Le Rock Progressif

Spécial Folk-Rock / Médiéval


Série II - Volume 10 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 4 ] [ 5 ] [ 6 ] [ 7 ] [ 8 ] [ 9 ]

Malicorne : Almanach (Hexagone/Griffe), FRANCE 1976
Un almanach est un livre annuel populaire colportant à côté d’éphémérides, des renseignements divers, des traditions, des recettes, des remèdes, des anecdotes, contes, rituels et légendes paysannes qui illustrent les mois et les saisons. Voici l’Almanach de Malicorne, un groupe fondé par Gabriel Yacoub, ancien compagnon d’Alan Stivell, et sa femme Marie. Doté d’une somptueuse pochette, l’album revisite avec bonheur le folklore de France, racontant au fil des saisons des petites histoires du terroir, parfois bucoliques (Voici venir le joli mai) ou humoristiques (La fille au cresson) mais aussi tristes et tragiques (L'écolier assasin, Les tristes noces) ou mêmes insolites comme ce Margot dédié à l'écrivain Claude Seignolle, chantre du fantastique et des légendes périgourdines. Mêlant habilement à une once d’électricité - essentiellement la basse, une guitare, un Moog et un dulcimer électrique - des instruments acoustiques (mandoline, violon, violoncelle et flûte à bec) dont certains proviennent des musées comme l'épinette, la vielle à roue ou le cromorne, la musique garde un fort côté traditionnel mais avec une touche de modernisme. Un peu à l’instar de ce que Maddy Prior et son groupe Steeleye Span faisaient à l’époque de l'autre côté de la Manche (on notera pour la petite histoire qu'une compilation des trois premiers albums de Steeleye Span, éditée par Charisma en 1973, portait aussi le nom Almanack). On peut sans crainte affirmer que Malicorne a fait progresser le genre avec ce troisième album : tout y a été pensé avec soin et la combinaison d’ancien et de moderne, dosée avec un soin maniaque, rend la musique aussi agréable qu'intemporelle. Préservant les accents fantasmatiques d’un Moyen-Âge imaginaire où la pastorale ambiguë se mêle à la sorcellerie et au merveilleux, Almanach devint vite disque d’or et surfa au milieu de années 70 au sommet de la vague folk progressive … avant que celle-ci ne s’affaisse sous les coups des barbares de la punkitude anglo-saxonne. Le redécouvrir aujourd’hui intact engendre un plaisir ineffable qui va bien au-delà de la simple nostalgie.

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[ Voici la Saint Jean ] [ Quand J'étais Chez Mon Père ]

Steeleye Span : Please To See The King (Chrysalis), UK 1971
Steeleye Span fut formé en 1970 par des musiciens de Folk autour de la chanteuse mezzo-soprano Maddy Prior qui, au fil des multiples changements de personnel qui affecteront le groupe, confèrera une forte identité à sa musique à travers toute son histoire. Après un premier album paru en 1970 (Hark! The Village Wait) et une première refonte de sa composition, Steeleye Span sort une année plus tard le premier opus d’une longue série d’albums impressionnants. Entourée par Tim Hart et Martin Carthy aux guitares, Peter Knight au violon, et Ashley Hutchings à la basse, la voix pure et cristalline de Maddy Prior monte vers les sommets et métamorphose ces antiques ritournelles de cour en litanies célestes. La dévotion aux chants traditionnels est totale et même si l’accompagnement a été ouvert aux instruments électriques, l’intégrité et l’esprit des chansons originales sont respectés. La force du groupe, qui bénéficia beaucoup des connaissances en musicologie et de l’expérience du vétéran Martin Carthy (dont l’arrangement de Scarborough Fair entre autres inspira Paul Simon qui en fit un tube international dans la version interprétée par Simon and Garfunkel), fut de reprendre des chansons anciennes et de les remettre intelligemment au goût du jour sans pour autant en perdre les racines, enrichissant du même coup le répertoire du folklore populaire britannique. Ici, pas de riffs bluesy, country ou jazzy ni d’influence américaine d’aucune sorte : l’accompagnement reste sobre mettant en valeur le travail des harmonies à trois ou quatre voix qui, par la magie du réenregistrement, s’ajustent à la perfection. Même le glorieux The King, chanté a cappella, est une révélation tant l’interprétation collective est intense. Seule l’unique composition originale du groupe, Female Drummer qui deviendra une pièce de référence en concert, fait place à un arrangement plus électrique, avec un beau solo de violon de Peter Knight, dans un style proche de celui de leurs compatriotes Fairport Convention. Le reste traduit à merveille la sensibilité et la perception d’un monde enfui dont on peut aujourd’hui se sentir quelque peu nostalgique. Steeleye Span fera encore mieux par la suite avec des disques comme Below The Salt ou Parcel Of Rogues, particulièrement dans la maîtrise des gigues et des réels, mais Please To See The King n’en constitue pas moins une belle réussite qui continue, aujourd’hui encore, à exercer une forte attraction.

