Jazz & Fusion : Sélection 2020 (1er Semestre)





Retrouvez sur cette page une sélection des grands compacts, nouveautés ou rééditions, qui font l'actualité. Dans l'abondance des productions actuelles à travers lesquelles il devient de plus en plus difficile de se faufiler, les disques présentés ici ne sont peut-être pas les meilleurs mais, pour des amateurs de jazz et de fusion, ils constituent assurément des compagnons parfaits du plaisir et peuvent illuminer un mois, une année, voire une vie entière.

A noter : les nouveautés en jazz belge font l'objet d'une page spéciale.


Iron StarletConnie Han : Iron Starlet (Mack Avenue), 2020

1. Iron Starlet (4 :00) ; 2. Nova (7 :45) ; 3. Mr. Dominator (7 :32) ; 4. For the O.G. 6 :48) ; 5. Hello to The Wind (6 :45) ; 6. Detour Ahead (6 :13) ; 7. Captain's Song (5 :23) ; 8. Boy Toy (4 :53) ; 9. The Forsaken 8 :02) ; 10. Dark Chambers (5 :40)

Connie Han (piano et Fender Rhodes); Bill Wysaske (batterie); Ivan Taylor (contrebasse); Jeremy Pelt (trompette); Walter Smith III (saxophone tenor)


Difficile de passer sous silence la pochette de Iron Starlet de Connie Han, peu conventionnelle dans le milieu du jazz : Connie Han joue sur son physique et affiche sans complexe une tenue des plus sexy. Mais laissons là ces réflexions et concentrons-nous plutôt sur le deuxième album de la jeune pianiste de 24 ans que l'on doit, tout comme le premier, au label Mack Avenue.

Dès les premières notes, on ne peut qu'être conquis. Connie Han est une véritable musicienne, pianiste et compositrice d'un talent indéniable et qui s'exprime sans réserve sur les dix titres de l'album dont la moitié de sa plume. Et très vite, on découvre une pianiste dont le jeu à fois percussif et d'un lyrisme affirmé révèle une réelle puissance d'évocation qui n'est pas sans rappeler feu Mc Coy Tyner. Mais il serait erroné de s'arrêter à cette référence. Connie Han a de la personnalité à revendre. Ainsi, elle donne de Detour Ahead, un standard popularisé par Ella Fitzgerald et Billie Holiday, une version qui restitue à merveille la connotation blues de la mélodie et dont l'introduction tout en finesse vaut le détour. On retrouve également des accents bluesy sur Mr. Dominator et le nostalgique The Forsaken où Connie Han extériorise sans complexe une virtuosité qui constitue de toute évidence sa marque de fabrique. C'est dire si la musicienne n'hésite pas à plonger dans ce qui constitue l'essence même du jazz, jusque dans ses racines les plus profondes. Mais son talent et toute sa modernité s'expriment également au Fender Rhodes sur Hello To The Wind et sur Nova, ce dernier titre permettant d'apprécier toute la fluidité du jeu de Connie Han.

Un deuxième album donc pour une jeune pianiste qui peut se targuer déjà d'une collaboration avec des musiciens à la réputation bien affirmée : Jeremy Pelt et Walter Smith III présents ensemble ou individuellement sur six titres de l'album.

Iron Starlet doit beaucoup au musicien-arrangeur Bill Wysaske déjà producteur, accompagnateur et compositeur sur le précédent album de la pianiste, Crime Zone (Bill Wysaske doit en partie sa notoriété au fait qu'il a été accompagnateur et arrangeur pour le compte du crooner italo-canadien, le très populaire Michael Bublé). Le batteur, qui produit l'album et compose trois de ses titres, semble avoir appréhendé tout le potentiel de la jeune musicienne, artiste de la firme Steinway, et souvent annoncée comme une étoile montante de la scène jazz. Iron Starlet en est la démonstration et on suivra donc avec beaucoup d'intérêt la suite de la carrière de la jeune femme.

[ Chronique d'Albert Drion ]

[ Iron Starlet (CD / Digital) ]
[ A écouter : Iron Starlet ]


La Tour Du PouvoirCissy Street : La Tour Du Pouvoir (Z Production / InOuïe Distribution), France, 12 juin 2020.

1. Tric ! (06:30) - 2. Bois-caïman (05:47) - 3. Les Pions Se Révoltent (03:55) - 4. Maitreya (06:34) - 5. Il Nous Ment (Fabulous Trobadors) (08:20) - 6. La Tour Du Pouvoir (05:35) - 7. Dame Des Landes (06:31) - 8. L'Être Humain (Juan Rozoff) (04:30) - 9. La Bourrée De Brugière (04:48) - 10. Jabo And Clyde (04:41)

Francis Larue (guitares, compositions, arrangements); Vincent Périer (saxophone); Etienne Kermarc (basse); Yacha Berdah (trompette, claviers); Hugo Crost (batterie) + Invités: Les Fabulous Trobadors (chant et composition : 5); Juan Rozoff (chant et co-composition : 8). Enregistré début janvier 2020, au studio Mikrokosm à Villeurbanne, 69100 Lyon, France.


Selon Francis Larue, leader du groupe : le nouvel album révèle, en ombre cachée, comme un arrière-goût amer après le sucré, derrière la danse, un petit piquant. Le souvenir que cette musique est celle des Black Panthers, que sa sueur est aussi celle du travail et de la lutte et que James Brown chantait « Say It Loud ! I'm Black I'm Proud » (Dites-le à voix haute ! Je Suis Noir Je Suis Fier).

L'hommage de Cissy Street au groupe mythique de jazz funk Tower Of Power d'Oakland, Californie, créé dans les années 1970, est magnifié par le quintet dans La Tour Du Pouvoir. L'introduction musclée d'Hugo Crost à la batterie se poursuit sur un rythme soutenu jusqu'à la fin du morceau, avec des interventions pertinentes de ses compères qui lui permettent de délivrer un solo énergique tout en breaks et roulements de baguettes, un groove à décoiffer les chevelus en cette période de dé-confinement où les coiffeurs sont inaccessibles. D'autres hommages aux grands noms du funk sont présents dans l'album comme Maitreya, pour Maceo Parker, où l'on a plaisir à découvrir la pulsation d'Étienne Kermarc à la basse. Quant à Jabo And Clyde, c'est un hommage aux deux batteurs de James Brown, lui-même célébré par les riffs implacables des cuivres et les breaks métronomiques du batteur.

