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Robin And The Woods : Moonfall (Grain(s) de Riz), France, 2 avril 2021
1. Collapse (3:19) - 2. Cello Man (5:53 - 3. Dark Water Falls (7:54) - 4. Fractales - Ouvertures (6:03) -
5. La Fabrique du Trouble - Fractales 2 (3:12) - 6. Reflets sur l'eau qui dort - Fractales 3 (4:00) - 7. Dying Stars Suicide Club (7:36) - 8. Eyjafjallajökull (7:23) - 9. Moonfall (8:08) Robin Jolivet (guitare, compositions); Jérôme Masco (sax ténor, compositions); Alexandre Aguilera (flûte); Alexis Cadeillan (basse); Nicolas Girardi (drums) Robin Jolivet (guitare) et Jérôme Masco (saxophone) se sont rencontrés en 2015 au Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud qui leur permit d'affiner leur maîtrise instrumentale et de jouer sur diverses scènes bordelaises. Début 2017, les deux musiciens mettent leurs idées en commun et fondent un duo nommé Robin & The Woods. Ils développent alors un son bien à eux, imprégné du rock progressif des années 70 (Mike Oldfield, Pink Floyd, King Crimson) et du jazz de l'époque (Pat Metheny, Donny McCaslin, E.S.T., John Hollenbeck). Le résultat est une fusion très organique évoluant entre un style épuré et une écriture dense, le tout débouchant sur des jam sessions où percent une grande sensibilité et un côté poétique. La formation s'élargit ensuite pour devenir un quintet avec Alexandre Aguilera (flûte), Nicolas Girardi (batterie) et Alexis Cadeillan (basse). Suivent alors de nombreux concerts (en France mais aussi à Shangaï) et distinctions qui saluent leur belle créativité. Un premier EP intitulé The Dark Water Falls voit le jour en janvier 2019. Et Enfin, voici Moonfall, un premier album sorti sur le label Grain De Riz. Ce disque est élu coup de cœur par Radio France. Le rock progressif des années 70, d'ailleurs très proche du jazz rock à ce moment-là, a beaucoup inspiré les concepteurs de cet album. Il y a une émotion, une poésie et une richesse dans l'écriture et le son de cette époque qui parlent beaucoup aux musiciens. Il faut aussi y ajouter le cinéma de genre et la musique des jeux vidéo des années 80 et 90. Les contraintes liées aux machines de l'époque ont amené les musiciens à faire preuve d'une créativité incroyable. Les compositeurs affectionnent les moments d'improvisation qui permettent de prolonger l'ambiance mais aussi, aux solistes, de s'exprimer, de construire avec leur vocabulaire. « C'est un aspect du jazz que j'aime et que j'essaye de garder » déclare Robin. Entre complexité et légèreté, les compositions se développent intelligemment, avec recherche, inventivité, équilibre, et virtuosité. Robin & The Woods propose une musique instrumentale sensible à l'imaginaire à la fois onirique et lyrique. Le processus d'enregistrement a fourni une musique bien détaillée, avec un son clair, précis et qui ne cache pas le feeling et le groove derrière des artifices techniques. L'album est enregistré en plusieurs sessions en septembre 2020 par Christophe Maroye. Le groupe profite de ce temps de studio pour expérimenter de nouveaux arrangements sur des morceaux qui ont surtout été joués en live depuis les débuts. On y entend ainsi de la guitare acoustique tandis que, côté vents, les lignes sont enrichies par le saxophone baryton et la clarinette. Les cloches entendues sur le dernier morceau Moonfall sont des cloches (à main) diatoniques d'un kit pédagogique Montessori. Des textures sonores sont aussi enregistrées (glaçons qui craquent) pour les intros et transitions électroacoustiques de la suite des Fractales. L'album est construit autour de deux grandes trilogies. Collapse, Dark Water Falls et Moonfall forment ce qu'on appelle la "trilogie de la fin monde". On y trouve pas mal de citations et de similitudes entre les trois morceaux. Robin nous explique que pour les compositions, il travaille principalement avec l'inconscient : ce sont des sensations, des images qui lui viennent. Collapse est une marche solennelle, calme, et qui explore la mélancolie : sur la dernière exposition on voit que le thème d'intro d'apparence réservée peut aussi déployer une grande énergie. C'est un peu le fil conducteur de la suite, puisque dans Dark Water Falls, il y a beaucoup de contraste au niveau de l'énergie et des ambiances des différentes parties du morceau, un peu comme un fleuve qui se métamorphose et transforme le paysage et l'écosystème qui l'entourent de bien des manières. L'eau, est également un thème chargé de sens à notre époque, entre pollution, écologie et économie. Moonfall est le morceau le plus cinématographique, il peut carrément rappeler la bande son de films catastrophes sur certains passages. Il est aussi divisé en cinq parties dont on pourrait s'amuser à trouver des ressemblances avec les cinq phases du deuil. Le déni s'exprime par le calme apparent du trois temps, brisé par la colère qui monte en crescendo. S'en suit un marchandage à travers des métriques et tonalités instables. La peur s'installe et éclate pour mener à l'acceptation sur le grand final. Cello Man, première pièce composée pour l'album, est issue du souvenir d'un jeune violoncelliste qui a effectué sa prestation avec courage et opiniâtreté dans une salle bondée d'étudiants en musique accablés par une chaleur étouffante. L'ostinato de guitare traverse le morceau, maintenant le cap au gré des métriques, solos et riffs énergiques, aux couleurs du rock progressif. La seconde trilogie est la suite des Fractales, qui, dans sa forme complète, est une pentalogie qui ne prendra fin que sur le second album à paraître. Elle est composée par Jérôme Maco comme une « vue d'artiste » musicale de ce phénomène mathématique fascinant. Elle a donné lieu à un spectacle sur les mathématiques, né de la rencontre du groupe avec Guillaume Saës, docteur en mathématiques, vidéaste pour la chaîne YouTube "Science Trash" mais aussi musicien, intitulé « Comment les sciences peuvent-elles être une source d'inspiration artistique pour la création musicale ? » et dont la première a eu lieu le 18 mai 2021 à la 21ème édition du Salon Jeux & Mathématiques. Le titre Dying Stars Suicide Club est inspiré d'un documentaire sur l'espace vu sur Arte qui faisait mention d'un cimetière d'étoiles. Il fait aussi écho avec humour à l'imagerie spatiale très présente dans les inspirations du groupe. Le contrepoint du pont du milieu, d'abord écrit pour piano a été réarrangé à trois voies pour le quintet. Entre mars et octobre 2010, toute l'Europe assiste à la quatrième éruption de l'Eyjafjöll, un important