Records) (CD & MP3) ]
[ A écouter : Dr. Slump - Guy Lafleur - Eyewitness - Some Sharks ]


Okidoki Quartet: Si Tu RegardesLaurent Rochelle Okidoki Quartet : Si Tu Regardes (Linoleum Records / L'Autre Distribution), France, 2016

Morgen (6:33) - Airports (5:44) - Synchronicity (9:09) - Cevennes (7:28) - Echo Bird, Sing A Song To Me (8:53) - Okidoki Blues (1:34) - Okidoki (5:35) - Si Tu Regardes (9:02) - Zeit (7:05) - Le Temps Oublié (4:38) - Durée Totale : 65'35"

Laurent Rochelle (clarinette basse, sax soprano, compositions); Anja Kowalski (voix, textes); Frédéric Schadoroff (piano, effets); Olivier Brousse (contrebasse); Eric Boccalini (batterie). Enregistré et mixé par Boris Béziat à Toulouse (France). Mastérisé par Pierre Jacquot à Paris.


Ouvert à diverses formes musicales, du classique au jazz en passant par l'école répétitive de Philip Glass, le saxophoniste et clarinettiste français Laurent Rochelle sort un premier disque de longue durée avec le quartet Okidoki auquel s'est jointe, pour trois titres sur dix, la chanteuse bruxelloise Anja Kowalski. Echappant aux habituels critères du jazz conventionnel, les compositions de Si Tu Regardes s'inspirent souvent de musiques modales basées sur des ostinatos sans pour autant tomber dans le piège d'un minimalisme robotique aux beats répétés à l'infini. Et puis d'abord, ici, tout est acoustique même dans ce genre de boucles que l'on confie habituellement à des synthétiseurs, si bien que la musique garde un côté organique même si elle louche avec envie sur un imaginaire cybernétique. Prenez le morceau Okidoki par exemple: son motif de clarinette basse débouche rapidement sur un groove échevelé, comme les machines n'en produiront jamais, qui rend possible de juteux échanges entre les quatre musiciens. Basse, batterie, piano et clarinette basse deviennent alors intriqués dans de foisonnants échanges qui montent en spirale et éclatent en feu d'artifice avant de retomber en finale, comme par magie, sur le motif initial. A l'autre bout du spectre, Morgen est une pièce réflective hantée par un texte déclamé en allemand par Anja Kowalski et où les notes de piano enveloppées par la réverbération apportent leur part de spiritualité éthérée avant qu'un imposant solo du leader n'occupe tout l'espace. Entre ces deux extrêmes, le programme offre toutes sortes de réjouissances comme le passionnant solo de clarinette basse sur la rythmique endiablée de Synchronicity, ou Airports dont les tourneries obsessionnelles évoquent la frénésie qui prévaut dans de ce genre d'endroit, ou encore le titre éponyme sur lequel le leader démontre dans une improvisation élégiaque qu'il maîtrise autant les subtilités du saxophone soprano que les basses fréquences de sa clarinette. Une mention spéciale doit être réservée au pianiste Frédéric Schadoroff très présent partout et qui captive aussi bien par son jeu néo-classique introduisant certains morceaux (Cevennes ou Zeit par exemple) que par son accompagnement efficace et ses improvisations fluides et inspirées où chaque note compte. Cet album séduit d'emblée pas seulement parce qu'il combine ambition et accessibilité ou qu'il regorge de belles mélodies mais aussi parce qu'il contribue à élargir la notion d'éclectisme en musique de jazz. A découvrir.

[ MP3 & CD sur Bandcamp ]
[ A écouter : Aurores (titre hors album) ]


Into The SilenceAvishai Cohen : Into the Silence (ECM Records), Israël, 2016

Life And Death (09:18) - Dream Like A Child (15:31) - Into The Silence (12:14) - Quiescence (05:14) - Behind The Broken Glass (08:14) - Life And Death - Epilogue (02:44) - Durée Totale : 53'10"

Avishai Cohen (trompette); Bill McHenry (saxophone ténor); Yonathan Avishai (piano); Eric Revis (contrebasse); Nasheet Waits (drums). Enregistré en juillet 2015 aux Studios La Buissonne (France). Produit par Manfred Eicher (France).


