Jazz & Fusion : Sélection 2020 (2e Semestre)





Retrouvez sur cette page une sélection des grands compacts, nouveautés ou rééditions, qui font l'actualité. Dans l'abondance des productions actuelles à travers lesquelles il devient de plus en plus difficile de se faufiler, les disques présentés ici ne sont peut-être pas les meilleurs mais, pour des amateurs de jazz et de fusion, ils constituent assurément des compagnons parfaits du plaisir et peuvent illuminer un mois, une année, voire une vie entière.

A noter : les nouveautés en jazz belge font l'objet d'une page spéciale.


Daniele Martini Quartet : ImpermanentDaniele Martini Quartet : Impermanent (El Negocito), 11 juillet 2020

1. For Those Who Stay (6:28) - 2. Impermanent (5:54) - 3. Cells (8:06) - 4. Auroshika (6:38) - 5. Fang Song Song (7:14) - 6. Born Work Sad Happy (4:10)

Daniele Martini (ts), Bram De Looze (p), Manolo Cabras (cb), Joao Lobo (dr)


For Those Who Stay, premier titre du répertoire, évoque le vol erratique d'un oiseau cherchant sa route dans un brouillard épais. Le saxophone ténor s'envole en tournoyant, hésite et, d'arabesque en arabesque, atteint son but dans un parcours aussi élégant que capricant. Auréolé d'une légère réverbération, le piano entretient cette impression de légèreté tandis que la rythmique agile est d'une parfaite pertinence. Telle une première neige hivernale tombant en bourrasque, cette musique expressive apparaît aussi fraîche que pure.

Les pièces qui viennent ensuite vont confirmer la première impression d'un quartet extrêmement soudé dont la musique repose sur les codes d'un jazz libre et aérien. Même la composition Cells, en dépit de sa destructuration par des clusters de notes dissonantes lâchées en rafale par Bram De Looze, garde une lecture accessible et évidente. On se réjouit d'écouter cette improvisation ouverte et contrastée qui acquiert une réelle densité quand Daniele Martini vient y souffler en finale des phrases d'une belle intensité.

A l'autre bout du spectre, Auroshika est ce qui se rapproche le plus d'une ballade automnale rythmée en douceur par les balais de Joao Lobo. Quant au dernier titre, il est une sorte d'hommage à Ornette Coleman qui rejetait l'idée qu'il était un être exceptionnel et qui décrivait sa vie (notamment dans les notes de pochette de son album This Is Our Music) par la phrase laconique "Born, Work, Sad, Happy and etc." La musique y célèbre en tout cas avec une belle spontanéité collective un jazz libre qui comporte aussi peu de frontières que celle d'Ornette tout en restant malgré tout beaucoup plus abordable.

Décliné par des musiciens qui voltigent en groupe de façon étourdissante, Impermanent nous fait voyager très loin et se révèle être une réussite majeure en matière de musique improvisée.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Impermanent sur Bandcamp ]
[ A écouter : Born Work Sad Happy, live au Citadelic Festival, Gent, 11 juillet 2020 ]


PolyMorphosisGreen Moon Tribe (Fragan), novembre 2020

1. George Benbold (4:50) - 2. City Wok (4:36) - 3. Silent (4:52) - 4. London Ut (5:10) - 5. Irish Coffee (4:51) - 6. Funk with Francis (3:48) - 7. Nemegy (4:55) - 8. Thank you Maurice (4:31) - 9. Deadline (6:21) - 10. Blouse Blanche (4:13) - 11. Dave (5:02)

Lorcan Fahy (violon, mandoline, composition), Téo Crommen (guitare, mandoline, composition); Lucas Deru (contrebasse); Antoine Dawans (trompette, bugle); Antoine Rotthier (batterie); Thierry Crommen (harmonica). Enregistré, mixé & masterisé au Studio 5 par Johann Spitz.


Formé il y a 10 ans par de très jeunes musiciens, le trio Green Moon a grandi, en maturité comme en taille : il est aujourd'hui une tribu ou, plus exactement, un sextet dont l'instrumentation acoustique particulière (mandoline, violon, guitare acoustique, harmonica, contrebasse et trompette) suggère que leur musique pourrait bien avoir une dimension folk. Impression vite confirmée à l'écoute de George Benbold, premier titre du répertoire, qui sonne comme la bande son d'un western moderne. Jazzy à certains moments, country et traditionnel à d'autres, cette composition est colorée, dépaysante et coule facilement en faisant souffler une petite brise légère.

Mais les grands espaces américains ne sont pas les seuls à être convoqués. Le voyage bifurque à l'occasion vers d'autres contrées plus proches qu'on visite par des chemins de traverse. Pour autant, pas de nostalgie "à la manière de" derrière cette musique qui frappe surtout par sa grande fraîcheur. Les arrangements aérés dégagent une certaine insouciance et si l'on voyage beaucoup, c'est toujours dans une charrette qui caracole par monts et par vaux.

Quelques titres comme Deadline sont enjoués et même ensoleillés quand la trompette virevole en délivrant des phrases aussi élégantes que chaleureuses. Ailleurs, comme sur Silent, l'approche est plus mélancolique mais en restant malgré tout apaisante. Les compositions, toutes dues à la plume du violoniste et mandoliniste Lorcan Fahy, s'enchaînent dans une belle cohérence en construisant peu à peu une atmosphère agréable où l'on se sent bien... comme les solistes qui s'envolent avec aisance et retenue sur les belles mélodies propices à les inspirer.

Green Moon Tribe, le disque, s'écoute d'une traite avec plaisir. On peut en profiter seul mais on pourra aussi le passer en soirée, en famille ou avec des amis, afin de favoriser une bonne ambiance positive. Et gageons qu'il y aura immanquablement quelqu'un qui, à un moment donné, vous demandera "qui joue là ?"

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Green Moon Tribe sur Bandcamp ] [ Tribe (CD / Digital) ]
[ A écouter : Green Moon Tribe live - Green Moon Tribe (teaser album) ]


PolyMorphosisCLEVJA Collective (CLaude EVence Janssens) : PolyMorphosis (Soond Label), 2020

1. Duke's Caravan (4:39) - 2. Angels To Carry Me Home (4:24) - 3. Emotive Partita In The Summer Heat (5:49) - 4. Faces Of A Lament (5:15) - 5. Tender Love In The Middle Ages (5:20) - 6. Sentimental Sonata In A Cool Mood - 7. Oriental Summer Night (5:34) - 8. Spiritual Trane (4:07) - 9. Nardis Between Death And Life (5:25) - 10 A Funny Girl In A Jungle World (6:43). Enregistré en 2018/2019 aux Studios Sunny Side Inc, Bruxelles.

CLaude EVence JAnssens (compositions, clarinette basse & alto, trombone, bugle, trompette); Fabrizio Graceffa (guitare); Lode Wickx (claviers); Federico Pecoraro (basse); Jérôme Baudart (drums) + Brussels Vocal Project : Anu Junonnen (mezzo); Elsa Grégoire (alto); Leander Moens (tenor); François Vaiana (baryton).


Voilà un disque qui porte bien son nom car cette musique qui pourrait paraître formatée après l'écoute superficielle du premier morceau (le célèbre Caravan de Juan Tizol popularisé par Duke Ellington) se révèle finalement bien polymorphe. Elle résulte en effet d'un collage de styles divers incluant musique de jazz orchestrale, improvisations, chœurs, rythmique funk, pop et aussi reggae (sur Angels To Carry Me Home), gospel, chansons et même des partitas de Bach pour faire bonne mesure. Le résultat de cet improbable amalgame se révèle toutefois très abordable au premier degré surtout parce que les mélodies revisitées (Caravan, Summertime, Sweet Chariot, My Funny Valentine …), qui sont imbriquées dans des arrangements modernes, nous sont bien connues mais aussi parce que le son d'ensemble est velouté, voire feutré.

