Blues 9 : Autres Suggestions


I believe old Dallas that's the meanest town I know
I believe that Dallas that's the meanest town I know
Because you're not safe in Dallas

Je crois que le vieux Dallas est la ville la plus malveillante que je connaisse
Je crois que le vieux Dallas est la ville la plus malveillante que je connaisse
Parce que vous n'êtes nulle part en sécurité à Dallas.

Johnny Winter in Dallas, 1969
CD : Johnny Winter (Columbia)

Johnny Winter : Second Winter (Columbia), 1969 - réédition CD (Strategic Marketing), 2008

En 1969, tout va bien pour Johnny Winter. Son premier album éponyme pour le label Columbia (Johnny Winter, 1969) lui a apporté une réputation internationale et, en plus de l’inclure dans des compilations rock qui cartonnent (Fill Your Head With Rock et Rockbuster), CBS lui donne l’opportunité d’enregistrer dans les studios Columbia Music Row de Nashville un second disque que le bluesman texan intitulera assez logiquement « Second Winter ». Le matériel enregistré (onze plages d’une durée totale de 47 minutes) dépassant les capacités d’un LP unique, ni Winter ni le label ne furent capables d’identifier les meilleurs titres et on décida donc sagement de les éditer tous. Pas assez pour un double album et trop pour un simple ? Qu’à cela ne tienne, on les fit tenir sur un LP et demi, ce qui signifie que dans son édition originale, Second Winter offrait deux galettes de vinyle dont l’une présentait une face lisse et noire sans aucun sillon. Ce fut le premier « album à trois faces » de l’histoire du rock et aussi le dernier. Par rapport au premier opus, beaucoup plus classique dans son approche du blues, Second Winter marque une évolution radicale avec l’addition quasi permanente au trio initial (guitare / basse / batterie) du jeune frère de Johnny, Edgar Winter, aux claviers et au saxophone. Si le blues est toujours bien présent, on découvre toutefois ici une nouvelle forme musicale ouvrant sur un rock and roll psychédélique déjanté (les reprises du Johnny B. Goode de Chuck Berry et de Slippin' And Slidin' de Little Richard), voire sur un blues-rock chauffé à blanc qui repousse aux calendes grecques les limites du genre en terme de vitesse et d’agressivité. Quasiment tous les traits du blues moderne sont ici visités à une allure speedée, l’aiguille dans le rouge et le pied au plancher (essayez Hustled Down In Texas pour voir). Et quand Johnny reprend Highway 61 Revisited, sa version n’a plus rien à voir avec celle de Bob Dylan tant sa voix éraillée est noyée dans les riffs météoriques d’une guitare slide volubile. Cette urgence guitaristique livrée aux effets spéciaux deviendra plus tard un cliché qui forcera Johnny à revenir à un blues plus authentique en compagnie de Muddy Waters mais, à cette époque, c’était loin d’être le cas. Avec le succès de sa prestation phénoménale à Woodstock dans le dos, Johnny Winter va soudain se profiler dans la mémoire collective des amateurs de blues rock comme le guitariste le plus rapide de l’Ouest et l’un des plus doués à l’instar du grand Jimi Hendrix qui, lui aussi, transcenda une autre chanson de Dylan en un vrai tour de force (All Along The Watchtower). En fait, l’albinos venait d’ouvrir les portes à une nouvelle génération de blues rockers comme ZZ Top, Stevie Ray Vaughan, George Thorogood ou les Fabulous Thunderbirds pour n’en citer que quelques uns. En ce sens, Second Winter fut un album bien plus influent et essentiel dans l’histoire du rock que ce que les critiques en ont jadis perçu.

Sachez qu'il existe une édition spéciale (Legacy) de cet album comprenant 2 CD, le premier avec Second Winter plus deux titres inédits (Early In The Morning et l'instrumental Tell The Truth emprunté à Ray Charles) et le second offrant un concert enregistré le 17 avril 1970 au Royal Albert Hall de Londres. Johnny y est au sommet de sa forme dans un show phénoménal dont, par chance, on a tardivement retrouvé les bandes jadis égarées.

