Le Rock progressiste

Disques Rares, Rééditions, Autres Sélections


Volume 10 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 4 ] [ 5 ] [ 6 ] [ 7 ] [ 8 ] [ 9 ]

Radiohead : OK Computer (Capitol), UK 1997

Constitué en 1988 par des étudiants de l’Université d’Oxford, Radiohead, groupe alternatif inspiré au départ par les premières œuvres de U2, a surpris tout le monde en sortant à l’été 1997 l’album OK Computer, mélange surprenant de Rock moderne propulsé par trois guitares, de Progressif planant à la Pink Floyd, de sons électroniques minimalistes et de métriques complexes, qui réussit toutefois à rester émouvant et accessible. Défiant toute analyse objective, la musique s’impose d’abord par ses textures construites comme une succession de couches sonores empilées avec génie, une surface calme en apparence d’où surgissent avec une irrésistible dynamique (mise en valeur lors d’une écoute au casque) des séquences de batterie, des riffs de basse, de courts solos de guitare, des bruitages ou les chœurs d’un mellotron. Ici, toute virtuosité est mise au placard au profit d’une vision créative et cohérente. Parce que si OK Computer n’est pas un concept album au sens commun du terme, il n’en est pas moins conçu autour d’une idée exprimée de façon subliminale : la société high tech aliénant l’homme et ses émotions, le transformant en un être au comportement robotique, pragmatique mais sans idéalisme : you ask me where the hell I’m going ? At Thousand feet per second. Hey man slow down, slow down ! Les mots sont comme la musique : ils semblent chaotiques mais sont quand même structurés avec subtilité, créant une atmosphère nostalgique où le désespoir se mêle à la fatalité. Même la voix de Thom Yorke est insaisissable, passant d’un faux falsetto à des intonations graves et dépressives au fil des plages. Gothique, romantique, sombre, languissante, orageuse, excentrique, désespérée, dramatique, effrayante, l’œuvre de OK Computer exige quelques écoutes avant de se laisser apprivoiser mais, après, on ne peut plus s’en passer. La pochette et le livret de l’album aussi confinent au bizarre et recèlent dans leur simplicité et leur pureté simulée la hantise d’un monde technologique soumis à une accélération inéluctable, abstrait, absurde, angoissant, faussement parfait. Une hantise qui, quelque part, n’est pas si éloignée de celle de Ira Levin ou de Aldous Huxley dans leurs romans respectifs (Un Bonheur Insoutenable et Le Meilleur des Mondes). Lucide ou pas, OK Computer reflète par sa musique et ses textes un malaise diffus et offre, chose qui n’est pas si courante dans la musique Rock, un autre regard sur le monde dans lequel nous vivons. Quant à Radiohead, groupe désormais culte et considéré comme ultra-perfectionniste, son succès est forcément allé croissant mais il n’a encore rien sorti de mieux que cet album-ci.

[ Radiohead Dot Com ] [ Ecouter / Commander ]

Machiavel : Mechanical Moonbeams (EMI), BELGIQUE 1978 - réédition remastérisée, 2005

Ce troisième disque du groupe belge Machiavel continue dans la même veine que Jester avec un rock symphonique dont les influences majeures restent Genesis, surtout lors des parties instrumentales majestueuses enrobées de mellotron, et Supertramp quand la pulsation syncopée sur les titres plus rapides est confiée au piano acoustique (Summon Up Your Strengh et The Fifth Season). Ceci dit, Machiavel a désormais un son propre bien reconnaissable et son répertoire varié inclut des musiques fort diverses comme ce Rope Dancer enrobé de synthés analogiques qui n’est qu’une jolie ballade ornementée ou l’excellent After The Crop dont le crescendo commencé sur fonds de guitare acoustique se poursuit par de belles envolées de synthés et de guitares avant d’exploser en un rock classique qui, on le sait, a toujours été le genre favori du batteur Marc Ysaye, créateur et responsable des programmes de l’émission radiophonique préférée des amateurs belges : Classic 21. Les plages ne sont jamais exagérément longues (entre 4 et 7 minutes) et témoignent des efforts du groupe pour composer des miniatures cohérentes sans scories ni longueurs inutiles. Les textes surréalistes sont bien écrits et chantés avec un léger accent par un Mario Guccio dont la voix de caméléon s’adapte constamment à l’atmosphère des chansons : de la douceur aux éructations expressives en passant par une belle voix de Rocker presque Hard. En plus des sept titres du LP original et outre une production plus claire dont le son met mieux en valeur les différents instruments, ce CD remastérisé propose deux titres supplémentaires en bonus : un Wind Of Live dont l’introduction très Genesis morphe après 4 minutes en un thème jazzy enlevé (déjà édité en 1980 sur une compilation de Rock Belge introuvable : If It’s Tuesday… Sprouts) et I’m Not A Loser, un enregistrement studio inédit en forme de Pop-Rock banal qu’on aurait pu laisser dormir dans son tiroir. La pochette dessinée par Celle, quoique restant dans le genre SF/fantastique, est moins réussie que celle de Jester et sera la dernière réalisée par l’illustrateur pour le groupe. Mechanical Moonbeams marque brillamment la fin de l’époque Eurock pour Machiavel qui prendra désormais d’autres chemins plus populaires mieux en phase avec les goûts des années 80.

