Compacts de Jazz Belge :
Nouveautés, Rééditions, Autres Suggestions (14)




"je n’ai jamais compris pourquoi dans le jazz il y a cette notion très forte que
seuls les standards sont les vrais morceaux. Personne ne va dire à Radiohead
qu’après les Beatles, il n’y a plus de morceaux rock."

David Linx in "Le Journal des Lundis d'Hortence", N°110, p. 22, 2020



Vincent Thekal & Fabian Fiorini Quartet : Monk's MoodVincent Thekal & Fabian Fiorini Quartet : Monk's Mood (Hypnote Records), 20 octobre 2023

Vincent Thekal (saxophone ténor), Fabian Fiorini (piano), Nic Thys (contrebasse), Dré Pallemaerts (batterie)

1. Evidence – 2. Off Minor – 3. Pannonica – 4. Friday The Thirteen – 5. Monk's Mood - 6. Little Rootie Tootie.


L'intitulé Monk's Mood, qui est à la fois le nom d'une ballade et d'un album Prestige de Thelonious Monk, explique la genèse de cet enregistrement. A force de rejouer sur scène certaines compositions choisies du génial pianiste américain, le saxophoniste ténor d'origine française basé à Bruxelles Vincent Thekal et le pianiste Fabian Fiorini y ont en effet injecté progressivement leur propre personnalité avant de décider finalement d'enregistrer un disque live le 18 juin 2022 à la Jazz Station.

Le line up du groupe est celui du « quartet classique » de Monk : un sax ténor, un piano et une rythmique expérimentée comprenant le contrebassiste Nic Thys et le batteur Dré Pallemaerts. Quant au répertoire, il comprend six reprises de titres monkiens qui ne comptent pas tous parmi les plus connus du pianiste. Ça démarre avec Evidence, un morceau exigeant avec un rythme très singulier sur une trame harmonique classique. L'ambiance des compositions de Monk est immédiatement perceptible mais chacun y va de son solo et on est facilement emporté par l'enthousiasme et la pulsion des interprètes. Le solo de piano de Fabian Fiorini avec ses envolées dans les aigus est particulièrement jouissif. Mis à part son thème sombre et angulaire qui renvoie à Bud Powell et son splendide chorus de ténor be-bop, le fréquemment joué Off Minor met surtout en exergue l'interplay magique entre les musiciens qui résolvent avec aisance le danger et la bizarrerie de ce morceau de 1947. Après le lyrisme du court Pannonica, Friday the Thirteenth, qu'on n'entend pas souvent, est une pièce de composition simple ce qui s'explique par le fait qu'elle a été conçue en studio pendant une session d'enregistrement comme une jam de 10 minutes destinée à compléter un disque Prestige avec Sonny Rollins. Elle est ici raccourcie de moitié avec une répétition tout du long du thème au ténor sur lequel le pianiste improvise de belle manière en transformant ce titre en quelque chose de frais et finalement de plus monkien que la version originale.

Le plus intéressant est encore à venir avec les deux dernières plages. La ballade Monk's Mood est une pièce nostalgique qui invite à la méditation au fil des splendides improvisations. Le disque se referme sur le moins populaire Little Rootie Tootie pourtant si typique de l'art et la manière de Monk. Ecrit vers 1943, Little Rootie Tootie démarre poussivement comme une locomotive à l'arrêt avant de prendre sa vitesse de croisière et de devenir le véhicule idéal pour des chorus de ténor et de piano aussi virtuoses que jubilatoires.

Superbe album que ce Monk's Mood : voici du jazz vivant à la fois respectueux et innovant à consommer « Straight, No Chaser » !

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Monk's Mood sur Amazon ]
[ A écouter : Off Minor ]



Diederik Wissels / Ana Rocha : YearnDiederik Wissels / Ana Rocha : Yearn (Igloo Records), 14 avril 2023

Ana Rocha (voix); Diederik Wissels (piano, synthétiseur); Andreas Polyzogopoulos (trompette); Nicolas Kummert (saxophone ténor)

1. Like standing on a cliff - 2. Moebius (instrumental) - 3. Yearn - 4. All the hope - 5. If - 6. Edge of the world - 7. Sleepless - 8. Wheep for me - 9. Lockdown - 10. Rising - 11. Moebius - 12. Pelas searas - 13. Polaris - 14. Under the blue skies


La chanteuse germano-portugaise Ana Rocha écrit des textes qu'elle interprète sur les musiques du pianiste Diederik Wissels. Les syllabes sont détachées, la voix est limpide et sa justesse infaillible. Les mots tombent comme des flocons épars, composant des phrases à la mélancolie diffuse et, finalement, de petites paraboles allusives aussi fragiles que des rêves de verre. Il y est question d'absence, de chimères, d'aspirations et de transcendance vers plus d'amour, de paix et de beauté : « La vie est un état éphémère. Et une porte étroite, qui mène à un petit jardin où s'épanouissent les fleurs, pourrait bien être tout l'espoir qui nous reste. »

Il n'y a pas de section rythmique dans cette musique qui s'enroule autour des mots plus qu'elle ne les porte. Les associations de timbres sont remarquables et comme souvent avec Diederik, le silence est partout, propre à rendre vivante l'inflexion sonore la plus infime. Parfaitement adapté au monde évanescent de la chanteuse, le toucher du pianiste est d'une extrême délicatesse, tout en finesse et légèreté.

Mais Yearn bénéficie aussi de la présence de deux autres musiciens : le trompettiste d'origine grecque Andreas Polyzogopoulos et le saxophoniste ténor Nicolas Kummert qui enrichissent les harmonies, là où c'est opportun, avec toute la douceur et la discrétion requises. Leurs surgissements splendides au moment où on ne s'y attend pas participent à la dramaturgie de ces miniatures en déclenchant nouveaux émois et enchantements.