massif volcanique du sud-ouest de l'Islande. L'explosion de ce volcan caché sous une calotte glaciaire - l'Eyjafjallajökull, qui lui donne parfois son nom - dégage un panache de plusieurs millions de tonnes de cendres et de particules qui perturbe fortement le trafic aérien à l'échelle mondiale. Comme si les forces telluriques s'étaient soudain soulevées pour secouer le capitalisme mondial galopant… Cette pièce volcanique est construite en trois mouvements complémentaires liés par des ostinati de saxophone : Fjall, la montagne, monument de calme et de beauté; Eldur, le feu, la colère de la Terre; Vatn, l'eau, enfin au repos. Moonfall présente au travers de ses 9 compositions un univers personnel imprégné de questionnements humanistes, politiques et environnementalistes (néo-libéralisme, bouleversements climatiques, influences sur notre vie présente et future) décliné sur un un rock incisif, un groove irrésistible et un jazz expressif. Les différentes pièces qui représentent les chapitres de cette fresque impressionnante sont illustrées dans le livret par Mélanie Ertaud dont l'univers graphique vient éclairer avec à propos les thèmes exposés. [ Chronique d'Alain Bourguignon ] [ Moonfall sur Amazon.fr ] [ Moonfall sur Bandcamp ] [ A écouter : Collapse - Cello Man - Dark Water Falls ] |
Elisa Montaldo : Fistful of Planets, Part II (Autoproduction), Italie, 31 juillet 2021
1. Valse De Sirènes (Chanson) (Second Meteore Of Chaos) (2:25) - 2. Floating / Wasting Life (The Grey Planet) (3:58) - 3. Earth's Call (Exosphere) (4:36) - 4. We Are Magic (The Fuchsia Planet) (3:35) - 5. Haïku (The Orange Planet) (5:05) - 6. Feeling / Nothing / Into The Black Hole (The Black Hole) (12:10) - 7. Wesak (Satellite) (1:37) - 8. Washing The Clouds (The White Planet) (6:42) - 9. Valse De Sirènes (Grand Finale) (6:21) Elisa Montaldo (piano, claviers, autoharpe, chant); Hampus Nordgren Hemlin (mellotron, basse, celesta, guitares acoustique & électrique : 2, 3, 4, 8); Mattias Olsson (batterie, percussions, mellotron, effets sonores : 2, 3, 4, 5, 6, 8); Tiger Olsson (chant : 6); Jose Manuel Medina (arrangements de la section de cordes : 3, 9); Ignazio Serventi (guitare : 5 , 6); Steve Unruh ( flûte, violon électrique 3, 6); Rafael Pacha (guitares classiques : 3); Nina Uzelac (violoncelle 3); David Keller (violoncelle : 5, 8); Stefano Guazzo (saxophone : 6); Paolo Tixi (batterie : 2); Matteo Nahum (arrangements orchestraux : 1); Yuko Tomiyama & Maïté Castrillo (chœurs : 5); Diego Banchero (basse : 8); Attala Alexandre (textes : 1) Pour présenter Elisa Montaldo, il faut avant tout évoquer Il Tempio Delle Clessidre formé en 2006 qui, parmi une myriade de formations transalpines, sortait en 2010, un premier album éponyme particulièrement remarqué. On pouvait y découvrir un rock progressif, parfois heavy, dans cette tradition des grands noms italiens des années 70 tels qu'Area ou encore Il Balletto Di Bronzo. Le line-up était d'ailleurs réuni autour de Stefano Galifi, chanteur de Museo Rosenbach qui enregistra le légendaire Zarathustra en 1973. Puis le groupe conforta toute espérance avec leur troisième opus Il Ludere en 2017. La jeune claviériste, compositrice et chanteuse du groupe, portait quant à elle, et de longue date, un projet solo inspiré par sa passion pour l'astronomie et l'espace. Sorti le 15 Novembre 2015, Fistful Of Planets Part 1 nous transportait dans un univers imaginé par l'artiste, une galaxie de planètes et de satellites, respectivement décrits dans chacune des huit courtes plages de ce répertoire. C'est donc là une œuvre onirique et introspective, un univers de couleurs et de sons dans lequel Elisa nous fait vivre une expérience « multisensorielle ». D'un astre à l'autre, la musique, toujours gorgée d'émotions portées par un haut degré mélodique, revêt diverses facettes: d'abord contemplative par ses claviers aériens (Senza Parole ou Eclectic Rocks), aux frontières du New Age, évoquant parfois les bandes sonores de Vangelis (Vodka E Limone, et surtout In the Cold White Desert), se faisant pop légère sur les deux titres chantés, la voix d'Elisa rappellant irrésistiblement celle de Kate Bush (To Gather et Weeping Willow), ou étonnamment bluegrass sur le cinquième morceau. Enfin, plus qu'une conclusion, Robot Madness First Comet Of Chaos, avec ses sons trafiqués et ses voix synthétisées, semblait annoncer une seconde partie. Connaître ce premier opus est donc un préalable nécessaire à la découverte de Fistful Of Planets Part 2. Cette suite du voyage est plus expérimentale et plus conceptuelle, avec les neuf titres de ce second volet connectés entre eux, certains se découpant en plusieurs parties. Elisa définit précisément « 45 morceaux groupés en 9 plages ». Plusieurs écoutes peuvent être requises, chacune sans interruption, afin de permettre à l'auditeur de s'approprier les messages, parfois cachés, de cette œuvre née de la crise sanitaire. Ici, les émotions sont plus profondes voire plus sombres, et cela se traduit musicalement par une recherche sonore plus large, voire parfois singulière grâce en l'occurrence à Mattias Olsson (Änglagard, White Willow) déjà présent dans le premier album. Le piano, les synthés et les claviers vintage d'Elisa s'entourent à présent d'une instrumentation plus riche, mêlant électronique, acoustique, électrique, chœurs, vents et cordes, et qui bénéficie de la présence de trois guitaristes : Rafael Pacha (The Samuraî Of Prog), Ignazio Serventi, ainsi que le multi instrumentiste Hampus Nordgren Hemlin. Notons aussi que les arrangements sont également plus complexes. L'album s'ouvre sur le son très curieux d'un vieux gramophone jouant une chanson française nous plongeant dans les années 1920. Dans l'exploration de ces nouveaux corps célestes, soulignons d'abord Earth's Call (L'Exosphère), pièce mélancolique introduite au violoncelle, puis conduite par la flûte, le mellotron et enfin la guitare acoustique dans la meilleure veine des formations scandinaves. Le sixième morceau, Feeling/Nothing/The Black Hole, est la pièce la plus longue et également la plus aventureuse de l'album. Aux arpèges de piano et au chant en anglais accompagné d'un orgue aux notes solennelles se superposent bientôt une musique ambient appuyée par des percussions et divers effets sonores évoquant dans une confusion maîtrisée, l'entrée dans le trou noir. Après Wesak, courte pièce de piano solo, Waching The Clouds est une ballade où le piano et le chant d'Elisa sont bientôt rejoints par les riffs aériens de la guitare électrique de Hampus Nordgren Hemlin pour finir dans une somptueuse osmose orchestrale. Enfin le dernier titre lancé au rythme d'une valse classique, clin d'œil évident à l'Odyssée Spatiale de Stanley Kübrick, prend une dimension à la fois épique et mystique face au temps et à l'espace infinis. [ Chronique de Michel Linker ] [ Fistful of Planets part II sur Bandcamp ] [ Fistful of Planets part I sur Bandcamp ] [ A écouter : In The Cold White Desert (The Blue Planet) - Floating/Wasting Life ] |