[ Second Winter (1 CD) ] [ Second Winter - Legacy Edition (2 CD) ]
[ A écouter : I Love Eveybody - Hustled Down in Texas ]

Bugs Henderson : Blue Music (No Guru Records), USA 2008

Le Sud des Etats-Unis, et le Texas en particulier, compte une multitude de chanteurs guitaristes musclés qui écaillent au fil des jours la peinture des bars locaux avec leur blues-rock incendiaire. Malgré leur aptitude à délivrer sur le vif des « boogie » intenses qui ravissent des légions d’amateurs de bières et de barbecue, leurs disques en studio passent rarement la rampe. Trop rude et basique sans être variée et coupée de la chaleur d’une audience toute acquise, leur musique perd alors de sa brillance et n’arrive plus à convaincre. N’est en effet pas Stevie Ray Vaughan, Billy Gibbons ou Johnny Winter qui veut ! Ca n’est toutefois pas le cas de Bugs Henderson, guitariste virtuose qui enflammait déjà la scène locale autour de Dallas dans les années 70 et dont le premier album en studio, At Last enregistré pour le label texan Armadillo Records, date de 1978. A le voir en concert ou sur ses pochettes, Bugs s’affiche pourtant comme un prototype du genre : gros bras, tatouages, T-shirt décoré d’un lion, bandana pour la sueur et un air de cow-boy marqué par le soleil de la Vallée de la Mort. Mais la comparaison s’arrête là ! Le vétéran est devenu au fil des ans un grand bluesman proche en substance de ses légendaires prédécesseurs et on en donnera pour preuve cet excellent Blue Music paru en 2008 sur un label californien confidentiel dénommé No Guru Records. Bugs et ses Shuffle Kings y délivrent un répertoire éclectique et y affichent une curiosité musicale beaucoup plus vive que la majorité des boogie men. Le phrasé jazzy de la guitare, le soin apporté aux mélodies et les arrangements élaborés ne trompent pas : l’homme a élargi sa palette sonore (chaque titre fait l’objet d’un timbre de guitare différent) et l’addition de Tommy Young au Hammond B-3 étoffe considérablement le son de son trio habituel. De plus, Henderson aborde des thèmes personnels et originaux comme un hommage à son père mort durant la seconde guerre mondiale (The Man Who Killed My Daddy), une attaque virulente contre les dealers de drogue qui faillirent ruiner la vie de son fils (Town Pump) ou encore un titre évoquant John Henry, un disc jockey célèbre de Tulsa en Oklahoma. A l’écoute de cet excellent album, on comprend pourquoi Bugs Henderson est aujourd’hui devenu un musicien respecté par ses pairs dont l’aura a depuis longtemps dépassé les frontières de son terroir natal. Recommandé !

[ Bugs Henderson Website ] [ Blue Music ]

Walter Trout : The Outsider (Provogue Records), USA 2008

Après 35 ans de carrière, Walter Trout peut être satisfait : non seulement, il a eu l'insigne honneur de faire partie de deux des plus grands groupes de blues-rock au monde (en remplacement de Bob Hite chez Canned Heat de 1981 à 1984 et, par la suite, dans les Bluesbreakers de John Mayal où il partageait le département guitares avec Coco Motoya) mais ses albums personnels, depuis Life In The Jungle sorti en 1990, sont aussi pour la plupart de très haut niveau. Et c'est encore le cas pour cet excellent The Outsider sorti en 2008. Avec une approche typiquement rebelle dans ses textes, Trout y apparaît comme un bluesman moderne véhiculant un message personnel en prise avec les préoccupations de son époque (addiction à la drogue, pression sociale, réinsertion difficile pour les vétérans de guerre de retour au pays ....). Au plan strictement musical, le chanteur guitariste ne se laisse pas davantage enfermer dans les limites d’un genre pourtant très spécifique. Ses compositions empruntent bien sûr à Eric Clapton ou Stevie Ray Vaughan mais, à l’instar de certains virtuoses modernes comme Derek Trucks ou Joe Bonamassa, elles mettent aussi l’emphase sur une approche originale qui se traduit par l’éclectisme des arrangements et des genres abordés. Ainsi, les brûlots électriques que sont Welcome To The Human Race ou The Restless Age sont-ils combinés à d’autres morceaux plus inattendus qui sont loin d’être les moins intéressants. All My Life par exemple est une superbe ballade acoustique rehaussée par l’accordéon de Skip Edwards, The Next Big Thing affiche quelques influences country & western, The Outsider revisite le blues rampant du Red House de Jimi Hendrix, Child Of Another Day est enluminé par l’harmonica de John Rizzi, The Love Song Of J. Alfred Bluesrock brille de mille feux grâce à l’orgue groovy de Samuel Avila tandis que Sanjay intègre tout naturellement des influences indiennes en rapport avec le thème de la chanson. Produit au Studios Mad Dog à Burbank (California) par le légendaire John Porter (à qui l’on doit entre autres Damn Right I've Got the Blues de Buddy Guy, Ain't Enough Comin' In d’Otis Rush, Blues On The Bayou de B.B. King et bien d’autres albums récompensés par le monde du spectacle), le compact est pourvu d’un son monstrueux privilégiant comme il se doit la Stratocaster du leader et son puissant organe vocal prédestiné à perpétuer la voix du blues. Jadis sous l’emprise de la boisson, Walter Trout fut, selon la légende du rock, sauvé par un ange nommé Carlos Santana qui lui révéla un soir qu’il gaspillait un « don de Dieu ». Depuis cette époque aujourd’hui révolue, Walter Trout subjugue les foules en délivrant une musique au souffle puissant qui emporte tout autant les amateurs de blues électrique que ceux de rock classique.