Symbiose, harmonie, sensibilité et lyrisme sont les maîtres mots de ce second opus de Diederik Wissels et Ana Rocha, un duo avec un esprit gémellaire dont la chorégraphie lunaire et la force contenue portent le mélomane affranchi de toute pesanteur en des contrées inouïes.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Yearn sur Amazon ] [ Yearn sur Igloo Records ]
[ A écouter : Sleepless ]



Margaux Vranken : SongbookMargaux Vranken : Songbook (Igloo Records), 2022

Margaux Vranken (piano, voix, compositions, arrangements); Fil Caporali (basse); Daniel Jonkers (batterie); Lior Tzemach (guitare); Tom Bourgeois (saxophone); Stacy Claire (voix); Aneta Nayan (voix et paroles); Flavio Spampinato (voix); Tamara Jokic (voix et paroles);Erini (voix et paroles); Eleni Tornesaki (paroles)

1. Ballade - 2. Oneiro - 3. A Light Within - 4. Songbook - 5. Back in Schaerbeek - 6. Untitled - 7. Good to See You - 8. Distance - 9. Song For Tamara - 10. Goodbye


Enregistré au Jet Studio à Bruxelles en mai 2021, Songbook est, après Purpose (2021) et sa séquelle captée en concert au Gaume Jazz Festival (Purpose: La Suite, 2021), le troisième album de la pianiste Margaux Vranken pour le label Igloo. Il s'inscrit dans la continuité des deux précédents. D'ailleurs, quatre des dix titres offerts dans ce nouvel opus figuraient déjà en « avant-première » au programme de l'album live : A Light Within, Songbook, Back in Schaerbeek et Goodbye.

Dès le premier titre, Ballade, on replonge dans une musique aérienne et sereine, claire comme une épure, qui séduit par la beauté de sa mélodie égrenée au piano et que Margaux double en chantant quelques onomatopées. A partir du second morceau, Oneiro, on retrouve sa section rythmique composée du bassiste Fil Caporali et du batteur Daniel Jonkers que viendront compléter au fil du répertoire d'autres instrumentistes invités. Ici, encore, le chant est essentiel dans l'esthétique du leader qui a fait appel à pas moins de cinq vocalistes parmi lesquels on épinglera Stacy Claire et Aneta Nayan qui entremêlent leurs voix avec grâce sur trois titres dont le lumineux et bien nommé A Light Within.

Le guitariste Lior Tzemach ajoute du contraste à Back in Schaerbeek en délivrant un solo aussi inattendu que parfaitement intégré. Sur Distance, c'est Tom Bourgeois qui accentue l'atmosphère vaporeuse par des interventions évanescentes de saxophone, transcendant cette errance en une promenade ensorcelante au cœur de la brume.

Entre plages instrumentales et chansons à l'esthétique affirmée, ce nouvel album confirme la voie singulière de Margaux Vranken, une artiste talentueuse que sa musique laisse imaginer comme une amoureuse des contrastes pourvue d'une grande sensibilité.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Songbook sur Amazon ] [ Songbook sur le site d'Igloo Records ]
[ A écouter : Songbook ]



David Linx, Guillaume de Chassy, Matteo Pastorino : On Shoulders We StandDavid Linx, Guillaume de Chassy, Matteo Pastorino : On Shoulders We Stand (Enja Records), 2022

Guillaume de Chassy (piano) ; David Linx (voix) ; Matteo Pastorino (clarinettes)

1. Drown Out The Noise – 2. Souls Astray – 3. Of Mankind, Sun And Flames – 4. Daunting The Task – 5. Prelude N°10 Op 87 – 6. A Dragon's Might – 7. The Very Concept O You – 8. The riptide – 9. New Life's At Hand – 10. Through The Night


Ce disque est le produit d'une idée originale. S'inspirant, ou - pour paraphraser le titre de l'album - « s'appuyant sur les épaules » des maîtres de la musique classique, le pianiste français Guillaume de Chassy a retranscrit quelques-unes de leurs compositions en proposant au chanteur David Linx d'écrire et de chanter des paroles dessus. Un exercice a priori périlleux dont la réussite est liée aux nombreux choix opérés par les deux musiciens auxquels est venu s'adjoindre un troisième homme : le clarinettiste d'origine sarde Matteo Pastorino qui ponctue ces chansons en accentuant quelque peu leur aspect jazz.

Neuf titres sont ainsi proposés qu'on peut écouter dans n'importe quel ordre tant chacun a sa propre histoire et sa poésie. Débutant le répertoire, Drown Out The Noise est une adaptation de l'Étude-tableau op. 39 n°5 de Sergueï Rachmaninov, une pièce d'une rare beauté harmonique, à l'origine zébrée d'accents tragiques à l'aube de la Révolution russe, à laquelle le texte de David ajoute une poésie bâtie sur l'espérance d'un monde meilleur à venir. Premier morceau, premier grand frisson suivi par Souls Astray, une transcription de la Sonate pour piano D537 de Schubert qui est un pur moment de romantisme sublimé par une clarinette virevoltante et douce comme un rayon de soleil. Vient ensuite Of Mankind, Sun And Flames basé sur le Clavier Bien Tempéré I- prélude n°24 de Jean-Sébastien Bach. La rigueur du piano y est adoucie par le son velouté de la clarinette tandis que le texte célèbre la puissance de l'Astre du jour, si souvent divinisé par les civilisations, qui poursuit sa course solitaire et imperturbable dans le ciel des Hommes.