[ Machiavel Official Homepage ] [ Ecouter / Commander ]
[ The Fifth Season ] [ After The Crop ]

Jellyfiche : Tout Ce Que J’ai Rêvé (Unicorn), Canada 2008

Les groupes de prog d'expression francophone sont suffisamment rares pour ne pas parler de celui-ci. D'autant plus que cet album aborde le genre avec une approche moderne combinant la poésie mystérieuse de textes bien écrits avec une musique éclectique. Fondé à Montréal en 2005 par Syd (voix), Éric Plante (saxophone et clavier) et Jean-François Arsenault (guitare), le trio s'est associé avec un batteur et un flûtiste pour sortir un premier disque en 2008 qui a pris les amateurs canadiens par surprise. S'inspirant du rock progressiste des seventies et se cantonnant à des instruments analogiques vintage, dont un mellotron sur certains titres, Jellyfiche a développé une musique qui, tout en évoquant une école francophone représentée par Ange, Mona Lisa et Harmonium, sonne quand même très différemment de ces derniers. Les textures sont ici plus fournies, plus denses, proches de celles du néo-prog des 90's (Arena). Sur certains titres comme l'envoûtant Les Arbres, c'est plutôt à Pink Floyd, que l'on pense surtout quand le guitariste, adoptant le style de David Gilmour, déploie ses ailes pour un vol plané d'envergure. A d'autres moments (Caché Au Fond Plus Haut), la musique se fait psychédélique avec des guitares incisives qui tricotent une trame électrique autour des mots. Globalement, les tempos sont medium et la durée des chansons suffisamment longue pour autoriser des digressions instrumentales. Il y a même une sorte de suite avec un instrumental (In Vitro) introduisant les deux parties de Dans La Peau D'un Autre. Et après le court La Fontaine et son ambiance de fête foraine, le dernier titre intitulé La Cage Des Vautours / Liberté dépasse les 15 minutes en incluant plusieurs variations de tempo. Le chanteur Syd y affiche une manière expressive d'articuler les mots qui coulent de façon fluide et naturelle, ce qui n'est pas toujours le cas pour les textes en français. Il faut dire qu'à l'instar du morceau éponyme, La cage Des Vautours / Liberté a été écrit par le poète québécois renommé Guy Marchamps et que, tout en gardant une part d'abstraction, les paroles sortent vraiment de l'ordinaire par leur ésotérisme et les pensées qu'elles font naître : Mais il a contré les malédictions. Retrouvé ses esprits dans l'action. Au coeur d'une vaste forêt, il danse. Transformé par ses souffrances. Des chamans tournent autour de lui. Le liant à la source de vie. Lui livrent le savoir inaccessible. Qui le rendra invincible.... Tout Ce Que J’ai Rêvé n'est certes pas révolutionnaire mais c'est un album de prog mélodique, accessible, contrasté et captivant aussi bien au niveau musical que sur le plan de l'interprétation et des paroles. Et si besoin en était, il apporte un nouveau démenti cinglant à tous ceux qui pensent avec la certitude des majorités que le rock progressiste ne se conçoit que dans la langue de Shakespeare.