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Circulus : Clocks Are Like People (Rise Above Records), UK 2006
Habillés comme d’étranges troubadours issus dont on saurait dire quelle époque, les sept musiciens anglais de Circulus mélangent tout sans vergogne. Le pastoral avec l’urbain et le folklore avec la musique des sphères. Bien sûr, on reconnaît à travers ces neuf chansons l’héritage de la tradition musicale anglaise : les flûtes et autres cromornes sont là pour le rappeler mais le son est dénaturé par des instruments électriques (basse et guitares), du sampling (on croirait parfois entendre les robots de Star Wars) et un Moog qui donne à l’ensemble une touche mi-progressive mi-psychédélique dont le groove n’est pas tout à fait absent. Etrange mélange de Ozric Tentacles et de Jethro Tull bucolique, Song Of Our Despair témoigne que ces sept-là ont définitivement trouvé une voie rétro-futuriste qui passe par la reconstruction décomplexée d’une musique moderne portant des racines très anciennes. Dans le même genre, Bourée en surprendra plus d’un dans cette version iconoclaste, mêlant baroque et électronique, qui aurait fait bondir de joie l’Alex d’Orange Mécanique. Il est toujours intéressant de voir une nouvelle bannière se déployer même si celle de Circulus risque de déplaire fortement aux puristes du Folk et aux conservateurs de traditions. Il n’empêche que les mélodies sont souvent hautes en couleur et les arrangements inventifs. Bien sûr, les voix n’ont rien d’exceptionnel - Michael Tyack et la chanteuse Lo Polidoro chantent sans se forcer comme on le faisait autrefois dans les groupes psychés des années 60 - mais elles ne sont pas déplaisantes non plus et les duos fonctionnent bien. En fin de compte, tout cela relève de la plus pure fantaisie, ce qui est confirmé par les paroles des chansons qui planent aussi haut que la musique. Il y est question de dragons, du Roi Arthur, de contes qui tournent en rond et de princes médiévaux dansant sous des lumières disco : la réalité est une fantaisie et nous vivons dans la réalité (Reality’s Fantasy). Imaginez un peu le délire ! Imperturbables, ces gars-là déclarent qu’il n’y a rien de mieux qu’un rock médiéval psychédélique pour être certain d’engranger une bonne moisson. Je n’ai aucune idée de l’influence que peut avoir ce genre de musique sur la croissance du blé (surtout génétiquement modifié) mais vous aurez compris qu’avec Circulus, il n’y a pas de compromis : ce sera soit désopilant et audacieux, soit monstrueux et déjanté. Pour ma part, Clocks Are Like People est un peu tout ça à la fois !