Ravel, Chostakovitch, Chopin, Federico Mompou et Scriabine sont également convoqués dans d'autres interprétations où les beautés harmoniques côtoient celle de la poésie des mots. Le matériau puisé dans notre héritage et retravaillé avec amour se savoure avec une délectation de tous les instants. En sachant bien qu'il est chimérique de prétendre encenser un morceau plutôt qu'un autre, je ne saurais refermer cette chronique sans citer A Dragon's Might, retranscrit d'après le Prelude op 87 n° 18 de Chostakovitch : un texte hanté à propos de l'homme mis à nu et de ses tourments sur une musique lancinante déchirée par les traits acérés d'une clarinette basse.

On Shoulders We Stand est un projet ambitieux, ni simple ni complexe, mais qu'écouter d'une oreille distraite ne suffit pas : il faut s'y investir, en chercher les ultimes beautés, s'imprégner de la vapeur des harmonies, déchiffrer les textes au-delà de leur immédiate poésie. Ce n'est qu'après cet investissement personnel que viendra la révélation des choses invisibles.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ On Shoulders We Stand sur Bandcamp ] [ On Shoulders We Stand sur Amazon ]
[ A écouter : Mixology live (teaser) - Drown Out The Noise ]



Manuel Hermia : FreetetManuel Hermia : Freetet (Igloo IGL328), 28 janvier 2022

Manuel Hermia (saxophones); Jean-Paul Estiévenart (trompette); Samuel Blaser (trombone); Manolo Cabras (contrebasse); Joao Lobo (batterie)

1. Serial Joker - 2. Schims - 3. Ze Theme - 4. Hidden Codes - 5. Scent Of A Trio - 6. Cat Aand Mouse - 7. Stuck Between Those We Love - 8. Here And Now - 9. Le Temps Des Cerises


Durant les 12 dernières années, Manuel Hermia a enregistré en trio, avec le contrebassiste Manolo Cabras et le batteur Joao Lobo, deux disques de jazz libre mêlant compositions ouvertes et improvisations spontanées : Long tales And Short Stories en 2010 et Austerity en 2015, tous deux sortis sur le label Igloo Records. Il revient avec ses deux complices pour un troisième album qui s'inscrit dans la même vision libertaire mais avec une différence de taille : le trio s'est cette fois adjoint deux souffleurs, le trompettiste Jean-Paul Estiévenart et le tromboniste Samuel Blaser.

Le Freetet ainsi constitué peut s'en donner à cœur joie et décomposer les thèmes en leur donnant de nouvelles directions inédites. C'est évidemment un exercice périlleux dont se sortent fort bien les cinq membres du quintet. Il ne fait aucun doute que les deux cuivres se sont fondus avec plaisir dans l'idée directrice de créer sur l'instant une musique aux atmosphères aussi diverses que variables. Des tourbillons sonores chaotiques (Ze Theme) côtoient ainsi des plages plus lancinantes (Scent Of A Trio) qu'on peut écouter de différentes manières : en suivant attentivement le développement du morceau ou en se laissant simplement porter par son atmosphère. Parfois, comme sur la reprise du Temps Des Cerises, le thème survit plus longtemps à la déstructuration, mettant davantage en exergue l'arrangement précis qui dessine le cadre de toutes ces interprétations ainsi que le travail collectif préalable aux poussées individuelles.

En définitive, on décèlera dans cette musique volontiers militante un sens aigu de la dramaturgie qui, comme c'est souvent le cas dans le free-jazz, sous-tend les différents morceaux. C'est en tout cas avec plaisir que l'on plonge dans ces méandres musicaux qui, en imitant le désordre naturel, coulent au hasard de l'inspiration.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Freetet sur Amazon (CD / Digital) ] [ Freetet sur le site du label Igloo ]
[ A écouter : Ze Theme ]



Toni Mora : Space FolkloreToni Mora : Space Folklore (Hypnote Records), 20 mai 2022

Toni Mora (guitare & compositions) ; Jean-Paul Estievenart (trompette) ; Jasen Weaver (contrebasse) ; Noam Israeli (batterie) ; Pepa Niebla (chant : 2,3,8)

1. 12 (5:07) - 2. Life Doesn't Care (5:50) - 3. The Energy Shift (7:11) - 4. Ines Loves Ines (7:22) - 5. UFO Dream (6:28) - 6. Near Dampoort (9:12) - 7. 11 - 11h (6:21) - 8. Space Folklore (6:16)


Toni Mora est originaire de Madrid où il a commencé très tôt son apprentissage de la guitare classique au Conservatoire Reina Sofía. Le jazz est venu plus tard via des leçons particulières et une formation de quatre années au Codarts de Rotterdam. Relogé à Bruxelles en 2014, Toni Mora s'est produit à de multiples reprises sur la scène belge avant de sortir en 2017 un premier album en quartet intitulé Beyond Words. Aujourd'hui, Space Folklore ouvre un peu plus l'horizon tout en confirmant les qualités de son prédécesseur.