Matelo Mantra : Architects Of Fantasy (Indépendant / Bandcamp), Canada, 12 avril 2021
1. Blue Snow (3:50) - 2. Flight Of A Feather (4:36) - 3. The Maze (4:40) - 4. Illusions (4:28) - 5. Giant Strides (4:22) - 6. Bounds Of Time (4:11) - 7. Moon Theater (5:31) - 8. Skylark (4:15) - 9. Whimsical Sea (4:49) - 10. Be Water (5:23) Mathieu Loiselle (tous les instruments, composition, production) Mathieu Loiselle est un artiste québécois qui a plusieurs cordes à son arc : écrivain, géologue, producteur, il compose également de petites pièces instrumentales qu'il a réunies dans cet album intitulé Architects Of Fantasy sorti sous le nom de Matelo Mantra. Mathieu Loiselle y joue de tous les instruments et c'est lui également qui a réalisé l'enregistrement, le mixage et la production. La musique s'inscrit dans ce qu'on appelle le « new age ». Elle est mélodique, relaxante et optimiste dans une perspective environnementale mêlée de fantastique, ce que traduisent les titres des chansons comme Blue Snow, Moon Theater ou Whimsical Sea mais aussi le design de la pochette réalisé par Aurélien Maccarelli. Comme on peut s'y attendre, les synthétiseurs abondent ainsi que les séquenceurs. Certains titres comme Illusions ou Whimsical Sea font penser à Jean-Michel Jarre et d'autres à Kitaro. Bien qu'également labellisée « Progressive Rock », peut-être à cause de l'un ou l'autre solo planant de guitare comme dans Bounds Of Time, l'ambiance est ici beaucoup plus proche de la musique « new age », élévatrice et spirituelle par nature, comme celles souvent utilisées pour accompagner des images dans des documentaires géographiques. La production et le son sont impeccables si bien que cette musique fluide et aérienne ravira probablement les amateurs de disques comme Silk Road ou Oasis de Kitaro, Truth Of Touch de Yanni, voire Mars Polaris de Tangerine Dream ou encore Revolutions de Jean-Michel Jarre. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Architects Of Fantasy sur Bandcamp ] |
Chain Reaktor : Homesick (Freia Music), Pays-Bas, 5 juin 2021
1. The Day That Never Came (10:34) - 2. Lonely City (6:33) - 3. Enjoy your life (4:47) - 4. The Lying King (8:02) - 5. Homesick (8:24) - 6. Stop Yelling (9:11) - 7. A Thousand Diamonds (6:29) Arjan Laan (batterie, percussions); Bart Laan (chant, chœurs, guitares, flûte); Erik Laan (chant, chœurs, claviers, pédale d'effet basse); Mark op ten Berg (guitare basse); Suzan van den Engel (chœurs: 1, 2, 5, 7); Sophie Zaaijer (violon: 2, 4, 5 ,7); Martin Streckfuss (saxophone: 5, 7) La cognition musicale et la passion qui nécessairement l'accompagne se transmettent de génération en génération tel un phénomène de réaction en chaîne que rien ne peut arrêter. Voici donc Chain Reaktor, nouvelle formation néerlandaise présentant son premier album issu du projet familial mené conjointement par Erik Laan, claviériste, chanteur et compositeur du groupe Silhouette, et ses deux fils, Arjan (batterie, percussions, chant) et Bart (guitares, flûte, chant), co-fondateurs du groupe Skylake, (dont le premier opus, In Orbit, est sorti en 2019). Ayant bénéficié d'un alignement optimal des planètes et d'une appétence commune pour un rock progressif moderne, Homesick concrétise une collaboration tripartite totale dans la composition de ces sept plages, l'écriture des textes (à deux exceptions près) ainsi que dans les arrangements qui va au-delà de la complémentarité instrumentale. Soucieux par ailleurs d'installer un groove très apparent sur certains passages, Ils se sont adjoint les services d'un bassiste venu du monde de la soul et du funk en la personne de Mark Op Ten Berg. A plusieurs titres, Homesick renvoie au dernier opus studio de Silhouette, The World Is Flat And Other Alternative Facts. D'une part, il aborde sans complaisance les travers du monde politique économique et social actuel, et d'autre part, le line-up a également été étoffé par l'ajout d'un violon (Sophie Zaaijer) et d'un cuivre (le saxophoniste Martin Streckfuss). The Day That Never Came, morceau d'ouverture, le plus long et genèse probable de l'album, en est une pièce majeure. Des chants d'oiseaux vite étouffés par les sirènes de la ville plantent ce décor urbain dans lequel percussions puis claviers et guitares occupent peu à peu l'espace. Pour restituer la tragique et véridique histoire de cette fiancée attendant, pour une séance photo, un futur époux qui ne se présentera jamais car tué dans une attaque terroriste, toute la recette d'un rock progressif propre à flatter nos oreilles est présente ici comme dans ce qui suit : mélodie accrocheuse, chant véhiculant des émotions, harmonies vocales, palette de claviers virevoltants ou rugissants, guitare tour à tour rageuse et atmosphérique, flûte légère, le tout magnifiquement arrangé et porté par une puissante section rythmique. Accessible en permanence, le répertoire alterne ensuite des pièces compactes comme Lonely City ou Enjoy Your Life, avec des morceaux aux arrangements plus complexes. La musique, tout en restant fondamentalement mélodique et plaisante à l'écoute, peut se faire aventureuse via des harmonies insolites ou encore des rythmiques peu orthodoxes. Dans The Lying King, pour appuyer une subtile critique du narcissisme et de l'autoritarisme politique ainsi que du monde impitoyable de l'entreprise en particulier dans l'industrie du disque, les chants sont portés par la colère des riffs de guitares que tempèrent des claviers vintage (synthé au son Hammond cher à Erik, puis piano) et un violon mélancolique. On peut en toute évidence ressentir le plaisir que prennent les musiciens, en particulier dans Stop Yelling, pièce paradoxalement sombre et atmosphérique portée par la batterie d'Arjan. Conjointement aux sujets graves précités, Homesick n'en est pas moins une œuvre intimiste qui, en particulier dans son morceau-titre, exprime la recherche pour chaque individu d'un lieu qui lui soit familier et paisible, un foyer tout simplement. Cette quête est sublimée par plusieurs changements de rythmes et par une section instrumentale délicieusement sombre de trois minutes. Dans cet autre morceau clé de l'album qu'est A Thousand Diamonds,le saxophone s'ajoute au violon pour une pièce à la fois lyrique et onirique qui clôture élégamment le répertoire. Plus qu'un coup d'essai, Homesick est sans conteste une belle réussite qui installe Chain Reaktor parmi les formations hollandaises qui comptent parmi la scène progressive actuelle. Quant à la très belle illustration du CD, elle est signée Aldo Adema, surtout connu en tant qu'ancien guitariste de Egdon Heath et aujourd'hui de TumbleTown, autre formation intéressante comptant également parmi ses membres Erik Laan, qui, à présent, travaille sur les compositions du futur album de Silhouette. [ Chronique de Michel Linker ] [ Homesick (CD / Digital) ] [ Homesick sur Bandcamp ] [ A écouter : Homesick - Lonely City ] |