[ Tout Ce Que J'ai Rêvé (CD & MP3) ]
[ Les Arbres (montage vidéo) ] [ Tout Ce Que J'ai Rêvé ]

Tomas Bodin : Sonic Boulevard (Inside Out), SUEDE 2003

Tomas Bodin est loin d’être un inconnu puisque c’est lui qui tient les claviers au sein des Flowers Kings et, à l’instar des autres membres du groupe, il édite aussi régulièrement sous son propre nom des disques (celui-ci est le troisième) qu’il enregistre avec ses acolytes habituels : après tout, pourquoi chercher ailleurs quand on a à sa disposition des musiciens aussi fantastiques que Roine Stolt (guitares), Zoltan Csörtz (drums), Jonas Reingold (basse), Hans Bruniusson (percussions) et Ulf Wallander (saxophone soprano). Il semble qu’au départ, l’intention de Bodin était de réaliser un projet de musique "ambient" uniquement disponible via l’Internet mais que, poussé par sa maison de disque, le claviériste se soit finalement résolu à enrichir son projet et à le diffuser par la voie plus traditionnelle du compact. Quoiqu’il en soit, la musique n’a rien à voir avec le Progressif exubérant des Flowers Kings et ne recourt jamais à la virtuosité des musiciens. Les atmosphères sont effectivement relaxantes, parfois mélancoliques et souvent planantes, Bodin semblant davantage préoccupé par les arrangements que par une quelconque pyrotechnie et se contentant bien souvent d’offrir des accompagnements colorés à ses solistes. Entièrement instrumentale si l’on excepte quelques effets vocaux, des chœurs et une amusante partie de scat (chant par onomatopées) doublée à la guitare par Jocke JJ Marsh sur Walkabout, l’œuvre est aussi imprégnée d’une atmosphère jazzy certes agréable mais un peu trop facile à écouter et c’est là la principale critique que l’on peut adresser à cet album. On n’est parfois pas loin de la musique de film à la Ennio Morricone comme sur ce Horses From Zaad dont les cloches et les sifflements rappelleront immédiatement l’homme sans nom sur la piste d’une poignée de dollars. Quelques titres interprétés au piano acoustique (Picture, Morning Will Come et The Night Will Fall) complètent ce répertoire en demi-teinte dont ils renforcent le côté rêverie musicale. En fait, Sonic Boulevard est à la limite de l’Easy Listening, idéal pour se faire du cinéma dans la tête ou pour agrémenter une soirée entre amis. Au lieu de requérir toute votre attention, sa musique discrète et polie à l’extrême s’insinue lentement dans le décor pour charmer les oreilles sans jamais déranger. Bref, Tomas Bodin est ici au Prog ce que David Sanborn, Bob James, Fourplay et Chris Botti sont au Jazz : tout est plaisant, lisse et modéré mais rien d’essentiel ne surgit de leurs chatoyantes et prévisibles miniatures.

[ Tomas Bodin Website ] [ Ecouter / Commander ]