Ce nouvel album ne se limite pas à ces marques de respect. Souvent le funk est synonyme de danse, mais c'est oublier les racines et les fondamentaux de ce style de musique. Le groupe lyonnais le rappelle en offrant un disque engagé dans la lutte sociale des classes opprimées, une forme d'Internationale du funk. Francis Larue présente ainsi le premier morceau Tric ! : S'il avait existé un groupe de funk du temps des canuts, leur gimmick aurait pu être Tric ! Synthèse d'un cri James Brownien avec le vestige d'une lutte passée, support idéal de l'appel à la révolte sous couvert d'invitation à la danse. Ce message est renforcé par l'arrangement funk New-Orleans du morceau Il Nous Ment du groupe Toulousain les Fabulous Trobadors dont les paroles ne laissent aucun doute Il nous ment, il nous ment. C'est du vent, il nous balade. Il nous vend que des salades… Il nous promet des embauches, il y aura des licenciements ! Et dans L'Être Humain, le texte de Francis Larue et Juan Rozoff aborde, sous forme de conte philosophique, les côtés obscurs de l'homme qui peut devenir abject dès qu'il sombre dans la quête de pouvoir. Tout au long de l'album, l'auditeur découvre plusieurs exemples de luttes sociales : la révolte des imprimeurs de 1539 avec Tric ! (qui signifie grève en dialecte lyonnais). Le guitariste raconte que Bois-Caiman, c'est le point de départ de la révolution haïtienne, Les pions se révoltent, ça évoque un village du bourbonnais qui s'appelle Pion et qui abrita une révolte populaire en 1764 et Dame des Landes c'est un clin d'œil à la ZAD (la Zone A Défendre de Notre-Dame-des-Landes).

Ainsi, dans La Tour Du Pouvoir, le funk n'apparaît pas uniquement comme une musique pour danser, mais comme l'expression de la révolte rattachée au combat des noirs américains, écho à toutes les causes d'oppression. La conclusion de cette chronique est signée Francis Larue : On s'approprie une musique en s'appropriant sa cause. Alors, plutôt que de copier une culture américaine, Cissy Street en joue une authentique. Certes en tant que passionnés et héritiers de cette musique, mais tout autant en tant qu'habitant d'une région, avec ses danses propres, ses transes, son vaudou, et ses luttes, passées et actuelles.

Cette affirmation renvoie à une autre assertion faite par Jean de Florette à Ugolin dans le livre de Marcel Pagnol Je ne m'intéresse plus qu'à ce qui est vrai, sincère, pur, large, en un seul mot, l'AUTHENTIQUE. Bref, si c'est du funk AUTHENTIQUE que vous souhaitez, c'est La Tour Du Pouvoir de Cissy Street qu'il faut écouter.

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]

[ La Tour Du Pouvoir (CD / Digital) ] [ Cissy Street 1st Album (CD / Digital) ] [ La Tour Du Pouvoir sur Bandcamp ]
[ Chronique du 1er disque de Cissy Street ]
[ A écouter : TRIC ! - Jabo And Clyde ]


ArchaeologySabin Todorov : Archaeology (Igloo IGL 315), 17 avril 2020

1. Archaeology (5:27) - 2. Kurosawa's fox wedding (5:57) - 3. Game of fear (4:12) - 4. My name is Sadness (8:03) - 5. What a mess (2:56) - 6. A piece of your soul (6:27) - 7. Flight over the ocean (5:41) - 8. El hierro (5:04) - 9. East (4:24) - 10. Unexpected rain (5:21)

Sabin Todorov (piano); Sal La Rocca (contrebasse); Lionel Beuvens (batterie)


Depuis qu'il s'est installé en Belgique en 1997, le pianiste bulgare Sabin Todorov a enregistré quatre albums sous son nom dont celui-ci, Archaeology, est le dernier en date. Il y est accompagné par le batteur Lionel Beuvens et le contrebassiste Sal La Rocca déjà présents sur ses deux disques Inside Story Vol. 1 et 2 sortis respectivement en 2008 et 2010.

Le titre Archaeology ne se réfère pas à une quelconque étude scientifique de civilisations disparues mais est plutôt une métaphore du voyage intérieur, le trio ayant choisi de nous emmener dans l'univers poétique du pianiste. On y rencontre donc des images rémanentes de ce qui a touché intimement le leader, images qui sont transcrites en mélodies et improvisations. Ici, une petite ritournelle entendue jadis au pays qui devient un thème mélancolique (Archaeology) propice à diverses ruminations ; là, le souvenir d'un film du réalisateur japonais Akira Kurosawa (Dreams); ailleurs, quelques notes sans doute inspirées par la magie des éléments et de la nature (Flight Over The Ocean). Le trio fraie son chemin en souplesse faisant naître à son tour d'autres souvenirs dans l'esprit de celui qui l'écoute.

La musique reste globalement sobre dans un registre nostalgique. Tout est dans la nuance, le clair-obscur, l'émotion. Parfois, une petite saute d'humeur vient perturber cette promenade mélancolique dans les replis de la mémoire. C'est le cas sur What A Mess, comme si le leader s'était soudain rappelé d'un évènement perturbant dont il aurait tenu à nous faire part.

Archaeology ravira les amateurs de piano jazz romantique ainsi que ceux qui aiment ralentir le temps, afin de méditer un peu sur les choses de la vie qui en valent vraiment la peine.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Archaeology (CD / Digital) ] [ Archaeology sur Igloo Records ]
[ A écouter : Archaeology ]


Mysteries UnfoldShabaka and the Ancestors : We Are Sent Here By History (Impulse!), UK, 13 mars 2020

1. They Who Must Die (10:09) - 2. You've Been Called (6:29) - 3. Go My Heart, Go To Heaven (6:38) - 4. Behold, The Deceiver (6:00) - 5. Run, The Darkness Will Pass (4:07) - 6. The Coming Of The Strange Ones (6:28) - 7. Beasts Too Spoke Of Suffering (2:56) - 8. We Will Work (On Redefining Manhood) (5:22) - 9. 'Til The Freedom Comes Home (7:06) - 10. Finally, The Man Cried (5:46) - 11. Teach Me How To Be Vulnerable (2:45)

Shabaka Hutchings (ts); Mthunzi Mvubu (as); Mandla Mlangeni (tp : 7); Siyabonga Mthembu (chant); Ariel Zamonsky (b); Tumi Mogorosi (drums); Nduduzo Makhathini (Fender Rhodes : 2, 4); Thandi Ntuli (piano : 2, 11); Gontse Makhene (percussions)


Fer de lance de la nouvelle école bouillonnante du jazz londonien, Shabaka Hutchings renoue avec quelques fondamentaux du jazz qu'on a parfois tendance à oublier de ce côté de l'Atlantique : des polyrythmies africaines, un lyrisme viscéral, un jeu exacerbé sans oublier un message sociopolitique véhiculé en filigrane d'une musique à dimension cosmique. Le concept, c'est une rumination sur l'espèce humaine en voie d'extinction, rien que ça ! En tout cas, comment ne pas vibrer en écoutant ces sons rétro-futuristes hantés par les ombres du Liberation Orchestra, de Pharoah Sanders, Gato Barbieri, John Coltrane et de Sun Ra ?

