Le rock progressiste de 1968 à aujourd'hui (2)



1981 - 1990 [ 1968 - 1980 ] [ 1991 - 2000 ] [ Après 2000 ]



Les 80's : une larme, un bouffon, des masques et du métal


Les années 80 n'ont pas été une décade heureuse pour les amateurs de rock progressiste. On attribue généralement son déclin dans la seconde moitié des seventies d'une part à un brusque retour à une musique basique, viscérale et provocatrice et d'autre part à une nouvelle attirance d'une frange du public vers la danse, le glamour et les paillettes. Mais il est vrai que le rock progressiste s'est aussi sabordé lui-même par la production d'œuvres qui confondaient l'ambition avec le pompeux sans parler des musiciens eux-mêmes plus intéressés par leur propre ego et les intrigues que par la volonté de mettre leur art au service d'une création artistique.


Quelques grands groupes et chefs de file du genre ont malgré tout survécu à la tempête mais souvent au prix de changements importants dans leur line-up et, plus important, en modifiant progressivement de style de façon à s'adapter aux nouveaux goûts du public. Yes en est un exemple avec l'album 90125 (1983) dont le son moderne, dû en partie à la guitare du nouveau venu Trevor Rabin ainsi qu'à la production de Trevor Horn, allait redorer le blason d'un dinosaure prématurément enterré. Genesis, après le départ de Peter Gabriel, en est un autre moins convaincant avec une série de disques de plus en plus commerciaux et de moins imaginatifs culminant avec l'insipide Invisible Touch (1986). King Crimson aussi se reformera avec un nouveau line-up et un style complètement différent pour trois magnifiques albums sans mellotron et bourrés de guitares (Discipline, 1981 ; Beat 1982 ; Three of a Perfect Pair, 1984) avant de disparaître à nouveau.


Par contre, trouver du sang neuf à cette époque n'est pas si simple. Heureusement, motivés par le challenge d'écrire des textes globalement plus profonds ou des musiques plus élaborées que ce que proposait la new-wave et inspirés par les groupes fondateurs que furent Genesis, Camel, Yes ou Pink Floyd, quelques artistes anglais furent à la base d'un nouvel engouement encore timide pour le rock progressiste concrétisé par un mouvement naissant qui n'allait pas tarder à se répandre sous le nom de néo-progressiste. Marillion, chef de file du néo-prog avec son chanteur Fish, s'est rapidement fait un nom grâce au succès d'albums comme Script for a Jester's Tear (1983) et Misplaced Childhood. Représentatifs du genre sont aussi IQ avec Tales From The Lush Attic (1983) et The Wake (1985) ainsi que Pendragon (The Jewel, 1985) et dans une moindre mesure, quelques noms connus seulement des initiés comme Twelfth Night (Fact And Fiction, 1982 ; Art & Illusion, 1984), les Ecossais de Pallas (The Sentinel, 1982 ; The Wedge 1986) ou les Australiens d'Aragon (Don't Bring the Rain, 1991). Bien que n'étant pas aussi aventureux que le rock symphonique dont ils se réclament, les disques de néo-prog offrent quand même dans leurs meilleurs moments quelques belles envolées musicales et des textes souvent complexes, introvertis et parfois très acerbes. Certains de ces groupes toutefois ne publieront leurs œuvres majeures qu'au cours des années 90 et même 2000 et leurs premiers disques n'ont tout simplement pas la qualité requise pour être repris dans un Best Of des 80's. Ainsi en est-il pour Pendragon dont l'œuvre majeure, Masquerade Overture, est parue en 1996 ou encore Pallas avec Beat the Drum, paru en 1999 après une absence de 13 années, et The Cross and the Crucible en 2001.