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Fairport Convention : Full House (Island), UK 1970 – édition remastérisée et augmentée de 5 titres (Island), 2001
Après un accident de voiture qui coûta la vie au jeune batteur Martin Lamble et à la compagne de Richard Thompson, Fairport Convention se reconstitue de façon inespérée pour sortir en 1969 l’extraordinaire Liege and Lief, un album phare qui posera les bases d’un Folk-Rock anglais original basé sur la tradition mais modernisé par l’emploi judicieux d’instruments électriques. Une année plus tard, le groupe connaît un nouveau revers de taille : le bassiste Ashley Hutchings, membre fondateur et archiviste du folklore britannique, quitte Fairport pour rallier un ensemble rival nommé Steeleye Span, plus en phase avec son inclination pour les chansons traditionnelles, tandis que la chanteuse Sandy Denny, qui incarnait alors la voix du groupe, décide elle aussi de tenter sa chance en créant Fotheringay avec son futur époux Trevor Lucas. Mais ceux qui restent ne comptent pas pour rien. Dave Swarbrick est un violoniste agile qui affiche à chaque album de plus en plus d’assurance tandis que le nouveau bassiste Dave Pegg, recruté en remplacement de Hutchings sur recommandation de Swarbrick, compose une paire rythmique efficace avec son compère batteur Dave Mattacks. Et puis, il y a les deux guitaristes fondateurs, Simon Nicol et celui qu’on peut considérer comme l’as du quintet : Richard Thompson qui est en plus un excellent compositeur beaucoup plus intéressé par ses propres créations que pas la reprise d’anciennes chansons. A part Mattacks, tous chantent et, puisque leur égérie s’est faite la malle, ils ont décidé de remplacer sa voix féminine par de savantes harmonies vocales enregistrées un mois plus tard que les parties instrumentales au studio Vanguard de New-York. Ainsi, si Full House ne ressemble pas à Liege And Lief, il ne s’en révèle pas moins intéressant et, sur le plan purement instrumental, peut-être même meilleur que son prédécesseur. La musique est énergique, avec une composante rock qui submerge parfois celle du folk comme sur Walk Awhile composé par le tandem Thompson – Swarbrick, tandis que les échanges entre guitares et violons sont plus mordants et admirablement propulsés par l’approche plus rock du nouveau bassiste (écoutez les lignes de basse de la première partie du medley Dirty Linen). Sloth est probablement le sommet du disque avec un duo stupéfiant entre Swarbrick et Thompson qui métamorphose cette ritournelle folk en véritable morceau progressif. Cette nouvelle réédition reprend le répertoire initial et y ajoute logiquement le titre Poor Will And The Jolly Hangman qui, à la demande de Thompson, avait été retiré tardivement du LP original (dont la pochette déjà imprimée avait été corrigée à la hâte et de façon inélégante). On se demande pourquoi car une fois encore, le duo entre Swarbrick, qui joue de la mandoline, et la guitare électrique de Thompson est incendiaire. Quatre titres sont en plus offerts en bonus : le mélodieux Now Be Thankful, sorti sur un 45 tours devenu introuvable, figure ici (en deux versions, mono et stéreo) en compagnie de sa face B (Sir B. MacKenzie's Daughter's Lament …) et d’un autre traditionnel enregistré live en studio par Phil Spector (Bonny Bunch Of Roses). Ainsi restauré, remastérisé et augmenté, Full House est un compact indispensable et probablement le dernier très grand disque de Fairport Convention, Richard Thompson ayant lui aussi décidé de quitter le navire avant le prochain album studio (Angel Delight, 1971). Simon Nicol, le seul membre fondateur restant, partira à son tour en 1971 laissant Fairport Convention dériver comme un collectif mouvant au sein duquel de formidables musiciens viendront tour à tour s’exprimer dans l’idiome de ce Folk-Rock britannique dont le code fut défini une fois pour toutes à la fin des années 60.

