Rock progressiste : La Sélection 2008



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Marillion : Happiness Is The RoadBelieve : Yesterday Is A FriendThe Reasoning : Dark AngelEn 2008, c’est Ayreon qui se faufile d’abord dans les chaumières avec un « 01011001 » imposant et techniquement parfait même si on comprend vite qu'Arjen Lukassen, coincé dans son trip cosmique, a fait le tour de son intention. Aussi grandiose mais dans un autre style, l’opéra néo-prog She, concocté par le claviériste David Nolan et la chanteuse Agnieszka Swita (Caamora), déboule sous la forme d’un double CD et d’un DVD. Beaucoup de bonnes choses dans cette œuvre ambitieuse qui n’évite pourtant pas le côté pompier propre à ce genre de productions. La première grande réussite incontestable de l’année est Not As Good As The Book de The Tangent : une œuvre féconde, généreuse et porteuse d’un souffle épique de la part d’un groupe majeur dont on peut déjà écrire qu’il aura marqué au fer rouge la musique progressive du XXIème siècle. Une autre production attendue avec impatience est celle d'Asia dans son casting initial. S’il n’a rien de révolutionnaire, Phoenix n’en est pas moins un disque séduisant, offrant des chansons certes balisées entre rock et pop mais fort bien écrites et susceptibles de monter une nouvelle fois à l'assaut des charts. Enfin sorti de sa crypte et débarrassé de sa toile d’araignée, Uriah Heep revient sous la forme d’une nouvelle cohorte cornaquée par le guitariste Mick Box, seul membre restant du line-up original. Leur Wake The Sleeper balaie toute appréhension : entre classicisme hérité du passé et la détermination d’aller plus loin, le Heep a mis toute la gomme et son hard semi progressiste a une sacrée classe. Quant à Pendragon, groupe mythique à la discographie en dents de scie, il lâche in extremis un album énergétique mieux produit et plus dense (Pure) qui se hisse enfin à la hauteur de son immense réputation.

Moins essentiels mais fort intéressants quand même apparaissent les projets d’autres artistes majeurs. Porcupine Tree sort un disque confidentiel, court et minimaliste (We Lost The Skyline) qui démontre que le groupe n’a nul besoin pour convaincre de l’approche métal dont il enrobe parfois sa musique. Neal Morse, par contre, en fait un peu trop : son double album live enregistré avec de talentueux inconnus et son nouvel enregistrement en studio (Lifeline) n’apportent pas grand-chose à sa réputation et, malgré leur incontestable qualité technique, on hésite à les recommander surtout qu’en plus, Neal sort aussi un DVD « Sola Scriptura And Beyond » qui, lui, n’est pas loin d’être l’un des objets indispensables de l’année. Après un Somewhere Else en demi-teintes, Marillion récupère ses fans avec un double album, Happiness Is The Road, plutôt réussi. Quand à Mike Oldfield, il retrouve enfin la voie lumineuse de ses premiers grands opus avec Music Of The Spheres interprété par un grand orchestre. Enfin, on ajoutera bien volontiers à cette liste le Trisector de Van Der Graaf Generator qui continue à sonner différemment de tout ce qui sort aujourd’hui.

Abel Ganz : Shooting AlbatrossSpock’s Beard : LiveNeal Morse : Sola Scriptura And BeyondGenesis : When In Rome 2007Les curieux n’ont pas toujours l’occasion d’écouter les groupes qui ne se sont pas encore fait une place au soleil. Dommage, car c’est aussi d’eux que dépend le futur du genre et cette année 2008 fut particulièrement riche en découvertes dans tous les styles de progressif. Ainsi, Songs From The Lighthouse de Moongarden, Yesterday Is A Friend de Believe et Dark Angel de The Reasoning raviront les fans de néo-prog ; Blomljud de Moon Safari, Sleeping In Traffic Part 2 de Beardfish, Shooting Albatross d’Abel Ganz et au-dessus du lot, le fantastique Who’s The Boss In The Factory de Karmakanic, ceux de rock symphonique à la fois rétro et moderne (comprenez le genre Flower Kings) tandis que Symetria de Hidria Spacefolk séduira les aficionados de space-rock. Quant aux amateurs de musiques plus actuelles, voire alternatives, ils apprécieront sans doute Tightly Unwound de Pineaple Thief ou Experiments In Mass Appeal de Frost*. On pourra par contre rester à l’écart de RPWL (The RPWL Experience), Magenta (Metamorphosis), Magellan (Innocent God), Mostly Autumn (Glass Shadows) et Blackmore's Night (Secret Voyage) qui n’ont pas su convaincre ou se renouveler. Ils feront mieux la prochaine fois.

Côté métal progressiste, The Bedlam In Goliath des Mars Volta est un peu trop près du chaos pour devenir un vrai disque de chevet (!) mais j’admets volontiers que c’est une affaire de goût personnel comme d’ailleurs le Watershed d’Opeth, étrange mixture de métal extrême et de prog subtil qui est un sous-genre à lui tout seul. Pour ma part, j’ai trouvé en Everon et son excellent album North un modèle de rock progressiste énergique, mélodique, accessible, concis et structuré en vraies chansons qui claquent. Ce fut une des révélations de l’année.

Et en matière de DVD, le « Live » de Spock’s Beard, « Posthumous Silence : The Show » de Sylvan, « Sola Scriptura And Beyond » de Neal Morse et l’imposant coffret « Live In Gdansk » de David Gilmour restent certainement de bonne affaires mais la palme revient sans conteste au phénoménal « When In Rome 2007 » de Genesis en 3 DVD pour sa pêche, ses images et un son époustouflant qui vous transporte au beau milieu du Circo Massimo et d’une foule en délire d'un demi million de personnes. Ce sont les jeux romains du cirque qui sont de retour dans toute leur démesure et rien n’est comparable à cet ahurissant spectacle. On appréciera d’autant plus que le groupe n’a pas hésité cette fois à rendre hommage à d’anciennes compositions exhumées pour contenter ses premiers fans.