Côté orchestre, le principal soliste est Claude Evence Janssens, compositeur, initiateur et leader du projet, qui joue de multiples instruments, passant des clarinettes alto et basse à la trompette ou au trombone au fil des morceaux mais en les superposant aussi par la magie du re-recording sur un même titre afin de lui donner différentes couleurs. Emerge également la guitare électrique de Fabrizio Graceffa dont l'approche est ici plus rock que jazz : ses phrases sur A Funny Girl In A Jungle World incrustent dans la masse orchestrale des giclées acides plus proches du rock-funk psyché que du jazz traditionnel.

Côté voix, elles sont quatre, deux féminines (mezzo et alto) et deux masculines (ténor et baryton), parmi lesquelles celle de François Vaiana, chanteur du groupe Blue Monday People, qu'on peut écouter en crooner de charme reprenant le standard Tenderly sur Tender Love In The Middle Ages ou My Funny Valentine sur A Funny Girl In A Jungle World. Cet ensemble vocal qui est omniprésent dans toutes les chansons de l'albums est indissociable de l'orchestre avec qui il fusionne étroitement.

Cet album très original n'est certainement pas votre disque de jazz habituel et il plaira d'ailleurs probablement à un public élargi. Chargé d'évènements musicaux divers, il captera en particulier l'attention des amateurs d'arrangements à la fois lustrés et élaborés mêlant standards et voix dans une interprétation pop-jazz urbaine qui accroit leur accessibilité. PolyMorphosis est une expérience multicolore qui mérite d'être écoutée !

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Polymorphosis (CD / Digital) ]
[ A écouter : Tender Love In The Middle Ages - A Funny Girl In A Jungle World ]


MoondancerStéphane Mercier et Damon Brown : The Road (Hypnote Records), 25 septembre 2020

1. Joe's Serenity (3:59) - 2. Pink Legged Tourist (4:51) - 3. The Wrong Way Around (4:57) - 4. I Left My Heart In San Francisco (6:36) - 5. The Road Less Traveled (6:36) - 6. Kit Kat (8:06) - 7. Step 2 (6:41) - 8. Falling down (6:02)

Stéphane Mercier (saxophone alto); Damon Brown (cornet, chant); Igor Gehenot (piano); Nicolas Thys (contrebasse); Darren Beckett (drums). Enregistré et mixé par Jonas Verrijdt au WallStudio Music, Grand-Reng, Belgique.


Le saxophoniste belge Stéphane Mercier s'est associé au cornettiste Damon Brown originaire de Manchester pour enregistrer cet album en quintet avec le pianiste Igor Gehenot, le contrebassiste Nicolas Thys et le batteur irlandais Darren Becket. Les destins des jazzmen se croisent comme des rails de chemin de fer au gré de leurs expériences : Stéphane et Damon se sont ainsi rencontrés en 2017 à Paris pendant des répétitions en vue de préparer des concerts en Asie et l'alchimie musicale entre eux a tout de suite fonctionné.

Le premier titre Joe's Serenity, une composition de Stéphane Mercier, annonce la couleur : la musique est du post-bop moderne ancré dans la tradition et décliné avec aisance. Reconnu en Grande Bretagne comme un trompettiste majeur, Damon Brown a joué avec une foule de musiciens (dont Benny Golson et Dave Liebman) notamment au fameux Ronnie Scott's de Londres mais c'est aussi un voyageur qui n'hésite pas à s'associer avec d'autres musiciens rencontrés en Europe et ailleurs. Son jeu, inspiré par Blue Mitchell, Clifford Brown et Lee Morgan, est fluide, brillant avec des attaques nettes et précises et montre une maîtrise totale du rythme. C'est donc un partenaire idéal pour le saxophoniste alto belge qui lui est complémentaire dans l'idiome hard-bop qu'il maîtrise parfaitement. Leurs unissons sont moelleux et parfaitement ajustés tandis que leurs échanges sont nerveux comme on pourra s'en convaincre sur The Wrong Way Around et sur Step 2, une composition d'Igor Gehenot qui figurait sur son album Delta avec Alex Tassel. Damon Brown chante aussi à l'occasion : on peut ainsi l'écouter sur le standard I Left my Heart In San Francisco interprété avec une voix chaude et expressive à la manière d'un crooner de charme.

The Road est un disque qui sonne merveilleusement. Le quintet tourne comme une horloge helvète : ça swingue et ça joue avec entrain, énergie et spontanéité sous le signe du partage et du plaisir. C'est aussi bien sûr une musique solaire et organique qu'on voudrait entendre sur scène quand les beaux jours seront revenus. Recommandé !

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ The Road (CD / Digital) ]
[ A écouter : The Road (teaser) ]


MoondancerJulien Tassin Trio : Moondancer (IGLOO Records IGL 319), 27 novembre 2020

1. Ouverture (3:14) - 2. Slow Motion (5:44) - 3. Blackout (4:43) - 4. Fairy Tale - Lady blue (8:28) - 5. La Nonna (5:38) - 6. Rhodos (5:08) - 7. Moondancer (4:56) - 8. The Night Is Young (8:10)

Julien Tassin (guitare, compositions); Nicolas Thys (contrebasse); Dré Pallemaerts (drums)


Il y a définitivement quelque chose de cinématographique dans la musique de Julien Tassin. Ce qui frappe d'abord, se sont les mélodies aussi simples qu'efficaces comme pouvaient l'être celles d'Ennio Morricone mais aussi de Ry Cooder. Du coup, elles créent des ambiances et font naître images, et c'est volontiers qu'on se met à imagine une histoire qu'elles pourraient accompagner. En plus, les titres s'enchaînent de manière cohérente comme s'ils constituaient une bande sonore originale et complète d'un film qu'on pourrait attribuer à Jim Jarmush ou à Walter Hill. Des bruitages sont même parfois placés en introduction (comme sur The Night Is Young) qui accentuent l'impression de plonger dans un scénario écrit par le leader.

La rythmique est la même que celle de l'album Sweet Tension paru en 2018 : Nic Thys à la contrebasse et Dré pallemaerts à la batterie accompagnent le guitariste en faisant abstraction de toute fioriture inutile et en respectant complètement la vision du leader. Dans une interview à propos de ce disque, Julien résume bien cette impression : "ils ont une culture musicale qui colle à la mienne, la musique américaine, le blues. Ce sont des musiciens qui n'ont pas besoin de surjouer. De plus, ce sont des jazzmen qui peuvent jouer dans n'importe quel contexte."

Une autre référence qui vient vite à l'esprit en écoutant cette musique est Bill Frisell, un guitariste qui mise également beaucoup sur la mélodie et le son plutôt que sur la virtuosité et la technique et qui lui aussi adore réinterpréter à sa manière les bandes originales de films ou en inventer de nouvelles pour des courts-métrages fictifs.

Ce trio dynamique ne vous prend pas la tête : il se contente de vous inviter à rêvasser dans la pénombre à des aventures colorées sous le ciel bleu des grands espaces. Et comment ne pas se laisser entraîner par cette musique fraîche, spontanée et si évocatrice ?

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Moondancer (CD / Digital) ] [ Sweet Tension (CD / Digital) ]
[ A écouter : Moondancer - Blackout ]


MoondancerÉtienne de la Sayette : Kobugi (Muju Records), France, 1er juin 2020

1. Jajinmori (04:56) - 2. Loulou (06:27) - 3. Kobugi King (05:52) - 4. Safari Kamer (05:39) - 5. Anansi (04:19) - 6- Anchi Bale Game (05:06) -7. Bad Bad Bad (05:40) -8. Tortoises (04:25) - 9. War Buisness (04:48)

Étienne de la Sayette (tous instruments: saxophones, flûtes, claviers..., composition sauf 6 par Tegenu Balkew) + Invités : Racecar (voix : 1,9); Erik Aliana (voix : 4); Lansiné Diabaté (balafon : 1); Stefano Lucchini (batterie : 3,5,7,9); Ben Hito (graphisme).