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Trader Horne : Morning Way (Dawn), UK 1970 – édition remastérisée et augmentée de 2 titres (Castle), 2000
Avant Sandy Denny, Judy Dyble fut la chanteuse originelle de Fairport Convention avec qui elle enregistra leur premier album éponyme. Lorsqu’elle quitta le groupe en 1968, elle passa une annonce dans le journal musical Melody Maker en vue de recruter des musiciens. Pour la petite histoire du Rock Progressif, c’est Peter Giles qui appela et c’est Ian McDonald, à l’époque compagnon de Judy Dyble, qui décrocha. Ainsi fut établi le premier contact historique entre McDonald et Giles qui aboutit à la création de Giles, Giles and Fripp (groupe précurseur de King Crimson) auquel Judy participa brièvement - on peut l’entendre chanter sur quelques démos, dont une version de I Talk To The Wind, compilées sur l’album The Brondesbury Tapes (Voiceprint, 2001). On raconte même que plus tard, elle faillit faire partie de la première mouture de King Crimson. Quoi qu’il en soit, Trader Horne est d’abord le projet de Jackie McAuley, ancien organiste du turbulent groupe de Rock irlandais Them (et futur musicien de session pour, entre autres, Jim Capaldi, Traffic et Rick Wakeman), qui est ici en plus chanteur mais aussi compositeur de la quasi-totalité des chansons. Il faut savoir qu’avant de se lancer dans le Rock, McAuley a été élevé dans une famille de musiciens traditionnels irlandais où il a eu le temps d’absorber toutes les subtilités du folklore local. Pas trop de surprise dès lors si Morning Way (intitulé d’après une des rares compositions de Judy Dyble qui s’avère incidemment être l’une des plus belles du répertoire) est un disque de Folk-Rock bucolique où percent des accents de musique traditionnelle ancienne. On y décèle aussi une approche psyché avec l’utilisation parcimonieuse d’instruments inusités (harpe, flûte, congas, clarinette basse, célesta et clavecin) et quelques arrangements légèrement symphoniques qui procurent de temps à autre à la musique une touche progressive (The Mixed Up Kind). Dotée d’une section rythmique plutôt discrète, l’ensemble reste avant tout acoustique avec de délicates interventions de Ray Elliot aux instruments à vent. Le duo Dyble / McAuley fonctionne plutôt bien et leurs voix se complémentent avec charme pour raconter des textes inspirés par une féerie à la Tolkien. Bizarrement, on trouvera aussi sur cet album une reprise du Nobody Knows You When You're Down And Out de Bessie Smith, rebaptisé pour l’occasion Down And Out Blues, qui témoigne de l’éclectisme du duo. A noter enfin le motif instrumental qui relie les chansons entre elles et confère au disque une cohésion artificielle. L’album est augmenté de deux titres en bonus provenant d’un 45 tours aujourd’hui introuvable (Here Comes The Rain / Goodbye Mercy Kelly, Dawn, 1970) et sa remastérisation en améliore considérablement l’écoute. Judy Dyble ayant abandonné le groupe peu de temps après l’enregistrement, Morning Way reste l’unique témoignage de Trader Horne : pas une œuvre indispensable mais un album éthéré et agréable se situant quelque part entre Donovan, le Renaissance de Keith Relf et les morceaux les plus mélancoliques de Fairport Convention.

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Fotheringay (Island), UK 1970 – édition remastérisée et augmentée de 4 titres (Vivid Sound), 2004
Après l’enregistrement du mémorable Liege & Lief en compagnie de Fairport Convention, la chanteuse Sandy Denny s’en alla créer son propre groupe avec son compagnon et futur époux Trevor Lucas. Baptisé Fotheringay d’après le nom de la forteresse où fut décapitée Marie Stuart en 1587, le groupe enregistre son unique album éponyme à Londres au printemps 1970 et le sort rapidement en juin. Ceux qui apprécient la voix cristalline et le style inimitable de Sandy Denny seront comblés. L’album comprend quelques une des ses meilleures compositions comme The Sea, cette ode romantique à la mer menaçante, allégorie de la subjectivité féminine et de son ouverture au monde, ou Winter Winds et sa symbolique hivernale ou encore cet étrange poème saturnien qu’est The Pond And The Stream. Le répertoire comprend aussi deux reprises, The Way I Feel de Gordon Lightfoot et Too Much Of Nothing de Bob Dylan qui témoignent de l’intérêt que la chanteuse a toujours porté au Folk-Rock américain. Pas d’instruments traditionnels sur cet album : la musique est un tapis de guitares acoustiques et électriques légèrement propulsées par une rythmique souple composée de Gerry Conway à la batterie et de Pat Donaldson à la basse. Bien que le sentiment étrange d’entendre un groupe de folk traditionnel persiste de bout en bout, les arrangements sont modernes et la guitare lead de Jerry Donahue surprenante d’aisance et d’inventivité. Cette réédition par Vivid Sound bénéficie d’un excellent travail de remastérisation : les instruments sont mixés à la perfection et la voix aérienne et nuancée semble littéralement flotter au-dessus de la musique. Quatre chansons enregistrées live au Rotterdam Pop Festival en 1970 viennent compléter les neuf titres originaux du LP et, parmi elles, figure Banks Of The Nile, une splendide ballade décrivant les horreurs de la guerre sur fond de campagne napoléonienne en Egypte. Ainsi restauré dans toute sa gloire, cet album historique, à la fois lyrique et profondément expressif, se déguste comme un vol plané onirique au dessus du Folk-Rock britannique. A l’époque, les pressions sur Sandy Denny pour qu’elle entame une carrière solo seront telles que le groupe se dispersera en 1971 au milieu de sessions destinées à un second opus : les compositions en confection referont surface plus tard sur le premier album de la chanteuse (The Northstar Grassman And The Ravens, Island, 1971) et sur Rosie (Island, 1973) enregistré par le Fairport Convention avec Jerry Donahue, Trevor Lucas et Gerry Conway à bord.