Au-delà de cet insignifiant microcosme, le monde continue de tourner tant bien que mal. Le prix du baril de pétrole atteint pour la première fois les 100 $ tandis qu’une récession rampante se profile aux Etats-Unis. La crise financière s’étend : on nationalise les banques et des pays jadis florissants sont aux abois tandis que les hausses des prix déclenchent des émeutes dans le Tiers-Monde. Des pirates attaquent les cargos qui longent la côte somalienne. La terre tremble dans la province du Sichuan, en Chine, causant près de 80.000 morts. En 2007, on a dit au revoir au cow-boy Richard Widmark et à Luke la Main Froide (Paul Newman), au Joker sardonique (Heath Ledger), au bluesman canadien Jeff Healey, à Bo Diddley et Isaac Hayes, au batteur d’Hendrix (Mitch Mitchell), à l’écrivain de SF Arthur C. Clarke et aux jazzmen légendaires Freddie Hubbard (tp) et Johnny Griffin (ts). Le 4 novembre après un suspense insoutenable, Barack Obama est élu 44ème Président des USA et on attend de lui qu’il sauve la planète. Il aura à se battre sur tous les fronts mais l’espoir renaît … C’est déjà ça !

En attendant, voici la sélection de Dragonjazz, faite de bric et de broc, amassée avec un peu de perspicacité et beaucoup de subjectivité dans tous les sous-genres qui composent aujourd’hui ce qu’on nomme encore et toujours le rock progressiste … Sic transit 2008 …


Karmakanic : Who’s The Boss In The Factory (InsideOut / SPV), Suède 2008
Karmakanic : Who’s The Boss In The Factory

Que pouvait-on attendre d’un autre projet émanant de la sphère Flower Kings, plus particulièrement de leur bassiste Jonas Reingold dont voici déjà la troisième production sous le nom de Karmakanic ? Ecrivons-le d’emblée : Who’s The Boss In The Factory est non seulement un excellent album, de loin meilleur que les Entering The Spectra et Wheels Of Fire qui l’ont précédé, mais c’est carrément l’une des grandes révélations de 2008. Bien sûr, la musique reste du Rock progressiste symphonique désormais classique à la manière des Flower Kings (Zoltan Csorsz est derrière les fûts et Tomas Bodin apparaît comme invité), de Transatlantic, Spock’s Beard ou The Tangent (dont le leader Andy Tillison est ici crédité aux claviers) mais Karmakanic a définitivement un style propre et une manière toute personnelle de peaufiner ses arrangements. Le titre épique Send A Message From The Heart, qui s’étend sur près de vingt minutes, est l’une des compositions les plus intéressantes de l’année : les mélodies sont superbes, la rythmique est solide, les différentes sections sont intelligemment imbriquées les unes dans les autres tandis que Goran Edman parvient à moduler son chant avec toute la maturité que procure l’expérience - il chantait déjà pour Yngwie Malmsteen au début des années 90 et a enregistré avec lui Eclipse (1990) et Fire & Ice (1992) avant de participer à une multitude d’autres projets. Le guitariste Krister Jonsson, qu’on ne peut s’empêcher de comparer à Royne Stolt, a un son énorme et, en interaction perpétuelle avec les claviers, remplit l’espace avec une fougue expressive tandis que ses solos triomphants, qui témoignent aussi d’une belle maîtrise du jazz-rock, soulèvent l’enthousiasme. Voilà un morceau haletant et plein de rebondissements qui happe l’attention de la première à la dernière note et, fait assez rare pour être souligné, c’est l’une de ces créations à la fois accrocheuses et complexes qu’on a envie de réécouter tout de suite pour en saisir les subtilités. Mais c’est loin d’être fini et l’album cache d’autres pépites presque aussi brillantes. Let In Hollywood est un brûlot dévastateur en forme de hard-rock classique avec une guitare hargneuse, toutes dents dehors, et une basse monstrueuse qui catapulte un solo de Moog jusque dans les étoiles. Waouw ! Qu’est-ce qu’on s’amuse ! Après la tempête, le titre Who's The Boss In The Factory apparaît comme une mer sombre et remuante avec, encore une fois, de solides passages instrumentaux et un arrangement de toute beauté incluant chœurs intrigants, piano classique et basse foisonnante. En ce qui me concerne, c’est le sommet de l’album même si le titre suivant, Two Blocks From The Edge, est encore une pièce fort réussie, dominée par une basse très présente à la Chris Squire et par les interventions de saxophone ténor du désormais incontournable Theo Travis (c’est lui qui a remplacé David Jackson dans The Tangent et il a joué entre autres avec Robert Fripp, Gong, Porcupine Tree et No-Man). L’album se termine par la suite Eternally en deux parties qui conserve tout du long une ambiance nostalgique renforcée par l’accordéon gitan du serbe Lelo Nika que Joe Zawinul considérait comme le plus grand virtuose au monde sur cet instrument. Dédié aux parents de Jonas Reingold récemment décédés dans un accident de voiture, Eternelly laisse toutefois percer une spiritualité positive à la fois subtile et touchante. Avec des compositions aussi contrastées, intenses et captivantes, cet album, joliment illustré par le graphiste allemand Thomas Everhart, remet une nouvelle fois en lumière ce fameux rock progressiste symphonique dont la séduction reste entière mais qui a parfois tendance à s’essouffler. Recommandé !