Sans parenté avec le contrebassiste qui porte le même nom que lui, le trompettiste israélien Avishai Cohen est par contre le frère des saxophonistes Anat et Yuval avec qui il joue dans le groupe "3 Cohens". Pour son premier disque en leader chez ECM (pour qui il a toutefois déjà enregistré dans le passé au sein du quartet de Mark Turner), Cohen a réuni une nouvelle formation comprenant le pianiste Yonathan Avishai, le bassiste Eric Revis et le batteur Nasheet Waits, plus le saxophoniste ténor Bill McHenry sur la moitié des six titres. Dédiée au père du trompettiste mort en 2014, la musique est plus nostalgique et introspective que d'habitude, témoignant d'une immense tendresse envers le disparu. Le jeu lyrique, mélodique et tout en retenue du leader fait bien souvent penser à un Miles Davis hypersensible surtout quand il utilisait une sourdine. Magnifiquement épaulé par ses complices qui se sont imprégnés de son état d'esprit (en particulier le pianiste à qui l'on a laissé le dernier mot sur Life And Death - Epilogue qu'il interprète seul au piano), Avishai Cohen, sans aucune parole, fait l'éloge du disparu et rumine sur son absence en évitant toute forme de tristesse déplacée. Enregistré en trois jours en juillet 2015 aux Studios La Buissonne dans le Sud de la France, et bien sûr produit par Manfred Eicher, Into The Silence sonne peut-être comme une autre production typique du label munichois, présence, pureté et réverbération comprises, mais c'est encore une réalisation magnifique qui inspire et élève l'esprit.

[ Into the Silence (CD & MP3) ]
[ A écouter : Life And Death ]


EmpathyVincent Morla : Empathy (Indépendant), France, 2015

Unknown Hero (04:34) - Nobody Else But You (04:00) - Clumsy (04:50) - We've Made Promises (04:44) - Shooting Stars (04:33) - Old Hands Hold Hands (04:13) - Once They're Said (04:09) - Winter Morning (05:11) - Durée Totale : 40'52"

Vincent Morla (guitare, chant); Adélaide Songeons (trombone); Sébastien Lovato (piano); Yves Torchinsky (basse); Larry Crockett (batterie). Enregistré au Studio de Meudon (France).


Guitariste français ayant notamment tourné avec la chanteuse soul Martha Reeves & The Vandellas, Vincent Morla s'est entouré de musiciens chevronnés pour enregistrer un disque de blues laid-back qu'on pourrait qualifier de "smooth blues" si ce style, inventé par analogie avec le "smooth jazz", existait vraiment. En effet, le leader met ici l'emphase sur le côté doux et séduisant d'une musique after hours qui émerge parfois en un pop-rock aimable. Et quand la tentation du jazz se fait sentir comme sur Once They're Said ou Come To Life, la présence dans le quintet de Sébastien Lovato au piano et d'Adélaide Songeons au trombone permet de petites escapades improvisées avec nonchalance. Sur sa guitare, le leader délivre des phrases fluides avec un son clair caractéristique de la Fender Telecaster avec laquelle il est photographié sur la pochette. On pense parfois à Robben Ford, à Lee Ritenour et surtout à Larry Carlton (celui de Sleepwalk) qui évolue dans la même zone grise entre blues, jazz smooth et soft rock. Sa voix, que Morla ne force jamais, est bien adaptée à son style et, quand la musique se donne un petit air folk comme sur Clumsy (qui inclut par ailleurs une chouette partie de guitare), c'est plutôt le souffle intimiste des albums de Mark Knopfler en solo qui est invoqué. Quasiment toutes les plages sont en tempo lent ou moyen si bien que ce programme aussi harmonieux que léger pourrait bien constituer une bande son idéale pour une virée hors des trépidations urbaines. Seul le premier titre, Unknown Hero, se démarque de l'ambiance générale par un groove plus appuyé: Adélaide Songeons fait alors chanter son trombone sur les cocottes légèrement funky de la guitare avant que le leader ne s'envole dans un improvisation courte mais plus mordante que d'habitude et qui fait regretter qu'il n'y en ait pas beaucoup d'autres dans le même genre. Au total, Empathy est un disque séduisant dont les mélodies ciselées et les rythmes moelleux peuvent être recommandés sans réserve à tous ceux qui apprécient les artistes de référence cités dans cette chronique.