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Gryphon : Red Queen To Gryphon Three (Transatlantic), UK 1974
Fondé en 1970 par Richard Harvey et Brian Gulland, Gryphon est passé progressivement d’un duo de folk acoustique à un quintet de Rock progressif à part entière. Bâtissant sur des mélodies inspirées par le Moyen-Âge et la Renaissance, Gryphon élabore une musique complexe qui mêle des instruments à vent comme la flûte, le cromorne (de la famille des hautbois) et le basson à des guitares, des claviers et une section rythmique comportant une basse électrique. Tempos brisés, contrepoints improbables (pensez à Gentle Giant), arrangements symphoniques, climats contrastés, mélodies décalées et dérives sonores se succèdent avec entrain et témoignent non seulement des capacités techniques des interprètes (après tout, Brian Gulland est diplômé de la Royal Academy of Music) mais aussi de la volonté du groupe à intellectualiser à tout prix leur musique. D’ailleurs, les quatre compositions entièrement instrumentales sont construites en se référant à la logique d’un jeu d’échec et portent des noms en conséquence : Opening Move, Second Spasm, Lament et Checkmate. C’est aussi le moment de s’extasier sur la superbe pochette dessinée par l’illustrateur anglais Dan Pearce qui à la longue deviendra aussi mythique que l’album qu’elle illustre. Le plus étonnant est que cette musique, toute alambiquée qu’elle soit, arrive encore à faire naître des images de donjons et de châteaux, de chasses à courre, de fêtes galantes et de joutes médiévales. Ce qui est la preuve que le concept de départ, consistant à créer une oeuvre moderne à partir d’un ancien folklore, n’est pas aussi abscons que certains ont bien voulu l’écrire. Red Queen To Gryphon Three est un disque qui ne saurait plaire à tout le monde et certainement pas aux amateurs de Folk-Rock classique mais on peut le recommander sans crainte aux vrais fans de Rock progressif qui apprécient les chemins tortueux. Ceux-là ouvriront un livre d’images insolites dont ils auront par la suite bien du mal à se passer.

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Richard & Linda Thompson : Hokey Pokey (Island), UK 1975 - édition remastérisée et augmentée de 5 titres (Island), 2004
Bien que le premier disque de Richard et Linda Thompson, I Want To See The Bright Lights Tonight (1974), soit généralement considéré comme un classique absolu, ce second opus, souvent déprécié en comparaison, est également un bon album, moins folk que son prédécesseur, plus varié et, en un sens, plus expérimental. Déjà le titre qui donne son nom au disque est une des compositions majeures du leader avec ses solos de guitare électrique revêches et son texte métaphorique qui surprendra par ses connotations sexuelles. Il faut dire que les thèmes traités par Richard Thompson ne sont jamais anodins et n’ont rien à voir avec les poésies évanescentes ou féeriques généralement entendues au sein du Folk-Rock britannique. Ainsi, la majorité des morceaux traitent-ils d’un monde où des personnages désabusés vivent d’expédients et sont confrontés à la cruauté de leurs semblables. Et parmi les chansons les plus sombres figure ce Never Again, écrit par Thompson pendant la période de récupération après l’accident de van en 1969 qui coûta la vie à son amie et au batteur de Fairport Convention, et qui rappelle sans équivoque cette tragédie. Sans être aussi nuancé et hanté que celui de Sandy Denny, le chant de Linda Thompson reste très expressif et confère à cette ballade mélancolique et autobiographique une profondeur supplémentaire. Tout en gardant globalement une sonorité folk, les titres se succèdent en intègrant d’autres influences parcimonieuses : country-jazzy-traditionnelle sur Georgie On A Spree, Rock sur Hokey Pokey, théâtrale sur Smiffy's Glass Eye ou faussement ensoleillée sur The Sun Never Shines On The Poor tandis que l’introduction de The Egypt Room prend même une coloration orientale (l’album a été enregistré au moment où le couple commençait à s’intéresser au soufisme). Le grand violoniste écossais Aly Bain, John Kirkpatrick (Albion Band, Steeleye Span) à l’accordéon et Simon Nicol (Fairport Convention) aux claviers et aux guitares enluminent de façon discrète mais efficace les différentes chansons. Le LP original, plutôt modeste avec ses dix plages, a été réédité en compact par Island avec cinq inédits en bonus enregistrés live à divers endroits (Londres, Oxford et BBC) au cours de l’année 1975 dont un It'll Be Me très Rock’n’Roll et une superbe version accompagnée au piano de la ballade A Heart Needs A Home. Cette réédition opportune, avec pochette originale, texte explicatif et paroles des chansons, constitue un bien bel objet que l’on ne saurait que conseiller aux amateurs du genre.