Karmamoi: Room 101 (Indépendant), Italie, 28 mai 2021
1. Memory Holes (9:12) - 2. Drop by Drop (8:33) - 3. Dark City (7:15) - 4. Zealous Man (10:53) - 5. Newspeak (8:06) - 6. Room 101 (7:15) - 7. The New World (9:45) Adam Holzman (piano & Moog solo: 5); Steve Unruh (violon & flûte: 1,2,5); - Sara Rinaldi (chant principal); Emilio Merone (piano & claviers solo: 7); Valerio Sgargi (ténor, choeurs); Francesca Zanetta (synthétiseur Solina: 1) C'est à l'initiative de Daniele Giovannoni que la formation de rock progressif italienne Karmamoi s'est mise en place en 2008. Quatre albums, tous appréciés, ont ensuite été publiés avec quelques changements de personnel, presque à chaque disque, le groupe étant actuellement devenu un trio travaillant avec des musiciens invités. Room 101 fait ainsi suite à The Day Is Gone de 2018 avec un nouveau line up. Trois ans séparent les deux sorties. C'est au début de la pandémie, alors que l'avenir de l'Italie était inquiétant, que la gestation de l'album s'est faite dans le tumulte des nouvelles alarmantes. Le travail de composition a eu lieu d'octobre 2019 à juillet 2020, celui de l'enregistrement d'août 2020 à novembre 2020. C'est en s'inspirant du fameux roman 1984 (publié en 1959) de George Orwell, une dystopie indémodable qui fait encore référence, que Room 101 a été écrit et conçu. Le collectif explique qu'il a revisité certains thèmes et concepts du roman en les adaptant à notre vécu actuel afin de refléter comment l'humanité est affectée par les conditions particulières découlant de la situation sanitaire mondiale. Ce concept album explore des sujets inquiétants via un voyage fascinant et sombre à travers l'esprit humain et ses faiblesses qui s'imbrique dans la musique pour offrir une œuvre totalement cohérente. L'auditeur est emporté dans une excursion introspective mettant en relief diverses situations complexes auxquelles il pourrait être confronté. La réponse à ces luttes internes et à ces problématiques n'est pas unique ni linéaire. C'est pourquoi la musique suit ces cheminements et change de sonorité et de dynamique - passant de plages calmes et apaisantes à des envolées expérimentales ou à des rythmiques lourdes - mais tout en conservant néanmoins une cohésion qui la rend immersive. Karmamoi conserve son identité mais n'hésite pas à introduire des plans plus électro, voire techno, pour appuyer son propos. Quelques passages évoquent le meilleur de Pure Reason Revolution. Le climat principal, bien qu'il y ait de nombreux développements inventifs et changeants, reste toutefois mélancolique. La basse nous accueille suivie par la voix douce et aérienne de Sara Rinaldi, dont les parties alternent avec la guitare, avant que la section rythmique implacable n'entre en jeu. La flûte et le violon de Steve Unruh sont audibles un peu en retrait ainsi que le Solina de Francesca Zanetta. La première pièce s'emporte avant une fin brutale qui introduit l'une des meilleures chansons : Drop By Drop où les voix de Sara Rinaldi et Valerio Sgargi font merveille. Cette pièce lente, dans laquelle le violon revient parmi un accompagnement orchestral à minima pour un maximum de ressenti, évolue en un crescendo presque opératique du plus bel effet. Retour à la douceur et au chant prenant avant de laisser place à une batterie fortement martelée et des riffs de guitare tranchants qui durcissent la chanson. Le piano revient seul puis la voix de Sara d'abord presque murmurée avant un nouvel essor bien entraînant ... puis retour au piano-voix et nouvel emportement orchestral avec solo de guitare virtuose et une fin très électro avec des sons un peu techno (Zealou Man). On l'aura compris : Room 101 est un album qui alterne acoustique et électrique, voire de l'électronique mais aussi des passages apaisés et fougueux. C'est un disque rempli de contrastes qui relance sans cesse l'attention et qui comporte son lot de moments forts. Il est impossible de ne pas l'écouter d'une traite. La production, un peu âpre, met en avant l'aspect mécanique, presque industriel, de certains morceaux. Compte tenu du thème développé, ce choix me semble adéquat. Rappelons que dans l'œuvre d'Orwell, la chambre 101 est dévolue aux tortures psychologiques afin de formater l'individu en le dépossédant de son « moi » pour le rendre docile au sein d'une société totalitaire. [ Chronique d'Alain Bourguignon ] [ Room 101 ] [ Room 101 sur Bandcamp ] [ A écouter : Room 101 ] |
Jeff Kollman : East Of Heaven (Marmaduke Records), USA, 21 mai 2021
1. Loss (1:49) – 2. The Mass Exodus (6:34) – 3. Homage To King Edward (1:08) 4. Superstring Theory (4:52) – 5. Ghostly (4:50) – 6. Insomnia (2:30) – 7. 67 XR-7 (4:54) – 8 Montecatini Waltz (5:24) – 9. Isolation 2020 (3:45) – 10. East Of Heaven (4:34) – 11. So long Ago (3:51) – 12. Hidden Dimensions (4:34) – 13. The Darkness Resides (4:57) – 14. See You On The Other Side (5:21) Jeff Kollman (guitares, basse); Shane Gaalaas (batterie : 2,4,5,7,8); Jono Brown (batterie, percussions, claviers : 10,12); Guy Allison (clavier : 7); Paul Shihadeh (basse : 8); Carla Buffa (accordéon : 8) Le parcours impressionnant de Jeff Kollman (Edwin Dare, Cosmosquad, Alan Parsons Live Project, Chad Smith's Bombastic Meatmats, Asia Featuring John Payne, Glenn Hugues, etc.) lui a fourni une base musicale solide et très diversifiée. Malgré ce nombre important de collaborations en plus des tournées, il trouve encore le temps d'enregistrer régulièrement des albums sous son nom. East Of Heaven qui fait l'objet de cette chronique est le sixième. Comme tous les artistes, les projets de 2020 (tournées avec Alan Parsons, Asia FJP, Lou Gramm, collaborations…) ont été annulés. Ce temps