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Eveline's Dust : The Painkeeper (Lizard Records), Italie, mars 2016 Le concept de cet album, chanté en anglais, est une allégorie sur le rôle ambigu de la religion dans l'attitude et le comportement des masses populaires : un mystérieux prédicateur (The Painkeeper) s'accapare la peine des gens, faisant ainsi renaître la paix dans leur cœur mais enlevant par la même occasion leurs rêves et leurs aspirations. Un thème bien traité et intéressant, particulièrement dans le contexte catholique italien, mis en sons via une musique qui joue avec les nuances, mélange les styles et compose avec le simple et le complexe. Ainsi, si NREM sublimé par le saxophone de Federico Avella en invité, s'inscrit dans un prog plus classique, le titre éponyme fait davantage penser à Steven Wilson tandis que le début de Clouds est marqué par un riff heavy angulaire qui renvoie plutôt à King Crimson. Les compositions sont sophistiquées et ouvertes à des variations de tempo inattendues comme, par exemple, A Tender Spark Of Unknown qui, après une puissante introduction en forme de jazz-rock avec une nouvelle fois Federico Avella au saxophone, offre une partie funky chantée à la manière du rap, suivie d'une section romantique jouée sur un piano acoustique qui évolue finalement en une chanson plus traditionnelle. Tout cela est arrangé à la perfection, sans rupture brusque ni discontinuité, donnant l'impression d'une composition globale élaborée avec autant de soin que de subtilité. Quant à Joseph, c'est l'un des meilleurs moments du répertoire avec son subtil accompagnement de guitares, sa belle mélodie, ses improvisations de guitare et d'orgue, et sa section centrale sombre et mystérieuse qui évoque la bande sonore d'un film d'horreur (celles de John Carpenter notamment). La voix du chanteur Nicola Pedreschi (également le claviériste du quartet) est agréable et, sur quatre titres, mise en relief par les vocalises expertes de Carolina Paolicchi. Ce groupe fondé en 2012 et basé à Pise a réalisé un album qui tranche radicalement sur les canons du prog symphonique italien habituel. Même la pochette de Francesco Guarnaccia, qui illustre le concept de l'œuvre dans un style proche de la bande dessinée, est aussi réussie qu'originale. Du haut de ses 43 minutes, The Painkeeper est l'un de ces disques novateurs qui, avec quelques autres sortis ces dernières années, marquent un renouveau du rock transalpin, comme un second souffle juvénile, une brise fraîche déferlant depuis la Toscane sur la planète prog. [ The Painkeeper (CD & MP3) ] [ A écouter : The Painkeeper - A Tender Spark Of Unknown ] |
Arti e Mestieri : Universi Paralleli (Cramps / King Records), Italie 2015 Ce groupe originaire de Turin existe depuis les années 70 et est notamment l'auteur d'un premier disque culte intitulé Tilt paru en 1974. Si leur batteur émérite Furio Chirico et leur guitariste Gigi Venegoni sont toujours présents, c'est avec un line-up différent qu'ils ont sorti cet album en 2015. A l'exception de quatre titres chantés sur 12, la musique est instrumentale et s'inscrit dans une fusion aussi singulière que mélodique, mâtinée d'influences classiques et folk méditerranéennes qui la rendent particulièrement séduisante. Le vivace Alter Ego avec ses phrases légères au violon et ses splendides improvisations de guitare électrique, le mystérieux Dune sublimé par le saxophone soprano du grand Mel Collins en invité, ou l'émouvant Borea avec son accordéon nostalgique sont de belles illustrations des capacités de cet ensemble et de sa grande diversité au niveau de l'écriture comme de l'interprétation. Les morceaux chantés sont tout aussi réussis grâce à la belle voix de Iano Nicolo qui met en valeur la musicalité lumineuse de la langue italienne. Pacha Mama, Restare Immobile, L'ultimo Imperatore et Pandora sont ainsi de superbes chansons aussi sophistiquées que raffinées, mais également pleines de subtilité et de fraîcheur. La qualité de la musique est