[ Ecouter / Commander : Who's The Boss In The Factory ] [ Karmakanic / Jonas Reingold Website ]

Moongarden : Songs From The Lighthouse (ProgRock Records), Italie 2008
Moongarden : Songs From The Lighthouse

Formation italienne créée au début des années 90, Moongarden a déjà produit quatre compacts avant celui-ci sans trop se faire remarquer. Edité sur un nouveau label quatre années après Round Midnight (2004), Songs From The Lighthouse devrait remettre les pendules à l’heure. Le quintet s’y présente dans une nouvelle mouture qui marque le retour de l’ancien chanteur actif dans les 90’s, Simone Baldini Tosi et l’entrée en scène d’un nouveau batteur (Maurizio Di Tollo) et, surtout, d’un nouveau guitariste nommé David Cremoni. Malgré cette revitalisation drastique, le band ne change guère sa politique musicale et se confine dans le même style néo-progressiste qui caractérisait déjà ses œuvres précédentes sauf que, cette fois, c’est mieux. My Darkside, qui ouvre l’album, est une superbe composition à l’ambiance sombre qui fait la part belle aux claviers du leader, Cristiano Roversi. Véritable petit bijou de rock symphonique moderne, ce titre est particulièrement bien adapté à la voix cassée et fragile du chanteur. Le son est puissant et l’arrangement grandiose avec une touche contemporaine typique des meilleures réalisations actuelles de néo-prog. Beaucoup plus calme, It’s You débute comme une ballade qui va se développer en un long crescendo onctueux propice à l’envol d’une guitare lunaire. Inspiré par le roman de Stanislas Lem et le film d’Andrei Tarkovski, Solaris, qui s’étend sur plus 13 minutes, reflète l’atmosphère étrange de la fameuse planète aux deux soleils et les perturbations psychologiques engendrées par l’océan protoplasmique qui la recouvre. Magnifique guitare à la David Gilmour escaladant le ciel pour un voyage aux confins de l’espace et de l’esprit. A côté d’autres pièces plus courtes et plus classiques dans leur lettre comme Southampton Railroad en forme de ballade acoustique, That Child plus torturé avec Andy Tillison (The Tangent) en invité ou l’instrumental Flesh et son accompagnement de piano mélancolique, le répertoire offre encore trois grands moments : Dreamlord, une composition insolite avec des phrases qui tournent en boucle créant une atmosphère lancinante ; Sonya In Search Of The Moon - Part 5 (les quatre premières parties figurent sur le second album du groupe, Brainstorm Emptyness), un instrumental dévolu aux synthés et subtilement peuplé d’effets électroniques ; Et enfin, The Lighthouse Song qui conclut majestueusement un disque varié et rempli à ras bord (plus de 70 minutes) d’excellente musique. Le livret a été confié au grand Ed Unitsky, illustrateur des trois premiers albums de The Tangent et du dernier Flower Kings, qui a une nouvelle fois imaginé une vision fantastique, plus violente que d'habitude mais collant bien à la musique de Moongarden. Présentant un ange déchu perforé par un phare, la pochette n’est qu’une fraction du graphisme gothique et dérangeant réalisé par l’artiste biélorusse dont on pourra avoir une idée plus complète en visitant le website du groupe (en attendant que la page consacrée à Moongarden sur le site de Unitsky lui-même soit remise en état). Cet excellent album de néo-prog prouve encore une fois la vitalité actuelle du rock progressiste italien, certes plus discret que dans les 70’s, mais qui n’en reste pas moins d’une indéniable qualité.

[ Ecouter / Commander : Songs From The Lighthouse ] [ Moongarden - Official Website ] [ Ed Unitsky Website ]

Pendragon : Pure (Toff Records), UK 2008
Pendragon : Pure

Depuis leur premier mini-album, Fly High Fall Far, paru en 1984, la longue discographie de Pendragon s’est construite avec des hauts et des bas, les pionniers du néo-prog évoluant malgré tout à chaque enregistrement vers une musique plus mature à l’intérieur des codes normatifs propres à leur style. L’arrivée du batteur Scott Higham (Angel Witch, ShadowKeep), marqué par un parcours métal, bouleverse la donne en impulsant une nouvelle dynamique au quartet, s’imposant d’emblée comme le détonateur d’une œuvre plus vigoureuse qu’autrefois. Indigo, premier titre du répertoire, pose les bases du concept qui sera développé ultérieurement : la couleur indigo est celle de l'aura qu’un être possède à sa naissance et qu’il perd progressivement, en même temps que sa pureté, au contact du monde extérieur. Il met tout de suite les pendules à l’heure : après une introduction sinistre répercutant les aboiements lointains d’un chien furieux, la rythmique installe une atmosphère sombre et pesante, Higham frappant sa grosse caisse avec une volonté farouche à l’instar d’un Mike Portnoy. Le climat, entre un Pink Floyd musclé et certaines compositions du groupe polonais Riverside, reste toutefois inscrit dans la palette typique de Pendragon. Les claviers, toujours tenus par l’immense Clive Nolan, nuancent les textures denses, fabriquant un rêve qui défile au ralenti tandis que, plus tard, la guitare de Nick Barrett, somptueuse, prendra son envol au-dessus de la mêlée. A la fois héritier d’un David Gilmour et d’un Andrew Latimer (Camel), il confirme ici l’immense guitariste qu’il a toujours été, parfaitement capable à l’instar de ses deux mentors, de distiller des impros homogènes qui imprègnent durablement la mémoire auditive. En évitant volontairement de reproduire certains automatismes du passé, Pendragon vient tout bonnement de réaliser l’une des meilleures chansons de son histoire. La pression est maintenue avec l’excellent Eraserhead qui prouve en outre que Barrett, autrefois chanteur plutôt médiocre à l’accent imbuvable, s’est aussi largement bonifié sur le plan des vocaux. Le cœur de Pure est une longue suite intitulée Comatose dont les 18 minutes, qui se répartissent en trois sections, brassent les genres et les couleurs. Cette magnifique composition, dont la logique est sans défaut, rassemble l’ancien groupe, plus mélodique et planant, et celui d’aujourd’hui, plus tranchant et en phase avec des combos intégrant des influences métal comme Riverside ou Arena. La première section, View From The Seashore, est à ce dernier égard, absolument fantastique avec une section rythmique torride jamais entendue auparavant chez Pendragon. Après un Freak Show encore une fois intense et magistral, entièrement dominé par les guitares incisives (et parfois empilées) de Barrett, le show se conclut sur le très aérien It's Only Me, introduit par le piano de Nolan et un harmonica, prétexte à un dernier solo flamboyant d’un inlassable conteur d’épopées guitaristiques. Voici Pure, dernière production énergétique d’un groupe vraiment mythique dont la musique, mieux produite et plus épaisse, est désormais à la hauteur de son immense réputation.