[ Empathy (MP3) ]
[ A écouter : Unknown Hero (Live Session) - Shooting Stars - Clumsy ]


River SilverMichel Benita and Ethics : River Silver (ECM), International, 15 janvier 2016

Back From The Moon (5:49) - River Silver (4:37) - I See Altitudes (5:54) - Off The Coast (6:13) - Yeavering (03:46) - Toonari (05:58) - Hacihi Gatsu (4:43) - Lykken (06:02) - Snowed In (06:21) - Durée Totale : 49'23"

Matthieu Michel (bugle); Miyeko Miyazaki (koto); Eivind Aarset (guitare, électronique); Michel Benita (contrebasse); Philippe Garcia (batterie). Enregistré en avril 2015 à Lugano (Suisse)


Le bassiste français Michel Benita a formé son quintette Ethics en 2010 en réunissant autour de lui des musiciens d'origine et de style très différents: le guitariste norvégien Eivind Aarset subjugué par les sonorités électroniques et qui joua jadis avec Nils Petter Molvaer; La kotoïste japonaise Mieko Miyazaki; le trompettiste suisse Matthieu Michel qui a joué entre autre avec le guitariste Serge Lazarevitch; et le batteur Philippe Garcia qui collabora avec Benita aux albums d' Erik Truffaz. Une formation sans œillère donc, ouverte sur le monde avec toutes les possibilités que cela implique. River Silver, qui marque l'entrée d'Ethics chez ECM (mais pas celle de Benita qui a fait partie des projets d'Andy Sheppard sur le label berlinois), poursuit dans la même veine que celle de leur premier disque sorti en 2010: un jazz atmosphérique et voyageur qui se distingue par la fusion de timbres inédits résultant en de somptueuses et singulières textures. La musique coule comme la rivière du titre, serpentant au travers de cultures diverses qui sont phagocytées et intégrées dans le concept. Outre les mélodies originales écrites par le contrebassiste, le programme inclut une composition de la Japonaise pour basse et koto (Hacihi Gatsu); un titre folk de Kathryn Tickell, célèbre joueuse de cornemuse originaire de Northumbrie (Yeavering); et une ballade norvégienne du compositeur Eyvind Alnaes (Lykken). Enveloppé dans un léger voile électronique, rehaussé par une contrebasse en état de grâce, soutenu par une harpe japonaise à la sonorité mélancolique, le bugle de Mathieu Michel délivre d'amples et profondes phrases mélodiques qui mettent le monde à sa portée en totale apesanteur. Enregistré à l'Auditorio Stelio Molo RSI de Lugano dans des conditions optimales, River Silver est à nouveau l'une des très grandes réussites à mettre à l'actif de ce producteur visionnaire qu'est Manfred Escher.