Bien sûr, en ces temps de pandémie mondiale et de morosité économique, le message véhiculé par le poète sudafricain Siyabonga Mthembu, s'il est tout aussi révolutionnaire, est bien plus pessimiste qu'autrefois. Nous ne sommes plus requis de prendre des mesures afin d'éviter la catastrophe mais plutôt, puisqu'elle est déjà là, de réfléchir à ce qu'on veut faire ensuite. Aussi, marginalisés et nantis sont-ils invités à tirer les leçons des erreurs passées tout à faisant appel à la capacité de résilience de l'humanité.

Dans ce sens, We Are Sent Here By History définit plus que jamais le son de notre époque, celui qui devrait nous aider à canaliser notre énergie afin de sauver ce qui mérite de l'être et d'assurer un improbable futur. Mais pour bien reconstruire, les ancêtres suggèrent, avec ce fond de sagesse hérité de la longue histoire de l'homme, que pour bien reconstruire, certaines choses devront d'abord être brûlées. Voilà pourquoi la musique de Shabaka, qui oscille constamment entre ruminations lancinantes et explosions telluriques, communique une énergie sans pareille tout en catalysant notre propre réflexion. Géant !

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ We Are Sent Here By History (CD / Digital) ]
[ A écouter : The Coming of the Strange Ones ]


Mysteries UnfoldSophie Tassignon : Mysteries Unfold (RareNoise Records), Belgique, 24 avril 2020

1. Gubi Okayannie (4:44) - 2. Jolene (4:59) - 3. Don't Be so Shy with Me (5:50) - 4. Descending Tide (5:11) - 5. Witches (4:45) - 6. La nuit (5:32) - 7. Nisi Dominus, RV 608: Cum Dederit (Arr. for Single Voice and Electronics) (3:44) - 8. Mysteries Unfold (2:05)

Sophie Tassignon (voix, électronique). Enregistré par Sophie Tassignon à Berlin, Allemagne.


Dans les albums sur lesquels Sophie Tassignon est créditée, on oscille généralement entre un lointain passé obscur aux effluves de mystère et un futur de lumière qui scintille comme des rayons laser. Sur cet album en solo, la chanteuse garde une approche sonique hors-normes mais accroche aussi son art à quelques chansons plus ou moins populaires. La reprise du Jolene de Dolly Parton est ainsi une vraie surprise. Mais si l'on reconnaît aisément le célèbre refrain, le chant qui ne repose que sur des vocalises sans aucun instrument s'envole vite ailleurs avec un tel niveau d'élégance et de naturel qu'on en est une nouvelle fois bluffé. La partie finale d'une grande densité laisse l'impression d'un chœur céleste qui transforme cette chanson country américaine en un rêve œcuméniste aux formes empruntées à la tradition des chants de l'Europe médiévale.

La reprise de Witches du groupe canadien The Cowboy Junkies pourrait aussi paraître incongrue mais elle ne l'est pas. Cette histoire d'une femme qui abandonne son mari indifférent pour chevaucher les vents nocturnes en compagnie des sorcières est du pain béni pour Sophie qui transcende cette étrange ballade en un hymne splendide dédié à la partie secrète de l'âme féminine placée sous l'influence de la lune. On ne s'étonne guère dès lors que cette chanson soit enchaînée avec La Nuit, une nouvelle version du thème de l'Obscurité qui figurait déjà sur l'album Licht-Raum-Erkundungen. Dans sa seconde partie, l'atmosphère ésotérique, entraîne l'auditeur dans les arcanes d'un labyrinthe occulte conçu comme un rite d'initiation. La femme sorcière y revendique désormais avec détermination sa liberté et son anticonformisme.

Sur Guby Okayannie, une chanson d'un barde russe chantée ici dans sa langue originale, apparaît une autre facette de la femme qui sait à l'occasion rompre avec son image de romantique victime du pouvoir pour chevaucher en tête comme une valkyrie quand il lui faut défendre ses idées, ce que traduit peut-être l'étonnante mutation qui transforme cette gentille complainte en une cavalcade débridée. D'autres musiques expressives, jamais entendues ailleurs, complètent cet album unique dont l'écoute d'une traite finit par évoquer un très beau texte de l'historien Jules Michelet : "La femme s'ingénie, imagine ; elle enfante des songes et des dieux. Elle est voyante à certains jours ; elle a l'aile infinie du désir et du rêve."

Sur la splendide pochette de Mysteries Unfold, Sophie Tassignon, avec ses yeux grands ouverts et ses fleurs dans les cheveux, semble surgir d'une époque révolue, telle une prêtresse tutélaire, mi-ensorceleuse mi-rêveuse, toujours mystérieuse.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Mysteries Unfold sur Amazon (CD / Vinyle / Digital / Streaming) ] [ Mysteries Unfold sur Bandcamp ]
[ Chroniques de Sophie Tassignon & P. Van Huffel : House of Mirrors : Act 1 - Sophie Tassignon : Licht-Raum-Erkundungen - Azolia : Everybody Knows - Zoshia : Moon Talk ]
[ A écouter : Mysteries Unfold (Teaser) ]


Imaginary StoriesGabriel Midon : Imaginary Stories (Soprane Records / Distribution : Absilone), France, 15 Mai 2020

1. Capoï! (1:14) - 2. L'Elm (8:10) - 3. Song In Super Fuchsia (7:48) - 4. Não Vi O Dia Da Lua (6:51) - 5. Poursuite N°4 (5 :40) - 6. Poursuite N°2-Part 1 (1:36) - 7. Poursuite N°2-Part 2 (4:14) - 8. Soumission (1:39) - 9. Halley Ne Passera Plus (6:20) - 10. Après Halley (1:40) - 11. Poursuite N°1 (5:27) - 12. The Storytelling - Intro (0:58) - 13. The Storytelling (5:15)

Ellinoa (chant); Pierre Bernier (saxophone ténor); Simon Martineau (guitare); Edouard Monnin (piano); Baptiste Castets (batterie : 4, 9, 10, 11,13); Thomas Delor (batterie : 2, 3, 5, 6, 7,8); Gabriel Midon (contrebasse / compositions); Antoine Delprat (violon); Anne Darrieu (violon); Maria Zaharia (alto); Louise Leverd (violoncelle). Enregistré le 24 et 25 Juin 2019 par Christophe Sarlin au Studio du Regard (Alfortville 94140) France, et le 29 Juin 2019 au Studio Futur Acoustic (Maisons-Alfort 94700) France.