libre lui a permis de peaufiner quelques idées, de rassembler des amis musiciens et de travailler posément ses compositions, tout en se chargeant également de la production et du mixage (sauf East Of Heaven et Hidden Dimension qui ont été co-écrits, produits et mixés par Jono Brown). Combinant habilement des morceaux acoustiques et électriques, des pièces courtes et d'autres plus longues, de l'énergie rock et de la mélancolie, Jeff Kollman a livré un disque éclectique et passionnant, à la fois technique et accessible. C'est un musicien de grand talent, avec une personnalité bien marquée et un toucher reconnaissable, dont la flexibilité lui permet de présenter un disque équilibré malgré le nombre de styles couverts. Bien épaulé par une batterie assurant différents tempos et des claviers discrets mais efficaces, le guitariste/bassiste emmène l'auditeur dans ce qui est, fort probablement, son album le plus introspectif et personnel. Les évènements de 2020 ont fortement influencé certaines compositions comme Hommage To King Edward (en référence au décès de son idole Eddie Van Halen), Isolation 2020 (le confinement dû à la pandémie), The Mass Exodus (lorsque lui et sa famille ont déménagé d'urgence au cours des incendies en Californie) et See You On The Other Side (la perte de son frère Tommy). Toutes les émotions liées à ces évènements ou d'autres non identifiés se ressentent à l'écoute de cette musique évocatrice. Le feeling, le groove, la finesse de jeu, le dynamisme ou la retenue se succèdent, se mélangent pour nous emporter dans son univers musical imagé. L'écoute est immersive, nous sommes immédiatement emportés par son sens de la mélodie séduisante, l'exécution parfaite et cette alternance de climats qui capte l'attention en permanence. Enfin, une production claire et précise a permis de promouvoir la vision artistique de Jeff. East Of Heaven est un disque splendide qui met en valeur la six cordes avec une classe folle. [ Chronique d'Alain Bourguignon ] [ East Of Heaven sur Bandcamp ] [ A écouter : Superstring Theory ] |
Nine Skies : 5:20 (Anesthetize Productions), France, 4 juin 2021
1. Colourblind (6 :02) – 2. Wilderness (feat Steve Hackett 6 :04) – 3. Beauty Of Decay (instrumental 2:14) – 4. Golden drops (4:39) – 5. Above The Tide (4:16) – 6. Dear Mind (instrumental 6:26) – 7. The Old Man In The Snow (feat John Hackett 5:37) – 8. Godless Land (3:31) – 9. Porcelain Hill (Feat Damian Wilson 4:01) – 10. Achristas (instrumental 4:51) – 11. Smiling Stars (6:19) Eric Bouillette (guitares, mandoline, violon, arrangements); Alexandre Lamia (guitares, piano, arrangements, enregistrement, mixage, mastering); Anne Claire Rallo (piano, paroles); Aliénor Favier (chant); Achraf El Asraoui (chant, guitares); David Darnaud (guitares); Bernard Hery (basse et basse fretless); Fabien Galia (percussions); Laurent Benhamou (saxophones) Ce nouveau disque, acoustique, est une totale nouveauté pour la formation qui a intégré Achraf El Asraoui en octobre 2020. Cette arrivée - concomitante avec le besoin de prendre une nouvelle orientation en s'assurant l'appui d'un quatuor à cordes -, associée à l'exploration d'un univers sonore original reposant sur des textes métaphoriques forts (méditation sur la foi, le chemin, la vie, la mort, l'espoir) oniriques, poétiques et aux interprétations multiples, a permis à la formation de sortir de sa zone de confort et d'innover. C'est qu'Anne Claire Rallo est également autrice ! Les paroles revêtent donc une grande importance et j'invite chacun à les découvrir. Damian Wilson, par exemple, a été conquis par Porcelain Hill dont il assure le chant. Pour continuer avec les collaborations, il faut citer celle de Steve Hackett, à la guitare électrique, sur Wilderness et de son frère John, à la flûte, sur The Old Man In The Snow. Le premier n'était pas libre (tournée en cours) pour contribuer au CD précédant mais a accepté cette fois de participer avec le sourire que nous lui connaissons. John a collaboré, avec Eric Bouillette, à l'album Make For Brighter Skies de Howard Sinclair. L'entraide entre musiciens n'est pas une légende. Ce sont nos émotions qui sont sollicitées par ces mélodies ciselées, par l'apport des instruments additionnels insérés dans des arrangements raffinés, et par une grande harmonie entre les sonorités délicates et parfois vaporeuses. En introduction, Colourblind laisse présager de ce qui va suivre avec une ligne mélodique captivante, jouée principalement à la guitare, un chant orientalisant habité, prenant, puis déformé et comme distant avant l'intervention du saxophone et les broderies instrumentales qui mènent à la conclusion. Chaque morceau a fait l'objet d'un soin tout particulier en terme de musicalité, d'équilibre et d'arrangement. Ensuite les voix d'Achraf et d'Aliénor se complètent ou dialoguent, les cordes ornementent délicatement, le piano tout en élégance joue un cantabile plein de mélancolie, le violon peut se montrer orientalisant, le saxophone apporte ses notes chaudes, la mandoline et différentes guitares acoustiques semblent nous emmener en Espagne, les percussions – mesurées – et la basse assurent un « low tempo » toujours renouvelé et imaginatif. Nous trouvons dans ce disque le morceau Luxe Calme et Volupté, titre d'un célèbre tableau d'Henri Matisse lui-même tiré d'un vers de "L'invitation au Voyage" de Charles Baudelaire. Je ne peux trouver meilleure comparaison pour un album qui me transporte à ce point dans une odyssée intérieure et qui provoque autant d'émoi, autant d'ivresse. L'élégance et la beauté pure de ce disque appellent de nouvelles écoutes et, à chaque fois, de nouvelles subtilités apparaissent. Se dévoile alors, petit à petit, le travail d'orfèvre qu'ont réalisé Eric, Alex et Achraf en terme de composition (chacun 1/3), Alex pour les arrangements et le travail de studio, et Aliénor et Achraf avec leurs vocalises bouleversantes, chaque musicien apportant sa coloration nuancée pour réaliser ce tableau diapré. L'illustration de la pochette est une peinture de Michael Cheval intitulée Call The Doctor. Certains se sont sns doute interrogés sur le titre 5:20. Il dérive de l'anecdote suivante : un des musiciens est habituellement toujours en retard. Pour le concert de Prog en Beauce (voir chronique sur cette page), vu le déplacement et les enjeux, il avait été tancé sévèrement. Il s'est présenté dans l'hilarité générale à 5h20 ! Le groupe a ainsi décidé que ce serait le nom du prochain album ! [ Chronique d'Alain Bourguignon ] [ 5:20 sur Bandcamp ] [ A écouter : 5:20 (album teaser) ] |