[ River Silver (CD & MP3) ]
[ A écouter : Michel Benita & Mieko Miyazaki : Hacihi Gatsu (2010) - River Silver (teaser) - Michel Benita & Ethics : Haikool (live à Paris, Octobre 2010) ]


KronixPeter Van Huffel / Alex Maksymiw : KRONIX (Fresh Sound Records / New Talent), Canada, Mai 2016

The Charmer (2:48) - Excerpt Two (6:05) - Slow Burn (5:15) - Anyhow (4:15) - The Dreamer (5:02) - Petrichor (3:29) - Drift (6:07) - Happenstance (6:09) - Fuse (2:56) - Anyhow / Alternate Take (4:13) - Durée Totale : 46'19"

Peter Van Huffel (saxophone alto, effets); Alex Maksymiw (guitare). Enregistré le 22 février 2015 au Studio Maarweg à Cologne.


Désormais bien connu pour son jeu intense au sein de différents projets enregistrés en trio comme Gorilla Mask, The Scrambling Ex et Boom Crane, le saxophoniste Canadien basé à Berlin Peter Van Huffel ressurgit cette fois en duo avec Alex Maksymiw, un guitariste également d'origine canadienne dont le disque Without A Word, sorti l'année dernière sur Double Moon Records, n'est pas passé inaperçu. A l'écoute du premier titre de Kronix, c'est d'abord l'incroyable imbrication des deux instruments qui retient l'attention. Cette danse moderne en forme de tornade, judicieusement nommée The Charmer, est un vrai tour de force qui parviendrait sans effort à captiver les serpents les plus réfractaires. C'est en tout cas une époustouflante introduction à un programme par ailleurs truffé de surprises et qui change constamment de direction. Ainsi y passe-t-on d'un Happenstance, une composition aérienne et pensive comme du jazz nordique qui n'aurait pas fait tâche sur une production du label ECM, à Anyhow, une structure découpée à la hache, peuplée d'unissons diaboliques et de poursuites effrénées entre saxophone et guitare électrique et dont la fin sonne comme une gigue convulsive empruntée à un folklore des temps futurs. Pour angulaire qu'elle soit, cette musique n'est pourtant pas dénuée de lyrisme: Drift et surtout Excerpt Two ont par exemple leur part de réflexion et d'émotion quand le saxophone s'envole en volutes légères sur des accords nuancés et frémissants qui ne sont pas sans évoquer ceux de Bill Frisell. Après un court Fuse grinçant comme du métal soumis à des pressions telluriques, le disque se clôture sur une version alternative de Anyhow, un prodigieux épilogue laminé par une guitare saturée qui renoue avec le maelstrom avant-gardiste et iconoclaste d'un free jazz tourbillonnaire dont on sait Van Huffel si friand. Kronix offre une musique en mouvement, fraîche, décapante et visionnaire, marquée par la grâce télépathique de deux musiciens exceptionnels qui n'ont aucune idée de ce que mot "auto-indulgence" signifie. Recommandé.

[ Kronix (CD & MP3) ]


HangoshYochk'o Seffer, François Causse feat. Didier Malherbe : Hangosh (L'homme Primitif) (Acel), France, février 2016

Hang J (4:54) - Titly (14:01) - Zongora (8:50) - Houlousi (5:07) - Enartloc (5:15) - Zeta « La ruche » (3:55) - Fajdalom (6:32) - Stella by Starlight (8:41) - Durée Totale : 57'12"

Yochk'o Seffer (saxophone sopranino et ténor, Harmoniseur, piano, sculptures sonores); François Causse (hang, batterie, vibraphone, percussions); Didier Malherbe (houlousi et vents). Enregistré aux Studios FC, date non précisée.