L'imaginaire, qui est plus ou moins éloigné de ce que l'on nomme la réalité, peut rapidement être défini comme le produit de l'imagination d'un ou de plusieurs individus. Cette simple explication renvoie toutefois à des notions complexes et subjectives. Pour mieux les appréhender, la nécessité d'aborder le concept de physique-concret pour ce qui est réel et celui de rêvé-fictif pour l'imaginaire prouve que les deux termes sont opposés.

Le projet Imaginary Stories n'est-il pas une concrétisation du fictif qui pourrait transformer l'imaginaire en réalité ? La psychanalyse utilise souvent l'imaginaire par le processus de libre association. Cette technique démontre que la subjectivité d'une personne est liée à son histoire personnelle. Celle de Gabriel Midon est riche : études de piano jazz au conservatoire de Strasbourg, agrémentées de concerts dès 2004. Rapidement il devient multi-instrumentiste, et ce n'est que plus tard qu'il découvre et adopte la contrebasse.

Ses multiples projets l'amènent dans plusieurs pays du monde. En 2009 et en 2012, sa participation au Yelewa Jazz Festival de Mayotte lui inspire Capoï! : Lors d'un séjour à Mayotte, j'ai pu faire la rencontre de l'expat mahorais, le tropicalisé, celui qui a perdu un bout de sa dignité, dont une partie dans la boisson. Il est rougeaud, dépense sans compter, avec pour moteur l'alcool et le tabac. Il est à la fois touchant, véhément ou titubant. Il vit un jour sans fin, c'est un Capoï! Ce souvenir incite le contrebassiste à écrire des ritournelles qui donnent l'illusion d'une spirale évolutive sans début ni fin, comme la vie sans but de ce mahorais toujours présent dans la mémoire de Gabriel Midon.

La qualité de l'écriture et d'harmonisation des différents morceaux est portée à l'excellence dans les deux derniers titres de l'album. Le quatuor à cordes seul présent dans l'introduction à The Storytelling est ensuite rejoint par les autres musiciens au sein desquels Ellinoa chante les clefs pour transformer l'imaginaire en réalité : avoir le chant libre du vouloir... la raison de l'agir, découle cette envie vorace... sans recul.

La ténacité et la volonté ont été des alliées nécessaires à la réalisation de ce projet où la diversité des mondes fantastiques et imaginaires du compositeur est représentée à merveille par la pochette du CD réalisée par l'artiste Emilien Varela De Casa qui montre une partie de boules sur la Plage de la Tortue, chère aux mahorais ; une balade au large de Rio sur un bateau où se trouve peut-être Gabriel Midon (Não Vi O Dia Da Lua / Je n'ai pas vu le jour de la lune ); et une promenade au clair de lune en montagne (Halley Ne Passera Plus). Ce dernier morceau démontre par ailleurs que Gabriel Midon n'est pas uniquement un compositeur mais aussi un excellent contrebassiste. Son délicat solo en l'honneur de l'imaginaire stellaire prend réalité avec la sortie de son album, Imaginary Stories, l'enfant légitime du mariage de Madame réalité avec Monsieur imaginaire.

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]

[ Imaginary Stories sur Bandcamp ]
[ A écouter : L'Elm - Song In Super Fuchsia ]


Silence The 13thThomas Delor : Silence The 13th (Fresh Sound Records / Distribution : Socadisc), France, sortie le 30 mai 2020

1. Syllogism (09:49) - 2. Silence the 13th (08:16) - 3. Peaux Pourries (01:07) - 4. My Little Suede Shoes (05:51) - 5. Providence Incitation (06:33) - 6. Minefield (07:25) - 7. Que reste-t-il de nos amours (05:17) - 8. Prelude Op. 28 No.20 (07:05) - 9. Une soupe et au lit (05:52)

Thomas Delor (batterie, composition); Simon Martineau (guitare); Georges Correia (contrebasse). Enregistré les 4 et 5 septembre 2019 au studio Artesuono à Udine en Italie.


Et si le silence était une note ? Le silence est le sujet du nouvel album de Thomas Delor, le titre de l'album et le leader du groupe le confirment : Je travaille énormément avec le trio autour du silence dans la musique qui je pense est un élément majeur dans tout langage". Ecrire sur le silence est une gageure. Philippe Geluck, le dessinateur de bande dessinée, illustre le silence avec Le Chat par une bulle donc le texte est " ". Il serait donc logique d'imaginer que Silence The 13th est fait de morceaux silencieux, mais ce n'est pas le cas. Syllogism introduit le disque avec des accords suspendus qui donnent une illusion de grands espaces indispensables à la réflexion, et permettra peut-être de trouver un syllogisme pour définir le silence comme Aristote l'a fait sur le noir dans son Organon : Le noir est une couleur. L'absence de couleur est le noir. L'absence de couleur est donc une couleur.

Cette recherche passe obligatoirement par Peaux Pourries, morceau qui plonge l'auditeur dans le travail du son et du silence. La piste semble être un enregistrement d'essai sonore lors d'une répétition. Son écoute permet de ressentir l'impact du son de la batterie. En fonction des nuances : crescendo, decrescendo, pianissimo..., le relief de la musique ainsi que les ressentis émotionnels sont différents. Enrichi par cette expérience auditive, quel plaisir de déguster la reprise de My Little Suede Shoes de Charlie Parker. Le "A" du thème est joué à la batterie, Thomas Delor prouvant ainsi que la batterie se doit d'être un instrument à part entière en accord avec l'ensemble, un espace à maîtriser afin d'en sortir de la musique.

Le merveilleux arrive quand guitare et batterie entament des solos en question-réponse. Au début, Simon Martineau joue une phrase reprise en écho par Thomas Delor : les notes sont reproduites par le batteur, une prouesse. Les deux compères ne s'arrêtent pas là, le batteur propose à son tour des phrases rejouées par le guitariste, Thomas Delor va même jusqu'à faire aux mailloches une citation musicale du célèbre Au clair de la lune et son compère lui répond par la suite de l'introduction de la comptine. Quand le batteur joue sur le bord de la caisse claire, le guitariste pince les cordes de son instrument pour imiter ce son particulier de la batterie. Ce morceau, à lui seul, justifie l'album et donne à la batterie ses lettres de noblesse, un instrument répondant trop souvent à la règle (que je ressens assez en France et dans son enseignement) qui offre à la batterie comme seules et uniques fonctions le rythme et le tempo...

L'écoute de l'ensemble de l'album, reprises et compositions originales, permet de trouver le syllogisme sur le silence : Le silence est de la musique. La musique est composée de notes. Le silence est donc une note. Et si le silence est une note, il ne peut en être que la treizième puisque la gamme musicale en compte douze. C'est bien ce que Thomas Delor nous souffle à l'oreille par le titre de son nouvel opus : Silence The 13th.