Derek Sherinian : Black Utopia (Inside Out), USA 2003

Connu pour sa participation à des albums de Kiss, Alice Cooper, Dream Theater, Yngwie Malmsteen, Platypus, et Planet X, on attendait de Derek Sherinian un disque forcément gorgé d’adrénaline mais mettant surtout l’accent sur les claviers. Or, c’est d’abord à un album de guitares que l’on est convié, Sherinian ayant ramassé autour de lui une brochette d’hyper doués de la six-cordes qui se sont empressés de bouter le feu aux compositions Rock-Fusion écrites en collaboration avec Brian Tichy. Commencez par la trilogie The Sons Of Anu qui rassemble Yngwie Malmsteen et Al DiMeola, ce dernier se chargeant d’une partie acoustique jouée sur une guitare nylon mais aussi d’un solo électrique qu’on croirait tout droit sorti d’Elegant Gypsy. Malmsteen, dont la technique est toujours impressionnante, délivre riffs et solos avec sa virtuosité habituelle et il faut dire que l’entendre improviser sur des partitions qui ne sont pas les siennes est non seulement rare mais aussi tout à fait jouissif : j’ai toujours pensé que ce musicien arrogant, que l’on a un peu vite enfermé dans un style néo-classique pompeux et speedé, a un potentiel énorme et que les disques enregistrés sous son nom ne lui rendent pas toujours justice. De quoi revoir l’opinion qu’on a de lui ! Passez ensuite à Sweet Lament, une ballade superbe avec le guitariste Steve Lukather (Toto) qui exploite son talent de sculpteur de mélodies. Lukather transforme encore l'autre ballade Stony Days en joyau de finesse mélodique et conclut sa troisième intervention sur une reprise d’un classique du tandem Jan Hammer/Jeff Beck intitulé StarCycle. Les trois titres ont été mis en boîte par Lukater en trois heures et Sweet Lament en une prise unique : il n’en fallait pas davantage à un tel géant. Les sessions de Black Utopia étant en phase avec le vingtième anniversaire de la mort de Randy Rhoads (Ozzy Osbourne), Sherinian en a profité pour écrire quelques titres en forme d’hommage au guitariste virtuose du Heavy Metal : Nightmare Cinema, Axis Of Evil et Black Utopia dont les atmosphères sombres et violentes sont conformes à l’univers maléfique du chanteur de Black Sabbath. Pour ces trois là, c’est bien sûr Zakk Wylde qui fut judicieusement convoqué en sorcier du manche et qui ne s’est pas privé d'éructer des jets mortels de lave en fusion. Ajoutez à tout cela un autre morceau latin avec Al DiMeola (Gypsy Moth), la basse grondante de Billy Sheehan, le violon électrique de Jerry Goodman (ex-Mahavishnu Orchestra), la batterie de Simon Phillips (Jeff Beck, Toto) et le leader lui-même omniprésent aux claviers derrière et à côté de ses prestigieux invités et vous obtenez un disque 100% instrumental de Rock Heavy / Fusion / Prog-Métal qui, sans être d'une grande originalité, se hisse sur le plan de l’interprétation à la hauteur des espérances que son fabuleux line-up laissait espérer.

[ Derek Sherinian ] [ Ecouter / Commander ]
[ Sweet Lament ] [ The Sons Of Anu ]

Family : Bandstand (United Artists / Castle), UK 1972

Avec ce disque, Family avait presque atteint la notoriété grâce à son premier titre, un Burlesque funky et malicieusement sybarite qui sut trouver son chemin dans les Charts. Pas suffisamment toutefois pour maintenir soudé un groupe qui eut toujours beaucoup de mal à concilier les deux pôles de sa musique : d’une part, un rock imprégné de blues/R&B transcendé par la guitare énergique de Charlie Whitney et par la voix au vibrato dévastateur, façonnée par le whiskey et la fumée, de son chanteur charismatique Roger Chapman et, d’autre part, un côté art-rock caractérisé par des passages folk ou jazzy et l’utilisation de mellotron, de violons, d’arrangements sophistiqués, de guitares acoustiques, saxophones et autres vibraphones. Ainsi, Bandstand propose-t’il un répertoire composite qui peut sembler incongru mais qui n’en reflète pas moins cette ambiguïté. Dark Eyes et My Friend The Sun perpétuent un goût pour les ballades acoustiques et les mélodies nostalgiques. A l‘opposé, Ready to Go, Broken Nose et Burlesque confirment l’attirance de Family pour un Rock/R&B basique et efficace. Entre ces deux extrêmes, des titres comme Coronation, Bolero Babe, Top of the Hill et Glove sont multi-référentiels et s’avèrent des compositions originales (toutes sont écrites par le couple Chapman/Whitney) que l’on jugera soit biscornues, soit géniales en fonction de l’intérêt qu’on porte à ce genre de mixture. La participation de John Wetton aux parties vocales n’apporte pas grand chose, le bassiste et chanteur se sentant probablement trop à l’étroit au milieu de cette grande famille agitée. Il acceptera d’ailleurs bientôt l’offre de Robert Fripp et quittera le groupe aussitôt après cet enregistrement pour une position nettement plus visible au sein de la seconde mouture de King Crimson (Larks' Tongues In Aspic). Avant de se désagréger définitivement, Family enregistrera encore en 1973 un dernier disque intitulé It's Only A Movie plutôt relax et sympa mais qui n’aura aucun succès. Bandstand représente un bon exemple ce que ce groupe avait à offrir et probablement le meilleur de ce qu’il a produit dans les années 70. A noter enfin la pochette représentant, de face comme de dos et à l'intérieur, une antique télévision en noir et blanc, l’une de ces rares pochettes de LP dont la forme épousait celle de l’objet qui y était reproduit et qui font aujourd’hui le bonheur des collectionneurs.