Le musicien multi-instrumentiste Étienne de la Sayette est habitué à présenter des projets divers et variés: de l'éthio-jazz avec le groupe Akalé Wubé à la musique coréenne avec Baeshi Bang (de la "K-Pop" des sixties revisitée), en passant par Frix, le quartet laboratoire, dont le concept est difficile à résumer.

Rien d'étonnant dès lors que son nouvel album soit si surprenant. Le compositeur présente ainsi son projet : "Kobugi rassemble des morceaux créés ces deux dernières années dans des moments de calme, entre les concerts et les périodes de création que j'ai avec différents projets. Je me suis efforcé de jouer la plupart des instruments moi-même, sans jamais utiliser d'instruments virtuels ou MIDI. Tout est joué à la main, moulé à la louche au lait cru." De quoi mettre en appétit tous curieux d'inédits, aussi bien sonores que visuels, l'élégant graphisme - mélange d'iconographies et de mosaïques conçu par Ben Hito - invitant l'auditeur au voyage onirique proposé par Étienne de La Sayette.

Si écrire une chronique consiste à partager l'émotion, l'aventure auditive perçue à la découverte de Kobugi est difficile à cerner par des mots tant l'originalité de chaque morceau est indescriptible. Le premier titre, Jajinmori, annonce la tendance générale de l'album : sur une rythmique traditionnelle coréenne "le Jajinmori", le maître de cérémonie Sam Nash AKA Racecar vient égrener naturellement son vocal de rappeur. La vidéo de Loulou montre l'élaboration du morceau de l'intérieur : une rythmique électronique à laquelle s'ajoute des percussions traditionnelles, puis une ligne mélodique au mbira et au balafon, une pincée de guitare électrique, une nappée de clavier et de saxophone... le tout joué par le seul et unique Étienne de la Sayette.

L'album semble s'être construit par enchantement, partie par partie, avec des styles de musique qui sont rarement mélangés (afrobeat, reggae, pansori, rythmes coréens) pour un résultat sonore réussi où la monotonie n'a pas lieu tant la diversité est riche. Si les mots manquent pour décrire l‘aventure Kobugi, sa découverte, voyage sonore décoiffant, aiguise l'appétit des explorateurs sonores qui se cachent en tout mélomane.

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]

[ Kobugi (CD & Digital) ]
[ A écouter : Loulou ]


Orange MoonOrange Moon : Orange Moon (El Negocito Records), octobre 2020

1. Viscositeit (2:29) - 2. Andante N°2 (4:26) - 3. Moulin Le Retour (4:52) - 4. To The Teachers (4:13) - 5. Last Call (3:10) - 6. Compro (4:36) - 7. Propositions (2:54) - 8. Crystal Baby (4:51) - 9. Let's Dance (1:58) - 10. Tin Tin (4:18) - 11. Caronte (3:26)

Hendrik Lasure (p), Manolo Cabras (cb), Mathieu Calleja (dr)


Sur Viscositeit qui ouvre cet album, la musique d'Orange Moon apparaît d'emblée mystérieuse et évanescente, comme des murmures discrets dont le sens se dérobe à l'écoute la plus attentive. On ressent toute la grâce de ce trio en apesanteur qui crée un univers vaporeux et frémissant, un monde quasi irréel en permanence noyé dans un brouillard qui en dissimule les formes. On pense aussi bien à Erik Satie qu'à Paul Bley (celui d'Open To Love) qui ont fait du silence, de la retenue et d'une approche minimaliste les clefs de voûte de leur art musical respectif. Mais la musique du pianiste Hendrik Lasure, du contrebassiste Manolo Cabras et du batteur Mathieu Calleja évoque aussi d'autres références comme sur To The Teachers où pointe quelques dissonances qu'on remarque à peine tant elles sont adéquatement ancrées dans l'ambiance dématérialisée d'un répertoire qui invite globalement au rêve et à la méditation.

Même la pièce intitulée Let's Dance n'a rien à voir à une invitation pour le dancefloor, sauf si l'on considère la danse comme une gestuelle ample et libératrice permettant de communier avec la nature plutôt qu'avec ses semblables. Sur Tin Tin, le phrasé du pianiste se fait plus volubile, lâchant des clusters de notes expressionnistes qui invoquent la liberté d'un Cecil Taylor (celui d'Indent) que le producteur Manfred Eischer aurait convaincu d'enregistrer pour ECM. Le trio retrouve la sérénité avec Caronte qui clôture le disque ; une sérénité un rien inquiétante quand même avec cette contrebasse en arrière-plan que Manolo Cabras fait grincer et gémir comme une âme en peine.

Orange Moon, le disque, est un projet avec une ligne directrice et une forte identité tandis que le trio qui en est l'auteur a su donner à ces belles mélodies éthérées un charme inhabituel qui perdure longtemps après l'écoute.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Orange Moon sur Bandcamp ] [ Orange Moon sur El Negocito Records ]
[ Orange Moon (CD / Digital) ]
[ A écouter : BK ]


Rêve d'Eléphant Orchestra : Dance DanceRêve d'Eléphant Orchestra : Dance Dance (Igloo Records), 2020

1. BK (4:30) - 2. Papillon (5:25) - 3. Fureur volatile (7:11) - 4. Danse, Danse, Danse (9:21) - 5. La complainte de Bernard (6:13) - 6. Post-scriptum (4:38) - 7. Quarte blanche (7:09) - 8. Stretch in blue (3:43) - 9. Nemo (6:50)

Christian Altehülshorst (trompette, Bugle); Pierre Bernard (flûtes, flûte Basse); Michel Debrulle (batterie, percussions); Nicolas Dechêne (guitare); Louis Frères (basse); Michel Massot (sousaphone, euphonium, trombone); Stephan Pougin (batterie, percussions)


Après Odyssée 14 sorti en 2015, ce compact emballé dans une superbe pochette marque le retour de l'ensemble baptisé Rêve d'Eléphant Orchestra. Un retour qui se caractérise par quelques nouveautés : d'abord, le disque est la première collaboration entre les labels De Werf et Igloo qui se sont associés pour l'éditer et ensuite, le line-up du groupe a changé. Le jeune Christian Altchülshorst s'occupe désormais des parties de trompette tandis que Louis Frères est crédité à la basse électrique. Avec un percussionniste en moins, le groupe reste toutefois un septet toujours emmené par ses membres fondateurs : Pierre Bernard, Michel Debrulle, Michel Massot et Stephan Pougin.

Ainsi revitalisé, REO peut fêter dignement son vingtième anniversaire d'existence (leur premier disque, Racines Du Ciel, est sorti en 2001). Quant à la musique, elle n'a sur le fond guère changé : on y retrouve encore cette exubérance qui a toujours caractérisé leur musique joyeuse, généreuse, libre et souvent imprévisible.

Un répertoire plus varié serait impossible à imaginer vu qu'il y en a ici pour tous les goûts. BK qui ouvre l'album est un hymne bondissant qui devrait servir à ouvrir la reprise de tous les concerts le jour où ce satané virus aura enfin mordu la poussière. Flûte, trompette et trombone ou euphonium (allez savoir !) s'y mêlent dans un ballet dansant aussi coloré qu'un marché africain. Ailleurs, l'éléphant se transforme en Papillon (comme sur les anciennes pochettes d'Osibisa) pour un tour en apesanteur au-dessus de la savane : ça butine de fleur en fleur tandis que la guitare de Nicolas Dechêne dessine des arabesques dans le soleil. Et quand dans Stretch In Blue, le septet attrape le blues, c'est d'avantage celui des origines, rythmé par des tambours africains, que le blues traînant du Mississippi.