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]



Deux ans après The Swaggerer, Thomas Delor revient avec un album qui confirme d'une part sa différence et, d'autre part, l'importance qu'il accorde à l'écriture de sa propre musique qui compose les deux tiers de ce nouveau répertoire. Son trio est resté le même que sur le disque précédent, ce qui est un point positif : l'essentiel étant d'avancer en précisant sa pensée et non pas de recommencer à zéro.

Syllogism, qui ouvre l'album et n'est pas loin d'en être la pièce de résistance, nous plonge dans une atmosphère onirique que la batterie crépitante n'arrive pas à casser. On se laisse porter par cette houle sonore qui monte lentement comme si une tempête était en marche. Georges Correia qui joue à l'archet sur sa contrebasse compte pour beaucoup dans l'installation de cette ambiance unique dans laquelle va se fondre la guitare électrique volatile de Simon Martineau. Dans la partie finale, la batterie explose sous-tendant la construction et la menant à son terme. D'emblée, une superbe réussite.

Le titre éponyme est composé autour du silence. Les musiciens y avancent à pas feutrés, brassant l'air avec prudence et parcimonie. Tout reste en suspension jusqu'à ce que la musique monte en puissance, valorisant l'étape précédente par son inattendue impétuosité avant de retomber dans sa léthargie première. Et cette fois encore, l'émotion est au rendez-vous. A l'autre bout du spectre, Minefield est un morceau plus bluesy et plus ludique aussi où chaque instrumentiste s'en donne à cœur joie en poussant ses partenaires sur le devant de la scène. On apprécie l'osmose naturelle entre les trois musiciens parfaitement ajustés dans leurs improvisations respectives. Tout ça semble complètement spontané et dégage une fraîcheur qui laisse pantois.

Le répertoire est complété par trois reprises on ne peut plus différentes. My Little Suede Shoes est l'un des morceaux les plus accrocheurs et accessibles de Charlie Parker qui permet au batteur de jouer de façon détendue dans un mode latin. Que Reste-t-il De Nos Amours est une adaptation de la fameuse chanson de Charles Trenet qui conserve tout son romantisme original. Quant au Prélude Op.28, No.20 de Chopin, il ne dépare pas l'ensemble du disque vu que son arrangement pour un trio de jazz sonne bien différemment de la mélancolique pièce classique dont on reconnaît toutefois fort bien la mélodie.

Encore une fois, Thomas Delor a composé un album varié et plaisant qui met en évidence la technicité de ses complices, ses facultés de compositeur et d'arrangeur ainsi que son jeu de batterie aussi vivace que singulier.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Silence The 13th (CD / Digital) ]
[ A écouter : "My Little Suede Shoes (live)]


Is That So ?John McLaughlin, Shankar Mahadevan, Zakir Hussain : Is That So ? (Abstract Logix), UK, 17 janvier 2020

1. Kabir (07 : 27) - 2. Sakhi (08 : 26) - 3. Tara ( 08 : 32) - 4.The Search (10 : 49) - 5. The Guru (07 : 08) - 6. The Beloved (09 : 25)

John McLaughlin (guitare, synthétiseur de guitare, orchestration, composition : 1, 2, 3, 6) ; Zakir Hussain (tabla , composition : 2) ; Shankar Mahadevan (voix, composition : 1, 2, 3, 6). Enregistré au Mediastarz Studio (Monaco), au Purple Haze Studio à Mumbai, Inde, et au Airship Laboratories à Eichmond en Californie, USA.


Écrire une chronique dans cette période de pandémie internationale peut paraître décalé. Cependant, la seule consigne unanime est le respect du confinement à son domicile. Or, rester cloîtré n'est pas habituel pour l'Homo sapiens du 21ème siècle. Est-ce qu'une nouvelle espèce, l'Homo domus va-t-il naître pour s'adapter à cet isolement ? En quelques jours, les chaînes de TV, de radio, les sites média du web lancent des émissions pour aider l'humain à supporter la claustration : « Confinement vôtre » sur France Culture, « émissions pédagogiques pour les élèves de tous niveaux» sur France 4, ou "CultureChezNous", plateforme lancée par le ministère de la culture pour assister aux spectacles ou visiter des musées depuis chez soi.

A l'échelle individuelle culturelle, chacun apporte sa pierre à cet élan pour agrémenter sa vie cloîtrée : concerts en ligne, jams entre musiciens tous confinés dans différents lieux du monde… Dans cette foison d'initiatives, le célèbre guitariste John McLaughlin écrit le 16 mars à 21 heure sur les réseaux sociaux : "Compte tenu de la situation actuelle dans le monde avec le coronavirus et du fait que nous sommes obligés de passer plus de temps à la maison, nous aimerions offrir à nos amis jusqu'à fin avril 2020 le téléchargement gratuit du nouvel album Is that So ? sorti le 17 janvier 2020 chez le label Abstract Logix. Profitez de la musique et restez heureux et en bonne santé!".

"Est-ce ainsi" le début de l'apparition de l'Homo domus comme l'annonce le titre de l'album proposé par le guitariste né dans le Yorkshire ? Il est certain que le célèbre musicien n'avait pas prévu cette pandémie pour le choix du titre de son dernier album : l'explication vient plutôt du travail colossal que le CD a demandé pendant les six ans de préparation. Selon John McLaughlin, Is That So ?, avec le compositeur et chanteur indien Shankar Mahadevan accompagné par le maître des tablas Zakir Hussain, est l'une de ses collaborations musicales les plus profondes. Depuis plusieurs années, le guitariste étudie la théorie et la pratique de la musique indienne, The Search montre comment les recherches musicales ont permis au chant de Shankar Mahadevan, accompagné par les lignes mélodiques de John McLaughlin au synthétiseur, d'instaurer une atmosphère inédite, planante et méditative.

La performance est de l'ordre de la prouesse : intégrer l'harmonie particulière de la musique occidentale dans les traditions de l'Inde du Nord et du Sud, tout en respectant les règles mélodiques du système raga (système musical classique indien fondé sur les théories védiques), semblait impensable. Cela n'est possible qu'en étant un Sakhi (un ami en hindi) titre du deuxième morceau de l'album, ce qui est le cas en particulier de Zakir Hussain avec qui le guitariste a fondé en 1975 le groupe Shakti. Kabir, piste la plus populaire des utilisateurs de la plateforme de streaming Deezer, doit son succès à la merveilleuse voix de Shankar Mahadevan, soutenue par les nappes musicales de John McLaughlin, les tablas de Zakir Hussain permettant au guitariste « d'appliquer sa propre liberté harmonique occidentale ». Le résultat de cette alchimie est un nouveau concept qui marquera probablement l'histoire de la musique.

Il est certain que la générosité et le talent de John McLaughlin, dit Mahavishnu, rappellent la philosophie du poète Kabîr né en 1440 à Vârânasî (Bénarès) qui affirme, que toute religion qui n'est pas amour n'est qu'hérésie. Et l'Homo domus a besoin de beaucoup d'amour et de la solidarité bienveillante de ses semblables pour vaincre la pandémie actuelle.