encore rehaussée par la frappe intelligente et constamment en mouvement de Furio Chirico, ici capté en solitaire dans une improvisation explosive sur Comunicazione Primordiale. L'édition japonaise de l'album sur le label King Records comprend un treizième morceau en bonus différent de celui de l'édition italienne : La Porta del Cielo, un instrumental grandiose aux accents cinématographiques ouvrant sur l'infini. Universi Paralleli est un disque quasi parfait qu'on ne se lasse pas d'écouter et, bien que s'exprimant dans une esthétique différente de ce qui constitue l'essentiel du rock progressif italien, il n'en est pas moins l'un des meilleurs représentants du prog transalpin actuel. Recommandé ! [ Universi Paralleli (CD) ] [ A écouter : Alter Ego - L'ultimo Imperatore - Linea d'Ombra ] |
La Bocca della Verita : Avenoth (AltrOck / Fading records), Italie, 21 novembre 2016 Fondé à Rome en 2001, ce groupe a débuté en jouant des reprises du rock progressif des années 70 avant de passer à ses propres compositions et d'enregistrer finalement un compact sorti en 2016. Leur style symphonique est imprégné de références aux formations qui leur ont servi de modèles comme Genesis ou ELP mais aussi Le Orme, PFM et Banco. Avenoth est un compact généreux (près de 78 minutes de musique) basé sur un concept de science-fiction : dans un avenir pas trop lointain, des Terriens colonisent une exoplanète nommée Avenoth où ils soumettent les extraterrestres qui y vivent au lieu de cohabiter avec eux. Des années plus tard, ayant par leur comportement impérialiste entraîné une inévitable rébellion locale, ils sont obligés de fuir et de regagner une Terre désormais privée de ressources. Un récit riche en rebondissements divers dont la musique se fait l'écho. Electrique ou acoustique, énergique ou mélancolique, exotique ou classique, leur rock symphonique se hisse au niveau des meilleures productions italiennes du genre. La présence de deux claviéristes (Jimmy Bax et Massimo Di Paola) qui utilisent ensemble un arsenal de claviers vintage allant de l'orgue Hammond à l'ARP en passant par le mellotron, renforce les textures même si beaucoup d'espace est laissé à l'excellent guitariste Roberto Bucci. Une autre caractéristique du groupe est la sonorité tellurique de la basse Rickenbacker de Guglielmo Mariotti bien mixée en avant. Et si la part du lion est réservée aux sections instrumentales, les parties chantées en italien d'une voix expressive par Fabrizio Marziani ainsi que les harmonies vocales en support sont aussi largement au-dessus de la moyenne. En dépit d'une durée totale définitivement trop longue se traduisant par une certaine complaisance au niveau des compositions, la musique parvient malgré tout à retenir l'attention grâce à une densité qui va croissante au fil des plages. Personnellement, je trouve d'ailleurs que la seconde moitié du disque est plus réussie que la première avec deux titres épiques splendides (La Deportazion et ses innombrables changements de tempo et, surtout La Rivolta, lacéré par des riffs d'orgue Hammond qui renvoient à Ken Hensley au sein de Uriah Heep) suivis par un mélancolique Perduto Avenoth enrobé dans des chœurs et une orchestration majestueuse dignes des Moody Blues. A part ce cruel manque de concision qui ne ternit pas les qualités réelles de l'album et qu'on pardonnera bien volontiers à un groupe enthousiaste soucieux de condenser tout ce qu'il sait faire sur son premier enregistrement en studio, il ne fait aucun doute qu'Avenoth est une production attractive susceptible d'apporter son lot de plaisir aux fans du genre. [ Avenoth (CD & MP3) ] [ A écouter : Avenoth (teaser) ] |