Le saxophoniste et multi-instrumentiste Yochk'o Seffer restera probablement dans l'histoire pour avoir successivement joué dans les années 70 avec Magma et Zao. C'est pourtant bien réducteur car, en dehors de ces deux formations cultes, Seffer a aussi participé à une multitude de projets, pour la plupart avant-gardistes, et enregistré sous des noms divers une soixantaine d'albums. Intitulé Hangosh (la voix de l'homme primitif, sujet d'un tableau de Seffer figurant dans le livret), ce nouveau disque, réalisé avec le percussionniste François Causse (Gong, Zao) et le souffleur Didier Malherbe (Gong) en invité, est à la hauteur des musiques hors normes pratiquées depuis plusieurs décennies par ces trois vétérans. Et évidemment, chaque pièce musicale est un voyage en soi sous-tendu d'une réflexion esthétique (après tout, Seffer est aussi peintre et sculpteur), sociale ou philosophique. Ainsi Hang J, superbe mélopée méditative jouée par un sopranino sur un tapis de percussions métalliques (obtenues à partir de cet instrument nommé hang récemment développé en Suisse), évoque-t-il sans peine la pensée immobiliste et sereine d'un Lao Tseu tandis que Houlousi, composé par Malherbe, invite à parcourir sur le dos d'un chameau cette mythique piste de la soie aux confins de deux mondes. Quant à Fajdalom dont les gammes modales et nostalgiques renvoient à la Hongrie, c'est un hommage aux racines et au folklore du pays d'origine de Seffer, ainsi qu'à la langue magyare comme point d'appui pour sa propre évolution. En plus du saxophone, le leader y joue aussi du piano, improvisant des notes qui cristallisent en une fascinante structure sonore aux formes imprécises. Mais le programme comprend aussi de multiples références aux aînés, ceux qui ont nourri l'imaginaire du musicien à travers plusieurs décennies: John Coltrane avec la ballade Enartloc dont le développement est basé sur l'harmonie cyclique de Giant Steps; Béla Bartok avec Zongora qui inclut un vertigineux maelstrom musical; Ornette Coleman avec La Ruche et ses trois saxophones ténors superposés; et enfin la tradition du jazz en général avec Stella By Starlight, ce standard de Victor Young datant de 1944 dont on reconnaît les accords au piano mais qui finit par se perdre dans une improvisation inédite. De la Zeuhl progressiste au free jazz en passant par les musiques ethniques, il n'y a guère de sonorités auxquelles Yochk'o Seffer soit imperméable. Aujourd'hui comme hier, toujours vif et bondissant, il continue avec ses valeureux complices à faire jaillir de brûlantes et imprévisibles beautés.

[ Hangosh (L'homme Primitif) (CD & MP3) ]
[ A écouter : Y. Seffer / F. Causse/ D. Malherbe : Kuruk (extrait) - F. Causse/ D. Malherbe/ Y. Seffer : Hangos (extrait) ]


BreatheYvonnick Prene : Breathe (Indépendant), France, 2016

Blues Comes Down The Seine (5:47) - Looking Up (7:33) - Breathe (5:14) - Got To Go (5:38) - Mr Tix (5:14) - The Comedian (5:14) - Armorica (5:05) - As Night Falls (4:50) - Durée Totale : 44'30"

Yvonnick Prene (harmonica); Peter Bernstein (guitare); Jared Gold (orgue); Allan Mednard (drums). Enregistré le 20 décembre 2015 au Trading 8S Studio, New Jersey.