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]

[ Lien de téléchargement gratuit de l'album sur Bandcamp ]
[ A écouter : Sakhi - The Beloved]


From This PlacePat Metheny : From This Place (Nonesuch), USA, 21 février 2020.

1. America Undefined (13:22) - 2. Wide and Far (8:26) - 3. You Are (6:13) - 4. Same River (6:43) - 5. Pathmaker (8:19) - 6. The Past in Us (6:23) - 7. Everything Explained (6:52) - 8. From This Place (4:40) - 9. Sixty-Six (9:38) - 10. Love May Take Awhile (5:57)

Pat Metheny (guitars); Gwilym Simcock (piano); Linda May Han Oh (basse); Antonio Sanchez (drums); Hollywood Studio Symphony (orchestrations) + MeShell NdegeOcello (chant); Gregoire Maret (harmonica); Luis Conte (percussions)


En compagnie de son batteur habituel d'origine mexicaine Antonio Sanchez, de la contrebassiste australo-malaisienne Linda May Han Oh et du pianiste britannique Gwilym Simcock, le guitariste Pat Metheny élargit encore son horizon en ajoutant après coup aux enregistrements, réalisés sans répétition préalable par son quartet, des arrangements orchestraux conçus par Alan Broadbent et Gil Goldstein, et conduits par Joel McNeely. On retrouve sur le titre America Undefined le souffle lyrique du Pat Metheny Group d'autrefois (avec le regretté Lyle Mays). Cette composition qui se développe comme une suite a un côté cinématographique avec l'inclusion de bruitages d'ambiance et de train. Son côté dramatique qui s'accentue graduellement fait rapidement oublier les improvisations virtuoses des instrumentistes au profit d'une vision d'ensemble à la fois grandiose et accessible. C'est l'une de ces immenses compositions épiques, riches de myriades de sonorités, comme le PMG nous en a déjà offertes quelques-unes dans le passé.

From This PlaceMais le répertoire offre aussi d'autres plaisirs qui témoignent du parcours varié du guitariste et de son intérêt pour les musiques les plus diverses. Ainsi Wide And Far évoque-t-il le Wes Montgomery de la période Verve quand le guitariste d'Indianapolis jouait lui-aussi en compagnie d'un orchestre arrangé et conduit par Don Sebesky. Sur Same River, Metheny pose à nouveau sa guitare synthé sur ces rythmes latins qu'il s'était jadis appropriés avec maestria sur Letter From Home. Et sur Everything Explained, il joue pleinement ce jazz fluide et mélodique dont il a depuis longtemps le secret.

Le guitariste a invité Meshell Ndegeocello qui prête sa voix fragile pour un From This Place particulièrement poignant. Selon le leader, ce titre éponyme fut composé le 9 novembre 2016, soit le jour suivant la dernière élection présidentielle américaine qui a marqué l'histoire des Etats-Unis par l'extravagance du candidat républicain. Cette pièce de musique a pris une intonation tragique au fur et à mesure que les résultats de l'élection devenaient de plus en plus évidents. On se rend compte ici que si Pat Metheny est l'un des plus grands musiciens actuels, ce n'est pas à cause de son incroyable technique mais plutôt par la profondeur des sentiments que sa musique fait naître. On épinglera encore le tendre et solo d'harmonica posé par Grégoire Maret sur la ballade The Past Is In Us qui rappelle une autre collaboration émouvante avec Toots Thielemans sur l'album Secret Story.

Alors que le guitariste n'avait plus produit de nouvelle musique depuis six ans, il est de retour, à la tête d'un quartet terriblement soudé, avec un album ambitieux et parfaitement structuré, rempli de sonorités envoûtantes, de mélodies splendides et d'atmosphères inédites. Entre jazz et fusion progressiste, aucune musique présente ou passée ne peut se comparer à celle de Pat Metheny !

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ From This Place (CD, Vinyle, Digital) ] [ From This Place sur Bandcamp ]
[ A écouter : America Undefined - Wide and Far ]


And Still We DreamPascale Elia : And Still We Dream (Indépendant), date non précisée sur la pochette.

1. There's a Small Hotel (3:29) - 2. Dream Dancing (4:01) - 3. Dancing on the Ceiling (4:36) - 4. I've Grown Accustomed to Your Face (3:28) - 5. There Is No Greater Love (3:34) - 6. I'm Oldfashioned (3:55) - 7. Invitation (4:25) - 8. Dolphin Dance (4:32) - 9. The Island (5:48) - 10. It's Alright with Me (4:06) - 11. Night and Wings (3:37) - 12. Ugly Beauty (And Still We Dream) (4:20). Enregistré au Realistic Sound à Munich

Pascale Elia (vocal); Tony Pancella (piano, arrangement); Henning Sieverts (contrebasse, violoncelle); Matthias Gmelin (drums)


On peut dire que Pascale Elia a acquis une longue expérience de la scène. Des cabarets liégeois au Big Band de Liège, elle a interprété pendant plusieurs années les grands standards du jazz empruntés à Nat King Cole, Duke Ellington, Ella Fitzgerald ou Sarah Vaughan. Par la suite elle a étendu sa palette en intégrant la soul et la musique brésilienne et s'est produite hors de Belgique sur la côte Ouest des Etats-Unis et au Japon où elle a rencontré le pianiste, compositeur et arrangeur italien Tony Pancella avec qui elle a enregistré cet album.

Onze des douze titres du répertoire sont des reprises de chansons populaires dans le répertoire jazz (There's a Small Hotel de Rodgers & Hart, It's All Right With Me de Cole Porter, I'm Old Fashioned de Jerome Kern, … etc.) que Pascale interprète avec beaucoup de respect mais aussi avec le genre d'aisance qu'on acquiert seulement après une longue pratique. Son sens du timing est impeccable et son phrasé parfaitement maîtrisé. Il faut l'entendre improviser en scat sur There Is No Greater Love : on se croirait dans un club de jazz à Harlem vers minuit. Le trio de Tony Pantella est efficace, le leader se réservant toujours quelques mesures pour faire chanter son piano. On apprécie aussi le contrebassiste Henning Sieverts qui troque son instrument principal contre un violoncelle sur le très beau Ugly Beauty de Thelonious Monk. Le seul titre original, Night & Wings, ne se démarque pas de l'ensemble et pourrait fort bien passer pour un standard oublié.