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[ Burlesque ] [ Coronation ]

Pink Floyd : A Momentary Lapse Of Reason (Columbia), UK 1987 - CD Remastered (SONY), 2005

Trois années après The Final Cut (1983) censé mettre un point d’orgue à l’aventure Pink Floyd, Gilmour et Mason commencèrent l’enregistrement d’un nouvel album tout en menant une bataille juridique avec Roger Waters pour continuer à utiliser le nom du groupe. Cette lutte acrimonieuse les forcera même à déménager des studios de Gilmour à Londres vers Los Angeles où le décalage horaire permettait aux musiciens de se concentrer sur leur création sans subir les assauts téléphoniques permanents des avocats. Sans le bassiste Waters et ses textes introspectifs et avec une contribution très limitée aux claviers de Richard Wright en tant que musicien salarié, Gilmour fut forcé de faire appel à d’autres talents comme Bill Payne (orgue Hammond), Pat Leonard (synthés), Tony Levin (basse), John Halliwell (sax) ou Jim Keltner et Carmine Appice (drums). Si l’album ne saurait être comparé aux grandes œuvres conceptuelles que furent The Wall ou Animals, la musique n’en reste pas moins attrayante et se compare aisément à certains titres du passé, comme Comfortably Numb par exemple, mettant davantage en évidence les qualités du guitariste qu’un quelconque message. Les critiques ne se sont pas privés de descendre l’album en flammes pour des raisons musicales (son froid et typé 80’s à cause des séquenceurs, production décevante malgré l’implication du grand Bob "The Wall" Ezrin, prestation standard de Scott Page au saxophone, compositions convenues, stagnation …) et parfois extra-musicales (faux album du Floyd, disque solo de Gilmour, interventions extérieures trop nombreuses, absence de concept, textes sans conviction, business et opportunisme …) mais il faut reconnaître qu’aujourd’hui il garde malgré tout un charme certain et s’avère en tout cas bien meilleur que le précédent, The Final Cut. David Gilmour est un guitariste magnétique, débordant de lyrisme et qui donne en plus ici la nette impression d’un nouvel envol rendu possible par la passion et la liberté retrouvées. En grande partie grâce à lui, Learning To Fly, On The Turning Away et Sorrow, avec sa guitare rugissante, sont autant de titres classiques méritant de figurer sur tout bon Best Of du groupe. La pochette reste dans le style d’Hipgnosis connu pour concrétiser ses visions au lieu de les concevoir sur ordinateur : pas moins de 800 lits d’hôpitaux furent transportés et soigneusement alignés sur la plage de Saunton Sands (North Devon, UK) avant que Storm Thorgerson ne prenne cette incroyable photographie. Au-delà des discussions stériles sur les vertus respectives de Gilmour et Waters qui continuent d’alimenter les forums du Net, A Momentary Lapse Of Reason est un album qui, sans être un chef d’œuvre, mérite mieux que sa désastreuse réputation et le réécouter maintenant, alors qu’il lâche enfin sa pleine puissance dans une nouvelle version remastérisée (nettement meilleure que les anciennes éditions en CD de 1987 et 1997), est loin d’être une perte de temps.

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Kraftwerk : The Man Machine (EMI / Capitol), ALLEMAGNE 1978