Ingranaggi Della Valle : In Hoc Signo (Black Widow), Italie 2013 Encore un de ces groupes italiens, celui-ci originaire de Rome, avec un nom évocateur et crypté (Les Engrenages de la Vallée), une technique éprouvée, et une maturité étonnante pour un premier disque. Le titre de l'album, In Hoc Signo, fait référence au monogramme chrétien IHS et, par extension, aux croisades du Moyen Âge qui constituent le concept de l'album. Dans cette optique, les intitulés des morceaux sont très parlants : La chevauchée, La mer déchaînée, Le siège d'Antioche, La fuite d'Amman, Masqat ... Mais si la pochette avec sa scène de chevaliers en bataille évoque plutôt un disque de hard, la musique est, quant à elle, du pur rock progressif. Un prog d'ailleurs plus aventureux que le rock symphonique italien habituel, mais quand même ancré comme lui dans les 70's avec un son organique à base de guitares et de claviers vintage, orgue Hammond B3, MiniMoog et Fender Rhodes en tête. Plusieurs styles sont abordés dans cet album qui va en se complexifiant au fil des plages, prenant même un virage jazz-rock inattendu avec l'instrumental Fuga Da Amman avant de flirter avec l'avant-garde sur Jangala Mem. Des chœurs, flûtes et un violon omniprésent (Marco Gennarini) viennent enrichir les arrangements et/ou les improvisations. Sur le dernier titre judicieusement appelé Finale, le légendaire David Jackson (Van Der Graaf Generator) a été invité à souffler tandis que le batteur Mattias Olsson (membre éminant du groupe suédois Anglagard avec qui Ingranaggi della Valle n'est d'ailleurs pas sans présenter quelques affinités) contribue aussi aux rythmes étranges de Jangala Mem, les Croisés étant finalement arrivés en Inde pour s'y confronter au mysticisme ambiant. On notera enfin l'excellente prestation du chanteur Igor Leone qui interprète ses textes en Italien avec une grande expressivité toute théâtrale. Voici donc une production ambitieuse aussi bien par son concept que par sa musique qui séduira les amateurs d'un prog dynamique, versatile, sophistiqué et âpre, plus en ligne avec les musiques de King Crimson, Gentle Giant, Arti E Mestieri ou Van Der Graaf Generator qu'avec celles plus polies des habituels Yes ou Genesis. [ Ingranaggi Della Valle : In Hoc Signo (CD) ] [ A écouter : Mare In Tempesta - Masqat ] |
Ingranaggi Della Valle : Warm Spaced Blue (Black Widow), Italie 2016 Trois années après In Hoc Signo, la musique de Ingranaggi Della Valle a totalement changé. Alors que son premier essai était pour le moins éclectique, le groupe romain s'est désormais orienté vers un rock plus sombre et plus expérimental alternant passages atmosphériques et sections plus lourdes dans un style qui évoque beaucoup Anglagard (dont le batteur Mattias Olsson avait contribué en invité à deux titres de l'album précédent). Les instruments sont bien mixés et les sonorités agréables, ce qui rend la musique moins âpre et plus accessible en dépit des mélodies angulaires et de l'étrangeté des arrangements. Même le violon de Marco Gennarini est mieux intégré à l'ensemble. Quant aux claviers de Mattia Liberati, ils sont toujours aussi vintage : orgue Hammond B3, Fender Rodhe, piano acoustique et autres MiniMoog partagent la vedette avec un mellotron très présent. Le chanteur Igor Leone, qui avait impressionné sur In Hoc Signo a disparu, laissant sa place à Davide Savarese dont la voix haut-perchée et moins théâtrale est sans doute mieux adaptée à ce genre de musique. Sinon, l'essentiel du répertoire est instrumental avec quelques improvisations de guitares et de claviers, plus un beau solo de flûte traversière par Paolo Lucini sur Call For Cthulhu: Promise, et des passages plus collectifs où tous les instruments contribuent ensemble à établir des climats particuliers, souvent aussi froids et sinistres qu'une chambre de clinique. Pour autant que vous n'espérez pas une suite conforme à la musique symphonique mâtinée de jazz-rock de In Hoc Signo, et si vous appréciez des groupes comme Anglagard ou Anekdoten, voire King Crimson, Warm Spaced Blue, qui ne manque pas de qualités, devrait grimper lentement mais sûrement dans les cœurs des plus prog d'entre nous. [ Warm Spaced Blue (CD) ] [ A écouter : Warm Spaced Blue (trailer) ] |