Influencé d'abord par la grande tradition du jazz vocal, And Still We Dream n'offre certes rien de révolutionnaire mais il nous entraîne à rebours dans un univers charmant et un peu désuet. Idéal pour se la jouer cool et transformer son petit salon personnel en Winnie's Jazz Bar en ces temps de confinement sanitaire.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ And Still We Dream (CD / Digital) ]
[ A écouter : Pascale Elia & Mimi Verderame : In Walked Bud ]


Black MagicJason Miles & Kind Of New : Black Magic (Robeadope / distributeur Fat Beats), USA, 06 mars 2020

1.Black Magic (4:54) -2. Kathy's Groove (3:20) -3. The Other Side Of The World (Intro) (1:15) -4. The Other Side Of The World (5:24) -5. Wolfedelic (5:15) -6. Interlude 1 (1:04) - 7. Jean Pierre (11:06) - 8. Ferrari (12:11) -9. Kats Eye (11:00) - 10. Street Vibe (8:20).

Jason Miles (piano, claviers) ; Philippe Dizack ( trompette) ; Jay Rodriguez( saxophones, clarinette basse, flûte) ; Reggie Washington ( basse électrique ) ; Gene Lake ( batterie) ; Jimmy Bralower (boite à rythmes : 2) ; Steven Wolf (boite à rythmes : 5). Enregistrement de six morceaux en live le 27 décembre 2018 au NuBlu New York et de quatre morceaux au studio de Jason Miles début 2019.


Le titre du présent album instaure une écoute particulière. Sans affirmer la dimension cabalistique des compositions et arrangements, le producteur de jazz américain donne la raison du titre : « toute ma carrière, en tant que claviériste/ programmeur synthétiseur, a évolué avec une certaine magie. J'ai donc décidé d'appeler l'album Black Magic. » L'explication de Jason Miles semble incongrue au premier abord, mais l'écoute des dix pistes du CD éclaire sur l'occultisme de cette production.

La définition du terme « magie » de l'écrivain anglais Aleister Crowley : « La magie est la science et l'art d'occasionner des changements en accord avec la volonté », convient tout à fait à Jason Miles. Ce compositeur producteur, né dans un des bastions du jazz (Brooklyn) n'a cessé d'aller de l'avant, il s'agit même de sa philosophie directrice. Ce forcené des claviers et des arrangements musicaux, chercheur intrépide, est très demandé, ce qui lui permet de se confronter à divers styles : « j'ai appris que créer de la musique pop n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. » Sa soif de découverte le fait participer à un grand nombre d'enregistrements pendant une vingtaine d'années. Ses collaborations sont des plus prestigieuses : Miles Davis, Aretha Franklin, Marcus Milller, Diana Ross, Michael Jackson, Withney Houston, Diana Krall... Tout en jouant avec d'autres, il mène une carrière solo, qui bénéficie du résultat de ses recherches : Miles To Miles sorti en 2005 propose ainsi du Miles Davis revu par Jason Miles avec une virtuosité digne du prince du silence. Dans 2 Grover, With Love de 2008, le claviériste s'est entouré de grands musiciens comme Chaka Khan, Michael et Randy Brecker pour rendre hommage au saxophoniste Grover Washington.

La définition de la magie par Aleister Crowley convient bien à la volonté de Jason Miles, qui veut continuer à étudier et à découvrir : « J‘ai toujours été curieux musicalement et je n'ai jamais eu peur d'acheter un disque que je ne connaissais pas, mais qui avait l'air intéressant. » Si, dans le monde de la magie, le grimoire est le recueil des formules écrites par des maîtres de cet art, dans la musique c'est sur le CD que les enregistrements sont gravés. Black Magic semble être le recueil annoncé par son compositeur comme nécessaire à sa propre progression. Adoubé par Herbie Hancock et entouré d'une équipe d'artistes confirmé, le « Quincy Jones de la musique contemporaine » propose dix pistes finement arrangées. Le titre éponyme lance l'album sur une rythmique batterie-clavier-basse dynamique, rejointe par Philippe Dizack à la trompette et Jay Rodriguez à la flûte. Le ton est donné, c'est du jazz fusion de grande classe, surtout quand on apprend que plus de la moitié des morceaux ont été enregistrés en live sans répétition. La reprise de Jean Pierre est grandiose, plus de onze minutes de ce grand standard où l'âme de Miles Davis est transcendée par le jeu de Reggie Washington qui surfe sur le thème joué par les cuivres ainsi que sur l'improvisation des différents musiciens. La conclusion de cette piste est digne d'un bouquet final du 14 juillet et rappelle que le célèbre trompettiste avait défini le claviériste de « touche à tout de génie. »

Les différents morceaux, chacun dans un style différent, démontrent la maîtrise des arrangements et des compositions, que ça soit sur Kathy's Groove et Wolfedelic, enregistrés en studio avec un effectif plus réduit mais tout aussi agréables et groovy, ou sur The Other Side Of The World, composition plus planante où Gen Lake à la batterie au fond du temps laisse à ses compagnons le loisir d'accompagner l'auditeur en douceur dans un voyage sonore.

L'écoute de l'ensemble de l'album confirme la troisième loi de l'écrivain de science fiction Arthur Charles Clarke : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. » La magie est compagne de Jason Miles et Black Magic en est son grimoire.

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]

[ Black Magic (CD / Digital) ]
[ A écouter : Wolfedelic ]


Yes LoveGilbert Isbin Trio : Yes Love (Tern Records), 2019

1. Yes Love (4:12) - 2. Gift To The Fall (3:32) - 3. Observation (3:38) - 4. A Fine Day (2:47) - 5. Blue In Green (4:43) - 6. Sky And Sand (3:55) - 7. Aquest Amor (4:54) - 8. Singsong (3:45) - 9. Wawacou (3:58) - 10. Troubled (4:08) - 11. Wellspring (3:22) - 12. Peace Piece (2:01)

Gilbert Isbin (luth); Xavier Rau (contrebasse); Peter Vangheluwe (percussions)


Gilbert Isbin a une discographie passionnante derrière lui. Plusieurs de ses albums qui s'inscrivent dans le jazz d'avant-garde ou la musique contemporaine avec utilisation de guitares préparées sont toutefois restés confidentiels mais le guitariste a su prouver de temps en temps qu'il savait aussi toucher les cœurs par une musique au lyrisme indéniable (on se souvient en particulier du splendide Water With A Smile sorti en 2004). Le voici aujourd'hui dans un contexte encore différent puisque qu'il a cette fois choisi de jouer sur un luth en trio avec un contrebassiste et un percussionniste.

Les neuf compositions qui sont de sa plume se situent au croisement de divers genres, jazz improvisé, musique classique et folklore, mais aussi d'influences. On entend notamment dans cette musique claire et fluide quelques réminiscences de Ralph Towner (la sonorité sèche du luth de Gilbert n'est pas si éloignée de celle d'une guitare acoustique à cordes de nylon) et, plus proche de nous, d'Alain Pierre qui joue parfois en solo dans un style similaire.