On salue l'imaginaire de REO et son approche qui n'excluent aucune forme ni couleur sans pour autant faire l'impasse sur des arrangements qui sonnent aussi précis qu'originaux. Leur instrumentation atypique, l'alternance des climats, la palette élargie des timbres, la cohésion orchestrale et la qualité impressionnante de l'interprétation, sans oublier un mixage intelligent et une production qui rend justice à la profondeur de la musique, constituent autant de crochets qui nous happent dans leur univers insolite, euphorique et agréablement déjanté.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Dance Dance sur Igloo Records ] [ Dance Dance (CD / Digital) ]
[ A écouter : BK ]


Margaux Vranken : PurposeMargaux Vranken : Purpose (Igloo Records), 2020

1. Opening (3:37) - 2. Purpose (5:18) - 3. Fuga In F minor (5:28) - 4. The Ancient Times Of An Unknown City (4:43) - 5. Compo 140 (7:11) - 6. The Ending Of The Book (4:45) - 7. Uplifting (5:49) - 8. Nostalgia (6:15) - 9. Sorrow (3:16) - 10. What A Day (5:25)

Margaux Vranken (piano, arrangements & compositions); Aaron Holthus (basse); Sebastian Kuchczynski (batterie); Lior Tzemach (guitare); Farayi Malek (voix), Ansonia String Quartet + Invités.


En ouverture (Opening) se déploie une musique ample enrobée dans un quatuor à cordes qui en accentue la solennité. Ron Warburg y pose une partie de bugle où la nostalgie se pare des couleurs chaudes d'un feu d'hiver. La double formation, classique et jazz, de Margaux Vranken au Conservatoire de Bruxelles se révèle dans ce morceau comme d'ailleurs sur plusieurs des autres titres du répertoire dont Fuga In F minor et Sorrow en particulier.

Cette musique très écrite aux confins de plusieurs genres m'évoque aussi bien les travaux d'Alexandre Furnelle que ceux d'un Diederik Wissels, ce qui n'est sans doute pas fortuit puisque Margaux Vranken a suivi jadis un stage académique avec le premier tandis que le second est responsable (comme le disait autrefois Miles Davis) de la direction artistique de cet album.

Le répertoire est très varié, en partie parce que la pianiste et compositrice a invité, en plus de sa section rythmique, une douzaine de musiciens, la plupart rencontrés au Berklee College of Music de Boston comme la chanteuse Farayi Malek qui intervient sur cinq plages. Une belle découverte est aussi celle du jeune guitariste israélien Lior Tzemach également inscrit au programme jazz de Berklee sous la direction de Danilo Perez et de John Patittuci. On peut l'entendre ici prendre un beau solo délié et dialoguer avec le piano sur Compo 140 ainsi que sur Uplifting, l'une des compositions les plus franchement jazz de l'album sur laquelle il croise le fer avec le saxophoniste alto Nathan Reising. J'aime beaucoup aussi The Ancient Times Of An Unknown City qui a été inspiré par la musique de Tigran Hamasyan et qui est marqué par une belle partie de basse de Aaron Holthus, un musicien basé à Brooklyn et membre du Oak Trio.

Vu le nombre d'invités américains, ce projet sera difficile à présenter sur scène (surtout à cette époque particulière marquée par la sédentarisation) sinon dans une version différente avec d'autres musiciens. Mais il s'agissait probablement pour Margaux Vranken de rendre compte des expériences qu'elle a vécues aux Etats-Unis tout en faisant le point sur ses connaissances et sa personnalité à ce moment précis de son évolution musicale. Ce bel album très travaillé et soigné nous permet en tout cas de partager la passion d'une artiste qui entame sa carrière sous des auspices bien prometteurs.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Purpose sur Igloo Records ] [ Purpose (CD / Digital) ]
[ A écouter : Uplifting - Purpose (radio edit) ]


Peter Hertmans Quintet : Live at DommelhofPeter Hertmans Quintet : Live at Dommelhof (El Negocito Records) 2020

1. Up-Town (8:48) - 2. Racconti (7:25) - 3. The One Step (11:29) - 4. One Chance (10:17) - 5. Merci Philip (14:21) - 6. Is That You? (5:29)

Peter Hertmans (guitare); Steven Delannoye (saxophone tenor); Nicola Andrioli (piano); Jos Machtel (contrebasse); Marek Patrman (drums). Enregistré live par Piet Vermonden le 18 octobre 2012 au Dommelhof, Pelt.


En octobre 2012, Peter Hertmans, à la tête d'un quintet, fut invité à se produire dans le beau domaine de Dommelhof dans la province du Limbourg et, par chance, le concert fut enregistré et est maintenant édité, huit années plus tard, par le label El Negocito. De toutes façons, cette musique ne se démode pas et sonne aussi fraîche aujourd'hui qu'elle l'était le soir du concert.

Le répertoire comprend une composition de Nicola Andrioli, Racconti, sur laquelle le pianiste dévoile déjà un lyrisme naturel qu'il aura l'occasion d'approfondir plus tard sur ses productions personnelles. Deux autres pièces ont été écrites par le saxophoniste Steven Delannoye. La première, Up-Town, qui ouvre l'album est un bop moderne qui permet au quintet de réchauffer l'atmosphère : après le thème exposé au ténor, les solos de piano, de guitare, de saxophone et finalement de contrebasse se succèdent sur un rythme efficace assuré par le tandem Jos Machtel / Marek Patrman. La seconde, One Chance, sonne comme une lamentation délivrée dans le silence d'un public respectueux. On en profitera pour souligner la qualité de cet enregistrement dont le son chaleureux flatte les oreilles de l'auditeur.

Les trois dernières compositions sont de Peter Hertmans. On épinglera le splendide Merci Philip, sans doute un hommage à Philip Catherine, qui figurait sur l'album Cadences du guitariste sorti en 2007 sur Mogno. Le leader y délivre une improvisation élégante qui séduit par ses qualités mélodiques mais aussi la fluidité de son phrasé, son enveloppe sonore et sa dynamique exceptionnelle. En ce qui concerne les deux autre titres, The One Step figurait également sur Cadences tandis que Is That You? est repris de l'album The Other Side, enregistré initialement en trio et paru en 2004 chez Quetzal Records. L'écouter dans ce contexte, réarrangé pour un quintet, est un vrai régal.

Ce disque qui est le témoignage d'un moment live exceptionnel est en soi un sacré album qui ravira tout fan de jazz surtout en cette période difficile où les concerts sont devenus très rares, voire impossibles. Faites-vous plaisir !

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Peter Hertmans et El Negocito Records sur Bandcamp ] [ Live at Dommelhof (CD / Digital) ]


LOIRaf Vertessen Quartet : LOI (El Negocito Records), 2 octobre 2020

1. LOI (5:26) - 2. #1 (4:35) - 3. #4 (7:22) - 4. Layers (6:35) - 5. #14 (4:23) - 6. FAKE 3:7 (6:56) - 7. IRR(1) & #3 (7:52) - 8. Cardinali 2+3 (8:09) - 9. #2 (9:49)

Anna Webber (sax tenor); Adam O' Farrill (trompette); Nick Dunston (basse); Raf Vertessen (drums). Enregistré en septembre 2018 par Christian Heck au Loft, Cologne, Allemagne. Mixé par Jaimie Branch.


Le batteur belge Raf Vertessen s'est installé à Brooklyn en 2016. Il s'est ainsi déplacé au cœur d'une ville où bouillonne encore un jazz d'avant-garde qu'on pratique finalement assez peu sous d'autres cieux. Il y a rapidement tissé des liens avec des musiciens du cru comme le guitariste Joe Morris, le saxophoniste Joe McPhee et le percussionniste Ches Smith. Avec son quartet, il vient de sortir son premier album, disponible sur la plateforme Bandcamp, qui est édité par El Negocito. Basé à Ghent, ce label spécialisé dans le jazz improvisé et ouvert sur toutes les expériences laisse une totale liberté aux musiciens qui peuvent y exprimer toutes leurs idées sans aucune contrainte.