Nine Skies : Live @ Prog En Beauce (Anesthetize Productions), France, 4 juin 2021
1. Burn My Brain (8 :58) – 2. Return Home (6 :56) – 3. Eric Speech 1 (1 :30) – 4. Season Of Greed (4:56) – 5. Catharsis (4:18) – 6. Sweetheart Grips (10 :09) – 7. Eric Speech 2 (band presentation 1 :36) – 8. Soldiers Of Shame (6 :59) – 9. Fields Of Perdition (3 :10) – 10. A Way Back (7 :30) Eric Bouillette (guitares) ; David Darnaud (guitares) ; Aliénor Favier (chant); Fabien Galia (batterie) ; Bernard Hery (basse) ; Alexandre Lamia (guitare, piano) ; Anne Claire Rallo (claviers) Il fut un temps où les disques "live" étaient soit réclamés par les firmes de disque dans le but d'attirer l'amateur lors de la prochaine tournée, soit livrés aux dites firmes pour se libérer à bon compte d'une obligation contractuelle gênante. Fort heureusement de nombreuses captations - de bonne qualité - en concert ont permis de restituer des prestations mémorables. Seule ombre au tableau : l'honnêteté – ou non – des ingproducteurs et des musiciens qui retravaillent (overdubs) parfois tout ou partie en studio pour masquer des erreurs, rectifier une captation défaillante ou tendre vers la pureté de l'enregistrement original en studio. Heureusement, les exemples de témoignages honnêtes, non retouchés, sont nombreux et parfois fameux. Dans le cas qui nous occupe, il s'agissait d'une part de livrer aux amateurs privés de musique « Live » un témoignage d'une belle soirée et, d'autre part, de rendre hommage à l'équipe organisatrice du festival "Prog En Beauce". Un évènement à échelle humaine, apprécié par de très nombreux amateurs de ce style de musique que nous chérissons. Un public acquis à la cause et une bonne organisation en font une étape appréciée des musiciens. Nine Skies nous propose Live @ Prog En Beauce en même temps que son album acoustique 5.20 (voir chronique sur cette page). La setlist est parfaitement équilibrée avec 4 morceaux du premier album Return Home et autant du second, Sweatheart Grips. Le son est bon, clair, défini, et les musiciens sont en place. Il faut savoir que c'était leur premier concert et qu'ils n'avaient eu l'occasion de répéter que deux ou trois fois (éloignement géographique important). Hélas, ce fut également le seul, les mesures sanitaires ayant empêché que se tienne la prestation suivante. Les compositions de Nine Skies se caractérisent par une grande fluidité avec de l'espace pour que chaque instrument puisse s'exprimer, de beaux développements et des bases mélodiques attachantes. Les textes – intelligents et signifiants - guident les ambiances et tempos qui varient avec à propos, mettant le chant en valeur. De fort jolies échappées orchestrales oapportent de l'ampleur ainsi qu'un côté épique appréciable. En se renouvelant à chaque chanson, la formation fait preuve d'une créativité débordante qui permet de bien distinguer chaque pièce et de la reconnaître instantanément. La précision d'exécution est impressionnante et de nombreux détails d'arrangement agrémentent des morceaux joués avec conviction. Une mention spéciale doit être accordée à Aliénor Favier qui, suite à quelques changements dans le line-up, s'est trouvée seule au micro et a dû s'adapter à des titres pensés pour une voix masculine. Elle impressionne par sa plasticité et son investissement qui rendent quelques passages poignants. L'idée de terminer le show avec A Way Back Home (Return Home part II) est excellente. Cette outro du premier disque se prête en effet parfaitement à la conclusion du concert. Le public s'est montré chaleureux et participatif et cela s'entend. C'était une première rencontre "live" pour les amateurs de Nine Skies et une découverte pour les autres. Pour mieux évaluer la performance, on tiendra compte du fait que le son provient de la console et qu'il n'y avait pas de mixage possible par piste. Laissons à Anne Claire Rallo le mot de la fin : « pas de retouche, à la loyale ! ». [ Chronique d'Alain Bourguignon ] [ Live @ Prog en Beauce sur Bandcamp ] [ A écouter : Live @ Prog en Beauce (album teaser) ] |
Edenya : Silence (Autoproduction), France, 2 avril 2020
1. The Promise (7:15) - 2. Sabrina (5:47) - 3. Broken Love (3:57) - 4. All They Want (5:56) - 05. Will The Demons Win? (8:09) - 6. Chaos (4:21) - 7. Silence (11:01) - 8. Still Alive (3:41) Marco (guitares, claviers, piano, programmation); Elena (chant, voix); Rémi (chant, voix) + Invités : Julien Perdereau (batterie, basse) ; Adrien France (violon : 1,3,4,8) ; Sophie Clavier (voix : 8) Envoûtant ! Je sais, ce qualificatif a été utilisé à de très nombreuses reprises au point de sembler usé jusqu'à la corde. C'est pourtant celui qui résume le mieux Silence du trio français Edenya (plus des musiciens invités). Après un EP en 2017 et un remaniement des (maigres) effectifs (ils n'étaient que deux), Marco a recruté Elena et Rémi qui se partagent le poste de chanteur. Accueillis par une guitare puis un chant féminin léger, nous entrons dans une première pièce orchestrale qui s'envole en gardant une certaine réserve. L'ambiance cotonneuse se mue via une intervention opportune à la guitare électrique en un emportement un peu plus fou avec renfort de violon avant un retour au thème principal et au calme. C'est un dialogue de voix féminines éthérées qui nous emmène dans Sabrina dont la finesse d'exécution s'exprime par deux tonalités différentes, ce qui rend la chanson captivante. C'est mélodiquement très fin avec une économie de moyen qui met en exergue la qualité de la composition. Le bref instrumental suivant, construit sur un thème répété, confine à la fois à de la musique de chambre et au travail minimaliste d'un No Man. Plus folk et encore plus fin – si c'est possible –, All They Want donne le micro à Rémi, qui possède un timbre délicat, auquel répond le chant plus lyrique d'Elena dans un dialogue accompagné à la guitare acoustique. Le refrain à l'unisson est rejoint par le violon et la section rythmique qui renforcent la pièce et la font devenir furieuse, presque « métal » lorsque les voix répètent: "I have to go", avant un retour au calme sur un motif de basse. Le massacre du Bataclan reste dans toutes les mémoires. C'est le thème de Will The Demons Win qui débute par des bribes d'informations parlées. La guitare acoustique et le chant, parfois doublé, laissent l'émotion intacte. L'orchestre prend le relai et développe la mélodie avec des vocalises pour monter en puissance dans un crescendo poignant. Une basse ronflante débute l'instrumental