[ Walter Trout Website ] [ The Outsider ]

Bernard Allison : Storms Of Life (Tone Cool Records), USA 2002

Fils du légendaire Luther Allison, Bernard a de qui de tenir car lui aussi déborde d’une énergie explosive qu’il délivre à chaque concert dont la première chanson est invariablement une composition de son père. On se rendra compte combien père et fils étaient proches en écoutant leur furieuse collaboration sur la scène d’un club de Berlin pendant le Chicago Blues Festival de 1989, heureusement conservée pour la postérité sur l’album de Luther intitulé Let's Try It Again, (RUF Records). Installé en Europe, comme son père, depuis la fin des années 80, Bernard a enregistré une dizaine d’albums pas tous indispensables mais qui témoignent de sa propension à bouter le feu à tout ce qu’il joue. Dans sa discographie, ce Storms Of Life de 2002 est un projet spécial : la musique y est plus éclectique que d’habitude, incluant aussi bien du R&B groovy avec le morceau éponyme qu’un reggae inopiné exalté par un orgue Hammond et une guitare bien juteuse (Just Do Me Anyway You Want). Mais le meilleur réside quand même dans le blues et les sommets du disque sont bien ce I Wanna Drive You Home rugueux et élémentaire emprunté aux trois barbus de Z.Z. Top et ce Mean Town Blues de Johnny Winter interprété avec la vélocité et la rage du sorcier à la crinière blanche. Là, ça gicle ! L’orgue riffe à mort, l’harmonica halète en rafale tandis que la guitare s’envole en démontrant d’une façon radicale que le talent n’a certainement pas sauté une génération. Mais il y a d’autres bonnes surprises sur cet album comme ce Goodbye Little Girl cuivré interprété cette fois avec retenue à la manière d’un Bobby Blue Bland et ce Down South emprunté au père et que le fils s’approprie avec beaucoup de talent. N’allez par pour autant croire que Bernard vit dans l’ombre du passé : il imprime sa marque à l’ensemble de son disque qui, en plus, s’écoute avec beaucoup de plaisir en raison même de sa variété. Produite par David Z, l’ingénieur des stars comme Prince (Purple Rain), Buddy Guy (Heavy Love), Jonny Lang (Lie To Me), Kenny Wayne Shepherd (Ledbetter Heights) et John Mayall (Along For The Ride), sa musique se caractérise en outre par une sonorité pleine et puissante qui en rend l’écoute encore plus excitante. Nul doute qu’avec cet album, Bernard Allison a entamé par la bonne pente le sentier qui le conduira bientôt à se faire un prénom.