Mais les disques de néo-prog ne sont pas les seules nouvelles expressions du rock progressiste des années 80. Le power trio canadien Rush est l'auteur d'au moins quatre disques importants témoignant d'une nette évolution de son style : Permanent Waves (1980), Moving Pictures (1981), Signals (1982) et Presto (1989). Autre ensemble canadien, Saga sort au début de la décennie quelques albums intéressants mariant un art-rock symphonique à base de claviers avec une approche popisante : Images at Twilight (1980), Silent Knight (1980) et Worlds Apart (1981). Le groupe belge Univers Zero persiste et adapte sa vision d'une musique complexe, ténébreuse et gothique avec des disques essentiels comme Ceux De Dehors (1980), UZED (1984) et Heatwave (1986). Ozric Tentacles, groupe anglais de space-rock, fait une timide apparition sur bande dès 1985 mais ses premiers compacts ne seront édités qu'en 1990 (Pungent Effulgent et Erpland). Par contre, le sous-genre jazz-rock électrique et fusion est à l'honneur avec le guitariste virtuose Allan Holdsworth qui, après avoir intégré plusieurs groupes majeurs des années 70, édite sous son nom quelques unes de ses plus belles expressions : Metal Fatigue (1985), Sand (1987) et Secrets (1989). Enfin, il ne faut pas oublier Queensrÿche, sorte de croisement entre le heavy metal et Pink Floyd, qui s'imposera en 1988 avec un concept album brillant nommé Operation : Mindcrime suivi deux années plus tard par un Empire moins aventureux mais tout aussi réussi. On a préféré clôturer la sélection avec Passion & Warfare de Steve Vai, un disque instrumental et métal d'un artiste virtuose, doué et talentueux qui, bien que rarement assimilé aux musiciens progressistes, n'en est pas moins celui qui a rendu à la guitare rock électrique un peu de son prestige et l'a propulsée, à nouveau maîtresse du feu et des forges, au cœur de la nouvelle décade.


Et maintenant, place à la sélection...







Univers Zero : Ceux du Dehors (Cuneiform Records), Belgique 1981

Fondé en 1974, ce groupe belge est au fil des ans devenu un mythe. Auteur d'une musique sombre et gothique jouée sur des instruments classiques (cor, hautbois, basson, violon…) et empruntant aussi bien à Bartok qu'au côté le plus obscur de King Crimson, le groupe a ses inconditionnels. Après l'étrange Heresie (1979), bande-son cauchemardesque presque entièrement acoustique, Ceux Du Dehors apparaît à la fois plus varié et (à peine) moins sinistre que son prédécesseur. Mais ça reste quand même une musique dissonante et suggestive, patibulaire et vénéneuse, lugubre et spectrale, à ne pas écouter seul au cœur de la nuit de peur que les ténèbres…

[ Ceux du Dehors (CD) ]
[ Univers Zero chez Cuneiform Records ] [ Autre chronique ]
[ A écouter : Dense - Triomphe Des Mouches ]

Rush : Moving Pictures (Mercury), Canada 1981

Ce power trio canadien qui sait à l'occasion mettre un peu de métal dans son rock a produit une vingtaine de disques depuis 1974 que l'on peut séparer en trois phases musicales. Celui-ci se situe à la fin de la seconde période, celle qui se rapproche le plus du rock progressiste avec ses longues sagas épiques, ses variations de tempo, ses savantes progressions d'accords et la totale maîtrise des musiciens sur leurs instruments respectifs (Geddy Lee à la basse, Alex Lifeson, à la guitare et Neil Peart à la batterie). Considéré comme la pièce maîtresse du groupe, Moving Pictures offre des classiques comme Tom Sawyer, Limelight, le superbe instrumental " Yyz ", intitulé d'après le code de transmission de l'aéroport de Toronto, et leur dernier long morceau épique : The Camera Eye. On peut aussi l'écouter comme un disque de transition vers le troisième cycle du groupe caractérisé par des titres plus concis, percutants, très élaborés sur le plan technique et désormais dominés par le son des claviers.

[ Moving Pictures (CD & MP3) ]

Twelfth Night : Smiling At Grief (MSI), UK 1981

Cette réédition en compact regroupe les premiers titres enregistrés par Twelfth Night avec le chanteur charismatique Geoff Mann, décédé en 1993. Comparé à tord avec des ensembles néo-progressistes comme IQ ou Marillion, ce groupe britannique qui officiait déjà à la fin des années 70 composa plutôt une musique de transition, certes parfois inspirée par Genesis, voire Pink Floyd ou même par le rituel spatial d'un Hawkwind, mais avec une touche rock très personnelle et plus moderne sans oublier les textes sombres et introspectifs qui préfiguraient en quelque sorte le renouveau du progressif des années 80. Le répertoire est ici des plus variés, incluant des titres rock louchant sur la New Wave du début des années 80 (East Of Eden, The Honeymoon Is Over, Puppets, Convenient Blindness) ou même funky (Three Dancers), des morceaux atmosphériques et mélancoliques sur lesquels la voix de Geoff Mann fait merveille (This City offrant une description impressionniste de la ville de Salford où vécut Mann et Makes No Sense au texte saturnien), des instrumentaux planants dans la veine cosmique d'un Ozric Tentacles (Für Helene Part II et une version alternative de Keep The Aspidistra Flying) sans oublier les longues compositions épiques (ici une première version de Creepshow préfigurant celle définitive réenregistrée une année plus tard pour l'album Fact And Fiction). Bien sûr, cinq des quatorze titres sont des bonus issus de séances de répétition avec une qualité de production limite mais l'un dans l'autre, ce cédé donne une bonne image d'un groupe versatile et de son nouveau chanteur doté d'une voix qui, s'il elle ne répond pas aux canons de celle des grands chanteurs de prog, n'en est pas moins unique par son expressivité et son côté théâtral. Dommage que ce groupe ne soit resté qu'une footnote dans l'histoire du progressif : il méritait mieux.

