Blues 10 : Autres Suggestions


Looking down from Mount Rushmore
All across this land
A house divided against itself
Cannot stand
We are black and white and red, yellow and brown
A nation of one
Don't tear the house down


En regardant en bas du Mont Rushmore
vers les quatre coins de la contrée
Une maison divisée contre elle-même
ne peut rester dressée
Nous sommes noirs et blancs et rouges, jaunes
et bruns. Une seule nation.
Ne brisez pas votre propre maison

Mighty Mo Rodgers in Have You Seen The American Dream

Gary Clark, Jr. : Blak And Blu (Warner Bros.), USA 2012

Ce chanteur et guitariste de 30 ans (en 2014) a acquis une renommée régionale aussitôt après s'être produit à 17 ans dans le fameux club Antone's de sa ville natale d'Austin, le même qui révéla jadis Jimmie et Stevie Ray Vaughan. Depuis, l'homme a fait son chemin, jouant au côté des plus grands dans des évènements légendaires comme le Crossroads Guitar Festival (2010), le Glastonbury Festival (2013) et même le fameux évènement "Red, White and Blues" organisé par la Maison Blanche (2012). Après quelques enregistrements sur le label local Hotwire Unlimited, Blak And Blu est son premier disque distribué par une firme internationale et c'est une bombe. Certes, Clarke a les oreilles grandes ouvertes sur d'autres styles de musique ce qui pourrait déplaire à quelques puristes, même si le titre éponyme et The Life qui louchent franchement sur le hip hop et les musiques actuelles sont loin d'être désagréables. Quant au reste, il séduira beaucoup de monde. Car du R&B cuivré de Ain't Messin 'Round qui incendie les premiers sillons au rock and roll à la Chuck Berry de Travis County, et de la ballade soul façon Motown (Please Come Home) au blues-rock texan de When My Train Pulls In, Clark démontre sa large connaissance des musiques noires et ses capacités à fusionner l'ancien et le moderne dans des arrangements aussi percutants qu'originaux. En plus, Clark est aussi un excellent chanteur tandis que, sans être pour autant un virtuose de la six-cordes comparable à Hendrix, il impressionne quand même par ses solos bien construits et un incroyable son fuzzy qui tranche sur une production immaculée due à Mike Elizondo et à Rob Cavallo. Sa combinaison du célèbre Third Stone From The Sun d'Hendrix et du If You Love Me Like You Say popularisé par Albert Collins démontre que Clark est tout sauf un plagiaire, investissant la musique par des solos intelligemment construits. Quand au blues, c'est-ce que Gary Clark fait quand même le mieux comme on en jugera sur le fantastique Next Door Neighbor, un blues rural habité par une guitare slide acoustique à l'authenticité incontestable. Certains jugeront cet album hétérogène, trop éclectique ou même racoleur mais on préfèrera y voir l'œuvre d'un musicien moderne, versatile et trop riche pour se limiter à un seul genre. Gary Clark Jr. n'est pas le nouveau Hendrix et ce n'est pas non plus le futur du blues, mais il en fait sûrement partie !

[ Blak And Blu (CD & MP3) ]
[ A écouter : When My Train Pulls In - Blak And Blu ]