[ Storms Of Life ]

Little Walter : His Best / The Chess 50th Anniversary Collection (MCA/Chess), USA 1952-1960

Né en Louisiane en 1930, Marion Walter Jacobs arriva à Chicago à l’âge de 15 ans avec un harmonica en poche. Ayant constaté que le son de son petit instrument était noyé dans celui des guitares électriques, il le coupla à un microphone branché dans un amplificateur. Outre le fait qu’il pouvait désormais se faire entendre, il découvrit rapidement qu’il pouvait jouer avec le son amplifié de son orgue à bouche pour créer de nouveaux timbres et effets et c’est ça qui le fera remarquer parmi la pléthore d’harmonicistes traînant dans les bars de la Cité des Vents. C’est par l’intermédiaire de Muddy Waters dont il a intégré le groupe en 1948 qu’il est adopté par le label Chess Records en 1950. Désormais, on l’entendra sur tous les classiques de Muddy mais le 12 mai 1952, Leonard Chess lui donne l’opportunité d’enregistrer un instrumental d’un peu moins de trois minutes pour une filiale du label dénommée Checker Records : Juke grimpe dans les charts R&B jusqu’à la première place où il restera huit semaines consécutives. Du jamais vu et qui ne se reproduira d’ailleurs plus : dans l’histoire du blues, ce sera l’unique instrumental joué sur un harmonica a obtenir un tel succès (Fingertips Part 2 de Stevie Wonder atteindra lui aussi la première place mais ça n’est pas du blues). Celui qu’on surnomme Little Walter l’a enregistré à l’instinct et la première prise du premier morceau de la première session fut la bonne. Juke fut lancé sur le marché couplé à Can't Hold Out Much Longer en face B sur lequel on peut cette fois entendre Walter chanter dans un style typique du Chicago Blues de l’époque (il n’avait ni la voix de Muddy Waters ni celle de Howlin’ Wolf mais il savait quand même chanter d'une manière relax qui n'est pas du tout désagréable). Walter ne s’arrêtera pas en si bon chemin puisque, de 1952 à 1958, il placera encore quatorze titres dans le top 10 parmi lesquels le lancinant Mean Old World, le mélancolique Sad Hours et l’instrumental Off The Wall. La suite est moins reluisante. A partir des années 60, Little Walter succombera au démon de l’alcool qui détruira peu à peu son bon génie naturel et il finira par succomber en 1968 des suites d’une sordide bagarre de rue. De ce Walter là, mieux vaut ne pas se souvenir. Pour la plupart des amateurs de blues, il restera le plus flamboyant, le plus novateur et le plus influent des harmonicistes des fifties. D’ailleurs, vingt années et plus après sa mort, il continuera à engranger les récompenses les plus prestigieuses, du Blues Hall of Fame au Rock and Roll Hall of Fame où son nom sera logé pour l’éternité à partir de 1988. Cet album superbe retrace l’essentiel de sa carrière discographique en 20 titres incontournables.

[ His Best - Chess 50th Anniversary ]

Savoy Brown : Blue Matter (Decca), UK 1969 - Réédition CD + Grits Ain't Groceries en bonus (Polydor), 1990