Sorti en 2015, Merci Toots permettait d'entendre l'harmoniciste Yvonnick Prene dans la plus simple des configurations: un harmonica et une guitare. Cette approche dépouillée bénéficiait toutefois à l'harmoniciste dont on pouvait entendre parfaitement toutes les inflexions les plus subtiles. En comparaison, Breathe offre une musique aux textures plus riches, et plus moirées aussi. C'est que le leader et son harmonica chromatique sont ici partie intégrante d'un quartet de musiciens talentueux basés à New York incluant le guitariste Peter Bernstein (qui a joué régulièrement avec Brad Mehldau, Larry Goldings et Joshua Redman), l'organiste Jared Gold (spécialiste du Hammond B3), et le jeune batteur Allan Mednard (membre des quartets de Aaron Parks et Kurt Rosenwinkel). Grande nouveauté également par rapport au disque précédent qui ne comportait que des reprises, tous les thèmes sauf deux sont de la plume de Yvonnick Prene. Et sur ce point, il convient de bien souligner que, non seulement, ses mélodies sont fluides et attachantes mais aussi que ses sources d'inspiration sont particulièrement diversifiées: du léger Armorica en forme de bossa nova nonchalante et ensoleillée au groovy Mr Tix avec son orgue alerte, en passant par le calypso de The Comedian qui évoque la joyeuse ritournelle du St Thomas de Sonny Rollins, ça joue avec enthousiasme, télépathie et beaucoup de classe. Quant aux deux reprises, Got To Go de Monty Alexander et Looking de Michel Petrucciani, elles complètent judicieusement un programme sans faute de goût. Impeccablement mixé et produit, Breathe est un album séduisant qui confirme les qualités d'instrumentiste d'Yvonnick Prene, harmoniciste expressif et souvent émotionnel dans la ligne d'un Toots Thielemans, mais qui cette fois met aussi en exergue un réel talent de compositeur.

[ Yvonnick Prene Website ] [ Chronique de Merci Toots ]
[ A écouter : Breathe ]


Donny McCaslin : Fast FutureDonny McCaslin : Fast Future (Greenleaf), USA, 2015

Fast Future (5:54) - No Eyes (5:55) - Love and Living (9:39) - Midnight Light (6:38) - 54 Cymru Beats (2:16) - Love What is Mortal (5:56) - Underground City (6:58) - This Side of Sunrise (4:32) - Blur (1:28) - Squeeze Thru (6:24) - Durée Totale : 55'37"

Donny McCaslin (saxophone tenor); Jason Lindner (piano acoustique et électronique, synthétiseurs); Tim Lefebvre: (basse électrique); Mark Guiliana (batterie) ; David Binney (voix et synthétiseurs additionnels); Nin Geiger (voix); Nate Wood (guitare); Jana Dagdagan (récitante)


C’est en 2006 que Donny McCaslin fait une apparition remarquée sur l’album Meaning And Mistery de Dave Douglas. Certes, le musicien a déjà une longue carrière derrière lui mais cette première collaboration avec David Douglas met en évidence les qualités remarquables du saxophoniste ténor. Sa technique, son phrasé, la tension qu’il impose dans ses interventions improvisées ne passent pas inaperçus… Et on ne s’étonnera pas que Donny McCaslin ait remplacé Chris Potter au sein du quintet de Dave Douglas,..

En 2012, Donny Mc Caslin sort son huitième album Casting For Gravity qui marque un véritable tournant dans sa carrière. S’appuyant sur un groupe dont l’homogénéité et la solidité s’affirment sans ambages et qui est constitué de jeunes musiciens ayant tous la stature de leader, à savoir Mark Guilliana à la batterie, Tim Lefebvre à la basse électrique et Jason Lindner aux claviers, il propose un jazz d’une modernité évidente, fait de compostions énergiques ponctuées de riffs qui font mouche auxquels se mêlent des nappes sonores électroniques et des improvisations au saxophone ténor aussi échevelées que décapantes. Bref un album qui ne passe pas inaperçu. Il a fallu attendre trois ans pour que Donny Mc Caslin remette le couvert avec Fast Future sorti en mars 2015. La configuration de base reste inchangée comme l’est l’identité graphique de la pochette de l’album. La production est toujours assurée par David Binney qui signe, seul ou avec le saxophoniste, la composition de trois titres. On ne peut donc s’empêcher de comparer les deux albums. D’emblée, Fast Future s’ouvre à des horizons musicaux et des sources d’inspiration plus larges, plus colorées, plus variées tout en maintenant une cohérence d’ensemble. Jason Lindner crée, avec une inventivité qui ne se dément jamais tout au long de l’album, une palette de sons d’une richesse indéniable et un univers sonore qui s’enrichit ça et là de choeurs vocaux sur Fast Future et No Eyes, ou de parties récitées sur Love What Is Mortal. La rythmique, assurée par Tim Lefebvre et Mark Gulliana, s’intègre parfaitement dans cet environnement : la dynamique ainsi créée est celle d’un groupe d’une efficacité redoutable revendiquant une approche moderne et décomplexée du jazz, bousculant parfois les codes et s’ouvrant à des horizons qui s’apparentent aussi bien à l’Electro Dance (54 Cymru Beats) qu’au Rock progressif.