chaos, très progressif et post-rock à la fois, avec ses lignes de guitares saturées. La plage éponyme, d'une belle longueur, permet à Edenya de s'exprimer avec toute la complexité et l'inventivité qui caractérisent la formation. C'est foisonnant, contrasté, surprenant, et nettement plus musclé. Il y a un petit côté The Gathering dans cette musique mais avec quelque chose en plus : la composition ne fait pas que monter et accélérer, elle se développe dans des directions inattendues et alterne les climats et tempos avec un brio étonnant. C'est la chanson la plus aboutie de cet album. Pour clôturer, retour aux fondamentaux avec un morceau plus concis (Still Alive), très folk, guidé par la guitare acoustique, le violon et la voix de Rémi qui chante avec une grande sensibilité un texte optimiste sur une trame mélodique simple. Silence est un album d'une étonnante maturité, naturel, organique, épuré et complexe à la fois, d'une grande pudeur et produit avec soin. Tout est clair, limpide même. Mais là où Edenya engrange le maximum de points c'est que son album ne se dévoile entièrement qu'après plusieurs auditions attentives. [ Chronique d'Alain Bourguignon ] [ Silence ] [ Silence sur Bandcamp ] [ A écouter : Silence ] |
Sacred Shrines: Enter The Woods (Rebel Waves Records), Australie, 23 avril 2021
01. Enter The Woods (1:23) - 02. Trail To Find (3:55) - 03. Front Row Future (3:19) - 04. Keep All The Sunshine (3:01) - 05. Take The Fall (3:08) - 06. Through The Haze (2:41) - 07. Paint The Sky (4:00) - 08. Stranger (4:02) - 09. Never Far From Where We Are (3:04) - 10. Aching Bones (3:13) - 11. Shadow Man (3:22) - 12. The Hunter (4:06) - 13. Pass Like A Parade (2:47) Phil Usher (chant/guitar) - Beata Maglai (chant/claviers/percussions) - Robbie Zawada (basse) - Matt Weatherall (guitar) - Jonny Pickvance (batterie) L'Australie est plutôt connue pour son rock âpre, rugueux, et basique. Ne citons pas de noms puisqu'il n'y a pas d'extraterrestres qui lisent ceci. Par contre, les membres de Sacred Shines, qui proviennent de Brisbane, en sont peut-être ; en tout cas, ils ont inventé la machine à remonter le temps. Allons-y pour un moment de plaisir totalement régressif et nostalgique à la fois. Les débuts du collectif remontent en 2014 avec la parution d'un 7". Il s'agit d'une refonte de la formation Grand Atlantic après leur dernier concert de 2013. Phil Usher a pu relancer un projet neuf sur une page blanche. Sacred Shrines (le nouveau nom du groupe) a ensuite partagé la scène avec The Dandy Warhols, The Upside Down, The Demon Parade, Flying Colors, Tumbleweed, The Murlocs, ORB, Stonefield, etc. Une fois le rodage terminé, ils ont sorti en 2017 un EP intitulé Trail To Find. Après un excellent (et conseillé) Come Down From The Mountain en 2019, les voici de retour avec Enter The Woods pour repeindre notre esprit avec des couleurs vives, primaires ainsi qu'avec des motifs aux contours flous, difficiles à appréhender. Bienvenue dans le monde lysergique de Sacred Shrines. Le processus a été freiné par la pandémie mais le groupe a intégré de la réflexion sur l'adversité dans son travail de composition tout en maintenant ses sonorités organiques et chaudes. Etant descendus de la montagne, nous entrons cette fois dans les bois pour rencontrer, via leur musique d'un psychédélisme musclé assumé, des thèmes émotionnels comme la perte, l'isolement, la trahison, la maladie mentale, le manque de confiance en soi, l'échec. Bon, nous étions prévenus ; il valait mieux prendre un en-cas avant : Enter The Woods est une longue balade, au cours de laquelle on perd son chemin sans carte pour se guider mais le temps passé dans la nature nous ressource. Ces p'tits gars sont épatants. Le son dans ses moindres détails, le ton dans toutes ses nuances, les climats délirants, tout y est. Avec un plus qui n'est pas à négliger : la technique actuelle. Nous avons donc la chance d'écouter ce qui se faisait de très bon fin des 60's, début des 70's, transcendé par une personnalité affirmée et une qualité sonore inconnue à l'époque. Comme, de plus, ils sont clairement doués pour ce qu'ils font, le bonheur est complet. Côté technique, rien à redire non plus, ils ont fait appel à la crème des producteurs spécialisés dans le genre : Michael Badger (King Gizzard and the Lizard Wizard ), James Aparicio (Spiritualized, Grinderman) et les talents locaux que sont Matt Weatherall et Dan James. Un excellent disque qui fait voyager, rêver et quitter les contingences de ce monde de plus en plus règlementé et compliqué : ça ne se refuse pas ! [ Chronique d'Alain Bourguignon ] [ Enter The Woods ] [ Enter The Woods sur Bandcamp ] [ A écouter : Trail To Find - Front Row Future ] |
Time Traveller : Chapters V & VI (Running Mose Productions), Finlande, 9 avril 2021
Chapter V: 1. The First Five Steps (5:17) - 2. Sunday Morning Walk (5:10) - 3. The Lord, The Emperor (7:46) / Chapter VI: 4. Diving Deep Down (4:44) - 5. Following The Light (4:40) - 6. Space Radiation (0:53) - 7. No Gravity (4:56) - 8. Earth Above (5:21)
Juhani Nisula (composition, chant (4) guitars, basse, basse fretless, clavier Roland SH-3A et JX-3P, mellotron, orgue Hammond C-3 et M100, clavier Oberheim Ob-SX, piano classique, Moog, programmation, effets sonores); Timo Ristilä (clavinet, Rhodes, Moog, orgue Hammond C-3, Mellotron); Mika Lilja (batterie et percussions); Esko “Zeko” Takamäki & Juha “Big” Saarinen (voix); Matti Ågren (banjo joué à l'archet) Time Traveller est un projet musical imaginé par le multi-instrumentiste Juhani Nisula (Finlande). Grâce au label finlandais Presence Records, il a pu proposer en 2008 le premier volet (Chapters I & II). Il s'agissait d'une invitation au voyage grâce à une combinaison de styles différents et complémentaires à la fois. La guitare électrique en était le guide. A l'écoute, le côté analogique est évident et ce travail à l'ancienne en home studio a été payant. Pour aboutir à un résultat vraiment satisfaisant, il a été fait appel à Zeko Takamäki pour la batterie et les percussions ainsi qu'à Timo Ristilä qui s'est chargé du solo de Moog sur Part one : The Pioneers et à Sanna Agren responsable du son de violon sur Part 7 : The Release, le maître d'œuvre se chargeant des guitares, basse, orgue Hammond, Mellotron, Synthétiseur Moog, autres synthétiseurs, clavinet, orgue Roland GR700, guitare synth, Crumar Multiman en plus des effets sonores et percussions. 