Troisième album du groupe, Blue Matter est paru en mai 1969 et ce fut une révélation : l’album sonnait bien mieux que ses deux prédécesseurs. Assemblé à partir d’anciens 45 tours, d’enregistrements en concert et d’une reprise de John Lee Hooker, le répertoire est certes hétérogène mais le line-up du groupe est alors, pour la première fois, le meilleur de toute la carrière de Savoy Brown. Cette formation atteignit en effet le sommet de ses potentialités quand le guitariste Kim Simmonds, dont la combinaison d’influences rock, blues et jazz est particulièrement efficace, s’associa à l’excellent chanteur et compositeur Chris Youlden. On peut en juger ici sur le très enlevé She's Got a Ring In His Nose And A Ring On Her Hand. Ce blues swinguant fut enregistré en décembre 1969 en même temps que Don't Turn Me From Your Door, un bon vieux boogie emprunté à John Lee Hooker. Couplé avec Grits Ain't Groceries / All Around the World (non inclus sur le LP original mais ajouté en bonus sur la réédition en compact de Blue Matter), She's Got A Ring fut placé en face B d’un 45 tours (Parrot 45-40037) destiné au marché américain qui, malgré la qualité de ses deux titres, ne connut guère de retentissement. En octobre 1998, le groupe réalisa Train To Nowhere, un morceau carrément essentiel du British Blues, enregistré avec une section de cuivres et superbement produit par Mike Vernon. Ce titre fut plus tard sorti en 45 tours (Decca F 12843) avec Tolling Bells en face B, une autre composition de Simmonds / Youlden bénéficiant d’un excellent accompagnement au piano de Bob Hall. Quant à Vicksburg Blues, c’est encore la face B d’un simple sorti en juin 1968 (Decca F 12797) qui comprenait Walking By Myself en face A (malheureusement non inclus ici mais qui réapparaîtra plus tard sur des rééditions – le CD Getting To The Point - ou des compilations – The Best Of Savoy Brown / Decca TAB 39). La seconde face du LP offre trois morceaux enregistrés en concert le 6 décembre 1968 à Leicester (College of Education) : May Be Wrong composé par Dave Peverett et deux reprises : le fameux Louisiana Blues de Muddy Waters et It Hurts Me Too, un standard popularisé par Tampa Red, ici crédité à Mel London, patron du label Chief, qui ajouta quelques paroles lors de l’enregistrement de ce titre par Elmore James en 1957. Chris Youlden étant malade, il fut remplacé au pied levé par Lonesome Dave Peverett qui réenregistra plus tard ses parties vocales en studio. Il existerait un quatrième titre capté pendant ce même concert (Sweet Home Chicago) mais qui n’a jamais été édité. Ces trois extraits témoignent d’un groupe compétent ici dominé par la guitare flamboyante de Kim Simmonds particulièrement en verve sur le quasi instrumental Louisiana Blues. On ne sait si c’est la manière d’enrober les mélodies dans des arrangements originaux ou la passion nouvelle qui sublime l’interprétation de cette forme séculaire de folklore américain, mais ce disque de « British Blues » (tout comme le Laurel Canyon de John Mayall, le 40 Blue Fingers de Chicken Shack ou le Ssssh de Ten Years After) véhicule une magie qui force à le réécouter inlassablement au fil des ans.

A noter que la première édition en CD du LP Blue Matter chez Polydor date de 1990 et que la qualité sonore n'a pas du tout été améliorée. Pour cette raison, il est recommandé d'acquérir plutôt la réédition 2005 du label britannique BGO (Beat Goes On) qui offre sur un CD unique les deux LP Blue Matter et A Step Further, cette fois remastérisés avec soin et dotés de nouvelles notes de pochette. Malheureusement, le titre bonus Grits Ain't Groceries n'a pas été inclus. Rien n'est pas parfait!

[ Blue Matter ] [ Blue Matter / A Step Further (2 LP sur 1 CD / Beat Goes On Records) ]

Savoy Brown : A Step Further (Decca), UK 1969 - Réédition CD (Polydor), 1990

Fin janvier 1969, c’est un Savoy Brown au sommet de sa forme, avec un line-up incluant Chris Youlden au chant ainsi que Kim Simmonds et Dave Peverett aux guitares, qui entreprend sa première tournée américaine, jouant devant de larges audiences à Chicago, Detroit, New-York et même au fameux Fillmore East de San Francisco. A l’époque, le groupe décida de pousser Youlden sur le devant de scène en l’affublant d’un veste de fourrure noire, d’un chapeau haut de forme et d’un cigare pour augmenter l’impact visuel du spectacle (on peut le voir arborant ces accessoires aussi bien au recto qu’au verso de la double pochette du LP original). C’est aussi à cette époque que le groupe prend l’habitude, comme Canned Heat avant lui, d’inclure dans son show un boogie sans fin qui semble être particulièrement apprécié du public. Chris Simmonds y prend un long solo de guitare et s’accapare le statut de seconde star du groupe avec Youlden. Une fois rentré en Angleterre, Savoy Brown est une formation soudée, consciente de son potentiel et c’est dans cet état d’esprit positif que les musiciens entrent en studio en mai 1969 pour enregistrer leur quatrième disque provisoirement intitulé Asylum et rebaptisé plus tard A Step Further. La même formule que Blue Matter est retenue avec une première face composée de titres enregistrés en studio et la seconde réservée à un concert : en l’occurrence un morceau unique capté au Cooks Ferry Inn d’Edmonton (Londres) en mai 1969 qui n’est rien d’autre que le boogie interminable mis au point aux Etats-Unis. Intitulé Savoy Brown Boogie et composé d’une succession de sections aux tempos similaires (I Feel So Good / Whole Lotta Shakin’ Goin’ On / Little Queenie / Purple Haze / Hernando’s Hideaway), ce long happening musical est malheureusement beaucoup moins bien adapté au disque qu’au concert : il lasse rapidement et on n’a guère envie de le réécouter une seconde fois. C’est dommage parce que tous les titres en studio sont par contre mémorables. Le chant de Youlden est expressif, les guitares génèrent le frisson, Tone Stevens à la basse et Roger Earl composent une rythmique d’une redoutable efficacité et le piano de Bob Hall, toujours présent, apporte un plaisant soutien harmonique. Le lancinant I'm Tired qui s’éteint lentement par une section percussive (Where Am I) et le très enlevé Made Up My Mind, avec son solo de piano, comptent même parmi les meilleures compositions du groupe. Remarquable aussi est l’instrumental Waiting In The Bamboo Groove avec ses riffs cuivrés particulièrement efficaces. L’album fut lâché aux USA en juin 2009 pour coïncider avec la seconde tournée américaine de Savoy Brown qui remporta un succès considérable. Mais pendant les pauses entre les séances d'enregistrement, Bob Hall, Dave Peverett, Tone Stevens et Roger Earle s’amusèrent à jouer d’anciens morceaux de rock (genre Blue Suede Shoes ou Shake, Rattle and Roll) qui furent enregistrés à leur insu par l’ingénieur du son. Ils seront en fin de compte édités en 1969 sur un album intitulé Rocked Out (Decca) crédité à Warren Phillips and the Rockets (en fait une fausse identité pour un chanteur soi-disant légendaire qui était supposé faire du rockabilly dans le style des années 50 et de Sun Records). Ce fut en réalité la première manifestation d’indépendance de Peverett, Stevens et Earle qui partiront bientôt de leur côté fonder le groupe de blues-rock Foghat avec le succès que l’on sait.