Contrairement à ce qu'un coup d'œil rapide à la pochette pourrait laisser penser, la musique n'a rien à voir avec le « world-jazz » mais se révèle plutôt être une musique improvisée contemporaine proche d'un jazz newyorkais tel que pourrait par exemple le jouer un Kurt Rosenwinkel. Un morceau comme UFO Dream, introduit à la contrebasse par le Néo-Orléanais Jasen Weaver, prend le pari d'une musique aussi aventureuse qu'énergique. On sent la lave qui bouillonne sous le volcan toujours prêt à exploser. Le trompettiste Jean-Paul Estievenart délivre des phrases rapides et complexes sur une rythmique à l'intensité fiévreuse qui va crescendo. On est à la limite d'une fusion peuplée d'interventions virtuoses ciselées au millimètre. A côté de ce moment aussi éprouvant qu'exceptionnel, Life Doesn't Care surprend par sa légèreté apportée par la voix de la chanteuse espagnole Pepa Niebla. Toni y prend un beau solo fluide de guitare qui séduit aussi par sa splendide limpidité. Cette remarquable sonorité est encore à épingler dans Near Dampoort, une longue pièce plus intimiste où brillent successivement le trompettiste et le leader dans un envol de six-cordes dont l'élégance mélodique inspire le respect. On n'oubliera pas de souligner le travail admirable du batteur d'origine israélienne Noam Israeli qui, sur ce titre en particulier, délivre un rythme complexe tout en installant une atmosphère très particulière en faisant résonner ses cymbales. L'album se clôture sur Space Folklore chanté par Pepa Niebla qui apporte de nouvelles nuances latines et un surcroît de légèreté.

Enregistré au Noise Factory Studio à Namur et doté d'un son superbe, ce deuxième opus installe le quartet de Toni Mora dans les groupes à suivre de près. Son jazz actuel plaira aux amateurs de musique riche et exigeante mais non pour autant dénuée de lyrisme et de séduction.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Amaury Faye X Igor Gehenot (CD / Digital) ]
[ A écouter : Amaury Faye X Igor Gehenot (album trailer) ]



Amaury Faye & Igor Gehenot : Amaury Faye X Igor GehenotAmaury Faye & Igor Gehenot : Amaury Faye X Igor Gehenot (Hypnote Records / Inouïe Distribution), 25 mars 2022

Amaury Faye (piano), Igor Gehenot (piano)

1. Magic Ball - 2. Eternité - 3. Egberto - 4. Bibo No Aozora - 5. Message In A Bottle - 6. Pare A Pluie - 7. Incompatibilidade De Gênios - 8. Hudson River Park - 9. Trocando Em Miudos


Comme son titre l'indique, cet album est le produit de la rencontre face à face de deux pianistes : d'une part, Amaury Faye, Toulousain aujourd'hui basé à Bruxelles, qui a glané un bon nombre de récompenses dont un Octave de la Musique en 2018 pour Songbook (Hypnote) enregistré en trio avec le contrebassiste Giuseppe Millaci et, d'autre part, Igo Gehenot, pianiste liégeois auteur de quatre disques en leader tous sortis sur Igloo Records et lauréat de deux Octaves de la Musique pour sa participation à New Feel du Lg Jazz Collective ainsi que pour son disque Delta.

Ce projet inédit qui fit sensation au Gaume Jazz Festival de 2020 ainsi que dans plusieurs salles de concert confirme sur disque tout l'intérêt de cette remarquable collaboration. Le répertoire comprend neuf plages mêlant des compositions originales et des reprises plutôt inattendues comme Message In A Bottle de Police ici rendu dans une version lumineuse pour ne pas écrire joyeuse. Plus nostalgiques apparaissent Bibo No Aozora, un thème splendide de Ryuichi Sakamoto repris dans la bande sonore du film Babel, ainsi que Trocando Em Miudos du Brésilien Chico Buarque qui met particulièrement bien en exergue la sensibilité aiguë des deux interprètes. Mais le plus étonnant reste l'arrangement pour deux pianos d'Incompatibilidade De Genios qui garde le rythme et la chaleur de cette samba du Brésilien Joao Bosco.

Les cinq plages originales sont également très variées, du post-bop endiablé d'un Magic Ball à la poésie d'un Par A Pluie, avec ses notes qui tombent comme des gouttes de pluie, en passant par un hommage aussi enjoué que mélodique au compositeur et multi-instrumentiste brésilien Egberto Gismonti. On pouvait se poser des questions sur le comment deux improvisateurs s'exprimant de conserve, et à fortiori jouant du même instrument, allaient s'entendre sans pour autant tomber dans le mimétisme ? Mais le plus remarquable ici est justement la manière dont les deux pianistes, chacun avec son style propre, se complètent sans gêne ni redondance. Ce qui témoigne d'une réelle affinité artistique mais aussi, individuellement, d'une belle maîtrise de l'instrument alliée à une vision claire du résultat souhaité. En conclusion, on n'a aucun mal à se laisser envoûter par ces miniatures colorées de pianos entrelacés qui allient légèreté et sophistication.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Phases (CD / Digital) ]
[ A écouter : Turn Over - Manu Codjia, Giuseppe Millaci & Lieven Venken live à la Jazz Station, 2020 ]



Fil Caporali & Tom Bourgeois : Moanin' BirdsMFil Caporali & Tom Bourgeois : Moanin' Birds (Hypnote Records), 18 février 2022

Tom Bourgeois (saxophone ténor, clarinette basse) ; Fil Caporali (contrebasse). Enregistré en 2019 au JetStudio.

1. Green Sand Pipes - 2. Konvoy - 3. Crooked Bird - 4. Last Minute - 5. Capoeira Bird - 6. Yearning - 7. Jeff 6 - 8. Araponga - 9. Cravo E Canela - 10. Birds Panic - 11. Scared Ostrich - 12. Melancholia Cha Cha Cha - 13. A Piece of the Moon - 14. Uruatu - 15. Kind Folk


Contrebassiste d'origine brésilienne, basé en Belgique depuis 2014, et récompensé par le prix Toots Thielemans Jazz Awards en 2016, Fil Caporali est aussi un compositeur dont on a pu apprécier le talent sur son propre album Fortune Teller sorti en 2017. Avec le saxophoniste Tom Bourgeois (entendu récemment avec le Jelle Van Giel Group), il compose ici un duo dont l'objectif est de créer une musique originale, spontanée et expressive basée en grande partie sur l'improvisation.