Submarine Silence : Journey Through Mine (Ma.Ra.Cash Records), Italie, 30 septembre 2016 Fondé par Cristiano Roversi et David Cremoni, deux musiciens de Moongarden, plus le batteur Emilio Pizzoccoli, Submarine Silence n'était à l'origine qu'un projet satellite éphémère spécialement créé pour participer à un disque hommage à Genesis commandé par le label italien Mellow Records. Satisfait du résultat, le groupe a finalement enregistré trois disques en studio dont celui-ci est le plus récent et aussi le plus abouti. Capturant plutôt efficacement l'essence du prog symphonique de Genesis, le trio Roversi, Cremoni, Pizzocoli s'est adjoint les services de Guillermo Gonzales, un chanteur à la voix puissante qui surprend un peu dans ce contexte et qui ne fera probablement pas l'unanimité (à certains moments, on se demande s'il est bien dans la bonne tonalité avant de se rendre compte que c'est son style très particulier de négocier certaines vocalises qui donne cette fausse impression). David Cremoni est par contre un excellent guitariste et il le prouve tout du long tandis que son comparse Cristiano Roversi, surtout connu comme bassiste, démontre qu'il est aussi un claviériste accompli et grand amateur de mellotron. Alors forcément, les passages instrumentaux ainsi que les trois morceaux sans vocaux sont les plus réussis : sans rien apporter de neuf, Canova's Gypsothèque et Fives Lands Nightwind sont au-dessus de la moyenne mais c'est surtout The Astrographic Temple qui retient l'attention et remporte la palme de meilleur titre du répertoire avec de splendides solos de guitares et de claviers (ce qui fait déjà au total 23 minutes de bonne musique même si la batterie est un peu trop métronomique pour mon goût personnel). Encore une fois, voici un album de rock symphonique charriant une certaine fraîcheur mais qui aurait été bien meilleur avec un chanteur plus approprié au genre, c'est-à-dire doté d'une voix plus expressive et d'un timbre plus accrocheur. A noter la chouette pochette dessinée par Ed Unitsky dans un style très coloré et, comme toujours, bourré d'imagination et de fantaisie. [ Journey Through Mine (CD) ] [ A écouter : The Astrographic Temple - Black Light Back ] |
Logos : L'Enigma Della Vita (Andromeda Relix), Italie, 2014 Non, le rock progressif symphonique italien ne se limite pas aux années 70. Le genre a survécu à travers les décennies avec plus ou moins de bonheur tandis que de nouveaux groupes talentueux ont émergé en produisant épisodiquement des albums d'une grande qualité: The Wood Of Tales de Malibran (1990), Il Passo Del Soldato de Nuova Era (1995), In Ogni Luogo de Finisterre (1999), Il Grande Labirinto (2003) et LuxAde (2006) de La Maschera Di Cera, Vacuum de The Watch (2004), Discesa Agl'inferi D'un Giovane Amante de Il Bacio Della Medusa (2008), et Il Tempio Delle Clessidre (2010) pour n'en citer que quelques uns. Logos, qui s'est formé à Vérone en 1996, s'inscrit clairement dans la ligne du prog italien classique et ne souhaitait d'ailleurs au départ qu'interpréter la musique de Le Orme. Après deux autoproductions mineures enregistrées au tournant du nouveau millénaire et alors qu'on le croyait dissout une bonne fois pour toutes, voici que treize années plus tard, sous la houlette de son unique membre fondateur le chanteur et guitariste Luca Zerman, le groupe ressurgit avec ce disque intitulé L'Enigma Della Vita. Et le moins qu'on puisse écrire est qu'entre-temps, Logos a fait quelques progrès. Antifona, premier titre de l'album, installe une ambiance spatiale avec des claviers éthérés à la Pink Floyd avant de se fondre dans le suivant, Venivo Da Un Lungo Sonno, qui marque l'entrée en scène de la rythmique. Le quartet comprend deux claviéristes qui, au lieu de se marcher sur les pieds, se complètent avec leurs différents instruments (piano, orgue, synthés, mellotron…) pour enrichir les textures fluides et vaporeuses d'une musique qui fait indéniablement voyager. Il faut attendre plus de six minutes pour que le chant (en Italien) fasse son apparition, c'est dire que Logos prend son temps. Au milieu du morceau, Fabio Gaspari