[ Step Further ] [ Blue Matter / A Step Further (2 LP sur 1 CD / Beat Goes On Records) ]

Stevie Ray Vaughan & Double Trouble : Couldn't Stand The Weather (Epic), USA 1984 - Legacy Edition 2 CD (Sony), 2010

Apparu quelques mois à peine après son apparition remarquée sur le Let's Dance de David Bowie, Texas Flood (1983) fut une véritable bombe : Stevie Ray Vaughan y redynamisait la guitare blues-rock grâce à un style tellement flamboyant et éclectique qu’il remit en selle un genre déclinant. Enregistré rapidement après son premier LP, Couldn't Stand The Weather fut lâché en mai 1984. Il confirma immédiatement l’énorme potentiel du guitariste texan. Pourtant, sur les huit chansons du vinyle original (38 minutes au compteur), quatre seulement sont des originaux parmi lesquels on compte deux instrumentaux. Mais le titre qui donna son nom à l’album, Couldn't Stand The Weather, est une merveille de jeu laid-back indiquant clairement que SRV peut écrire des chansons qui sonnent immédiatement comme des standards. Pas de riffs qui tuent ici, ni de démonstration pyrotechnique inutile mais un jeu tout en souplesse et retenue qui vous emmène l’air de rien là au bout d’une composition fort bien ciselée. L’autre grand moment du disque est la reprise de Cold Shot de W.C. Clark que SRV s’approprie sans difficulté grâce à une guitare traînante et un chant en demi-teintes parfaitement appropriés au ton aigre-doux du texte. Ces deux-là sont des incontournables du répertoire de SRV. Les deux instrumentaux sont excellents, l’un qui tonne comme un orage électrique dans le style dévastateur de Lonnie Mack (Scuttle Buttin') et l’autre, avec Stan Harrison au saxophone ténor, qui témoigne des influences jazzy du guitariste (Stang's Swang). Malheureusement, le reste, quoique toujours d’un haut niveau, n’est pas du même calibre : Voodoo Chile (Slight Return) ressemble trop à l’original et ne fait pas oublier la version définitive de Jimi Hendrix, Honey Bee est un shuffle classique sans surprise et The Things That I Used To Do d’Eddie "Guitar Slim" Jones est un blues quasi classique quand même sublimé par une guitare qui miaule comme un félin grâce par l’usage fréquent de la barre de vibrato. Quant à Tin Pan Alley, c’est le long blues lent incontournable de fin de soirée qu’on interprète quand les derniers clients quittent la salle. Qu’on ne se méprenne pas toutefois : Couldn't Stand The Weather est un album fabuleux même si on a parfois l’impression qu’il aurait pu être parfait avec un peu plus de temps et de travail.