Henry Gray : Plays Chicago Blues (Hightone), USA 2001

Né à Kenner (Louisiane) en 1925, Henry "Bird Breast" Gray est monté en 1946 à Chicago où il est devenu un pianiste de session fort prisé, participant à d'innombrables enregistrements pour les labels Chess et Vee-Jay derrière des légendes du blues comme Sonny Boy Williamson II, Muddy Waters, Bo Diddley, Junior Wells, Little Walter, Buddy Guy, Little Milton, Jimmy Rogers, Jimmy Reed ou Koko Taylor. Mais il est aujourd'hui surtout connu pour avoir été le pianiste d'Howlin' Wolf pendant douze années à partir de 1956, prenant même parfois la direction du groupe en l'absence du leader. On rapporte aussi qu'il aurait joué avec Elmore James la nuit du 24 mai 1963 au cours de laquelle ce dernier est décédé d'une crise cardiaque. Il retourna en 1968 à Baton Rouge en Louisiane où il deviendra une figure importante de la scène locale et du Swamp Blues. En 1998, Mick Jagger le sélectionna pour la soirée de son 55ème anniversaire à Paris tandis qu'une année plus tard, il reçut un Grammy pour sa contribution à un album en hommage à Howlin' Wolf sorti sur Telarc. Plus important : Clint Eastwood l'incorpora, aux côtés de Ray Charles, Dr. John, Pinetop Perkins et Jay McShann, dans son film "Blues Piano", réalisé dans le cadre de l'ambitieuse série documentaire sur le blues imaginée par Martin Scorcese. Cet album tardif est une compilation de cinq sessions enregistrées de 1996 à 2000 à Tempe en Arizona quand Gray se produisait dans des clubs autour de Phoenix. Il y joue, chante et démontre sa science du Chicago Blues en compagnie de musiciens expérimentés comme les guitaristes Bob Margolin (dont la slide conjure Muddy Waters sur Trouble Blues) et Kid Ramos qui interviennent chacun sur quatre titres. Gray est aussi fort bien aidé par l'harmoniciste Bob Corritore, également producteur de l'album, qui transmet avec fougue la flamme des anciens souffleurs aujourd'hui disparus du blues de Chicago. On notera enfin à la batterie le regretté Chico Chism, né en 1927 sur un bateau en Louisiane et décédé à Phoenix en 2007, qui fut le dernier batteur d'Howlin' Wolf dans les 70's. A côté de quelques standards comme It Hurts Me Too et Everybody's Fishin', Gray interprète essentiellement ses propres compositions qui s'inscrivent fidèlement dans la tradition du blues de Chicago et font revivre ces riffs typiques de piano dont peu ont le secret. Cet album offre une musique certes conventionnelle, mais qui perpétue avec fraîcheur un style de blues urbain que le pianiste a jadis aidé à définir en compagnie des plus grands.

[ Henry Gray Plays Chicago Blues ]
[ A écouter : It Hurts Me Too ]

Billy Boy Arnold Sings Big Bill Broonzy (Eletro-Fi Records), USA 2013

Né à Chicago en 1935, Billy Boy Arnold a pris des cours d'harmonica avec John Lee Sonny Boy Williamson avant d'enregistrer en 1952 son premier 78 tours qui n'aura aucun succès. Mais en mars 1955, il attire l'attention en jouant de l'harmonica pour Bo Diddley sur le légendaire I'm A Man qui sort sur Checker Records couplé avec le titre Bo Diddley. En dépit d'une carrière comportant plus de bas que de hauts (il abandonna même un temps la musique pour devenir chauffeur de taxi et agent de probation), Arnold reste aujourd'hui l'une des dernières légendes vivantes du Chicago blues de la période Chess. Toutefois, il a choisi sur ce disque de rendre hommage au chanteur guitariste Big Bill Broonzy, un des maîtres du country blues. En décidant de garder un profil quasi entièrement acoustique, Arnold a délivré une musique qui s'inscrit dans la période Bluebird des années 30 et 40, sauf qu'ici, l'enregistrement préserve une acoustique superbe et met en valeur un mixage parfait des divers instruments. Parmi ces derniers, on notera la planche à laver de Billy Flynn qui remplace judicieusement la batterie en rappelant l'ancienne collaboration de Broonzy avec son prétendu demi-frère Washboard Sam. La combinaison de ces percussions avec la basse acoustique de Beau Sample et la guitare d'Eric Noden constitue un écrin précieux pour les fantastiques parties d'harmonica jouées par Billy Boy ainsi que pour sa voix qu'il module parfois par certaines inflexions empruntées à Broonzy. Sur quelques titres, Billy Flynn rehausse encore ces standards historiques en y injectant quelques solos de guitare (légèrement) électrique ou de mandoline qui s'intègrent bien à l'ensemble. En 1959, Muddy Waters avait déjà rendu hommage à Broonzy avec son album Sings Big Bill mais celui-ci est plus agréable à écouter et également plus réussi. Billy Boy Arnold est en effet parvenu à capter l'esprit de Broonzy, auquel il fait allégeance sans pour autant le copier, et du blues rural de son époque tout en réalisant un remarquable travail aussi bien au niveau des arrangements que de l'interprétation. Traversé par un souffle authentique, ce disque est un rite initiatique pour tous les amateurs avides de (re)découvrir le blues américain d'avant-guerre. A ne pas manquer !