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Amazing Blondel : England (Island), UK 1972
John David Gladwin, Terry Wincott et Edward Baird sont originaires de la ville de Scunthorpe dans le Lincolnshire en Angleterre ou naquit le musicien Iain Matthews, futur membre de Fairport Convention et du Matthews' Southern Comfort. Le trio qu’ils fondèrent en 1970 fut appelé Amazing Blondel d’après le nom du célèbre trouvère Blondel de Nesle attaché à la cour du roi d’Angleterre, Richard Cœur de Lion. Par chance, le trio décrocha un contrat sur le label Island de Chris Blackwell qui s’ouvrait alors à des groupes de folk-rock britannique comme Cat Stevens et Fairport Convention, ou progressifs comme Emerson, Lake and Palmer et King Crimson, ou bien les deux comme Jethro Tull. Au milieu d’une écurie plutôt remuante et disparate, Amazing Blondel se créa une niche à part en écrivant des compositions originales inspirées en droite ligne par la musique médiévale et celle de la période élisabéthaine. Des trois albums qu’ils enregistreront pour Island, même si Evensong (1970) et Fantasia Lindum (1971) restent des réalisations formidables, England est probablement le plus abouti. La suite intitulée The Paintings, qui réunit les trois titres Seascape, Landscape et Afterglow et qui occupait à l’époque toute la première face du LP, est magnifique. Les voix, flûtes, guitares et l'orchestre à cordes s’entendent à merveille pour restituer des paysages colorés comme d’antiques manuscrits dont la dimension pastorale toute simple en apparence cache en réalité une musicalité et des qualités d’écriture qui vont au-delà du folklore ou du folk-rock ordinaire. Le trio, qui s’est fait une spécialité de jouer d’une multitude d’instruments divers (pafois plus de 40 étaient utilisés sur scène), parvient à installer une ambiance féerique propice à un voyage à travers les âges. Sans atteindre la magie de cette suite qui compte parmi les meilleures du genre jamais enregistrées, les quatre compositions restantes sont quand même de premier ordre, la plus étonnante étant ce Lament to the Earl of Bottesford Beck emmené par un orgue aux accents gothiques. Dans le genre musique médiévale réinventée, peu de disques ont atteint la qualité de cet opus et réussi avec autant de force à évoquer aussi bien et avec autant de poésie les campagnes bucoliques, les paysages anglais ou les intérieurs austères des grandes cathédrales. Ce trésor oublié, dont la version LP illustrée par la jolie peinture de Colin Carr est recherchée avidement par les collectionneurs, a été réédité en compact en 1995 par le label sud-coréen Si-Wan et par Edsel en 1996 mais les quelques exemplaires encore disponibles sur le Net sont rares et chers. Une nouvelle réédition digne de ce nom s’avère aujourd’hui indispensable.

Rejoice this harvestide, Alleluia.
Grateful for our countryside, Alleluia.
Mother earth yields her wheat, Alleluia.
Food for all the world to eat, Alleluia.
Cantus Firmus to Counterpoint (Gladwin/Baird/Wincott)