se lance dans un splendide solo de guitare à la Andy Latimer qui déroulera ses fastes jusqu'à la dernière mesure. In Fuga, qui vient ensuite, démontre que le groupe a eu le temps de peaufiner avec soin ses arrangements et ses mélodies tant la musique coule avec grâce et facilité. Beaux soli d'orgue et de guitare emmêlés sur ce titre envoûtant. Le reste de l'album réserve de belles surprises comme la plongée gothique sur Alla Fine Dell'ultimo Capitolo dont l'orchestration renvoie aux films fantastiques italiens; l'instrumental N.A.S. et ses synthés cauchemardesques; le piano électrique qui groove sur In Principio en évoquant Caravan et l'école de Canterbury; le piano acoustique en interlude sur le nostalgique In Quale Luogo Si Fermo'il Mio Tempo; ou encore l'arrangement exaltant de Completamente Estranei qui en met plein les oreilles dans un finale ambitieux. Décidément, ceux qui apprécient Camel, Eloy ou encore RPWL devraient succomber facilement au charme de cette musique. Certes, tout n'est pas encore parfait: certains passages sont trop longs; d'autres trop répétitifs; dans certains morceaux, la voix de Zerman manque un peu d'assurance; et sur le titre éponyme, la caisse claire claque sur un rythme binaire sans imagination. Mais sur les 76 minutes que dure ce disque, c'est en fin de compte peu de chose par rapport à ce qu'on reçoit. Car la pugnacité a payé: tout en affichant une indéniable identité, Logos joue aujourd'hui à un niveau similaire à celui de ses modèles des 70's et il peut désormais s'enorgueillir d'appartenir au petit cercle fermé des meilleurs groupes de rock progressiste italien. [ L'enigma Della Vita (CD) ] [ A écouter : L'Enigma Della Vita (Promo) - In Principio (Promo) ] |
Moogg : Italian Luxury Style (Mellow Records), Italie, 16 mai 2016. Et voici maintenant quelque chose de complètement différent du rock progressif italien traditionnel : un pur album de prog-jazz qui fait écho au style de l'école de Canterbury avec, bien sûr, quelques particularités. Après le déjà remarquable Le Ore I Giorni Gli Anni sorti en 2011, Italian Luxury Style est le second album de ce groupe fondé à Brescia en 2003. Le groove du piano électrique et des synthés ainsi que le son de la guitare fuzz sur Ieri / Italian Luxury 1 évoquent immanquablement les grandes heures de Caravan. Les quatre musiciens de Moog sont tous des virtuoses, y compris le batteur Marco Dolfini dont la frappe dynamique et explosive, en symbiose avec un bassiste particulièrement volubile (Roberto Matiz), tisse un tapis volant sous les pieds des solistes. Ces deux-là sont le garant d'une musique en perpétuel mouvement, seule voie possible pour ce genre de rock essentiellement instrumental. Toutefois, comme dans Caravan, quelques sections sont chantées, ici en italien par le batteur Dolfini, qui est par ailleurs doté d'une voix agréable, certes sans grande originalité mais bien adaptée au genre. Le groupe se montre également ouvert à un autre genre de jazz-rock inventé en France par Magma et étiqueté zeuhl. Le Voyage est ainsi dédié à Christian Vander, batteur-chanteur extraordinaire et membre fondateur de Magma, et c'est l'occasion pour Marco Dolfini d'étaler toute sa science des fûts sur des riffs plus angulaires et dans une atmosphère sombre plus proche de l'univers Klingon et de la planète Kronos que de la Terre. On retrouve aussi cette approche zeuhl sur l'excellent L’Estinzione del Congiuntivo au climat plus menaçant, Dolfini s'avérant une fois encore le Prométhée du groupe qui apporte le feu à ses comparses. Cet excellent album ravive le souvenir des grands disques que furent In the Land Of Grey And Pink ou If I Could Do It All Over Again, I'd Do It All Over You qui sont émulés plus que copiés, Moogg y rajoutant son propre grain de folie et n'hésitant pas à explorer un peu à côté. Italian Luxury Style est fortement conseillé à tous ceux qui aiment voir leur prog flâner du côté du jazz et de la fusion et s'encanailler avec un soupçon de psychédélisme britannique. [ BItalian Luxury Style sur Bandcamp ] [ A écouter : Ieri / Italian Luxury 1 - Le Voyage (pour Christian Vander) ] |