Poétique et méditative, la musique inspire et on sent bien que le luthiste a recherché l'alliance parfaite entre simplicité, beauté et spiritualité. Gift To The Fall, Sky And Sand et Wellspring sont des odes à la nature, des invitations à l'arpenter jusqu'à s'y perdre comme dans un rêve. La complicité entre les trois musiciens est quasi irréelle : Xavier Rau invente en permanence des contrepoints célestes sur sa contrebasse tandis que Peter Vangheluwe, ancien complice déjà présent sur Water With A Smile, accompagne la musique par des percussions attentives.

Le répertoire est complété par trois reprises. L'angulaire Wawacou qui figurait au menu d'un disque enregistré il y a bien longtemps par Gilbert Isbin en collaboration avec le contrebassiste Cameron Brown (Spring Cleaning, 1993), le mélodique et splendide Singsong extrait d'un disque ECM encore plus ancien de Jan Garbarek (Wayfarer, 1982) et la cerise sur le gâteau : une interprétation du célèbre Blue In Green de Bill Evans ici rendu dans une majestueuse lenteur qui rend hommage à son spleen original.

Tel un paysage verdoyant, cette musique a quelque chose d'apaisant. Elle vous fait pénétrer dans un univers onirique d'une beauté diaphane. Il serait vraiment temps que Gilbert Isbin sorte de son statut de secret bien gardé afin que sa musique aux multiples vertus puisse être appréciée par un public beaucoup plus large.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Yes Love sur Bandcamp ]
[ A écouter : Blue In Green ]


CursivIgor Gehenot : Cursiv (Igloo Records), 24 janvier 2020

1. The Faith - 2. Cursiv - 3. Little Boy - 4. Hopeful - 5. Fat Cat - 6. Julia - 7. Yaï - 8. I remember Clifford - 9. Julia (Alternative Live Take)

Igor Gehenot (piano); Alex Tassel (bugle); Viktor Nyberg (contrebasse); Jérôme Klein (drums); David El-Malek sax (1, 2, 4, 5 & 9)


Sous cette couverture sans titre se niche Cursiv, deuxième album en quartet du pianiste liégeois Igor Géhénot avec le trompettiste français Alex Tassel qui n'y intervient plus comme invité mais bien comme un membre à part entière. Cette fois, l'invité est un autre jazzman français : le saxophoniste David El-Malek, surtout connu pour ses projets avec le pianiste Baptiste Trotignon, qui joue ici sur quatre titres (cinq si l'on ajoute la prise alternative de Julia).

Outre le standard I Remember Clifford écrit par Benny Golson, le répertoire comprend sept nouvelles compositions dues pour cinq d'entre elles à la plume du pianiste et, pour les deux autres, à celle du bugliste. Les inspirations des deux hommes sont admirablement croisées : la musique suggère tout du long une unité de pensée qui, comme c'était déjà le cas sur le disque précédent, n'est pas étrangère à la cohérence et à la qualité de l'album. Le style général reste un jazz moderne tendance post-bop mais entre les différents morceaux existent de grandes variations d'ambiance. Ainsi, le splendide The Faith est-il un moment intime de réflexion où le bugle soyeux délivre des phrases poétiques au-dessus des accords délicats du piano. La mélodie belle, parfaitement lisible et guidée par un profond lyrisme rend ce morceau concis très attachant. D'un autre côté, Yaï, écrit par le bugliste, est un pur bop au groove prononcé sur lequel il est difficile de ne pas hocher la tête en rythme avec la pulsation. Et c'est d'ailleurs le moment de souligner l'excellente contribution d'une section rythmique particulièrement dynamique composée du contrebassiste Viktor Nyberg et du batteur Jérôme Klein.

Ainsi de pièces mélancoliques et tendres en morceaux plus enlevés et virevoltants, le disque reflète les différentes facettes de ses interprètes, ce qui permet incidemment de l'écouter d'une traite avec un immense plaisir. Quant à David El-Malek, on appréciera tout particulièrement son jeu sur le titre éponyme marqué par son très beau solo et ses interventions en contrepoint du bugle d'Alex Tassel.

Le précédent opus, leur avait déjà rapporté un Octave en 2018 et Cursiv, qui est pétri dans le même moule, pourrait fort bien lui succéder.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Cursiv (CD / Digital) [ Delta (CD / Digital) ]
[ A écouter : Cursiv ]


ElevenMike Stern - Jeff Lorber Fusion : Eleven (Concord Jazz), USA, 27 septembre 2019

1. Righteous (4:01) - 2. Nu Som (5:28) - 3. Jones Street (7:28) - 4. Motor City (4:04) - 4. Big Town (5:05) - 6. Slow Change (8:38) - 7. Tell Me (5:0127) - 8. Ha Ha Hotel (5:12) - 9. Rhumba Pagan (4:09) - 10. Runner (4:24). Enregistré les 20 et 21 mai 2019 au Blackbird Music Studio, Berlin

Mike Stern (guitare); Jeff Lorber (claviers); Jimmy Haslip (basse); Dave Weckl (drums); Vinnie Colaiuta (drums); Gary Novak (drums); Dave Mann (cuivres); Leni Stern (ngoni).


On peut dire que Mike Stern a un talent certain pour choisir ses complices. Après Yellowjackets, Jan Gunner, Eric Johnson, Dave Weckl et quelques autres, il s'allie aujourd'hui au claviériste Jeff Lorber, lui-même auteur de pas mal d'albums de jazz fusion mais à tendance plus douce (proche du smooth jazz). Avec Mike Stern qui est un musicien beaucoup plus mordant à bord, la musique est au croisement de deux approches différentes, ce qui a engendré un style intermédiaire à la fois accessible et sophistiqué avec, en plus, une pointe d'humour. D'ailleurs, le titre de l'album fait référence au film parodique Spinal Tap dans lequel le guitariste expliquait fièrement que son potentiomètre de volume avait onze degrés, soit un de plus que la normale, pour un extra de puissance en concert.

Le résultat est ainsi un jazz-rock esthétique et plein de groove, funky même comme sur Ha Ha Hotel qui évoque carrément les fabuleux Brecker Brothers. Mike Stern y délivre un solo de guitare pyrotechnique tandis que Jeff Lorber qui joue ici de l'orgue Hammmond conclut en réduisant le studio en cendres. Cette composition, qui était apparue pour la première fois sur l'album Is What It Is de Mike Stern en 1994, est ici revivifiée dans une version définitive.

Coproduit par le bassiste Jimmy Haslip (Yellowjackets) et bénéficiant, entre autres, de la présence remarquable des batteurs Dave Weckl et Vinnie Colaiuta, Eleven réunit le meilleur de deux mondes en offrent une fusion à la fois mélodique et incendiaire, de quoi plaire à tout le monde.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Eleven (CD / Digital) ]
[ A écouter : Ha Ha Hotel ]


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