Pour commémorer le vingtième anniversaire de la mort du guitariste dans un accident d’hélicoptère le 26 août 1990, Sony a sorti une édition Legacy en deux compacts qui reprend les huit titres du LP initial plus 11 plages en studio dont trois prises inédites, le reste (versions alternatives ou morceaux non retenus) ayant déjà été rendu disponible sur la réédition de 1999 de Can’t Stand The Weather ou sur la compilation posthume The Sky Is Crying. Le second compact, plus intéressant, renferme le deuxième set d’un concert de SRV donné le 17 août 1984, soit trois mois après la sortie de l’album, au Spectrum de Montreal (Canada). Quoique déjà disponible sur un bootleg difficilement trouvable (In Memorian, CD 2 et 3) et ici amputé de plusieurs titres, ce concert connaît enfin sa première sortie officielle : la qualité sonore est impeccable avec une majorité de titres extraits de Can’t Stand The Weather interprétés avec une fougue et une présence phénoménales. A ne pas rater !

[ Couldn't Stand The Weather (Legacy Edition - 2 CD) ]

Rob Tognoni : Capital Wah (Music Avenue), Australie 2008

Originaire de Tasmanie, Rob Tognoni ne fait pas dans la dentelle. Son blues-rock est aussi carré et rustique que le hard-rock de AC/DC et comme ça fait trente années déjà qu’il fait chanter sa six-cordes, il a eu le temps d’acquérir une solide expérience, entre autre sur la scène européenne où il a été introduit au milieu des 90’s par le slide guitariste australien Dave Hole. Sur cet album édité par un label belge, Tognoni chante d’une voix rauque et puissante, joue de la guitare avec une grande dextérité et parfois de la basse et de quelques claviers épars. Globalement, ça claque et parfois même un peu trop : ce genre de déferlante qui s’avère souvent être stimulante en live passe toujours plus difficilement sur disque. N’est pas Stevie Ray Vaughan ou Johnny Winter qui veut ! Malgré tout, le guitariste a pris soin de semer ici et là quelques titres un peu moins dévastateurs. Une reprise honorable mais sans plus du Like A Rolling Stone de Bob Dylan, une autre reprise du Red House de Jimi Hendrix, plus réussie, ou encore l’excellent Let Your Love Fly au parfum de blues texan plus classique. Sinon, Product Of A Southern Land enregistré en concert à Prague dégage un maximum de tension tandis que sur The Rain, dans le même registre que le fameux « La Grange » de ZZ Top, Tognoni justifie le titre du disque (Capital Wah) en enclenchant sa pédale d’effet dont il maîtrise manifestement toutes les subtilités. Sur The Good Die Young, Tognini retrouve son pote du temps des Outlaws australiens, le guitariste Paul Sticca. C’est alors une vraie débauche de guitares, les deux hommes s’épaulant pour descendre en flammes tout ce qui bouge. Dommage en fin de compte que le plaisir soit un peu gâché par trop de morceaux hard-blues qui n’offrent guère d’intérêt tellement ils sont interchangeables. Pour tout dire, sur les 15 morceaux offerts, 8 seulement ont trouvé le chemin de mon iPod. Quand est-ce que les artistes comprendront qu’il est inutile, quand on n’a plus rien à dire, de saturer les compacts au-delà des 70 minutes pour des raisons de marketing? On en viendrait presque à regretter le bon temps des 33 tours. Sinon, si vous appréciez le côté heavy-rock classique de bluesmen comme Pat Travers, Joe Bonamassa ou Walter Trout, il est certain que ce disque vous en mettra plein les oreilles !