[ Pendragon - Official Website ] [ Ecouter / Commander : Pure ] Pendragon : Discographie commentée

Moon Safari : Blomljud (Blomljud Records), Suède 2008
Moon Safari : Blomljud

We promised you gardens made of green
Yet We're lost in this tune,
Just men of the moon
That sing for a world of constant bloom

Constant Bloom
Ce jeune quintet suédois est apparu sur la scène progressive en 2005 avec un album ensoleillé joliment intitulé A Doorway to Heaven. Produit par Tomas Bodin, le claviériste des Flower Kings, ce disque affichait déjà suffisamment de caractère pour que l’on tente le suivant avec optimisme. Blomljud vient aujourd’hui, sous la forme d’un double album, confirmer les qualités et l’originalité de Moon Safari. D’abord, ne vous fiez pas à la pochette « cheap » que l’on associerait volontiers au design d’un obscur label indépendant, cette production est exigeante et témoigne d’une vraie recherche d’ambiances sonores résultant essentiellement de la combinaison de deux genres à priori peu compatibles. D’un côté, le soft rock pastoral d’un Magna Carta (ce groupe anglais auteur de l’inoubliable Seasons édité en 1970 sur le label Vertigo) et de l’autre, le rock symphonique complexe des Flower Kings ou de Kaipa. Les harmonies vocales délicates à trois ou quatre voix (écoutez Constant Bloom en forme d’ouverture chantée a cappella) évoqueront peut-être fugacement les incontournables Crosby, Stills & Nash mais les mélodies aériennes ont un style définitivement plus européen rappelant alors plutôt le folklore anglais que la country américaine (en dépit de la pedal steel guitare jouée avec brio par Anders Pettersson sur Yasgur's Farm). Ce sont alors des ensembles comme Yes qu’il faut évoquer (Lady of the Woodlands ou Methuselah's Children n’auraient pas dépareillé les répertoires de Fragile ou du Yes Album) tandis que les guitares acoustiques à douze cordes joliment combinées à des instruments « vintage » comme le mellotron, le Moog ou l’orgue Hammond s’inscrivent davantage dans la ligne du Trespass de Genesis (Moonwalk). Blomljud possède évidemment son titre épique, Other Half of the Sky, qui dépasse allègrement les 30 minutes avec une structure à tiroirs et d’innombrables changements de tempo : jamais pourtant l’on ne s’y ennuie tant la musique accessible se déroule en d’infinies variations, alternant passages chantés et envolées instrumentales d’une fluidité exemplaire. Le seul bémol dans ce qui paraît une œuvre presque parfaite est la voix du chanteur Simon Akesson qui manque parfois d’émotion. Son timbre propre et lisse fait regretter la voix embrumée et expressive d’un Peter Gabriel et même celle haut perchée de Ian Anderson. Rien de grave toutefois, Moon Safari n’en est qu’à ses débuts et a encore de la marge pour parfaire cet aspect de sa personnalité. Par contre, l’harmonisation des différentes voix est parfaite et constitue une première dans le rock progressiste. Avec des textes consacrés aux fleurs, à la célébration de la nature ou au phénomène hippie de Woodstock, on comprend que la poésie, la beauté et la nuance l’emportent ici largement sur l’énergie et l’exubérance. A l’extrême opposé des cœurs sombres d’Opeth et autres Pain Of Salvation, la Suède produit aussi des groupes comme Moon Safari dont le rock symphonique, métamorphosé par de nouvelles couleurs, passe comme un courant d’air frais sur un champ de tournesols. Une des révélations de l’année, assurément !

[ Moon Safari - Official Website ] [ Commander : Blomljud ]

Uriah Heep : Wake The Sleeper (Sanctuary), UK 2008
Uriah Heep : Wake The Sleeper
Incroyable retour d’une légende du rock après quelques dix années d’absence et un album (Sonic Origami, 1999) qui aura laissé leurs fans quelque peu partagés. On était pourtant en droit de s’interroger sur l’objet délivré vu que le seul membre restant du line-up original est le guitariste Mick Box, fidèle au poste depuis trente-huit ans. Mais les premières mesures du titre éponyme balaient rapidement toutes les craintes. Chœurs haut perchés dignes d’autrefois, déferlante rythmique littéralement portée à bout de bras par le nouveau batteur Russell Gilbrook (Tony Iommi, Lonnie Donnegan etVan Morrison), chant passionné de Bernie Shaw, cloches insolites, refrain vertical et bien sûr, la Les Paul full « wah-wah » de Box pour lier la sauce : Wake The Sleeper est une cavalcade héroïque haute en couleurs qui produit sur l’auditeur une vraie décharge d’adrénaline. L’arme secrète du Heep a toujours été cet orgue Hammond dont Ken Hensley savait tirer des riffs houleux qui, mariés à ceux de la guitare, sont devenus au fil du temps une marque de fabrique comme chez Deep Purple. Heureusement, Phil Lanzon a étudié l’affaire de près et son approche est plus qu’impressionnante : Overload au nom approprié est une métaphore parfaite de cette alchimie sacrée entre les deux instruments les plus emblématiques du rock moderne. Et le meilleur est à venir avec Angels Walk With You et son orgue arborescent, le zeppelinesque Book Of Lies et son solo de basse en finale et surtout le martial What Kind Of God, un titre épique de près de sept minutes qui rappelle à ceux qui l’auraient oublié qu’Uriah Heep a souvent teinté son rock classique de poussées progressives avec des textes bien écrits (ici inspirés par le massacre des Sioux à Wounded Knee en décembre 1890) et des crescendos dramatiques dignes d’un Yes. Avec ses compositions originales variées et survitaminées (pas une seule ballade sur cet album), ses mélodies accrocheuses, ses arrangements ciselés dans le moindre détail et un son générique qui évoque souvent les 70’s, cet album déboule en un flux continu du premier au dernier sillon. Enregistré quasiment live dans un studio du Lincolnshire, les bandes ont été mixées à l’oreille par Max Paxman (producteur de Status Quo) qui a privilégié l’impact sur la technologie et métamorphosé le son en véritable tempête. Un mot doit aussi être réservé à la superbe pochette conçue par l’artiste grec Ioannis : menaçante, insolite, elle plante sous un ciel plombé par l’orage le décor d’une vraie résurrection. Pas de doute, pour son vingt et unième album en studio, le groupe a mis toute la gomme. Entre un classicisme hérité du passé et la détermination d’aller plus loin en faisant mieux, Uriah Heep vient tout simplement d’enregistrer ce qui est peut-être le meilleur opus de toute sa discographie (avec Demons And Wizards). Ceux qui ont été perdus en route, comme Ken Hensley, David Biron ou Lee Kerslake peuvent bien être fiers de ce fabuleux Awake The Sleeper car ils n’ont été ni trahis ni dépossédés.