Les intitulés cryptés ne donnent guère d'indications sur ce que renferment les morceaux et c'est à l'écoute qu'il faut se forger une idée de la musique du quartet. Le batteur y joue en compagnie de trois musiciens habitués de la scène new-yorkaise : le trompettiste Adam O'Farrill, le saxophoniste ténor Anna Webber et le bassiste Nick Dunston. Inspirée par la new-thing des années 60 et par les courants modernes qui en sont dérivés, cette musique qui s'affranchit des définitions du jazz mise tout sur l'improvisation et sur l'absence d'hiérarchie entre les musiciens. Le résultat est donc non seulement imprévisible mais il peut constamment varier en fonction de la direction collective que peut prendre le groupe. Les ambiances sont ainsi multiples passant, parois au sein d'un même titre, d'orgies sonores à des sections qui apparaissent plus structurées.

On peut appréhender cette musique sur plusieurs plans mais le mieux est de se laisser emporter par le torrent d'idées qui vont et viennent au gré des interventions qui privilégient l'instant, l'immédiat, le provisoire. L'énergie brute y côtoie l'incantation et le mystère. Comme sur la pochette du peintre cubain Hery Paz (également saxophoniste) ou dans un tableau de Jackson Pollock, les couleurs et les lignes directrices se croisent dans une totale abstraction mais il n'empêche que cette expression au-delà du langage conventionnel fait naître des émotions éphémères qui se chevauchent au grès des sons en perpétuel mouvement.

En définitive, cette musique est comme la vie : elle vibre, elle mute, elle se révolte, meurt et se régénère pour évoluer vers un but qui n'est jamais clairement défini.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Raf Vertessen et El Negocito Records sur Bandcamp ]


KaléïdoscopesKaléïdoscopes (Red Box Trib), 21 octobre 2020

1. Ultima Passeggiata (5:52) - 2. Espace-temps (3:19) - 3. Sale Affaire (4:30) - 4. Coumaya (4:25) - 5. Chopin Prélude n°20 en do min (5:40) - 6. Les Flocons (4:44) - 7. Silence (5:03) - 8. Chorégraphie - (5:19) - 9. Alizés (4:44)

Alexandre Furnelle (contrebasse); Daniel Stokart (saxophone soprano); Nicolas Draps (violon); Laurence Genevois (violon alto); Thomas Engelen (violoncelle). Enregistré par Peter Hertmans en janvier 2020 à la Chapelle de Taviers.


Voilà ce qu'on peut raisonnablement appeler du jazz de chambre, soit une musique acoustique jouée par un petit ensemble (quintet) dans lequel les cordes sont prédominantes et où les interactions de groupe sont primordiales. Le premier titre, Ultima Passeggiata, s'inscrit d'emblée dans cette approche avec une attitude calme et sereine héritée de la musique classique occidentale. Toutefois, les pièces qui suivent laissent aussi entendre d'autres influences : ambient, musique zen et apaisante, mais aussi, comme dans Chorégraphie, des nappes de sons et des rythmes hypnotiques qui évoquent certains compositeurs et orchestres de musique contemporaine. Globalement, l'ensemble du répertoire apparaît ainsi plus varié et donc aussi plus captivant que ce qu'on pourrait imaginer à l'écoute du seul premier morceau.

La contrebasse d'Alexandre Furnelle, qui est le compositeur de 5 des 9 titres du disque, est au cœur de la musique, enrichissant les textures, accompagnant ou délivrant des improvisations courtes mais toujours inspirées comme sur Sale Affaire (à partir de 1:25), sur le Prélude de Chopin (3:38) ou sur Silence (2:25). Au saxophone soprano, Daniel Stokart est le complice idéal. Non seulement, il connaît bien Alexandre Furnelle pour avoir participé à ses anciens albums (Le Chant Des Sirènes, Views Of Xela, Different Kinds Of Blue) mais sa sensibilité le porte à jouer ces miniatures délicates auxquelles il apporte de belles couleurs. Il est par ailleurs le compositeur des deux autres morceaux originaux du programme dont le splendide Les Flocons qui évoque si bien la lenteur des cristaux blancs tombant lentement sur la terre. Enfin, il ne faudrait pas oublier le trio de cordes qui, en l'absence de rythmique, constitue le cœur battant de cette musique parfois mouvementée et parfois évanescente.

Il convient d'aborder ce disque avec une grande ouverture d'esprit car il vous emmène souvent sur des chemins inusités. Mais au bout de l'écoute, la sensation d'avoir fait un voyage inédit vous récompensera à coup sûr d'un supplément d'âme.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Kaléïdoscopes sur Bandcamp ] [ Alexandre Furnelle sur Soundcloud ]
[ A écouter : Coumaya - Chopin Prélude n°20 en Do min ]


WaterworksGaël Rouilhac : Waterworks (Laborie Jazz), 25 septembre 2020

1. Cap cod (8'15) - 2. Diamant rouge (6'10) - 3. Home (6'02) - 4. La Montagne verte (4'45) - 5. La Valse des Parachutistes belges (4'20) - 6. Times flies (5'16) - 7. Solo (2'44) - 8. Mood (4'02) - 9. Un Point c'est tout (3'59) - 10. Ca c'est l'enfer mon frère (5'49)

Gaël Rouilhac (guitare, compositions); Caroline Bugala (violon); Roberto Gervasi (accordéon). Enregistré par Dominique & Johann Boos au Studio Ouï-Dire.


Gaël Rouilhac a enregistré son premier album en trio en compagnie de la violoniste Caroline Bugala et de l'accordéoniste sicilien Roberto Gervasi. Originaire du Limousin, ce guitariste au départ orienté vers le jazz manouche joue aujourd'hui une musique éclectique qui s'abreuve à divers styles même si l'influence de Django et des siens reste toujours patente. Avec ce trio créé en 2015, il propose ici 10 nouvelles compositions pourvues de mélodies attrayantes qui révèlent une grande fraîcheur d'inspiration et une belle joie de vivre.

En anglais, le mot Waterworks ne se réfère pas qu'à un service des eaux, il signifie aussi pleurer abondamment, se vider de ses larmes. C'est un titre choisi dans ce cas particulier pour évoquer la libération des émotions, leur écoulement sans retenue de l'intérieur. Cape Cop débute le programme par un moment de nostalgie. En l'absence de section rythmique, c'est la guitare qui marque le tempo tandis que s'envole le violon dans une improvisation lyrique de toute beauté. C'est ensuite à Gaël Rouilhac d'exposer son solo sur le rythme de l'accordéon. Ces trois-là s'entendent bien : ça joue et ça s'échange continuellement pour délivrer en finale une musique vivante et chatoyante.

Le répertoire, qui déboule telle une eau vive et miroitante, est varié ce qui entraîne un voyage des plus passionnants. Depuis Un Point C'est Tout sur lequel plane l'ombre d'un certain Django à Time Flies avec son solo de guitare époustouflant, en passant par la Valse endiablée des Parachutistes Belges en goguette et un Mood qui, comme son nom l'indique, est plus relax et atmosphérique, on va de surprise en surprise, d'émotion en émotion, de paysage pastel en feu d'artifice coloré. On appréciera aussi la jolie composition interprétée par le leader en solo à la guitare : technique et sensibilité s'y marient avec bonheur.