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Forest : Forest (LP - EMI/Harvest), UK 1969 - Réédition CD (Phoenix Records), 2008
Initialement baptisé “The Foresters Of Walesby”, ce trio s’inscrit tout droit dans la brèche ouverte quelques années plus tôt par The Incredible String Band. Ce qui signifie qu’ils pratiquent un folklore d’essence médiévale mais avec une approche moderne qui les classe dans ce sous-genre à part qu’on appelle faute de mieux le folk-rock progressif. La pochette, double à l’époque du LP, donne une bonne idée de la marchandise : des textes bucoliques où, époque hippie oblige, les fleurs et l’amour font bon ménage, des harmonies vocales en pagaille et une instrumentation globalement acoustique à base de guitares, piano, orgue, harmonium, violoncelle, violon, mandoline, harmonica, flûtes, pipeaux et percussions, les trois musiciens, Martin et Hadrian Welham et Derek Allenby, étant, comme il se doit, de parfaits poly-instrumentistes. Quelques titres comme Bad Penny et le très réussi A Glade Somewhere font penser aux premiers disques de Fairport Convention mais avec la voix cristalline de Sandy Denny en moins, ce qui fait quand même une sacrée différence. Sinon, il y a d’autres bons moments comme ce While You're Gone en forme de danse païenne sous la lune ronde, la ballade poppisante Nothing Else Will Matter, A Fantasy You et ses tourneries de flûtes envoûtantes ou encore Do You Want Some Smoke très typé entre le folk anglais et un psychédélisme « sixties » enrobé de fumées illicites. Enregistré aux studios Abbey Road au début de 1969, Forest semble avoir bénéficié d’un confort d’enregistrement et d’une production correcte que l’on doit peut-être à l’intérêt que leur témoignait à l’époque le fameux DJ John Peel. Cet album en forme d’ode décalée au dieu Pan, qui passa totalement inaperçu en son temps, n'a rien d'un classique oublié mais sa réédition soignée par le label Phoenix vaut bien qu’on lui accorde une nouvelle écoute.

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Harmonium : Si On Avait Besoin d'une Cinquième Saison (LP Célébration), Canada 1975 - Réédition CD (Polydor), 1991
A l’origine un trio de folk-rock comprenant Serge Fiori (Guitares, flûte, chant), Michel Normandeau (guitare, accordéon, chant) et Louis Valois (basse, piano, chant), Harmonium est devenu un quintet quand il entre en studio en 1975 pour enregistrer son second opus : Si On Avait Besoin d'une Cinquième Saison. Le concept est un survol des quatre saisons auxquelles le groupe en a rajouté une cinquième imaginaire. A l’instar de Vivaldi, la musique décrit des ambiances liées aux paysages et climats qui se succèdent. Vert est ainsi dédié au printemps et à ses couleurs chatoyantes, Dixie à l’été ici musicalement associé à l’insouciance d’un jazz traditionnel nommé dixieland, Depuis l'Automne est tout simplement bucolique avec ses chœurs et son mellotron tandis qu’En Pleine Face, plus sombre, pourrait être, avec son accordéon nostalgique, un hymne à l’hiver glacé canadien. Les textes sont chantés en français avec cet accent mélodieux caractéristique du Québec. Les flûtes, piccolos, saxophone soprano et guitares à douze cordes sont assaisonnées d’une basse, d’un piano et d’un mellotron tandis que l’absence de batterie confère à l’ensemble une douceur plus proche du folk que du rock. Reste le meilleur avec ce titre épique, Histoire Sans Paroles, qui dépasse les 17 minutes. Ici, la musique toujours d’inspiration folk et dominée par les flûtes et les guitares acoustiques prend une réelle dimension symphonique. Le mellotron s’en donne à cœur joie, les différentes sections s’imbriquent avec efficacité et délicatesse tandis que des paysages sonores inédits se fondent les uns dans les autres jusqu’aux vagues immenses de l’océan, terminal d’un magnifique voyage fantasmagorique. Ne vous laissez pas avoir par la pochette naïve qui semble reléguer cet album dans une époque peuplée de fleurs et d’heureux hippies, cette musique poétique et optimiste est non seulement belle, elle est intemporelle.

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John Renbourn : The Nine Maidens (Flying Fish), UK 1986 - Réédition CD (Titan), 2008
Avec ce disque, on plonge dans le monde délicat des tarentelles, sarabandes, estampies, pavanes et autres danses qui peuplent le folklore européen depuis l’époque du bas Moyen-Age. John Renbourn, membre fondateur avec son alter ego Bert Jansch du célèbre groupe Pentangle à la fin des années 60, est un virtuose de la guitare folk acoustique dont il joue parfois dans un contexte Country Blues ou même Jazz, la meilleure part de son œuvre en solo restant toutefois liée à l’interprétation soit de morceaux folkloriques datant de l’époque médiévale ou de la Renaissance, soit de titres qu’il compose et arrange dans le même style. Et dans ce dernier genre, The Nine Maidens se classe assurément, à côté de The Lady And The Unicorn et de Sir Johnalot, au sommet de sa discographie. Même s’il intègre sur certains titres une flûte à bec ou une petite cornemuse, la guitare de Renbourn est l’épicentre de cette musique entièrement instrumentale. Parfois ensorcelante et cristalline, parfois guillerette et tournoyante, elle recrée, le temps d’une chanson, l’univers mythique des trouvères, des troubadours et des ménestrels. A l’opposé de la musique classique qui s'intéresse davantage à une exécution authentique, Renbourn préfère donner à ces danses une dimension personnelle en prenant quelques libertés avec les rythmes et les lignes mélodiques, leur insufflant en quelque sorte une énergie nouvelle qui les rend aussi vivantes et dynamiques aujourd’hui qu’elles l’étaient jadis.