[ Capital Wah ]
[ A écouter : The Good Die Young ]

Gov't Mule : By A Thread (Evil Teen), USA 2009

Le premier morceau, Broke Down On The Brazos, rappelle davantage le style de boogie texan, simple et décontracté, que jouait ZZ Top à l’époque de Tres Hombres que le Southern Rock des Allman Brothers Band. Certes, le guitariste et chanteur Warren Haynes, qui remplaça Duane Allman au sein des Brothers en 1989, est toujours là en tant que leader garant du label ABB mais l’autre membre fondateur de Gov’t Mule, le bassiste Allen Woody, qui voyait son projet comme un power trio axé sur des improvisations en live, a été retrouvé mort en août 2000 dans une chambre de motel à New York. Par la suite, le groupe a évolué vers une musique aux horizons plus larges quitte à perdre en route quelques fans puristes. Les autres y ont gagné au change avec des compositions plus diversifiées, plus concises et qui ressemblent davantage à de vraies chansons plutôt qu’à des jam sessions. Et quelle bonne idée d’avoir invité Billy Gibbons sur le premier titre pour une joute guitaristique de haut vol avec Haynes : les deux styles se croisent avec bonheur et il est si facile de reconnaître le son gras et le groove bluesy inimitable du guitariste de ZZ Top. Le nouveau bassiste Jorgen Carlsson assure un soutien dynamique et coloré, capable de faire rugir son instrument quand il faut en procurant à la musique un surplus d’énergie qui soulève la poussière. Quand à Danny Louis, son orgue B3 enrichit les textures et donnent au groupe un son plus dense sur lequel vient se poser la voix imposante de Warren Haynes qui n’a jamais aussi bien chanté. Même si plusieurs titres s’abreuvent à d’autres sources comme Steppin' Lightly en forme de rock FM qui bénéficie d’une fantastique partie de basse ou Frozen Fear qui louche vers le country rock des Eagles, l’esprit du blues vit toujours dans les replis de ce rock efficace. Ecoutez par exemple le très hendrixien Any Open Window, dédié à la mémoire des batteurs Mitch Mitchell et Buddy Miles : on y entend souffler un vent épique qui ramène à All Along The Watchtower. Ou encore Inside Outside Woman Blues #3 avec une basse supersonique et une guitare wah wah délirante qui évoque une nouvelle fois Jimi Hendrix et ses longs blues psychédéliques. Ou enfin Railroad Boy qui débute comme un traditionnel comme aurait pu le jouer un Josh White avant que la fée électricité ne s’en empare pour le muter en un folk-blues moderne façon Led Zeppelin. Si l’on avait pu être un peu déçu par l’album High & Mighty qui manquait de punch et de direction, celui-ci ne pourra que ravir les amateurs de ce groupe à nouveau en pleine possession de ses moyens. Une chose est sûre : de nos jours, ce sont les desperados de Gov't Mule qui font à nouveau la loi dans le Sud.

Saviez-vous que le nom de Gov't Mule, qui est une abbréviation de Government Mule, dérive d'une loi de 1865 qui promettait 40 acres et une mule (celles de l'armée qui n'étaient plus utilisées) aux esclaves affranchis. Après l'assasinat de Lincoln par un partisan sudiste quelques jours après la fin de la guerre de Sécession, le nouveau président Andrew Johnson mit son veto à la fameuse loi et les mules du gouvernement ne furent jamais distribuées. Chouette nom pour un groupe de rock qui remet en mémoire l'action d'un président qui s'opposa à toute ingérence du gouvernement fédéral dans les droits civiques des Noirs et qui se prononça en faveur du droit des États du Sud à décider eux-mêmes de ces questions. Une attitude qui entraînera la première procédure de destitution lancée à l'encontre d'un président américain. On notera encore que Gov't Mule y fait référence explicitement dans sa chanson Mule éditée en 1995 sur le premier album éponyme du groupe : Where's my mule? Where's my forty acres? Where's my dream Mr Emancipator? To live this way, I might as well meet my maker.

[ By A Thread (CD & MP3) ]

Well Mack the Finger said to Louie the King
I got forty red white and blue shoe strings
And a thousand telephones that don't ring
Do you know where I can get rid of these things ?
And Louie the King said "let me think for a minute, son"
And he said "yes, I think it can be easily done"
Just take everything down to Highway 61.

Mack the Finger dit à Louie the King
J'ai quarante lacets rouges, blanc et bleu
Et un millier de téléphones qui ne sonnent pas
Sais-tu où je peux me débarasser de tout ça ?
Louie the King dit "laisse-moi réfléchir une minute, fils"
Et il dit "oui, je crois que ça peut aisément être fait"
Tu n'as qu'à tout emporter jusqu'à l'Autoroute 61.

Bob Dylan / Johnny Winter in Highway 61 Revisited




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