Le titre de l'album (les oiseaux gémissants), ceux de la plupart des morceaux ainsi que la belle pochette dessinée par Eric Cousin fournissent un indice : le disque est placé sous l'égide des volatiles dont la liberté semble bien être le fil conducteur de cette musique. La première pièce, Green Sand Pipes, n'est qu'une courte cacophonie de cris, créée par les deux instruments, qui se fond quasiment sans interruption dans la splendide mélodie du second morceau : Konvoy. Tout de suite, on a l'impression de voler en compagnie d'une formation en V de bernaches. La clarinette basse qui ondule sur un ostinato de contrebasse fait défiler des paysages vus du ciel tandis que, progressivement, naissent des échanges d'une grande vivacité. Cette musique serait parfaite pour accompagner un documentaire sur les oiseaux migrateurs - après tout, Tom Bourgeois s'est aussi fait remarquer en tant que compositeur d'une vingtaine de bandes originales pour courts-métrages.

Au cours du répertoire qui comprend 15 plages, les deux musiciens vont explorer toutes les possibilités du dialogue, sautant de moments aigus de mélancolie (Yearning, Piece Of The Moon) à d'autres colorés et turbulents (Araponga, Melancolia Cha Cha Cha) en passant par des espaces de pur lyrisme partagé (Jeff 6 et, en particulier, Kind Folk qui permettra d'apprécier pleinement le jeu tout en rondeur de Fil Caporali ainsi que l'admirable fluidité de son complice au saxophone ténor). Magnifiquement enregistrés, les timbres sont chaleureux et les deux instruments semblent présents dans la pièce tout près de l'auditeur enchanté.

Ce disque plein de finesses et qui porte l'art de la conversation musicale à des sommets sort décidément des sentiers battus. Porté par un concept directeur aussi subtil que plaisant, Moanin' Birds ravit autant qu'une promenade dans une réserve géante d'oiseaux exotiques bariolés.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Moanin' Birds ]
[ A écouter : Moanin' Birds (trailer) - Last Minute ]



Interaction: Live At FlageyGiuseppe Millaci & Vogue Trio : Interaction: Live At Flagey (Hypnote Records), 2022

Giuseppe Millaci (contrebasse), Lionel Beuvens (batterie), Amaury Faye (piano). Enregistré le 26 septembre 2020 au Studio 4 à Flagey (Bruxelles). Produit par Giuseppe Millaci.

1. Turn Over (8 :23) – 2. Mi Ritorni In Mente (6:39) – 3. Timeless (7:05) – 4. Pra Dizer Adeus (7:51) – 5. Introduzione (2:09) – 6. Highway 132D (10:58)


Enregistré live en septembre 2020 au Studio 4 à Flagey (Bruxelles), ce disque est le troisième album du Vogue Trio depuis sa création en 2016. Après Songbook (2017) et The Endless way (2019), Interaction: Live At Flagey sort à nouveau sur le label belge indépendant Hypnote Records créé par le contrebassiste Giuseppe Millaci. Le trio y reprend quatre titres du second album, mais aucun du premier, à côté de deux nouvelles compositions de Giuseppe : Turn Over et Introduzione. Après avoir joué ces morceaux sur scène un peu partout dans le monde, le trio apparaît ici plus soudé que jamais.

Le très nerveux Turn Over qui ouvre le répertoire laisse entendre des échanges fructueux entre les trois musiciens qui se connaissent désormais par cœur. On est impressionné par la cohésion et la vivacité de cette musique qui n'en finit pas de rebondir avant que le contrebassiste ne prenne le lead avec un long solo central qui maintient tout du long l'intérêt avant le retour de ses complices. Mi Ritorni In Mente change l'ambiance en installant un climat plus intimiste genre « after hours ». Ça swingue gentiment tandis que l'interaction du dialogue à trois apparaît encore plus naturelle et évidente. La composition s'emporte parfois mais finit toujours par revenir à son climat initial. L'un des points culminants du répertoire est Pra Dizer Adeus, la splendide composition du Brésilien Edu Lobo, ici rendue dans une admirable version qui suscite l'émotion. Et si Introduzione est joué entièrement seul à la contrebasse, le concert se referme sur une longue interprétation de Highway 132D créditée au trio qui témoigne une fois de plus de la belle osmose de cette formation : on ne peut que tomber sous le charme de ces improvisations énergiques, bien senties et pleines de swing, les trois compères, pianiste, contrebassiste et batteur, prenant le lead à tour de rôle avant le retour de l'interplay collectif.

Avec sa couleur toute brune, la façade de Flagey reprise sur la pochette apparaît plus austère qu'elle ne l'est en réalité mais ne vous y trompez pas : le jour de l'enregistrement de cet album, il y avait du soleil à l'intérieur.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Giuseppe Millaci & Vogue Trio sur Amazon ]
[ A écouter : Interaction: Live At Flagey (album trailer) ]



Manu Codjia, Giuseppe Millaci, Lieven Venken : PhasesManu Codjia, Giuseppe Millaci, Lieven Venken : Phases (Hypnote Records), 22 octobre 2021

Manu Codjia (guitare), Giuseppe Millaci (basse) & Lieven Venken (batterie). Enregistré et mixé par Jonas Verrijdt au Noise Factory Studio à Namur.