A l’écoute de Casting For Gravity et de Fast Future, on comprend que pour son dernier album Blackstar, David Bowie ait fait appel à Donny McCaslin et à ses musiciens auxquels s’ajoute le guitariste Ben Monder. Blackstar restera à jamais gravé dans la mémoire des fans du chanteur anglais non seulement parce qu’il est d’une beauté aussi envoûtante qu’inquiétante mais également parce qu’il s’offre au public comme une forme de testament musical. Et est-ce un hasard si l’écriture de la présente chronique a débuté le jour même où a été annoncée la mort de David Bowie ? Faut-il y voir une raison de plus pour découvrir Fast Future qui devrait éveiller la curiosité à la fois des amateurs d’un jazz qui s’affranchit de tout carcan et de ceux, et ils devraient être nombreux, qui auront été marqués par Blackstar.

[ Chronique de Albert Maurice Drion ]

[ Fast Future (CD & MP3) ] [ Fast Future sur Bandcamp ]
[ A écouter : Fast Future (full album) ]


ElysiumAl Di Meola : Elysium (Inakustik Records), USA, 2015

Adour (6:49) - Cascade (5:06) - Babylon (4:11) - Purple and Gold (6:04) - Esmeralda (4:17) - Elysium (4:23) - Amanjena (5:17) - Sierra (4:44) - Etcetera in E-major Intro (1:26) - Etcetera in E-minor (5:18) - Tangier (3:35) - Stephanie (6:32) - Monsters (3:15) - La Lluvia (4:30) - Durée Totale : 65'47"

Al Di Meola (guitares); Mario Parmisano (claviers); Philippe Saisse (claviers);, Barry Miles (claviers); Peter Kaszas (drums); Rhani Krija (percussions)


Tout comme son alter ego John McLaughlin, le guitariste américain Al Di Meola garde, à l'âge de 61 ans, une totale maîtrise de sa technique de jeu rapide et complexe qu'il affichait déjà sur ses premiers disques dans la seconde moitié des années 70 (Land Of The Midnight Sun, Elegant Gypsy, Casino …). Il a aussi conservé son goût pour les espagnolades qui, à l'instar d'un Chick Corea, font partie depuis les débuts de son style de jeu et d'écriture. Son nouveau sextet est sans bassiste mais comprend trois claviéristes ainsi qu'un batteur et un percussionniste (le Marocain Rhani Krija qui a apporté ses marimba, djembe, darbouka, et autres ustensiles), une configuration originale qui procure à sa musique une sonorité singulière fort différente de celle d'un Return To Forever ou du groupe actuel de McLaughlin par exemple. Mais dans l'ensemble, Elysium est un surtout un paradis pour guitaristes. Di Meola y prend en charge toutes les parties de guitare: six ou douze cordes (Guild 12-Strings), acoustiques (Ovation Steel, Martin O18 de 1948), nylon (Conde Hermanos signature cutaway nylon) ou électriques (ses Gibson Les Paul dont celle emblématique de couleur noire), elles se succèdent ou s'entremêlent souvent au sein d'un même morceau par la grâce du réenregistrement multipistes. Son phrasé peut être lyrique et, l'instant d'après, enfiler des chapelets de croches à vitesse stratosphérique pour revenir soudain en un éclair à la mélodie romantique initiale. En plus, ses compositions sont toutes brillantes et fort bien construites, parfois angulaires tout en restant accessibles grâce à un subtil exotisme latin qui les rend si plaisantes à écouter. Ce ne sont en aucun cas, comme c'est souvent le cas en jazz-rock, des successions d'accords ennuyeuses destinées uniquement à mettre en valeur la virtuosité des instrumentistes mais bien de véritables petites miniatures quasi classiques, ciselées et arrangées à la perfection avec un sens remarquable de la construction, de l'espace et des textures, sans parler de leur production immaculée assurée par Di Meola lui-même. C'est un peu ironique que ce soit lui, le guitariste véloce et impénitent qui poursuivait le diable à toute vitesse sur des autoroutes espagnoles, qui remette aujourd'hui les pendules à l'heure en réinventant une fusion moderne où la technique est au service des compositions et pas l'inverse. C'est pour cette raison surtout que cet Elysium, dense, varié et enchanteur, compte parmi ses plus belles réussites.