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The Pineapple Thief : Tightly Unwound (K-Scope Records), UK 2008
The Pineapple Thief : Tightly Unwound
En neuf années et six albums, ce groupe originaire de Somerset s’est bâti une réputation enviable auprès des amateurs, surtout depuis la parution de l’excellent Variations On A Dream sorti en 2004. Ce septième opus marque la fin de leur collaboration avec Cyclops, le label britannique spécialisé dans le rock progressiste, et leur début chez K-Scope, une division de Snapper Records dont les artistes se nomment Porcupine Tree, No-Man et Anathema. On constatera rapidement à l’écoute de Tightly Unwound que The Pineapple Thief s’inscrit parfaitement dans le courant post-progressif / alternatif des groupes précités au même titre d’ailleurs qu’un Radiohead. Et si jusqu’à présent, le voleur d’ananas est resté à l’écart du grand public, cet album pourrait peut-être changer la donne pour autant qu’une de ses chansons soit diffusée régulièrement en radio (Shoot First serait par exemple un bon choix). Ca démarre lentement avec un titre interprété sur fond de guitare acoustique : My Debt To You est pourvu d’une mélodie lancinante qui obsède à la manière des compositions de Steve Wilson, une référence incontournable dans ce genre de musique profondément mélancolique. Shoot First et Sinners accélèrent le tempo mais conservent une atmosphère obsédante avec la voix traînante de Bruce Soord qui plane au-dessus d’arrangements somptueux dominés par une batterie dynamique mixée fort en avant. En dépit de l'omniprésence du claviériste Steve Kitch et de ses nappes orchestrales enveloppantes, le groupe est aussi orienté guitares : ce sont souvent elles qui brodent les textures, égrenant des arpèges en cascades, lançant quelques notes plaintives ou délivrant de courts solos avec un son saturé. Parfois, l’atmosphère devient carrément comateuse (And So Say All Of You) et l'auditeur est piégé dans les mailles d'une musique morose aux textes simples dans leur forme mais ésotériques sur le fond. Si les sept titres (sur neuf) qui font entre 4 et 6 minutes constituent un sans faute, les deux longues plages (Different World et Too Much To Lose, respectivement de 11 et 15 minutes) sont par contre moins convaincantes : difficile en effet de maintenir l’intérêt en étirant indéfiniment des séquences souvent minimalistes. Et si l’on retrouve ici le côté légèrement psyché de Porcupine Tree, il y manque indéniablement la densité que Wilson parvient toujours à injecter dans ses compositions. Ceci mis à part, Tightly Unwound est une manifestation séduisante de ce nouveau rock éthéré et émotionnel qui se niche à la frontière entre un post-rock alternatif et quelque chose de plus commercial. Dans l’avenir, peut-être que The Pineapple Thief devrait se concentrer exclusivement sur des chansons plus concises : c’est en tout cas ce qui lui va le mieux !

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Asia : Phoenix (Frontiers Records), UK 2008
Asia : Phoenix
Tel le phénix qui renaît de ses cendres, Asia revient avec un casting original identique à celui de leur premier opus éponyme paru en 1982. Et le fait est que cet album aurait pu être le digne successeur de Alpha sorti une année plus tard. Dès les premiers accords de Never Again, on reconnaît sans peine le son unique du groupe propulsé par les claviers majestueux de Geoffrey Downes, resté inaltéré depuis tant d’années. Sauf que là, ils ont fait fort : ceux qui se souviennent de The Heat Of The Moment penseront avec raison que ce premier titre est un démarquage à peine déguisé de leur plus célèbre chanson. Ceci dit, Phoenix n’est pas désagréable du tout à écouter et contient même quelques perles, certes balisées entre rock et pop mais fort bien écrites et susceptibles de monter une nouvelle fois à l'assaut des charts : outre le titre précité, les ballades Heroine et I Will Remember You ou Over And Over ne sont après tout que des chansons conventionnelles dans leur structure et leur interprétation, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles manquent de fraîcheur. Mais si le charme opère, c’est aussi grâce à la voix inimitable et chaleureuse de John Wetton. Essentiellement portée par des arrangements à base de claviers et enrobée d’une enveloppe sonore gorgée de riches harmoniques, elle n’a rien perdu de sa puissance et de sa capacité émotionnelle (ce qui peut paraître étonnant quand on sait que l’homme a subi une chirurgie cardiaque en août 2007, quelques mois à peine avant l’enregistrement de cet album). Steve Howe est quant à lui plutôt discret (écoutez quand même le travail en acoustique sur Nothing’s Forever) mais on sait que ce n’est pas avec le vecteur Asia qu’il s’est imposé en tant que guitariste. Les musiciens n’ont pas totalement fait l’impasse sur le « rock progressiste » et lui ont quand même réservé les deux plus longs titres du répertoire : la première mini-suite Sleeping Giant / No Way Back / Reprise est dotée d’une introduction superbe avec des voix célestes mais la partie centrale s’éternise sur la phrase « No Way Back » répétée jusqu’à l'agacement. Par contre, Parallel Worlds / Vortex / Déyà est nettement plus réussi avec sa partie de guitare ascensionnelle et surtout, la batterie de Carl Palmer qui retrouve ici la flamboyance qui la caractérisait au temps d’Atomic Rooster et des débuts d’Emerson, Lake & Palmer. L’album se conclut sur une note positive avec le très beau An Extraordinary Life : « Enjoy today. Come what may. This is an extraordinary life. » Il est bon de voir que nos quatre légendes ont fini par enterrer leurs désaccords pour produire à nouveau une musique qui, si elle n’a rien de révolutionnaire, n’en est pas moins fort séduisante et il est clair que le plaisir qu’ils ont tiré de leur réunion va bien au-delà des aspects financiers. Difficile de toute façon de rester indifférent et de renier aujourd’hui ce qu’hier, on a tant aimé.