1. Phase I (2:09) - 2. How My Heart Sings (Earl Zindars) (5:40) - 3. Stingy Blues (5:36) - 4. Al Blade (4:22) - 5. Phase II (2:45) - 6. My One And Only Love (6:18) - 7. Turn Over (4:55) - 8. Frozen Boots (5:18) - 9. Phase III (3:01)


Auteur de quelques disques en leader sortis sur Bee Jazz et de pas mal d'autres en sideman (avec Erik Truffaz, Daniel Humair et Henri Texier entre autres), le Français Manu Codjia est un guitariste caméléon recherché pour sa capacité d'adaptation à toutes sortes d'univers musicaux. Il joue ici en trio avec deux musiciens très actifs sur la scène jazz belge : le contrebassiste d'origine sicilienne, actuellement basé en Belgique, Giuseppe Millaci et le batteur Lieven Venken (Sal La Rocca quartet, Ramon van Merkenstein trio).

L'éclectisme et la technique de Manu Codjia éclatent tout au long du répertoire dont le style oscille entre jazz et rock. Placés aux endroits stratégiques, Phases I, II et III en constituent l'ossature, les trois musiciens découvrant leur complémentarité en créant dans l'instant des climats atmosphériques agrémentés de sons divers. Manu Codjia module le son de sa guitare via des effets électroniques qui amplifient le côté expérimental mais aussi l'étrangeté de ces pièces improvisées. Les trois complices ont chacun contribué à l'écriture d'un ou plusieurs titres. Turn Over est un thème de Giuseppe Millaci et c'est l'un des morceaux les plus jazz de l'album. La symbiose entre les musiciens est maximale tandis que guitare et basse se croisent comme des chemins de fer en créant un swing intense. Apportés par Lieven Venken, Frozen Boots et Stingy Blues offrent un petit côté fusionnel tout en mettant en exergue la fantastique entente qui règne au sein de la paire rythmique. Dû à la plume de Manu Codjia, Al Blade est un splendide morceau de quitare en apesanteur. Deux reprises complètent le répertoire : How My Heart Sings tant prisée par Bill Evans et la balade My One And Only Love, qui fit jadis le bonheur de John Coltrane et de Johnny Hartman, ici rendue dans une version aérienne où l'on perçoit l'influence de Bill Frisell.

Enregistré par trois musiciens faits pour s'entendre, cet album très inspiré est une excellente addition au catalogue du jeune label indépendant Hypnote Records créé en 2016 par le contrebassiste Giuseppe Millaci en collaboration avec l'ingénieur du son Jonas Verrijdt.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Phases (CD / Digital) ]
[ A écouter : Turn Over - Manu Codjia, Giuseppe Millaci & Lieven Venken live à la Jazz Station, 2020 ]



Joachim Caffonnette Extended : Bittersweet TimesJoachim Caffonnette Extended : Bittersweet Times (Hypnote Records), 10 Septembre 2021

Joachim Caffonnette (piano and compositions); Jasen Weaver (contrebasse); Noam Israeli (drums); Hermon Mehari (trompette : 1, 2, 4, 6); Édouard Wallyn (trombone : 1, 4, 6); Quentin Manfroy (flûtes alto et basse : 1, 4, 6)

1. Bittersweet Times (7:24) - 2. Nostalgie Du Futur (7:21) - 3. Presidential Blues (6:08) - 4. Any Where Out of the World (6:27) - 5. Endless Dreams (Intro) (2:46) - 6. Endless Dreams (5:07) - 7. Big Questions, Brief Answers (5:39) - 8. The 6 Am. Crosspath (4:13) - 9. On Green Dolphin Street (4:02) - 10. A Savvy Child (6:30)


Avant aujourd'hui, le pianiste Joachim Caffonnette a produit deux albums : Simplexity en quintet sorti en 2015 et Vers l'Azur Noir en trio paru en 2019. Sur son nouveau disque, il approfondit sa musique en multipliant les configurations et en explorant différentes textures au gré des musiciens invités au fil des morceaux, le noyau de base étant constitué par un nouveau trio international qui, outre le leader lui-même, comprend le contrebassiste de La Nouvelle-Orléans Jasen Weaver ainsi que le batteur israélien installé à New York, Noam Israeli.

Le répertoire s'ouvre avec Bittersweet Times qui donne son nom à l'album. La dimension orchestrale de cette pièce remarquablement bien arrangée surprend : la trompette de Hermon Mehari, le trombone d'Édouard Wallyn et la flûte de Quentin Manfroy donnent de l'épaisseur à l'ensemble, les deux premiers ayant par ailleurs reçu tout l'espace nécessaire pour s'exprimer en solo. En dépit de son intitulé (des temps doux-amers), la musique est enlevée, spontanée, fraîche et lyrique avec peut-être une petite pointe de mélancolie désabusée qui perce dans la mélodie. Le sextet est aussi présent dans deux autres titres : Any Where Out Of The World, une composition à l'ambiance raffinée dans laquelle le compositeur a joué au maximum de l'alliance du trombone, de la trompette et du piano pour donner de l'ampleur orchestrale, et Big Questions, Brief Answers dont le style de jazz dynamique renvoie à la chaleur, la puissance et la réactivité du fameux sextet de Dave Holland (sur Pass It On). Enfin, sur Nostalgie du Futur, une composition poétique aux harmonies rêveuses, le leader et le trompettiste rivalisent de lyrisme dans un véritable moment de grâce partagée.

Les six autres morceaux mettent davantage en évidence l'interaction entre les membres du trio qui prennent aussi plus de liberté. Ainsi on appréciera le solo de contrebasse de Jasen Weaver sur le très enjoué Presidential Blues mais aussi la frappe hyper dynamique du batteur Noam Israeli qui n'arrête pas de relancer ce morceau aux accents monkiens. Toutes ces qualités se retrouvent également dans l'interprétation pleine d'énergie et de nuances du standard On Green Doplphin Street : le solo de Noam Israeli y est réellement habité tandis que les envolées du pianiste dont le phrasé est d'une extraordinaire fluidité rendent cette reprise particulièrement jouissive. Le répertoire se clôture sur le très beau A Savvy Child, une autre composition originale du leader qui allie élégance et lyrisme.