La Fabbrica Dell'Assoluto : 1984 - L'Ultimo Uomo d'Europa (Black Widow Records), Italie 2015. Tout comme son homologue britannique, le prog italien s'est revivifié après le nouveau millénaire avec de nouvelles formations qui ont développé des approches fraîches en intégrant des styles actuels et ainsi reconquis un jeune public. A part quelques rares exceptions (comme Egonon entre autres), la plupart de ces groupes modernes ne se sont pourtant jamais coupés totalement de leur propre histoire qui continue à les inspirer depuis les années 70. C'est le cas des Ingrannagi Della Valle, Unreal City, Logos, La Maschera Di Cera, La Coscienza di Zeno, et aussi de La Fabbrica Dell'Assoluto dont le disque 1984 - L'Ultimo Uomo d'Europa est sorti en 2015 sur Black Widow Records. Certes, le concept n'est pas très original puisqu'il est encore une fois basé sur cette vache à lait qu'est le roman de George Orwell dans lequel un protagoniste évolue dans un monde post-atomique totalitaire sous le regard tyrannique de Big Brother, mais c'est une nouvelle occasion d'écrire une musique bien souvent grandiose qui reflète les idées et les émotions liées à la plus célèbre des dystopies. Une musique par ailleurs dominée par Daniele Fuligni à la tête d'un arsenal de claviers dont certains aussi vintage que l'orgue Hammond, le Minimoog, le mellotron, sans parler du Binson Echorec 2, une unité d'écho légendaire utilisée dans les 60's par Syd Barrett et David Gilmour au sein du Pink Floyd. Il faut l'entendre faire gicler de son orgue des riffs incandescents sur des titres comme I Due Minuti Dell'Odio ou L'occhio Del Teleschermo. Sinon, le guitariste Daniele Soprani a aussi son mot à dire et se fend de quelques beaux solos avec un son bien épais qui contribue à renforcer l'impact organique du groupe. Les Romains ont en effet choisi de donner à leur musique une dynamique nettement rock avec des titres denses et relativement concis (si l'on excepte l'épique Processo Di Omologazione qui frôle les 13 minutes). Cette attitude "rock classique" qui leur donne un son très personnel ne renvoie toutefois pas aux groupes britanniques car le classique dont il est question ici, c'est le leur, c'est l'âge d'or du prog italien avec ces ensembles légendaires que sont Banco del Mutuo Soccorso, Balletto Di Bronzo et autres Premiata Forneria Marconi que La Fabbrica Dell'Assoluto connait par cœur (auparavant, les membres du groupe ne jouaient que des reprises du prog classique italien). Les textes sont chantés en Italien par Francesco Rinaldi et, sur La Canzone Del Castagno, par l'excellent Pino Ballarini (Il Rovescio della Medaglia) en invité. Quant à la mystérieuse pochette, elle consiste en une reprise inversée de l'œuvre surréaliste intitulée La Liberta Di Scelta (La Liberté De Choix) réalisée en 1982 par l'artiste peintre romain Cesare Modesto. Complété par des bruitages et des passages récités, L'Ultimo Uomo d'Europa est au final un album de rock symphonique varié, ambitieux et fort bien interprété, qui devrait réjouir tout amateur de "rock progressivo italiano". [ 1984 - l'Ultimo Uomo d'Europa (CD & MP3) ] [ A écouter : 1984-L'ultimo Uomo d'Europa (trailer) - 1984-L'ultimo Uomo d'Europa (album complet) ] |
Downlouders : Arca (Lizard Records), Italie, 20 novembre 2015. Originaire de Varèse et actif depuis 2008, Downlouders (un nom bizarre refusé par les moteurs de recherche) est un collectif plutôt qu'un groupe dont l'objectif est d'expérimenter de nouvelles musiques, sonorités et manières de composer. En réalité cette musique modale repose la plupart du temps sur une cadence lancinante propice aux improvisations diverses. Des bruitages, percussions et sons électroniques mais aussi des instruments traditionnels (guitares, claviers) viennent alors se greffer sur la trame rythmique, composant des progressions harmoniques qui distillent un subtil parfum de