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Everon : North (Mascot Records), Allemagne, 2008

Enclenchez la huitième piste. Ca s’appelle Woodworks (le travail du bois) et c’est l’unique instrumental de l’album. Après un rugissement rageur de scie électrique, un piano distille une mélodie up-tempo irrésistible avant d’être rejoint par le groupe entier. Le guitariste Ulli Hoever propulse alors le morceau vers les sommets dans un crescendo fracassant qui s’éteindra en finale sur les craquements d’un arbre coupé s’écrasant au sol. Ménageant des moments de tension et de détente, cette composition enlevée et superbement tournée vous aura vite convaincu de l’originalité de ce groupe dont la musique se situe dans un no man’s land, quelque part entre métal progressiste et rock symphonique. Après six albums sortis avec une régularité métronomique entre 1993 et 2002, il aura fallu attendre près de six ans avant de voir réapparaître cette formation allemande qui a manifestement retrouvé une pêche d’enfer. Comme certains artistes en ressentent parfois le besoin, son talentueux leader Oliver Philipps, qui se charge du chant, des claviers, des orchestrations et de la production en plus d’écrire les musiques et les paroles, est allé se ressourcer dans un endroit isolé, en l’occurrence aux Pays-Bas. Les vagues grises de la Mer du Nord ont dû particulièrement l’inspirer car toutes les chansons sont magnifiques. En collant aux mélodies sans aucune démonstration de virtuosité, avec des refrains qui partent en flèche et des solos de guitare ou de piano intelligemment insérés aux endroits stratégiques, Everon délivre une musique efficace qui devrait enchanter un public très large. Pour étoffer les textures, le groupe a en outre fait appel à Rupert Gillet qui ajoute son violoncelle sur trois titres. Son jeu mélancolique magnifie les compositions Test Of Time, From Where I Stand et surtout le fantastique Wasn't It Good sur lequel les cordes envoûtantes se mêlent au piano et à la guitare pour développer un climat nostalgique de toute beauté. La voix pleine de Philipps, qui évoque parfois celle d’un John Wetton, n’appelle aucune critique et donne littéralement vie à des textes bien écrits et souvent poétiques dans leur appréhension de sujets divers comme le temps et la destinée, le bien et le mal ou la solitude. On notera en passant la réflexion politique de South Of London à propos des stigmates laissés par les évènements du 11 septembre 2001. Abandonnant son graphiste fétiche Gregory Bridges, Everon a cette fois fait appel au talentueux Jan Yrlund de Darkgrove graphics qui a conçu un livret original à base d’aquarelle et de traitement Photoshop qui reproduit à merveille les pâles lumières nordiques. Pour les amateurs de Rock progressiste mélodique, dynamique, accessible, concis et structuré en vraies chansons qui claquent, North se révèlera comme une œuvre quasiment parfaite.

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Porcupine Tree : We Lost The Skyline (Transmission - EP), UK 2008
Porcupine Tree : We Lost The Skyline
Bien sûr, il ne s’agit pas d’un nouvel album studio et pas même d’un compact normal puisqu’il ne dure qu’un peu plus de 33 minutes, ce qui en fait un mini-CD. De plus, bien que l’album soit attribué au groupe Porcupine Tree, il s’agit davantage une prestation de son leader, le chanteur, compositeur et producteur surdoué Steve Wilson qui s’accompagne lui-même à la guitare acoustique ou électrique. Ce n’est pas non plus un one man show vu que Wilson est rejoint sur les quatre derniers titres par l’autre guitariste et chanteur du groupe, John Wesley. Enregistré en octobre 2007 chez un disquaire d’Orlando (Etats-Unis) sur une scène exiguë et devant une audience réduite mais enthousiaste, cet album possède une tonalité acoustique et une ambiance intimiste qui tranchent radicalement sur les orages métalliques que Porcupine Tree se plaît parfois à déchaîner. C’est pourtant l’occasion d’entrer par une autre porte dans le petit monde étrange de Steve Wilson car l’homme, avec ou sans électricité, sait installer des atmosphères hypnotiques dont l’esthétique cotonneuse est ici renforcée par une approche très minimaliste. Huit titres seulement, tournant chacun autour de quatre minutes, s’offrent à nous dans toute leur simplicité. The Sky Moves Sideways qui ouvre le répertoire est émouvant avec sa guitare pleine d’écho enrobant des phrases décalées porteuses d’une vision abstraite : We lost the skyline. We stepped right off the map. Drifted in to blank space. And let the clocks relapse. Si Even Less (Stupid Dream), trop intense, dépare quelque peu la cohésion du disque, le texte apocalyptique de Stars Die, qui remonte au temps béni des années Delerium, prend une autre ampleur quand il est simplement accompagné en accords sur une guitare acoustique. L’adjonction de Wesley, qui incorpore quelques solos de guitare électrique sur Waiting, fait évoluer la musique en la rendant un peu plus rock et planante. L’ambiance se réchauffe et le duo se lance dans Normal ou tout au moins dans une partie de ce titre sauvé in extremis de l’oubli grâce au récent EP Nil Recurring. La ligne de guitare semble délicate à jouer car ils doivent s’y reprendre à deux fois mais, en fin de compte, ça marche et le mélange des voix est particulièrement réussi. Drown With Me, qui figurait sur le CD bonus de In Absentia, est une autre réussite. Quand aux derniers titres, Lazarus (Deadwing) et Trains (In Absentia), ce sont deux classiques du groupe entraînant dès les premières mesures une réaction immédiate de l’assistance. Rendus ici dans le plus simple appareil, ils séduisent encore, démontrant une fois encore que Porcupine Tree n’a nul besoin pour convaincre de l’approche métal dont il enrobe parfois sa musique. Sans apparat ni lumière, cette dernière continue d’irradier grâce à son seul feu intérieur.