Bittersweet Times, le disque, me paraît être à ce jour la réalisation la plus aboutie d'un pianiste à l'itinéraire musical passionnant. L'ampleur de cette musique, sa cohérence et son évidence sont tellement exceptionnelles qu'on n'hésite pas une seconde à retenir d'ores et déjà cet album parmi les productions de jazz les plus réjouissantes de cette année.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Bittersweet Times (CD / Digital) sur Amazon ] [ Bittersweet Times sur Bandcamp ]
[ A écouter : Nostalgie Du Futur ]



PHIOlivier Collette : PHI (Hypnote Records), 1er Mars 2019

Olivier Collette (piano, compositions, arrangements); Bert Joris (trompette, bugle); Peter Hertmans (guitar); Victor Foulon (contrebasse), Daniel Jonkers (drums). Enregistré les 26 et 27 juin 2018 au Heptone Jazz Club, Belgique.

1. Seagull's Flight (8:45) - 2. Sweet, Simple And Beautiful (5:25) - 3. Goldmine (8:45) - 4. Introspection (5:25) - 5. Between A Tear And A Smile (8:45) - 6. Hepta (8:45) - 7. Twisted Minor Blues (5:25) - 8. Brazilian Sunflowers (8:45)


Symbolisé par PHI, première lettre du nom du sculpteur grec Phydias, le nombre d’or désigne un rapport de proportions idéales. Depuis les pyramides jusqu’à Notre-Dame de Paris en passant par le Parthénon et la coupole de la mosquée du Chah à Ispahan, on le retrouve dans beaucoup de créations humaines mais il est aussi présent dans la nature, comme dans la coquille des mollusques, dans le corps humain ou dans les capitules du tournesol d’ailleurs choisis pour illustrer la pochette de cet album. La raison en est qu’Olivier Collette a choisi de « construire » son disque, et la musique qu'il renferme, en recourant à ce rapport considéré comme un reflet de l’harmonie universelle. Ainsi, la découpe du répertoire et la durée des morceaux mais aussi leurs tempos et les nombres de mesures qui en composent les différentes parties ont-ils été ajustés en fonction du nombre PHI. En est-il résulté une harmonie parfaite ? Les exégètes et les mystiques pourront toujours en discuter.

Pour ma part, je trouve ce disque particulièrement harmonieux et homogène. L'univers du pianiste, on le sait depuis son premier double album Joy And Mystery sorti sur Mogno en 2001, est d'abord mélodique. Les thèmes, tous écrits par le leader, pourraient fort bien se définir par l'intitulé du second morceau qui résonne comme une devise : Sweet, Simple and Beautiful. Ajoutons que le degré de raffinement atteint doit beaucoup à la qualité des musiciens impliqués, en particulier le trompettiste Bert Joris et le guitariste Peter Hertmans qui font chanter les mélodies tout en les ouvrant sur d'autres possibles.

Mis à part Introspection un peu plus lent, toutes les plages sont en tempo moyen tandis que, globalement, ce jazz s'inscrit dans une réminiscence assumée d'une certaine tradition classique européenne : Seagull's Flight est ainsi un bel exemple de composition méticuleuse et linéaire dont les différentes parties s'enchaînent avec clarté et délicatesse. C'est de la musique de chambre idéale pour un après-midi sur l'herbe dans un camaïeu de lumières printanières. Même Twisted Minor Blues, à priori plus typé puisqu'ancré dans la note bleue, évoque davantage une promenade bucolique en forêt qu'une soirée enfumée dans un bar. On notera aussi le morceau Brazilian Sunflowers dont le rythme latin évoque encore avec un peu plus d'acuité le soleil bienfaisant et la joie de vivre qui va avec.

Les sonorités moelleuses, les développements musicaux inspirés, les mélodies charmeuses, la cohésion du quintet ... tout ici évoque une forme de beauté naturelle, à tel point qu'on se demande finalement si le recours au nombre d'or n'aurait quand même pas, d'une manière ou d'une autre, influencé toute cette belle esthétique.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Olivier Collette Website ] [ Hypnote Records ]
[ A écouter : PHI (teaser) - Introspection ]



Peter Hertmans Quintet : Live at DommelhofPeter Hertmans Quintet : Live at Dommelhof (El Negocito Records) 2020

Peter Hertmans (guitare); Steven Delannoye (saxophone tenor); Nicola Andrioli (piano); Jos Machtel (contrebasse); Marek Patrman (drums). Enregistré live par Piet Vermonden le 18 octobre 2012 au Dommelhof, Pelt.

1. Up-Town (8:48) - 2. Racconti (7:25) - 3. The One Step (11:29) - 4. One Chance (10:17) - 5. Merci Philip (14:21) - 6. Is That You? (5:29)


En octobre 2012, Peter Hertmans, à la tête d'un quintet, fut invité à se produire dans le beau domaine de Dommelhof dans la province du Limbourg et, par chance, le concert fut enregistré et est maintenant édité, huit années plus tard, par le label El Negocito. De toutes façons, cette musique ne se démode pas et sonne aussi fraîche aujourd'hui qu'elle l'était le soir du concert.