[ Smiling At Grief (Definitive Edition 2 CD) (CD & MP3) ]
[ A écouter : This City - Makes No Sense - The Honeymoon Is Over ]

King Crimson : Discipline (EG Records), UK/USA 1981

Début 1981, alors que les dinosaures ont pratiquement tous disparus, terrassés par la violence de la vague punk, Robert Fripp, comme dans Jurassic Park, décide de faire revivre le sien. Surprise ! Au Royaume Cramoisi, plus rien n'est comme avant : le mellotron a été largué au profit des guitares-synthés, la nouvelle formation s'ouvre sur l'extérieur et se révèle désormais américaine à 50% et la musique, qui n'a plus rien de symphonique, surfe sur la New Wave inspirée un peu par Peter Gabriel et beaucoup par Talking Heads. Normal puisque c'est Adrian Belew, ancien invité de Talking Heads sur Remain in Light (1980), qui chante et joue l'autre guitare tandis que Tony Levin, incroyable musicien de session qui participa aux projets en solo de Gabriel (PG1-Car, 1977 ; PG2-Scratch, 1978 et PG3-Melt, 1980) est crédité à la basse et sur cet instrument révolutionnaire nommé Chapman stick. A l'instar des arabesques de la pochette, la musique se replie et se déplie à l'infini, créant des motifs complexes enchevêtrés dans les poly-rythmes hypnotiques de Bill Bruford. Discipline est le disque ultime des années 80 et il ne faut pas hésiter à prolonger le plaisir de son écoute avec Beat (1982) et Three Of A Perfect Pair (1984), les deux autres manifestations de cette magistrale réincarnation.

[ Discipline (CD & MP3) ]

Asia (Geffen), UK 1982

Après la débandade de la fin des 70's, le bassiste et chanteur John Wetton (King Crimson, UK), le guitariste Steve Howe (Yes), le batteur Carl Palmer (ELP) et le claviériste Geoffrey Downes décident de constituer en 1981 un super groupe anachronique pour l'époque mais dont le casting fait rêver : Asia. Le premier disque éponyme qui paraît en 1982 n'est pas vraiment ce qu'on attendait. Même si elle garde quelques éléments propres au progressif, la musique s'inscrit davantage dans un courant pop-rock traditionnel : les titres sont plus courts et condensés tandis que les harmonies sont calibrées pour la FM à tel point que l'album et les simples qui en sont extraits (Heat Of The Moment, Only Time Will Tell) escaladent à toute vitesse les charts américains. Mais l'intensité émotionnelle des vocaux, les superbes mélodies, la qualité des instrumentistes et la guitare de Howe en particulier sont remarquables et gardent intactes les valeurs essentielles de la musique. De toute façon, Asia ne fera jamais mieux. Suite aux dissensions internes (Wetton / Howe) et externes (l'animosité des critiques et la pression de leur label pour imposer une musique plus commerciale), ce groupe au potentiel énorme ne produira plus dans l'avenir que des œuvres médiocres.