[ Billy Boy Arnold Sings Big Bill Broonzy (CD & MP3) ]
[ A écouter : Key To The Highway ]

Johnny Nicholas : Future Blues (The People's Label), USA 2011

Connu pour avoir été membre de 1978 à 1980 du célèbre groupe de country Asleep At The Wheel, Johnny Nicholas est surtout un chanteur, guitariste, harmoniciste et claviériste de blues qui a bourlingué un peu partout et a enregistré une douzaine de disques depuis l'excellent Too Many Bad Habits (avec Johnny Shines et Big Walter Horton en invités) sorti chez Blind Pig Records en 1978. Sur Future Blues, Nicholas collabore avec Cindy Cashdollar, spécialiste du dobro et de la pedal steel guitar qui fut également membre pendant huit années de Asleep At The Wheel. Alors forcément, ce disque est souvent à la frange du blues et du country, deux styles certes différents mais qui peuvent fort bien interagir et trouver un terrain d'entente si l'on en maîtrise toutes les subtilités, comme c'est le cas ici. On s'en rendra compte en écoutant le brillant Graveyard Blues, une composition hybride entre blues, country et rockabilly qui groove gentiment et dans laquelle la voix de velours est enrobée par une lap steel ensorcelante. Pour épicer ses chansons, le leader a aussi fait appel à un autre guitariste de la scène d'Austin, Jimmy Vaughan, qui joue sur deux titres : That's The Price et Hey Hey. Sur ce dernier morceau, on peut entendre Vaughan lâcher quelques riff de rock sur sa Stratocaster tandis que Nicholas assure imperturbablement le shuffle sur sa Kay Value Leader vintage. Le répertoire de 12 titres comprend deux reprises, l'une est le fameux It's All Over Now Baby Blue de Bob Dylan ici interprété dans le style sautillant de Jimmy Reed ; l'autre est le fameux Future Blues écrit par Willie Brown, contemporain de Charley Patton et de Son House, et popularisé par Canned Heat. Ce country-blues lancinant est fort bien arrangé et on y entend le leader crier un "Come here, Scrappy!" à l'attention de Jud Newcombe avant qu'il ne se lance dans un solo laid back sur son banjo Gibson à six-cordes. Bref, on l'aura compris : cet album ne rentre pas dans le moule classique des disques de blues mais c'est une excellente production éclectique, subtile, divertissante et agréable à écouter, concoctée par un artiste qui connaît sa musique sur le bout des doigts et a tous les contacts utiles à Austin pour l'aider à l'enregistrer.

[ Future Blues (CD & MP3) ]
[ A écouter : Hard Time Livin' (live) - Future Blues (live in Austin, 6/10/2011) ]

The Chalkface Crackers (Indépendant), France 2014

Avec sa pochette minimaliste et une erreur dans la set liste au verso, on ne sait trop qu'attendre de cet album mais quand South West s'arrache sur une guitare slide bien huilée et que le chanteur Thomas Ducourtioux éructe ses premiers mots avec une glotte limée au papier émeri, on est vite fixé. En fait, ce trio français dépasse largement les espérances en dévoilant un blues émotionnel et organique qui évite beaucoup de clichés. On pense parfois à un Tom Waits moins imbibé que d'habitude quand la voix s'emmêle dans les cordes de la contrebasse ou au blues laid-back d'un Delta Moon quand la slide de Samuel Rays souligne paresseusement la mélodie. Voici un mini-album de huit chansons seulement mais qui offre une belle variété puisqu'à côté de blues à la structure classique (Gold, South West), on en trouve aussi d'autres plus jazzy comme Lazy et son solo de contrebasse qui swingue en douceur, ou plus soul comme ce Gospel en forme de ballade triste qui n'en finit pas de se recycler sur elle-même. Quand au menaçant Death Train, histoire connue de la machine fumante déboulant des enfers pour emmener les pauvres âmes dans l'au-delà (The death train is coming, and it's coming to take me away. I hear the engines coming, the fire and the smoke remind me hell is here to stay …), elle fait penser à l'effrayant Down In The Hole, une composition de Tom Waits interprétée par le regretté John Campbell, dont on retrouve ici le mystère et l'ambiance voodoo des marais putrides de la Louisiane. Le plus surprenant reste quand même cet hommage à Mandela peuplé d'onomatopées et de tambours africains (beau travail de Gerald Simonet) qui échappe aux canons du blues en révélant une véritable identité. Alors que tant d'albums de blues américain moderne restent désespérément fixés sur des productions immaculées et une virtuosité stérile, voilà que le premier EP sans fard d'un trio français ramène à l'essentiel avec une authentique et salutaire simplicité.