Le répertoire comprend une composition de Nicola Andrioli, Racconti, sur laquelle le pianiste dévoile déjà un lyrisme naturel qu'il aura l'occasion d'approfondir plus tard sur ses productions personnelles. Deux autres pièces ont été écrites par le saxophoniste Steven Delannoye. La première, Up-Town, qui ouvre l'album est un bop moderne qui permet au quintet de réchauffer l'atmosphère : après le thème exposé au ténor, les solos de piano, de guitare, de saxophone et finalement de contrebasse se succèdent sur un rythme efficace assuré par le tandem Jos Machtel / Marek Patrman. La seconde, One Chance, sonne comme une lamentation délivrée dans le silence d'un public respectueux. On en profitera pour souligner la qualité de cet enregistrement dont le son chaleureux flatte les oreilles de l'auditeur.

Les trois dernières compositions sont de Peter Hertmans. On épinglera le splendide Merci Philip, sans doute un hommage à Philip Catherine, qui figurait sur l'album Cadences du guitariste sorti en 2007 sur Mogno. Le leader y délivre une improvisation élégante qui séduit par ses qualités mélodiques mais aussi la fluidité de son phrasé, son enveloppe sonore et sa dynamique exceptionnelle. En ce qui concerne les deux autre titres, The One Step figurait également sur Cadences tandis que Is That You? est repris de l'album The Other Side, enregistré initialement en trio et paru en 2004 chez Quetzal Records. L'écouter dans ce contexte, réarrangé pour un quintet, est un vrai régal.

Ce disque qui est le témoignage d'un moment live exceptionnel est en soi un sacré album qui ravira tout fan de jazz surtout en cette période difficile où les concerts sont devenus très rares, voire impossibles. Faites-vous plaisir !

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Peter Hertmans et El Negocito Records sur Bandcamp ]



Different Kinds Of BlueAlexandre Furnelle / AF New 5 : Different Kinds Of Blue (Indépendant / Bandcamp / Red Box Trib), Mars 2019/Janvier 2021

Alexandre Furnelle (contrebasse, compositions); Kristina Fuchs (chant); Daniel Stokart (saxophones); Peter Hertmans (guitare); Jan de Haas (drums). Enregistré en avril 2017 au Studio Elles par Pascale Snoeck.

1. Blossom (6:31) - 2. Like Someone in Love (6:10) - 3. Brumes (7:11) - 4. Au Milieu de Nulle Part (4:53) - 5. Ever Since (5:26) - 6. Sound of Jupiter (6:05) - 7. Prelude in Cm n°20 (4:39) - 8. Eyes to Wonder (3:04) - 9. Winter blues (5:26) - 10. Country (5:18)


En musique, on connait bien une sorte de bleu, celle de Miles Davis Davis, mais il en existe d'autres qu'a tenté d'exprimer avec sa grande sensibilité habituelle le contrebassiste Alexandre Furnelle. Pour l'occasion, il s'est entouré d'excellents musiciens qui servent au mieux sa vision lyrique : le guitariste Peter Hertmans, le saxophoniste Daniel Stokart et le batteur Jan de Haas. A ce quartet instrumental vient s'ajouter la voix de Kristina Fuchs qui interprète des textes qu'elle a parfois écrits elle-même (Blossom). Sa contribution essentielle fait de cet album quelque chose de spécial par rapport aux autres productions du contrebassiste. Surtout qu'en plus de chanter des paroles, elle utilise également sa voix en « scat » comme un nouvel instrument au sein du quartet, augmentant ainsi le nombre de solistes.

Sur plusieurs titres, comme sur le standard Like Someone In Love de Jimmy Van Heusen ou sur Country de Keith Jarrett, Peter Hertmans prend de beaux solos de guitare électrique avec cette tonalité fluide et douce dont il a le secret. Il est également l'auteur de deux titres : Ever Since (co-écrit avec Paul Berner) et le splendide Winter Blues qui figurait déjà sur son propre disque, Dedication, enregistré également avec Daniel Stokart. Evidemment, l'arrangement est ici différent, rendu plus sombre encore avec un fort sentiment de solitude procuré par la voix de Kristina : « one lonely tree in the snow, one lonely bird singing low … », ambiance enténébrée sous le linceul blanc de l'hiver. Ce morceau bénéficie en outre d'un solo très prenant du saxophoniste.

Alexandre a écrit deux morceaux, Brumes et Au Milieu de Nulle Part, qui se succèdent et s'inscrivent tous deux dans une même atmosphère étrange aux contours indistincts d'où surgissement épisodiquement quelques lignes de saxophone, de guitare ou de contrebasse. La voix de Kristina contribue largement au sentiment bizarre d'être « perdu en translation » dans un no man's land ouaté à la lisière de la réalité. Et puis il y a Sounds Of Jupiter, une composition avant-gardiste, pour ne pas dire futuriste, apparemment basée sur la représentation sonore par la Nasa de la sonde Juno pénétrant la puissante magnétosphère jovienne. Ne manquent que les impressionnantes images de la planète géante mais le son est digne des partitions de György Ligeti utilisées dans la fameuse Odyssée de Stanley Kubrick. Cette étrange musique se fond intelligemment et sans interruption dans le Prélude n°20 de Chopin, celui qui fut rebaptisé « La Marche Funèbre », ici présenté dans un arrangement avec voix qui le rend solennel mais qui est aussi habité par une belle et profonde improvisation de contrebasse.

Different Kinds Of Blue est l'une des œuvres les plus originales d'Alexandre Furnelle. Contrastée, raffinée et toujours surprenante, elle fait naître toutes sortes d'émotions et, en l'écoutant, on ne peut qu'imaginer des images qui viennent se superposer comme par magie à cette musique inouïe.

[ Chronique de Pierre Dulieu ]

[ Different Kinds Of Blue sur Bandcamp ] [ Different Kinds Of Blue sur Red Box Trib ]




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