[ Asia (CD & MP3) ]

IQ : Tales From The Lush Attic (Giant Electric Pea), UK 1983

IQ (pour Intelligence Quotient) est avec Marillion l'un des premiers groupes à émerger du brouillard neo-prog de l'après seventies. De 1981 à 1984, IQ aura le temps d'enregistrer une cassette et deux albums en studio avant que le chanteur Peter Nicholls ne tire sa révérence et que le groupe ne s'enlise dans une pop commerciale sans grand intérêt. Si la première, Seven Stories Into Eight (1982), aujourd'hui rééditée en compact, ne méritait pas vraiment d'être exhumée, The Wake (85) et surtout Tales From The Lush Attic (83) valent bien une écoute. Certes, les parties instrumentales, la voix plaintive du chanteur, les textes obscurs, le côté théâtral et les suites épiques aux climats variés de plus de 15 minutes rappellent très (trop ?) fortement Peter Gabriel et le Genesis de Foxtrot. Mais cette musique, qui souffre parfois d'un manque de maturation ou, par suite d'un budget limité, de production, a quand même ses qualités propres et c'est sur The Last Human Gateway, premier long titre de Tales et pièce maîtresse du groupe, que l'on pourra le mieux en juger. La pochette du disque, qui est un collage d'images en noir et blanc illustrant les textes des chansons, a été réalisée par Peter Nicholls.

[ Tales From The Lush Attic (CD & MP3) ]

Pallas : The Sentinel (Inside Out), UK 1984

The Sentinel est un disque culte chez les amateurs de musique progressive. Introuvable pendant longtemps et vénéré par quelques initiés, il est aujourd'hui miraculeusement réédité en CD, avec quelques titres en plus, sur le label Inside Out. Le cœur de l'œuvre est une histoire inspirée par la guerre froide où plane le spectre de l'annihilation nucléaire, le tout transposé dans l'univers fictif d'Atlantis. Un concept qui peut paraître daté sans l'être vraiment. Quant à la musique, elle est dans la ligne des grands groupes des 70's avec des envolées lyriques qui rappellent parfois Genesis et dans une moindre mesure Yes ou même Pink Floyd. Aucun plagiat pourtant mais plutôt une continuité car Pallas, qui excelle dans le genre symphonique, a aussi un style qui lui est propre, plus rock que les précités avec des hymnes aux guitares acérées, aux synthés ardents et aux mélodies fortes comme ce superbe Cut + Run totalement emballant. Produit par Eddie Offord, le producteur attitré de Yes mais aussi d'Emerson Lake & Palmer (le titre Are You Ready, Eddy ? lui est dédié), The Sentinel même s'il n'est pas le disque génial dont on le qualifie parfois, valait bien une réédition et mérite l'écoute de ceux qui s'intéressent au genre. A mentionner aussi la très belle pochette dans le style fantastique de Roger Dean conçue par Patrick Woodroffe, un illustrateur visionnaire au style précis et détaillé.

[ The Sentinel (CD) ]

Marillion : Misplaced Childhood (EMI), UK 1985

Ce troisième disque en studio de Marillion est sans doute le plus connu et l'un des plus apprécié des fans du groupe. Le chanteur Fish s'y fait remarquer en interprétant des textes mélancoliques et amers sur des sujets cafardeux comme la séparation et la dépression qui en résulte. La musique se contente la plupart du temps de soutenir les paroles avec quelques rares solos intercalaires joués à la guitare par Steve Rothery. Les premiers titres sont les meilleurs : l'introduction lente et majestueuse de Pseudo Silk Kimono, Kayleigh qui est incontestablement la réussite du disque et Lavender, une jolie petite chanson sans prétention mais bien tournée. On passe encore un bon moment avec Bitter Suite et Heart Of Lothian mais la suite qui vient après déçoit un peu tandis que les deux dernières chansons (Childhood's End? & White Feather) sont épuisantes par leurs rythmes immuables et des flots de paroles presque ininterrompus. Globalement, il émane tout de même de cet album à la simplicité confondante un charme discret qui prédispose à le réécouter plus souvent qu'on ne le voudrait. A noter que ce disque a aussi été réédité sous la forme d'un double compact, la seconde galette étant réservé à deux faces B (Freaks, Lady Nina) sans grande originalité, des remix avec des effets de voix et les démos de l'album qui n'apportent pas grand chose de neuf. La version en simple compact devrait largement suffire.