2011 a vu l'arrivée de Chapter III & IV. Reprenant là où s'était terminé le premier disque, celui-ci est plus musclé et l'alternance guitares/claviers y mène la danse sur un tempo plus rapide. Et nous voici en présence de Chapter V et VI qui se montre plus psychédélique, plus space-rock, et plus apaisé aussi. Les cordes sont à la fête mais pas seulement. La formule étant maintenant parfaitement rôdée, ce troisième disque va un peu plus loin en multipliant les œillades à quelques virtuoses de la six cordes. L'écoute n'en est que plus amusante lorsque'on cherche d'où vient tel ou tel gimmick. Il y a également un beau salut au Deep Purple de la grande époque dans The Lord, The Emperor. Ceci étant, Juhani Nisula ne se contente pas d'évoquer des références mais continue d'explorer toute une série de sonorités et d'affirmer son indépendance et sa créativité, alternant les atmosphères, textures, sonorités, et tempos. Le côté cinématique et l'aspect « paysage sonore » restent bien présents grâce à une bonne production au son clair avec chaque instrument bien défini. Un détour par le rock psychédélique, avec influence extrême orientale et chant – ce qui est peu courant –, vient surprendre et nous ramener à la fin des '60s. C'est le bien nommé Diving Deep Down. Les pièces s'enchaînent, menées alternativement ou de concert par les guitares et/ou claviers et la musique coule toute seule, sans interruption, passant de thème en thème, changeant d'ambiance et alternant les atmosphères en fonction de l'instrument qui prend le lead. Le passage de l'une à l'autre est tout à fait naturel tandis que la puissance (piste 2) laisse occasionnellement la place à des moments bluesy, plus apaisés et émotionnels (5), et parfois un peu space rock avec des effets sonores bien placés. Le chapitre V comprend 3 compositions tandis que le VI, plus explosif, en compte 5. Je trouve l'ensemble cohérent, bien écrit et arrangé, avec une progression passionnante qui conserve l'attention intacte d'un bout à l'autre. Juhani évite le côté "guitar hero" et mesure ses effets. L'image du « voyage musical » est bien connue et a souvent été citée, mais elle trouve ici toute sa mesure. Ce sont des disques que l'on peut écouter plusieurs fois sans la moindre lassitude. Il se trouve toujours un petit quelque chose qui était passé plus ou moins inaperçu auparavant. Voici un projet ambitieux, réalisé de manière plutôt artisanale et qui mérite toute votre attention. [ Chronique d'Alain Bourguignon ] [ Chapters V & VI sur Spotify ] [ A écouter : Time Traveller : Chapters V & VI ] |
Riccardo Romano Land : B612 (MaRaCash Records), 1er Décembre 2017
1. Laughing Star Part One (2:56) - 2. B612 (5:58) - 3. Invisible To The Eyes (6:04) - 4. Compass Rose (8:54) - 5. Letter (3:46) - 6. The King (5:25) - 7. The Lamplighter (6:10) - 8. Echo Of Solitude (3:09) – 9. The Snake (5:45) – 10. Dragonfly (10:02) – 11. Le Renard (2:56) – 12. Laughing Star part two (6:07) – 13. Sandcastles (6:30) Andrea Bassato (violon); Lorenzo Feliciati (basse électrique); Dave Foster (guitares); Luca Grimieri (guitares); Maurizio Meo (basse électrique, double basse); Daniele Pomo (batterie) ; Massimo Pomo (guitares); Riccardo Romano (claviers, harpe celtique, harmonium, guitares, contrebasse); Steve Rothery (guitares) Compositeur multi-instrumentiste et notamment claviériste de RanestRane, un des groupes les plus fascinants de la scène progressive italienne, Riccardo Romano sort sous son nom B612, concept album qui, comme son titre l'indique, est une adaptation du Petit Prince de Saint-Exupéry. Il explique que cet album, construit dans la tradition des grands opéras-rock tels que Jésus Christ Superstar, raconte cette histoire au travers de la perception de chacun de ses personnages, un voyage initiatique et symbolique auquel se mêlent des bribes de la vie de l'auteur du livre. Les textes sont réécrits par Riccardo; quant à la musique, elle, puise essentiellement son inspiration dans deux œuvres : les albums Ovo de Peter Gabriel et Brave de Marillion. Une partie de RanestRane s'est associée à ce projet (Maurizio Meo à la basse ainsi que Daniele et Massimo Pomo, respectivement à la batterie et aux guitares), mais également le violoniste Andrea Bassato (Banco), le guitariste Dave Foster (Mr So § So, Dave Foster Band) ainsi que deux membres de Marillion (Steve Hogarth au chant, et Steve Rothery à la guitare). Dans l'esprit de ce conte qui a ému l'humanité, et qui est adapté pour la première fois en musique, nous découvrons une œuvre à la fois lyrique et symphonique mêlant instruments électriques et acoustiques (violon, contrebasse, harpe celtique). L'ombre de l'écrivain aviateur plane au fil de ce répertoire ponctué par une narration en français de Sonia Bertin. Les deux premières plages constituent le prologue du récit : Laughing Star Part One expose l'un des thèmes majeurs de l'œuvre, tandis que B612 présente les deux principaux protagonistes avec un chant délicat et sensible de Riccardo porté par la guitare de Dave Foster et par une instrumentation allant crescendo. Après la chanson Invisible To The Eyes, genèse de cet opéra, Compass Rose ajoute une couleur celtique qui rappelle Iona ou Karnataka et dans laquelle de lointaines cornemuses font écho à la guitare de Steve Rothery. La fille du guitariste, Jennifer, ajoute sa voix mélancolique aux seules notes épurées de violon et de piano dans la ballade Letter. Ensuite, le rock se fait blues dans The King pour exprimer le désenchantement du Petit Prince face à ce personnage de roi baroque et mégalomane. Dragonfly, pièce la plus longue dédiée à Antoine de Saint-Exupéry, et Laughing Star, avec ses bouleversements instrumentaux, placent cet opus dans la grande tradition néo-progressive des Marillion ou autres IQ. Enfin, Sandcastles clôture le répertoire en marquant le retour du Petit Prince vers son astéroïde B612 via un magnifique duo entre Riccardo et Jennifer. Il semble que, plus que l'inauguration d'une carrière solo, cet album de 2017 ne soit finalement qu'un projet ponctuel que Riccardo Romano portait en lui et qui lui tenait à cœur. Quant à sa carrière, elle se poursuit notamment avec RanestRane dont le dernier double album The Wall, sorti en Septembre 2020, rend explicitement hommage au chef d'œuvre de Pink Floyd. Le musicien aussi bien que son groupe continuent donc de faire l'actualité et comptent parmi ceux qu'il est fortement conseillé de suivre de près. [ Chronique de Michel Linker ] [ Riccardo Romano Land : B612 ] [ B612 sur Bandcamp ] [ A écouter : Laughing Star, Pt. 1 - B612 - Sandcastles ] |
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