Waterworks est un premier essai réussi qui, on n'en doute pas, saura toucher le cœur des mélomanes les plus exigeants.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Waterworks (CD / Digital) ]
[ A écouter : Home ]


Phil Abraham : Beauty FirstPhil Abraham Quartet : Beauty First (Autoproduction), 2020

1. I'll Remember April (7:15) - 2. Charlie Et Le Pam (4:49) - 3. Watermelon Man (8:44) - 4. Vals Para Mani (5:46) - 5. New Orleans Comphilation (6:22) - 6. Esquisse (6:33) - 7. Up Jumped Spring (6:35) - 8. Faut Voir (7:10)

Phil Abraham (trombone), Fabien Degryse (guitare), Sal La Rocca (contrebasse), Thomas Grimmonprez (drums). Enregistré les 30 et 31 mai 2019 au Studio Pyramide, Beersel, Belgique.


Agrémenté d'une belle pochette, ce nouveau disque du tromboniste Phil Abraham est une autoproduction, un choix délibéré de son auteur qui a ainsi opté pour une totale liberté artistique. Beauty First a été enregistré en quartet avec trois vétérans de la scène jazz : le guitariste Fabien Degryse, le contrebassiste Sal La Rocca et le batteur français Thomas Grimmonprez. Comprenant huit titres, dont cinq de la plume du leader, le répertoire affiche une belle diversité, chaque morceau ayant son style propre.

Prenez Watermelon Man par exemple, ce titre culte de Herbie Hancock, inspiré par le rythme des carrioles des vendeurs ambulants de pastèques, est ici interprété dans une approche totalement différente de l'original : plus lente, plus bluesy, plus noire, plus moite, la mélodie s'étire sur une basse indolente en évoquant plutôt la déambulation nocturne d'un marcheur solitaire. Ce qu'on perd en exotisme, on le gagne en trouble et en mystère, celui d'une jungle urbaine peuplée par des bruits mystérieux modulés par le trombone. Cette volonté d'expérimenter tout en suggérant des images est poursuivie sur le standard I'll Remember April qui se voit lui-aussi doté d'un arrangement très original avec, en introduction, des effets imitant les cris des animaux qui sont intégrés avec cohérence dans le reste de l'expression artistique. C'est inattendu mais frais et totalement jouissif. Et l'interaction entre la guitare et le trombone, joué avec une belle maîtrise de l'intonation, est une pure délectation.

Les compositions originales ont aussi des histoires à raconter. Comme ce sympathique New Orleans Comphilation qui vogue sur la tradition tel un orchestre de parade dans le Faubourg Tremé. Vals Para Mani est un titre plus classique mais plein d'émotion avec un trombone mélancolique qui s'épanche sur un bel accompagnement de guitare. Quant à Faut Voir, autre ballade au tempo ralenti qui clôture le disque, elle est l'occasion pour Phil Abraham de rappeler quel musicien émérite il est : triturant la mélodie qu'il a inventée et tournant autour jusqu'à épuisement des possibilités, le tromboniste, bien épaulé par des complices, délivre un morceau atmosphérique qui nous laisse, une fois la dernière note éteinte, sur une impression de totale apesanteur.

Beauty First réussit l'exploit d'être à la fois classique, moderne et divertissant : ce n'est pas rien !

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Beauty First sur le site de Phil Abraham ]
[ Acheter Beauty First sur Amazon ]
[ A écouter : Beauty First (Teaser) - Watermelon Man ]


MutationLes Frères Smith : Mutation (Amour & Son / distribution: L'autre distribution), France, 22 mai 2020.

1. No Talk Talk (6:00) – 2.Histoires De Dingue (5:50) - 3.No Waiting Seun Kuti (5:26) – 4.Mutation (7:20) -5. Arouahhh ABDUL & THE GANG (5:59) – 6. Sittin' In The Dark (6:10) – 7.Empty Belly (6:09) – 8. Ekolo Assiko (4:10)

Swala Emati Smith (chant); Prosper Smith (chant); Manu Smith (claviers); Tahiry Smith (basse électrique); Mario Smith (batterie); Mahop Smith (guitare); Damien Smith (percussions); Roulio Smith (trompette); Fab Smith (saxophone ténor); Saké Smith (saxophone baryton); Reno Smith (saxophone alto, flûte peul tambin (5)). Invités: Seun Anikulapo Kuti (chant et écriture : 8); Abdul (chant : 5). Enregistré au Wise Studio à Ris-orangis (France), sauf 8 enregistré au StudiO'Feels à Paris (France).


L'aide d'un généticien semble indispensable pour chroniquer et comprendre le troisième album des Frères Smith. En effet, le titre de leur nouvelle création est Mutation, ce terme semble être synonyme de changement, mais l'homme de science nous donne une définition bien plus précise: une mutation, est une altération du matériel génétique d'une cellule ou d'un virus entraînant une modification durable de certains caractères, par transmission héréditaire de ce matériel génétique de génération en génération. Voici des informations certes forts intéressantes, mais aident-elles pour autant à apprécier l'album des spécialistes de l'afrobeat parisien ?

Pour un groupe qui se nomme les frères Smith, les notions d'hérédité tombent à propos. A y regarder de plus près, le groupe est composé d'onze frères, de sang ou assimilés, et d'une sœur, Swala Emati. Cette dernière dit à ce sujet comme je suis un frère, les onze sont aussi des sœurs., remarque qui plaît à Fab Smith, fondateur du groupe il y a plus de vingt ans. Les scientifiques définissent une mutation comme une modification durable : est-ce que le nouvel album annonce une modification du groupe ? Il ne me semble pas: les compositions et l'interprétation sont toujours de grande qualité et, depuis sa création, l'ensemble est resté dans la même fondation, fidèle à l'afrobeat de Fela Kuti dont le fils Seun Anikulapo Kuti a écrit les paroles de No Waiting. Sur une très belle introduction à la basse de Tahiry Smith, rejoint par des riffs de cuivres percutants, le fils du célèbre artiste engagé nigérian commence par Seun Kuti, mon frère Smith, if you change my people say no waiting, no waiting (Si vous changez mon peuple, dites plus d'attente, plus d'attente). Ce morceau a obtenu le prix du meilleur audio au concours de l'Unesco « Don't Go Viral. »

La mutation clamée par les Frères Smith est un changement de l'humanité: Seun Kuti say the train of life is ready (Seun Kuti dit le train de la vie est prêt). Ce message est scandé également dans Histoires De Dingue, Prosper Smith chante Oui!!! Le muselage du peuple n'affectera jamais sa liberté de pensée. Oui!!! Monsieur le juge, Les Frères Smith vous diront la vérité. Rien que la vérité.

Le CAC 40 fête ses dividendes. La vente des armes toujours fructueuse... C'est le braquage du sous-sol des pays pauvres. Ce message de vérité permettra-t-il une mutation de l'humain ? Le 6 juillet 2020, sur RFI dans l'émission « On Est De Sortie », la journaliste Laurence Aloir demanda à Fab Smith: est-ce qu'une musique ou un texte peut modifier le cours de l'histoire ? Le musicien lui répondit: il en est témoin, c'est la mémoire qui choisira s'il fait pierre angulaire.

Témoigner est indispensable dans le domaine judiciaire car c'est une action qui exprime et fait apparaître, comme le chantent Swala Eamti Smith et Prosper Smith dans Ekolo Assiko: Toujours plus loin, Toujours plus fort, Nous ferons attendre nos voix pour que demain soit plein d'espoir. Ce témoignage est l'action initiatrice de la mutation proposée par Les Frères Smith.

A propos, comment se fait-il que les onze musiciens s'appellent Smith ? La réponse est donnée par le manager du groupe, Renaud d'Oclockprod: Le concept même de ce projet est d'être constitué en collectif, et même plus, une fratrie avec un esprit de famille, celui de la famille Smith... Du coup le nom de « Frères Smith » est apparu comme une évidence pour nous. Et pour aller plus loin, devront et seront "Smith" toutes les personnes que l'on croisera sur notre chemin ou qui auront participé ou soutenu le projet.