[ Misplaced Childhood (CD & MP3) ]

It Bites : The Big Lad In The Windmill (Geffen), UK 1986

Premier album du groupe, The Big Lad In The Windmill impressionne par la voix de Francis Dunnery et la richesse des orchestrations dont la luxuriance dépasse celle d'un simple quartet. Sur Whole New World, on croirait plutôt entendre un mini Big Band cuivré dans le genre de Chicago. Les chansons ont un côté pop esthétisant, typique de la New Wave, mais aussi dynamique et qui n'a en tout cas rien à voir avec le rock progressiste classique ou néo. Ici on vise d’abord le fun, l’accessibilité, voire carrément une programmation en radio FM. Mais deux ou trois titres comme Screaming On The Beaches et surtout You'll Never Go To Heaven laissent éclore quelques ambitions qui s’amplifieront sur le disque suivant, Once Around The World. En attendant, Dunnery affiche d’évidentes qualités de guitariste tandis le bassiste Dick Nolan explore avec brio les basses fréquences. En dépit de son approche mainstream au croisement du Genesis de Phil Collins, d'Asia et de Spandau Ballet, It Bites s'affirme déjà comme un groupe nuancé et sophistiqué qui ne passionne pas encore mais qui ne manque quand même pas de charme.

[ The Big Lad In The Windmill (CD & MP3) ]

Marillion : Clutching At Straws (EMI), UK 1987

Au cœur du désert qu'ont été les années 80, Marillion s'est imposé rapidement comme le chef de file du nouveau rock progressiste. Pourtant, les premiers disques enregistrés en 83 et 84 avec le chanteur Fish ne se démarquent pas vraiment du Genesis de Peter Gabriel et, après la défection de Fish en 1987, le groupe continuera avec un nouveau chanteur dans une voie trop commerciale décevante pour les amateurs de la première heure. Néanmoins, entre 85 et 87, Marillion a produit deux bons disques, Misplaced Childhood et surtout Clutching At Straws, enregistré juste avant le départ de Fish et qui est probablement son magnum opus. Concept album traitant avec habileté d'un sujet grave (la dépression sociale combattue par l'abus de drogues et d'alcool), Clutching At Straws offre une succession de titres brillants, fort bien conçus et interprétés qui laissaient augurer d'autres albums prometteurs. Dommage !

[ Clutching At Straws (CD & MP3) ]

David Sylvian : Secrets Of The Beehive (Virgin), UK 1987

Bien qu’inscrits dans la ligne des précédentes réalisations en solo du chanteur de Japan (Brilliant Trees, 1984 et Gone To Earth, 1986), ces Secrets de la Ruche marquent l’apogée du style « Sylvian » : un mélange délicat de pop, de jazz, d’électronique et de musique d’ambiance, ici aménagé avec encore plus de cohésion qu’auparavant. Les sons atmosphériques émanant du bugle céleste de Mark Isham, des guitares trafiquées de David Torn et des orchestrations légères mais judicieuses de Ryuichi Sakamoto enrobent la voix du leader qui évoque parfois celle de David Bowie tandis que les chansons ésotériques ou romantiques ont l'étrange pouvoir d'attraction des photographies argentiques surannées. Toujours excellemment produit par Steve Nye (Fleetwood Mac, Frank Zappa, XTC, Japan), cet album tellement épuré qu'il en est trop court s’écoute comme on lit une poésie saturnienne : en se laissant ensorceler par la forme enchanteresse des sons. Magique !

[ Secrets Of The Beehive (CD & MP3) ]

Queensryche : Operation: Mindcrime (EMI), USA 1988

Rien ne laissait deviner que Queensryche, au départ un groupe de métal comme beaucoup d'autres aux Etats-Unis, produirait un jour une œuvre révolutionnaire comme Operation : Mindcrime, un album conceptuel puissant dont les textes à consonance politique et sociale résonnent encore aujourd'hui, sur fonds de terrorisme urbain, comme une étrange prémonition. Quant à la musique, conçue pour amplifier la dramaturgie à l’instar des bandes sonores cinématographiques (le réalisateur de musiques de film Michael Kamen a même été appelé à la rescousse sur un titre majeur de 10 minutes), elle est lourde et radicale mais aussi efficace. Renforçant l’émotion et parvenant à lier les différents chapitres du récit, elle pose en même temps les bases du métal progressif, un genre qui s'imposera définitivement dans les année 90. Après un autre disque réussi mais plus commercial (Empire), Queensryche ne tiendra pas ses promesses et redévalera l'escalier vers un métal plus conventionnel. Qu'importe, il nous reste cet Operation : Mindcrime, un chef d'oeuvre aussi ambitieux qu’ébouriffant recommandé en premier lieu à ceux qui aiment les sensations fortes.