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Caamora : She (Metal Mind), Pologne/UK, 2008

Ce nouvel opéra rock est une superproduction basée sur le célèbre roman She de Henry Rider Haggard, publié pour la première fois en 1886. Ceux qui l’on oublié se souviennent peut-être de la version cinématographique réalisée en 1965 par Robert Day pour Hammer Films avec les incontournables Peter Cushing et Christopher Lee. La trame romanesque du récit n’a pas changé : deux aventuriers trouvent par hasard la Cité Perdue sur laquelle règne la reine immortelle Ayesha (She Who Must Be Obeyed) qui croît reconnaître dans l’un des deux explorateurs la réincarnation de son amant Kallikrates décédé depuis 2000 ans. Symbole de la femme toute-puissante, amorale, désirable et fatale (superbe interprétation dans le film de la Hammer par Ursula Andress, née pour le rôle), She conduira son royaume à la destruction à travers une série d’aventures où fantastique et exotisme côtoient une pincée d’érotisme et une réflexion sur la vie et la mort. Ce sujet convient évidemment à merveille pour une adaptation musicale surtout si la musique est grandiose et symphonique comme peut l’être le Rock progressiste. C’est d’ailleurs dans un style gothique avec gong et grand orchestre, dans la plus pure tradition des films d’aventure, que le spectacle démarre. Cette impression de bande sonore persistera à travers toute l’œuvre tant la musique toute entière est au service du concept. Réalisation démesurée conçue par Clive Nolan, le claviériste d’Arena et de Pendragon ici associé à la chanteuse polonaise Agnieszka Swita, She apparaît aussi ambitieux que l’était la Légende du Roi Arthur revisitée jadis par un autre sorcier des claviers nommé Rick Wakeman. Pour donner vie à leur vision, le duo qui s’est intitulé Caamora a fait appel à des mercenaires débauchés de groupes plus ou moins célèbres : le chanteur Alan Reed de Pallas dans le rôle de Horace Holly, Christina Booth de Magenta au chant, John Jowitt de IQ à la basse, Mark Westwood de Neo à la guitare, le violoncelliste Hugh McDowell (Electric Light Orchestra) et le batteur Scott Higham (Pendragon) constituent une fine équipe de pirates bien rôdés pour pareille équipée. Certes, à l’instar de l’extravagant The Myths And Legends Of King Arthur (A&M, 1975), la version studio de She n’évite pas toujours la grandiloquence. Par contre, en concert, la mise en scène et la performance des musiciens/acteurs font passer la dragée, la musique étant alors le vaisseau portant ce voyage spectaculaire de plus de heures jusqu’à son dénouement apocalyptique (pour les amateurs, il existe aussi un DVD du spectacle enregistré live le 31 Octobre 2007 au théâtre Wyspianski de Katowice en Pologne). Ceci dit, à côté des passages orchestrés, on retrouvera également ici nombre de chansons plus sobres qui combleront les attentes des amateurs de Neo-Prog en général et d’Arena en particulier : Nolan sait composer des mélodies accrocheuses et, dans le rôle de l’un des deux explorateurs (Leo Vincey), ses parties vocales en net progrès s’avèrent tout à fait convaincantes, particulièrement quand il chante en duo avec Agnieszka Swita qui endosse avec brio le rôle d’Ayesha. Les guitares de The Storm, le Néo-Prog classique (dans le sens Arena du terme) de The Veil, la ballade The Night Before, le Rock orthodoxe mais glorieux de Resting Place ou les chœurs de The Sands Of Time constituent des moments épiques que l’on peut largement apprécier et réécouter de façon indépendante. Il n’en reste pas moins que ce fantastique opéra, qui a demandé deux années de travail, a d’abord été conçu pour être vu en même temps qu’entendu : mieux vaut donc se procurer d’abord un ticket de concert, ou à défaut le DVD, pour apprécier l’œuvre dans toute sa démesure, sa gloire et sa complétude. Par la suite, ce double CD superbement illustré (par un artiste du label Metal Mind dénommé Graal), à l’instar d’une bande originale de film, aidera la mémoire à se souvenir le plus longtemps possible de ce moment privilégié. Excellent album en fin de compte et probablement l’opéra rock de l’année !