Peut-être que la première preuve de la mutation clamée à poing levé par le groupe est le changement de leur nom de famille, en principe un caractère héréditaire ? Cela semble en tout cas avoir fonctionné !

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]

[ Mutation (CD / Digital) ] [ Les Frères Smith sur Bandcamp ]
[ A écouter : Ekolo Assiko - No Waiting (feat. Seun Kuti) ]


On The Tender Spot Of Every Calloused MomentAmbrose Akinmusire : On The Tender Spot Of Every Calloused Moment (Blue Note) 2020

1. Tide of Hyacinth (8 :20) - 2. Yessss (5 :45) - 3. Cynical Sideliners (2 :21) - 4. Mr. Roscoe (Consider The Simultaneous) (5 :58) - 5. An Interlude (That Get' More Intense) (6 :38) - 6. Reset (Quiet Victories & Celebrated Defeats) (3 :25) - 7. Moon (The Return Amplifies The Unity) (3 :44) - 8. 4623 (0 :32) - 9. Roy (2 :41) - 10. Blues (We Measure The Heart With A Fist) (5 :30) - 11. Hooded Procession (Read The Names Out Loud) (3 :18).

Ambrose Akinmusire (trompette, Fender Rhodes); Sam Harris (piano, synthétiseurs); Harish Raghavan (contrebasse); Justin Brown (batterie); Jesus Diaz (voix, percussions); Genevieve Artadi (voix).


Cela fait plus de dix ans que Ambrose Akinmusire marque de son empreinte la scène jazz. A chaque album, six en dix ans dont un superbe enregistrement public (A Rift In Decorum : Live At The Village Vanguard, 2017), il le confirme un peu plus. Son dernier opus, On The Tender Spot Of Every Calloused Moment, ne déroge pas à la règle.

Ambrose Akinmusire est, il faut le souligner d'emblée, un immense trompettiste. A l'instar des géants qui ont donné à cet instrument emblématique du jazz ses lettres de noblesse (et dont on taira les noms pour n'en oublier aucun), il est immédiatement reconnaissable par cette faculté à s'imposer par un son, un souffle et une inflexion qui n'appartiennent qu'à lui. Véritable bâtisseur, il est de ces musiciens qui construisent des ponts entre ce qui a fait la grande histoire du jazz (ses hommages à Roy Hardgrove sur la magnifique composition sobrement intitulé Roy et à Roscoe Mitchell sur le titre très expressif Mr Roscoe (Consider The Simultaneous) le démontrent de belle manière) et une modernité qui s'inscrit dans une forme d'exigence caractérisée à la fois par un engagement pour les combats sociétaux qui marquent profondément l'Amérique (et également notre vieille Europe) : la lutte contre le racisme, les violences policières, l'injustice et l'exclusion sociales, ainsi que par un refus des catégories et des cloisonnements musicaux. C'est finalement une quête vers la liberté que poursuit inlassablement Ambrose Akinmusire, qui, on ne le dira jamais assez, s'affirme comme un des musiciens majeurs de sa génération. En cela, On The Tender Spot Of Every Calloused Moment est le reflet de tous les facettes du musicien et de l'artiste qu'il est.

On The Tender Spot Of Every Calloused Moment, un album qui s'écoute inlassablement. Dès le premier titre Tide Of Hyacinth, on se convainc que le collectif qui entoure le trompettiste - et c'est à dessein que j'utilise le terme collectif - nous réserve le meilleur. Le talent, la créativité et un sens hors du commun de la construction sont au rendez-vous. Certes, on ne peut pas être surpris quand on connait la qualité de tous ces musiciens qu'on se doit de citer : Sam Harris au piano, Justin Brown à la batterie et Harish Raghavan à la contrebasse, ces mêmes musiciens qu'on retrouve sur l'album A Rift In Decorum : Live At The Village Vanguard précédemment cité.

Pour ne pas déroger à ses habitudes Ambrose Akinmusire nous réserve quelques surprises : une magnifique intervention chantée en Yoruba (une des langues du Nigeria, pays d'origine du trompettiste) par Jesus Diaz sur Tide Of Hyacinth ; un titre entièrement chanté par Genevieve Artadi (chanteuse étasunienne qui devrait faire sans doute parler d'elle dans les mois à venir : à écouter son dernier simple Hot Mess), accompagnée au seul Fender Rhodes par le leader ; Hooded, fond musical d'une procession que rythme avec une lenteur tout voulue Ambrose Akinmusire aux sons des cloches et du Fender Rhodes, hommage quasi silencieux aux victimes anonymes des violences policières et racistes dont le nom devrait être scandé à haute voix. Personnellement, je mets en exergue Yess et Blues (We Measure The Heart With A Fist) deux titres poignants qui cristallisent toute l'émotion qu'Ambrose Akinmusire peut générer, un souffle instrumental d'une intensité telle qu'on ne peut rester indifférent. C'est tout cette émotion qu'on retrouvait déjà sur un de ses premiers albums solos, When The Heart Emerges Glistening, album chroniqué dans cette même rubrique et qui nous avait déjà inspiré ces mots : ... Et ce n'est pas le moindre talent d'Ambrose Akinmusire de nous proposer de tels moments qui démontrent que la musique interprétée avec passion est un moyen d'expression à la fois unique et complexe qui peut nous connecter avec une autre part de nous-mêmes.

[ Chronique d'Albert Drion ]

[ On The Tender Spot of Every Calloused Moment (CD / Digital) ] [ When Heart Emerges Glistening (CD / Digital) ]
[ A écouter : Yessss ]


Iron StarletAshley Henry : Beautiful Vinyl Hunter (Sony Music) 2019

1. Star Child (4:19) – 2. Realisations (6:10) – 3. Between The Lines (4:47) – 4. Introspection (5:05) – 5. Colors (4:29) – 6. Cranes (In The Sky ) (5:50) – 7. I Still Believe (5:40) – 8. Ellipsis (Interlude) (1:09) 9. Sunrise (5:08) – 10. Dark Honey (4TheStorm) – (5:49) – 11. Pressure (4:41) – 12. Ahmed (4:28) – 13. Lullaby (Rise & Shine) (3:57) – 14. Battle (4:35) – 15. The Mighty (3:31)

Ashley Henry (piano, orgue électrique); Judi Jackson, Sparkz, Joshua Idehen, Milton Suggs, Sahra Zoe Ahmed Gure (voix); Binker Golding (saxophone); Dylan Jones, Theo Croker, Keyon Harrold, James Copus, Jaimie Branch (trompette); Artie Zaitz (guitare); Dan Casimir, Ferg Ireland, Ben Marc (basse); Ernesto Marichales (percussions); Eddie Hick, Luke Flowers, Marijus Aleska, Makaya McCraven, Moses Boyd (batterie).


Il serait vain de vouloir citer le nom de tous les musiciens qui dynamisent une scène jazz anglaise qui ne cesse de nous surprendre et de nous émerveiller depuis quelques années. On retrouve bon nombre d'entre eux sur Beautiful Vinyl Hunter du jeune pianiste Ashley Henry qui nous livre un premier album d'une richesse peu commune. Ne serait-ce que si on se réfère aux styles musicaux qu'aborde le leader et producteur de l'album, et ce, avec une égale aisance et un talent indubitable : rap, hip hop, soul, jazz, et quelques effluves d'électro-pop. Richesse également si on considère la multiplicité des musiciens qui ont collaboré à la réalisation de l'album. On pourra, pour notre part, souligner l'apport significatif de la chanteuse Judi Jackson, du chanteur Milton Suggs, du ou de la trompettiste, Theo Croker et Jamie Branch, du saxophoniste Binker Golding, des batteurs, Makaya McCraven et Moses Boyd, etc. Enfin, richesse si on considère que l'album ne comporte pas moins de quinze titres dont un seul fait moins de trois minutes.