[ The Nine Maidens ]

Loreena McKennit : The Mask And Mirror (Quinlan Road), Canada 1994
L’auteur, compositeur et interprète canadien Loreena McKennitt est un cas à part dans la musique folklorique. D’origine irlandaise, elle s’est appropriée une certaine tradition celtique qu’elle a au fil de ses disques éclatée vers d’autres horizons. Découvrant le monde à travers le vitrail d’une Espagne médiévale (pour reprendre ses propres termes), elle observe l’histoire des peuples qu’elle rencontre dans ses voyages s’intéressant plus à leurs croyances profondes qu’à un superficiel exotisme. De l’arbre sacré des celtes au pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, des Templiers aux Cathares, des palais de Grenade à la Grand-place de Marrakech ou sur la route de croisades menant aux Soufis d’Egypte, elle s’interroge sur le mystère des religions et de la vraie spiritualité. Sa musique dès lors, parce qu’elle privilégie le côté secret des choses, n’a rien à voir avec la vague actuelle de la World music. Mélangeant la harpe aux synthés, la guitare électrique à la balalaïka, la basse au tambour, la cornemuse à un orchestre de cordes, Mckennitt opère une fusion si naturelle de ses influences que sa musique est proprement indescriptible. Au-dessus, sa voix superbe entraîne l’auditeur dans un univers mystique et uchronique où l’Occident et l’Orient se seraient fondus en une civilisation unique. Un univers où Marco Polo et Ibn Batouta auraient voyagé ensemble à travers les océans sur un grand vaisseau de bois.

[ The Mask And Mirror ]
[ The Bonny Swans ] [ Marrakesh Night Market ]

Tír Na Nog : A Tear And A Smile (Chrysalis), Irlande 1972 – Réédition sur 1 CD couplé avec le 3me LP Strong in the Sun (Beat Goes On), 2004
Forcément, avec un nom pareil (Tir Na Nog désigne en gaélique une île mythique où le temps est aboli au profit d’une éternelle jeunesse), le groupe est originaire d’Irlande. Formé à Dublin en 1969 par Leo O'Kelly et Sonny Condell, Tir Na Nog joue une musique aux accents légèrement celtiques basée sur des harmonies vocales et des entrelacements de guitares acoustiques. Produit en 1972 par le légendaire Tony Cox (Family, Trees, Caravan…), ce second album met en évidence des compositions aériennes fort bien tournées et emblématiques du folk-rock anglais de l’époque dans le même créneau que Magna Carta, Pentangle ou The Incredible String Band. Il marque aussi une évolution par rapport à leur premier disque éponyme de 1971 qui était plus traditionnel et privilégiait surtout l’aspect folk de leur musique. A Tear And A Smile étend en effet la palette sonore du groupe par l’addition de Barry DeSouza à la batterie et de Larry Steele à la basse, en plus de quelques arrangements de cordes discrets mais efficaces. La musique reste bien sûr essentiellement pastorale avec des ballades somptueuses aux mélodies superbes comme Down Day, Hemisphere, So Freely, Goodbye My Love et Two White Horses. Mais la composition The Same Thing Happened aurait pu avoir été écrite par un groupe de folk-rock américain (dans un style personnel quelque part entre Bob Dylan et Simon & Garfunkel) tandis que Bluebottle Stew est une chanson enjouée et bien arrangée entre jazz traditionnel et cabaret. Cet album, le meilleur des trois enregistrés par Tir Na Nog entre 1971 et 1973, plaira à tous les amateurs de musique automnale et mélancolique.

[ A Tear and a Smile / Strong in the Sun ]


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