[ The Chalkface Crackers Website ]
[ A écouter : South West (extrait) - Lazy (extrait) ]

Tedeschi Trucks Band : Revelator (Sony Masterworks), USA 2011

Conçu comme une affaire de famille, cet orchestre de onze musiciens a été créé en 2010 par Derek Trucks et Susan Tedeschi. Après s’être mariés, ils ont en effet décidé, dans le but de passer plus de temps ensemble pendant les tournées, de fusionner leurs deux groupes. Le résultat est une rutilante machine capable de délivrer un blues-rock légèrement cuivré, bourré de soul et de guitares, avec en plus un parfum de Rock Sudiste qui renvoie aux Allman Brothers Band dont Trucks est d’ailleurs un membre officiel depuis 1999. Il faut dire que Derek Trucks est un guitariste virtuose qui explore essentiellement le côté « slide » de son instrument la plupart du temps accordé en E (Mi) ouvert. Son extraordinaire sensibilité bluesy et ses facultés d'improvisation ne sont pas sans rappeler celles du légendaire Duane Allman trop tôt disparu en 1971 à l'âge de 24 ans. Quand à Susan Tedeschi, c’est l’une des plus belles voix féminines du blues blanc à côté de celle de Bonnie Raitt, avec qui elle partage un timbre voilé indéfinissable tout en étant moins pop et plus proche des racines de la musique noire. Tout cela ne serait rien sans cette rare faculté, démontrée par le groupe dans son intégralité, d’écrire des chansons mémorables du genre de celles qui font mouche à la première écoute. Ecoutez la ligne funky de Bound For Glory poussée dans le dos par une section de cuivres en seconde ligne qui a bien compris qu’’elle n’est pas là pour jouer jazzy, ou Don't Let Me Slide dans lequel Trucks fait tout le contraire en délivrant un solo sinueux avec un son phénoménal et une approche restreinte qui n’appartient qu’’aux meilleurs. Ici et là, la musique se teinte d'influences orientales comme sur These Walls, ou de jazz New-Orleans sur l’intro d’Until You Remember, tandis que sur Learn How to Love et sur Shrimp And Grits, la guitare s'associe à un orgue Hammond pour un groove hendrixien qu'on jurerait extrait de Electric Ladyland. Et quand les voix et les guitares des deux leaders se rencontrent enfin sur Love Was Something Else To Say, on assiste abasourdi à l'apothéose d'une œuvre en tout point remarquable. Pas étonnant que cet album ait remporté en 2012 un Grammy Award dans la catégorie "Best Blues Album". Sans renier une évidente filiation avec la musique populaire américaine, Revelator s’impose sans difficulté par ses qualités musicales et techniques ainsi que par la multitude et le brassage des genres abordés, donnant un coup de fouet au blues-rock américain qui a plutôt tendance à vivre sur ses lauriers en se contentant de recycler les vieux clichés.

[ Revelator (CD & MP3) ]
[ A écouter : Don't Let Me Slide - Learn How To Love ]