mystère. Certains titres comme UNO, Deriva ou Metoth tombent sous l'étiquette du post-rock (celui de Godspeed You! Black Emperor et de Mogwai entre autres) : instrumentaux atmosphériques inscrits dans l'ère digitale, ils véhiculent une sorte de mélancolie, voire de malaise ou d'incertitude qui ne se résout pratiquement jamais à la fin du morceau. Bien qu'identifiés sur la pochette, les musiciens paraissent anonymes : il n'y a pas de longs solos mettant en exergue l'un ou l'autre interprète. Tous se dissolvent dans la masse sonore qui circule lentement en vagues amples et invente de nouveaux espaces intérieurs en invitant l'auditeur à s'y perdre. D'autres comme Tempeste Di Meteoriti ou Velocita Di Crociera sont plus cosmiques, habillés de sons synthétiques qui ont un pouvoir de téléportation quantique dans le vide spatial au beau milieu des supernovas et autres objets galactiques. On pense parfois au Pink Floyd des débuts ou à certains groupes de krautrock sauf qu'ici, la production est plus lisse, plus moderne, avec un soupçon de réverbération. Entre quatre et six minutes, les titres ne sont pas trop longs, juste ce qu'il faut pour définir et installer un climat particulier sans complaisance ni redite. Arca est une belle réussite car il parvient à insuffler de véritables émotions là où d'autres, dans un sous-genre musical aujourd'hui fort encombré, n'y arrivent pas. [ Arca (CD & MP3) ] [ A écouter : UNO ] |
Egoband : Tales From The Time (Ma.Ra.cash Records), Italie 2016. Egoband doit avoir un don pour passer sous les radars car, après cinq albums dont le premier est sorti sur Musea en 1991 (Trip In The Light Of The World) et le dernier sur Mellow Records en 2000 (Earth), ce groupe reste largement méconnu de la communauté prog. Si leurs premières productions étaient franchement néo, la formation a par la suite évolué, intégrant du jazz-rock avec l'ajout d'un saxophoniste sur Earth pour finalement revenir, 17 années plus tard, à une musique plus éclectique et plus rock. Certes, Alessandro Accordino, seul membre fondateur encore présent, a toujours une voix qui rappelle un peu celle de Fish mais c'est désormais la seule comparaison que l'on puisse encore faire avec Marillion. Return From Trantor qui ouvre le disque a un côté spatial (après tout, Trantor est la célèbre œcuménopole, capitale de l'empire galactique, du Cycle de Fondation d'Isaac Asimov) avec ses synthés qui pétillent et ses sonorités cosmiques tandis que Time And Souls montre bien ce qu'est devenu aujourd'hui Egoband : un groupe de prog mélodique moderne avec de longs passages instrumentaux où brillent en alternance les claviers d'Accordino (piano électrique, synthés Korg et Roland) et la guitare dominante et magistrale de Simone Coloretti. Soutenue efficacement par la basse bien mixée en avant d'Alfonso Capasso et par la frappe appuyée d'Adriano Dei, la musique pulse et prend parfois quelques accents psychédéliques comme sur le long instrumental The Spaceship qui renoue une fois encore avec une ambiance spatiale propice à de chouettes improvisations de guitares et de claviers. Aussi à l'aise avec les climats flottants et aériens (No Fear To Flying) que sur les morceaux plus lourds à base de riffs intenses (Hard Times), le groupe surprend également par son morceau final, The Thirteen Towers, dont une bonne partie est jouée en solo à la guitare acoustique. Entre prog et rock alternatif avec quelques éléments "space", Tales From The Time est une production solide qui se situe en dehors des clichés. Même s'il y manque un ou deux morceaux accroche-tympan au pouvoir de séduction immédiat, il mérite certainement d'être écouté... Mais aussi d'être médiatisé dans l'intérêt de tous : maintenant qu'Egoband a trouvé sa voie, il ne faudrait quand même pas que ce groupe nous fasse encore attendre deux autres décennies avant d'enregistrer un nouvel album ! [ Egoband sur Bandcamp ] [ A écouter : No Fear To Flying - The Spaceship ] |
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