[ Elysium (CD & MP3) ]
[ A écouter : Elysium (Official Album Player) ]


D-StringzStanley Clarke / Biréli Lagrène / Jean-Luc Ponty : D-Stringz (Impulse!), France/USA, novembre 2015

Stretch (3:30) - To and Fro (6:18) - Too Young to Go Steady (7:30) - Bit of Burd (3:30) - Nuages (5:17) - Childhood Memories (Souvenirs D'enfance) (5:40 ) - Blue Train (6:15) - Paradigm Shift (6:49) - Mercy, Mercy, Mercy (6:33) - One Take (4:00) - Durée Totale : 51'23"

Stanley Clarke (b) - Biréli Lagrène (gt) - Jean-Luc Ponty (violon). Enregistré du 24 au 27 août 2014.


L'année 2015 aura été fertile pour le violoniste Jean-Luc Ponty qui, en plus de collaborer avec l'ancien chanteur de Yes, Jon Anderson, a aussi participé à cette session organisée avec le bassiste légendaire Stanley Clarke et le guitariste Bireli Lagrene. Dans la lignée de The Rite Of Strings (1995), également joué en trio par Ponty et Clarke mais avec Al Di Meola comme troisième larron, cet album acoustique enregistré à Bruxelles offre l'occasion d'échanges inspirés et parfois enflammés entre les trois vedettes. Le seul reproche que l'on peut faire ici est que le répertoire n'offre guère de surprises. A l'exception d'un nouveau titre écrit par Jean-Luc Ponty, tous les morceaux du répertoire sont soit des standards très connus (comme Blue Train de Coltrane, Mercy Mercy Mercy de Joe Zawinul, la ballade Too Young To Go Steady immortalisée par Coltrane, ou l'incontournable Nuages de Django Reinhardt), soit des reprises de compositions écrites par l'un des membre du trio mais déjà interprétées auparavant dans d'autres contextes comme le très beau Paradigm Shift de Clarke qui figurait sur son Jazz In The Garden avec Hiromi et Lenny White; Stretch de Lagrene issu de ses années Blue Note (Acoustic Moments, 1990); et To And Fro de Ponty qui est la dernière plage de son disque The Acatama Experience (2007). Sinon, le style global est un jazz post-bop accessible sur lequel les trois complices conversent avec une déconcertante agilité. La touche exotique autrefois apportée par la tendance au flamenco d'Al Di Meola est ici assurée par l'inclination naturelle de Bireli Lagrene vers le jazz manouche (comme sur Stretch et, bien sûr, Django) et c'est un régal d'entendre les lignes de basse de Clarke s'immiscer avec bonheur dans ce style qui lui est probablement moins connu. Au total, D-Stringz qui n'offre rien de bien neuf, reste quand même un disque très agréable à écouter d'autant plus que la qualité sonore est d'une perfection quasi absolue.

[ D-Stringz (CD & MP3) ]
[ A écouter : D-Stringz (teaser) ]


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