Avec ses rythmes pop robotiques et un son électronique minimal, Kraftwerk, qui signifie « centrale électrique » en allemand, a imposé l’esthétique d’une musique déshumanisée qui culmine dans cet album. Les derniers aspects humains comme la voix ont parfois été gommés au profit des séquenceurs et d’un chant synthétique proche des celle des ordinateurs de l’Odyssée de l’Espace ou des robots de Star Wars. L’album entier baigne d’ailleurs dans une atmosphère de science fiction comme on la concevait jadis : métropoles désincarnées (Metropolis), robots métalliques aux expressions limitées (The Robot, The Man Machine), utopies spaciales (Spacelab), art moderne et futile (The Model) ou cités de lumière (Neon Lights). Le monde de Kraftwerk est un monde mi-rétro mi-futuriste où le progrès l’emporte sur la spiritualité et que, par extension, on pourrait associer à l’idéal soviétique et à sa fascination pour la technologie. La pochette, conçue comme une image propagandiste de l’art stalinien, conforte cette impression avec son contraste rouge / noir violent et les musiciens du groupe, rigides comme des membres du Parti, le regard fixe tourné ostensiblement vers l’Est. The Robot, dans lequel on distingue quelques mots en russe (Ja tvoj sluga, ja tvoj rabotnik), est non seulement l’une des chansons les plus accrocheuses jamais composées par le groupe mais elle est aussi emblématique d’un style unique qu’ils ont eux-mêmes défini avec lucidité : beau avec une pointe d’horreur. En même temps, The Man Machine marque également l’avènement d’une pop « new wave » néo-romantique sur laquelle il est même possible de danser. Cette musique synthétique et accessible aux masses, aujourd’hui quelque peu datée, offrait à l’époque suffisamment d’idées nouvelles pour inspirer d’autres artistes qui s’engouffreront avidement dans la brèche ouverte : The Human League (Dare !, 1981), Gary Numan (The Pleasure Principle, 1980), John Foxx (Metamatic, 1980) et Ochestral Manœuvres In The Dark (OMD, 1980) par exemple. Mais, malgré quelques productions plus ou moins réussies, aucun d’entre eux n’atteindra la pureté et la fascination de la machine Kraftwerk.

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A Night at the Opera (EMI / Elektra), UK 1975

Queen est indéniablement l’un des groupes majeurs des 70’s, l’un des rares en tout cas à avoir tenté et réussi le panachage (pas nécessairement au sein d’une même composition) de genres aussi différents que le Hard Rock, le Rock progressiste, la Pop glamour, le Jazz et le Music Hall des années 20, certes sans éviter la grandiloquence mais aussi, heureusement, avec une bonne dose d'auto-dérision. Ces genres sont ainsi représentés au fil des plages de A Night at the Opera (un titre emprunté à un film des Marx Brothers) : le Hard (Death On Two Legs et Sweet Lady), le Prog Rock (l’extraordinaire Prophet's Song où l’on décèle l’influence de Led Zeppelin), la Pop légère (You're My Best Friend), le Music Hall hollywoodien (Lazing On A Sunday Afternoon, Seaside Rendezvous), le Jazz traditionnel (Good Company avec un son d’époque joliment rendu grâce à l’utilisation par Brian May d’un ukulele Aloha) et bien sûr leur titre le plus célèbre, l’emblématique Bohemian Rhapsody, qui les réunit tous. Il n’existe probablement rien de plus emphatique dans toute l’histoire du Rock que la musique de Queen mais comme cette pompe ostentatoire est célébrée au second degré avec une bonne dose d’ironie, on est plutôt enclin à pardonner. D’autant plus que tout ça est produit avec un professionnalisme qui frôle la maniaquerie : l’album a nécessité l’utilisation d’au moins six studios pour sa confection et un soin considérable a été apporté aux arrangements en couches multiples (le fameux pastiche d'opéra dans Bohemian Rhapsody), gorgés d’harmonies superbes et d’idées originales (écoutez par exemple dans Seaside Rendezvous ce passage surprenant écrit pour un orchestre de cuivres mais interprété uniquement par des voix). En l’absence de synthétiseurs, un instrument honni par Queen à l’époque (no synthesizers were used on this record), la fameuse guitare Red Special de Brian May est l’instrument soliste majeur et elle fait merveille avec cette tonalité grasse si caractéristique exploitée avec beaucoup de nuances dans un phrasé puissant et mélodique. Les textes sont en rapport avec l’éclectisme des plages, allant du fétichisme pour les automobiles à la Science-fuction de 39’ en passant par un thème biblique lié au déluge et à l’arche de Noé. L’album comprend même, avec Death On Two Legs, une violente diatribe contre une personne non précisée mais identifiée depuis, le groupe ayant apparemment réglé ses comptes avec leur ancien manager et patron des studios Trident accusé de les avoir spoliés d’un véritable support artistique. En dépit de ses côtés kitch, extravagant et vaudevillesque, cette superproduction, qui fut l’album le plus cher jamais réalisé jusqu’à sa date de sortie, a non seulement marqué les 70’s mais elle a su aussi résister au temps puisqu’elle s’écoute encore aujourd’hui avec le même plaisir qu’il y a 30 ans. Et puis, vous avouerez avec moi que cette façon iconoclaste qu'avait Queen de piller la musique bourgeoise pour la restituer aux masses est tout bonnement jubilatoire !

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