Il est indéniable qu'Ashley Henry à l'instar de tous ces jeunes compères anglais s'évertue à bousculer les genres mais sa présence au piano et aux claviers irrigue de belle manière tout l'album et constitue en soi un fil conducteur. Difficile devant un tel foisonnement musical d'épingler quelques titres de l'album. On peut néanmoins relever le très beau I still Believe, titre d'un classicisme affirmé, avec la très belle partie vocale assurée par le chanteur instrumentiste Miltonj Suggs avec une voix chaude au placement impeccable ; Sunrise Et Ahmed où tout le talent d'Ashey Henry au piano s'exprime et qui nous autorise à évoquer la proximité du jeune pianiste anglais avec Robert Glasper, avec qui Ashey Henry partage son ancrage dans la Black Great Music ; Star Child avec ses accents soul et la très belle interprétation de Judi Jackson qu'on retrouve également sur le surprenant et attachant Lullaby, tendre et léger avec en toile fond le son feutré de la trompette de Theo Croker ; Dark Honey, morceau qui met en avant le sens inné de la pulsation du batteur Makaya McCrave ; le sautillant et étonnant Cranes qui rompt étrangement avec le titre précédent Colors, du hip hop pur jus au final quelque peu brutal ; et enfin l'irrésistible Battle dans lequel s'exprime toute la maestria de Binker Golding and Moses Boyd (Binker et Moses).

Bref tout auditeur devrait trouver son bonheur à l'écoute de Beautiful Vinyl Hunter qui, il faut le souligner, est loin d'être un patchwork mais est le résultat d'une démarche cohérente répondant à une volonté du leader de ne pas s'enfermer dans des schémas préétablis mais plutôt à celle de puiser son inspiration dans des collaborations plus qu'heureusement fécondes.

[ Chronique d'Albert Drion ]

[ Beautiful Vinyl Hunter (CD / Digital) ]
[ A écouter : Between the Lines - The Mighty ]


Hermia Ceccaldi Darrifourcq : Kaiju Eats CheeseburgersHermia Ceccaldi Darrifourcq : Kaiju Eats Cheeseburgers (Indépendant), septembre 2020

1. Ma-Rie Antoi-Nette (10:23) - 2. Kaiju Eats Cheeseburgers (7:47); 3. Disruption (12:51); 4. Charbon (5:11); 5. Collapse In Sportswear (5:49)

Manuel Hermia (ts, as, ss), Valentin Ceccaldi (violoncelle), Sylvain Darrifourcq (drums, percussions). Enregistré en octobre 2019 au Studio Daft, Belgique.


Ce trio est né d'une rencontre dans un festival français entre le violoncelliste français Valentin Ceccaldi et le saxophoniste belge Manuel Hermia. Après s'être adjoint le batteur Sylvain Darrifourcq, le nouveau trio a enregistré un disque en 2013, God At The Casino, qui est sorti deux années plus tard sur le label anglais Babel. Les revoici avec un deuxième essai au nom étrange, Kaiju Eats Cheeseburgers, qui développe leur approche musicale commune pour le moins originale.

Le premier morceau donne le ton : un rock explosif qui m'évoque l'esprit de l'école R.I.O. d'Univers Zero par ses dissonances d'abord, mais aussi par le riche alliage de ses sonorités auquel succède, dans un grand écart, une longue plainte portée par un motif de basse qui va en accélérant comme une locomotive. Alors que le trio prend sa vitesse de croisière, le souffleur fait naître des paysages surréalistes qui se succèdent en rafale jusqu'à l'extinction des moteurs. Cette pièce fort bien agencée entre rock, jazz et orchestre de chambre a beau multiplier les incursions dans l'atonalité, elle n'en est pas moins aussi fascinante qu'une peinture expressionniste abstraite dont le propos est d'inviter chacun à trouver ce qu'il porte déjà en lui.

Les autres pièces du répertoire donnent libre cours à la fantaisie des trois musiciens en reprenant plus ou moins la même recette : explorer dans des investigations sonores, parfois "ambient" et minimalistes et parfois extrêmes et intenses, les forces chtoniennes qui se cachent sous les mélodies et les harmonies. De ces bruissements qui se transforment à l'occasion en fureur naît une poésie qui ne sera toutefois accessible qu'à ceux qui accepteront d'abandonner leurs repères pour s'engager sur des chemins obscurs et incertains. Les autres pourront toujours se délecter de l'expression libertaire de ces trois musiciens audacieux, de leurs étranges ostinatos, de leurs rythmes obsessionnels et de leur intense dynamique partagée. Comme il existait autrefois des cultes à mystères, Kaiju Eats Cheeseburgers est un disque à mystères !

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Hermia Ceccaldi Darrifourcq sur le site de Manuel Hermia ]
[ A écouter : Hermia Ceccaldi Darrifourcq live at Tampere Jazz festival, 2019 ]


Le MétèqueL'Ame des Poètes : Le Métèque (Igloo IGL 312), 12 juin 2020

1. Le Métèque (5:46) - 2. La Complainte Du Phoque En Alaska (5:26) - 3. La Bicyclette (4:56) - 4. Dans Mon Île (5:01) - 5. J'ai Deux Amours (5:31) - 6. T'as Beau Pas Être Beau (5:33) - 7. La Mamma (6:35) - 8. Bruxelles (5:24) - 9. Guaglione (4:49) - 10. Marie-Jeanne (Ode To Billie Joe) (5:33) - 11. Le Galérien / Le Chant Des Partisans (6:15)

Pierre Vaiana (sax soprano); Fabien Degryse (guitare acoustique); Jean-Louis Rassinfosse (contrebasse)


Après plus de 25 ans, l'Âme des Poètes joue encore quasiment dans sa configuration originale (le guitariste Fabien Degryse ayant succédé à Pierre Van Dormael dès le second album). A l'instar de leurs dernières productions, ce huitième disque est également conçu autour d'un thème unique, ici sans doute inspiré par la crise des migrants. Plus spécifiquement, le trio a voulu mettre en évidence la contribution d'artistes de cultures et d'origines différentes au patrimoine de la chanson francophone. Un sujet qui a évidemment une résonance sociale, certes subtile mais qui n'échappera quand même à personne. Et pour bien marquer ce point, l'album a été nommé Le Métèqued'après la célèbre chanson de George Moustaki tandis que sa pochette a été réalisée par un artiste congolais que tous ceux qui sont un jour passés par Kinshasa ou Kisangani connaissent bien : le talentueux Barly Baruti, ancien décorateur du film La Vie Est Belle, auteur de bandes dessinées, et créateur de la revue congolaise Afro BD.

Onze chansons, empruntées à Georges Moustaki, Yves Montand, Henri Salvador, Joséphine Baker, Louis Chedid, Charles Aznavour, Dick Annegarn, Dalida, Joe Dassin, Léo Ferré et Beau Dommage, ont donc été sélectionnées pour ce répertoire. Comme d'habitude, le trio en donne des versions instrumentales où, après l'exposé du thème, elles sont enrichies d'improvisations jazz. Certaines sont nostalgiques (Le Métèque), d'autres énergiques (La Bicyclette), d'autres encore simplement fraîches comme l'eau vive (J'ai Deux Amours). Toutes rappellent des mélodies qu'on a jadis entendues à la radio et, pour la plupart d'entre elles, sifflées en chemin.

En célébrant ainsi la diversité dans une approche aussi simple que conviviale, Le Métèque est non seulement un album agréable à écouter, mais c'est aussi une œuvre salutaire pour le genre humain à une époque dite mondialiste où les communautarismes culturels, ethniques, religieux ou sociaux sont toujours exacerbés et où le spectre du racisme n'en finit pas de ressurgir.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Le Métèque (CD / Digital) ] [ Le Métèque sur Igloo Records ]
[ A écouter : Marie-Jeanne (Ode to Billie Joe) ]


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