[ Operation : Mindcrime (CD & MP3) ] [ Autre chronique ]

Talk Talk : Spirit Of Eden (EMI), UK 1988

Si l’on excepte Operation : Mindcrime de Queensryche, 1988 fut une année particulièrement pauvre en rock progressiste. Les amateurs de rock hanté et intimiste purent toutefois se rabattre sur ce Spirit Of Eden de Talk Talk. Rompant avec la pop synthétique qui fit leur gloire (The Party's Over et It's My Life) dans la première moitié de la décennie, Mark Hollis et les siens se sont repliés sur des instruments plus traditionnels (guitare, piano, orgue, basse et batterie) pour produire une musique mélancolique et contemplative, ouvrant les portes à ce que l‘on appellera plus tard le post-rock. Issu de longues improvisations introspectives qui furent ensuite éditées et arrangées pour en tirer des plages de longueur plus gérable, l’album bénéficie de la présence de nombreux invités (dont Nigel Kennedy au violon) et déroule des paysages sonores sans véritable mélodie mais dotés d’une réelle puissance émotionnelle. A contrecourant de tout ce qu’on pouvait entendre à l’époque, la musique de Spirit Of Eden a traversé les âges sans prendre une seule ride, influençant au passage nombre de groupes contemporains : certaines chansons du Marillion de Steve Hogarth, de Radiohead, de Sigur Rós, et de Storm Corrosion en sont une descendance directe.

[ Spirit Of Eden (CD & MP3) ]
[ A écouter : The Rainbow / Eden / Desire ]

Allan Holdsworth : Secrets (Enigma / Restless), UK 1989

Après avoir associé son nom à Soft Machine, Tony Williams Lifetime, Jean Luc Ponty, Bill Bruford, Gong et UK, le guitariste Allan Holdsworth a enregistré dans les années 80 une série de disques séminaux dans le genre jazz - rock - fusion (I.O.U., 1982 ; Road Games, 1983 ; Metal Fatigue, 1985 ; Atavachron, 1986 ; Sand, 1987 ) couronnée par ce Secrets impérial. Aidé par le bassiste Jimmy Johnson et l'excellent batteur Vinnie Colaiuta, Holdsworth, au-delà du tour de force technique, transcende les limites de l'instrument et délivre une musique fluide, atmosphérique, habitée, parfois intense et parfois évocatrice mais toujours passionnante. Même les deux compositions chantées, ici par Rowanne Mark (Secrets) et Craig Copeland (Endomorph), sont réussies, ce qui n'était pas toujours le cas sur les disques précédents. Et puis, on a encore droit à trois morceaux interprétés au SynthAxe, cette étrange guitare qui n'est ni pilotée par un synthétiseur ni une simple guitare MIDI mais bien un nouvel instrument au concept ingénieux et au son impressionnant. Après en avoir tiré le meilleur, Holdsworth n'allait pas tarder à s'en séparer définitivement alors qu'elle disparaissait du marché et devenait une relique pour collectionneur. Dans le genre, Secrets - qui porte bien son nom - est à la fois le disque le plus méconnu et le plus nécessaire des années 80.

[ Secrets (CD & MP3) ]
[ A écouter : Secrets - Joshua ]

Ozric Tentacles : Pungent Effulgent (Demi Monde), UK 1989

Si dans les années 80, le Prog ne se sentait pas très bien, le Space Rock lui était carrément moribond (un seul album à retenir : The Chronicle Of The Black Sword de Hawkwind). Du moins jusqu'à ce que le vaisseau Ozric Tentacles n'émerge du champ gravitationnel où il était jusqu'ici confiné. Décidant qu'il était temps d'abandonner le temps des musicassettes vendues à la sauvette après les concerts, le groupe sortit son premier album vinyle en 1989 sur le label Demi-Monde et prouva ainsi à la planète entière qu'il avait tout compris : une superbe pochette psychédélique dessinée par Blim, l'humour parodique des titres à la Fredric Brown (Kick Muck, Agog In The Ether...), des vapeurs cosmiques projetées par les synthés, une guitare branchée sur une pédale de delay comme chez Steve Hillage, des effets sonores en pagaille pour l'ambiance, sans oublier l'indispensable carburant d'inspiration indienne pour un décollage facile et sans douleur. Les Ozric feront encore mieux au cours de la décennie suivante (Jurassic Shift est considéré comme leur chef d'oeuvre) mais, avec Pungent Effulgent, les trous de vers, un temps fermés, venaient soudain de se rouvrir sur les espaces soniques découverts jadis par Gong.