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The Tangent : Not As Good As The Book (InsideOut), UK/Suède 2008

Les deux premiers disques de The Tangent, The Music That Died Alone et The World That We Drive Through, restent, aujourd’hui comme au jour de leur parution, des œuvres captivantes bien que marquées par l’esthétique du groupe suédois The Flower Kings. Le troisième album, A Place In The Queue, laissait déjà entrevoir une évolution par rapport aux deux premiers. On pouvait alors s’interroger sur l’avenir du groupe et sa capacité à innover dans la voie artistique qui est la sienne. Il aura fallu deux années de patience avant d’avoir ce Not As Good As The Book entre les mains mais l’attente est récompensée puisqu’il s’agit d’un double album offrant 95 minutes de musique sans parler de l’édition spéciale qui contient une nouvelle illustrée (avec talent par le jeune artiste français Antoine Ettori) d’une centaine de pages écrites par le maître de cérémonie : Andy Tillison. Le premier titre, A Crisis In Mid Life, laisse tout de suite entrevoir que l’évolution entamée sur A Place In The Queue s’est poursuivie : le groupe s’est définitivement libéré de l’influence patente de Roine Stolt. Par rapport à The Sum Of No Evil, le dernier compact des Flower Kings qui attestait d'un retour aux origines de son histoire, cet album dénote une approche plus homogène avec des textures modernes et une sonorité incisive. Jakko Jakszyk a remplacé Krister Jonsson à la guitare en apportant avec lui un surplus de technique et d’agressivité sans parler de sa contribution honorable au département vocal. Le premier CD regroupe les titres plus courts - dont la plupart se situent quand même entre 7 et 10 minutes – qui témoignent par leur variété du vaste imaginaire musical de The Tangent. De la drôle de fusion instrumentale de Celebrity Purée à la séquence espagnole de Not As Good As The Book en passant par le Blues-Rock de Bat Out Of Basildon, le style canterbury de Lost In London 25 Years Later ou un A Sale Of Two Souls quasi acoustique qui évoque l’étrange alchimie d’un Peter Hammill entouré du Van Der Graaf Generator, il y en a un peu pour chacun. Mais cette musique ambitieuse, aussi bonne soit-elle, n’est pas tout : les textes, inspirés pour une fois par les tourments des hommes d’âge mûr et non par ceux des adolescents (après tout, c’est l’âge que doivent avoir aujourd’hui ceux qui écoutaient Yes et Genesis dans leur jeunesse), reflètent avec un cynisme certain mais aussi une bonne dose d’humour noir les promesses non tenues d’un âge d’or révolu. Le second CD lui, ne contient que deux chansons épiques de 22 minutes chacune. Deux romans-fleuves musicaux à l’ancienne, peuplés d’innombrables thèmes et d’une myriade d’interludes de guitares, de claviers, de saxophone, de flûte et d’orchestrations cinématiques rehaussant les parties vocales. Et même si la voix de Tillison n’a rien d’exceptionnel, on ne peut qu’être pendu aux mots qui racontent vraiment une histoire, qu’elle soit politique à propos de la guerre en Irak (Four Egos One War) ou d’inspiration plus personnelle et introspective (The Full Gamut). En définitive, Not As Good As The Book est une œuvre féconde, généreuse et porteuse d’un souffle épique, c’est l’œuvre de la maturité d’un groupe majeur dont on peut déjà écrire qu’il aura marqué au fer rouge la musique progressive du XXIème siècle.

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Ayreon : 01011001Ride The Comet / livret intérieurThe Fifth Extinction / livret intérieur
Ayreon : 01011001 (Inside Out), Pays-Bas 2008

Retour du compositeur chanteur claviériste et guitariste hollandais Arjen Lucassen dans son vaisseau le plus progressiste dénommé Ayreon. Annoncé avec fracas sur Internet, 01011001 est comme d’habitude une œuvre titanesque répartie sur 2 compacts, dotée d’un casting de rêve et agrémentée d’un visuel conçu avec le plus grand soin. On sait l’intérêt porté par l’auteur à la science-fiction et le thème de ce nouvel opus ne déroge pas à la règle : planète lointaine (Y symbolisé par le code binaire 01011001, d’où le titre bizarre de l’album), aliens (les « Forever ») menacés par une technologie qu’ils ont eux même créée, ADN extraterrestre embarqué sur une comète, interaction via une collision avec la Terre (Earth), extinction des dinosaures, émergence de la race humaine qui évoluera selon une trajectoire similaire vers une technologie entraînant sa perte. Rien de bien novateur dans ce récit, déjà développé dans des œuvres précédentes, qui évoque aussi bien un feuilleton Star Trek qu’un ancien roman de Robert Silverberg, ce qui par ailleurs constitue plutôt de bonnes références pour un amateur de SF. Le livret astronomique (!) de 28 pages - 36 dans l’édition limitée de luxe - est à la hauteur de l’ambition du projet avec une superbe illustration en couverture du belge Jef Bertels dont le style torturé fait maintenant partie de l’univers du groupe. Mais tout ceci ne serait rien sans la mise en musique monumentale (le casting ressemble à celui d’un film produit par Cecil B. De Mille) qui fait de cette histoire basique un Opéra Rock clinquant. Heureusement, Lucassen a acquis de l’expérience dans ce genre d’ouvrage et il est passé maître dans les rencontres organisées entre les maestros du Métal progressiste : réunir sur un même disque Hansi Kursch (Blind Guardian), Daniel Gildenlöw (Pain of Salvation), Tom S. Englund (Evergrey), Ty Tabor (King's X), Tomas Bodin (The Flower Kings), Michael Romeo (Symphony X), Derek Sherinian (Planet X) et bien d’autres nécessite une vision et une sacrée organisation pour que chacun puisse donner le meilleur de lui-même dans le rôle de chanteur ou d’instrumentiste qu’on lui a réservé. Sur ce plan là, 01011001 est une totale réussite en partie parce que les enregistrements des voix ont été faits pour la plupart en studio sous la supervision directe du leader. La musique ne décevra pas ceux qui ont aimé Into The Electric Castle ou The Human Equation : ils retrouveront ici ce mélange de Rock classique (évoquant parfois Led Zeppelin ou Thin Lizzy), de Métal progressiste mélodique (Star One) et d’atmosphères spatiales peuplées de synthés et de pétillements électroniques (entre Tangerine Dream et Georgio Moroder). En fin de compte, le seul reproche que l’on peut faire à cette production est de ne pas avoir poussé l’enveloppe un peu plus loin : en fonction de ses attentes, l'auditeur sera pour cette raison satisfait ou déçu par ce maelström de Rocks, ballades et climats cosmiques qui reste une création certes habile et soignée, mais aussi prévisible et notoire de ce qu’on peut désormais appeler le style « Ayreon ».

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