[ Pungent Effulgent / Strangeitude (MP3) ]

Anderson Bruford Wakeman Howe (Arista), UK, 1989

Né des brouilles internes entre le chanteur Jon Anderson et le reste du groupe Yes, cette ligue d'anciens vétérans qui participèrent jadis à la création de chefs d'œuvre comme Fragile et Close To The Edge tente de retrouver la magie de ce qui fit leur succès dans les années 70. Combinant compositions épiques à tiroirs et chansons plus courtes et plus conventionnelles, ABWH n'est pas loin d'être une vraie réussite et s'avère équivalent en qualité à Going For The One et, en tout cas, bien meilleur que Tormato, 90125 et Big Generator. Les percussions électroniques jouées par Bruford et quelques nouveaux synthés introduits par Wakeman apportent une petite touche new-wave. Quant au recrutement de Tony Levin à la basse et au Chapman Stick, c'était à priori un bon choix (suggéré par Bruford) mais il a été mixé en retrait si bien que c'est surtout l'absence de la basse monstrueuse de Chris Squire qui se fait remarquer. En dépit de cette lacune et à l'exception de Teakbois qui, avec son rythme caribéen, n'a rien à faire ici, la musique est de bonne facture et justifie l'entrée de l'album à la 14ème place des Charts britanniques. Pas mal pour un disque de prog classique de la fin des années 80.

[ Anderson Bruford Wakeman Howe (CD & MP3) ] [ Anderso Bruford Wakeman Howe (Special Edition) (CD) ]
[ A écouter : ABWH (album entier) ]

Anthony Phillips : Slow Dance (Virgin), UK 1990

The Geese And The Ghost et Trespass sont ses albums les plus connus (le second édité sous le nom du groupe dont il faisait partie à l'époque : Genesis) mais Slow Dance mérite aussi le détour. En deux longues pièces de 25 minutes chacune, le talentueux multi-instrumentiste qui avait peur de la scène enregistra à la fin des années 80, avec l'aide de quelques musiciens invités, l'une des plus somptueuses combinaisons instrumentales jamais réalisées entre synthétiseurs et instruments acoustiques (guitares, harpe, flûte, hautbois, clarinette et cordes) en dehors de celles du grand Mike Oldfield. Pour être tout à fait honnête, quelques breaks tombent comme des pierres, l'enchaînement entre les différentes sections n'est pas toujours fluide, et la douce prégnance de ces intonations planantes met un peu de temps à venir. Mais ceci n'empêchera pas les grands faunes de tomber amoureux de cette musique paysagère aux accents si bucoliques.

[ Slow Dance (CD) ]
[ A écouter : Slow Dance Part 1 - Slow Dance Part 2 ]

Steve Vai : Passion & Warfare (EPIC / Relativity), US 1990

A priori, Steve Vai est rarement classé parmi les artistes de rock progressiste. Pourtant ce disque de guitare rock entièrement instrumental, à la différence de beaucoup d'œuvres du même genre, est bien plus qu'un simple catalogue d'effets destiné à mettre en évidence l'agilité des doigts de son auteur. Peaufiné entre deux tournées dans l'antre de son studio familial, Passion & Warfare offre en effet beaucoup d'autres qualités. Si la virtuosité technique est aussi apparente que chez son maître d'autrefois, Joe Satriani, c'est bien davantage ses qualités de compositeur qui retiennent l'attention, Vai montrant des dispositions peu communes pour élaborer des mélodies et des textures harmoniques singulières propices aux plus folles pyrotechnies. Pas question ici de se laisser aller à de longues improvisations sans âme ni intérêt sur trois accords de boogie. Tout est pensé, écrit, condensé, joué avec précision et une passion extrême. Avec des titres qui décollent majestueusement à pleine puissance (Liberty), incitent à une réflexion spirituelle (For The Love Of God), bondissent alertes et funky (The Animal) ou se réclament de l'ironie d'un Frank Zappa avec qui Vai a enregistré une dizaine de disques au début des années 80 (The Audience Is Listening, Alien Water Kiss), cet opus s'est rapidement imposé comme un nouveau standard à l'aune duquel les petits virtuoses de la six-cordes métallique seraient désormais pesés. Vai lui-même aura par la suite du mal à se surpasser mais il reviendra une décade plus tard remettre à nouveau les pendules à l'heure avec un Ultra Zone impérial. Pas progressif Steve Vai ?

[ Passion & Warfare (CD & MP3) ]
[ A écouter : For The Love Of God - The Riddle ]





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