KGB (MCA Records), USA 1975 - Réédition CD remastérisée (Lemon Recordings), 2005

L’acronyme KGB qui renvoie au célèbre service de renseignement de l'Union Soviétique post-stalinienne est en fait constitué des initiales de trois des membres du groupe: le chanteur Ray Kennedy, Barry Goldberg (Electric Flag) aux claviers et le fameux guitariste Mike Bloomfield (Paul Butterfield Blues Band) à la guitare. Avec en plus le bassiste Rick Grech (Family, Blind Faith et Traffic) et le batteur Carmine Appice (Vanilla Fudge, Cactus) à bord, KGB était un authentique super-groupe propre à attiser la curiosité de tous les amateurs des formations précitées. En fait, à la première écoute, KGB ne tient pas ses promesses: la musique est un rock / soul académique emmené par la voix puissante et émotionnelle de Kennedy, soutenue à l’occasion par des chœurs féminins qui accentuent le côté funk ou gospel de certaines compositions mais il y manque toutefois ce grain de folie qu’on aurait pu attendre de la part de musiciens pareils. Pourtant, quand on y prête plus d’attention, la musique est superbe. Bloomfield, qui a définitivement tiré un trait sur son statut de guitare-héro, joue ici de façon discrète mais illumine quand même les arrangements de chapelets de notes émotionnelles dont il a le secret et qui ont fait de lui l’un des plus grands guitaristes de blues blanc au monde. Ecoutez-le louvoyer sur les superbes accords et les changements de rythme de I've Got A Feeling, une incroyable reprise de la chanson des Beatles qui figurait sur l’album Let It Be, ou encore prendre un court solo d’anthologie à la fin de It's Gonna Be A Hard Night. On n’échappe pas à la reprise du fameux Sail On Sailor qui fut composé par Kennedy pour l’album Holland des Beach Boys mais cette nouvelle version, drapée dans un arrangement orchestral intense, sonne de manière glorieuse. Le disque inclut aussi Workin' For The Children, un surprenant reggae co-écrit par Bloomfield et Goldberg qui aère le répertoire et se termine sur un autre excellent solo du guitariste. L’enregistrement techniquement superbe, supervisé par Jim Price qui joua avec Bobby Keys sur les trois meilleurs albums des Rolling Stones, explique que KGB a gardé le même impact à travers les décennies. L’album, sans doute trop sage ou trop conventionnel, n’a pas trouvé son public si bien que Bloomfield et Grech ont quitté la formation après la sortie du LP. KGB enregistra pourtant avec des musiciens de remplacement un second disque intitulé Motion qui n’aura guère plus de succès que le premier. En réécoutant ce disque aujourd’hui, on se dit que Mike Bloomfield aurait dû s’accrocher au lieu de s’enliser par la suite dans une série de disques de blues inaboutis qui n’ajouteront rien à sa gloire. KGB avait une pêche d’enfer et le niveau musical est époustouflant mais, à l’époque, personne ne s’en est aperçu: il est encore temps de redécouvrir ce disque, introuvable depuis longtemps et maintenant remastérisé sur CD avec un soin maniaque par le label Lemon Recordings.

[ KGB (CD) ]
[ A écouter : Midnight Traveler - I've Got A Feeling - It's Gonna Be A Hard Night ]

Delta Moon : Black Cat Oil (Peppercake / ZYX Music), USA 2012

Difficile d'innover dans ce genre balisé appelé blues. Alors quand surgit de la scène d'Atlanta une musique comme celle de Delta Moon, l'oreille se dresse et le pouls s'accélère. Il faut dire qu'un duo de guitares "slide", ce n'est déjà pas courant surtout quand l'interaction entre les deux hommes est portée à un tel niveau d'intensité. Ce n'est pas que Tom Gray et Mark Johnson soient particulièrement virtuoses mais la manière dont ils combinent une "lap steel" avec une électrique en "open tuning" est remarquable. Tel le hurlement des coyotes ou le feulement du vent dans le désert, les sons fusent de partout et vous enrobent sans qu'on ne sache trop d'où ils viennent. Attention : Delta Moon n'enfante pas un blues-rock massif et fulgurant à la Kenny Wayne Shepherd ou à la Walter Trout mais plutôt une musique atypique et lancinante, mystérieuse parfois, qui revendique ses origines situées quelque part dans le Sud des Etats-Unis. On pense au "swamp blues", à David Lindley, à Ry Cooder ou à Sonny Landreth mais la plupart du temps, leur musique affiche un son original. Tom Gray a une voix rocailleuse mais paradoxalement plutôt fragile. En tout cas, il arrive à donner vie à ses textes particulièrement bien écrits dont le message globalement positif est universel. En plus des originaux, le répertoire compte aussi une superbe reprise de Write Me A Few Of Your Lines de Fred McDowell, un des grands maîtres ancestraux du bottleneck et de la guitare slide. Black Cat Oil fait évidemment référence aux pratiques voodoo qui hantent le blues depuis plusieurs générations. Faites avec cet album comme on faisait jadis avec l'huile de chat noir : si ça ne vous comble pas tout de suite, rajoutez-en un peu et vous ne pourrez plus vous en passer.

[ Black Cat Oil (CD & MP3) ]
[ A écouter : Black Cat Oil (live in Nashville, USA, 5/12/2012) - Black Coffee (live in Norderstedt, Allemagne, 23/4/2013) ]

The Paul Butterfield Blues Band (Elektra), USA 1965

Le second opus du Paul Butterfield Blues Band, East-West, est resté dans l’histoire du rock comme un album novateur ayant ouvert les portes aux longues improvisations que les groupes de la Côte Ouest, comme Jefferson Airplane, intègreront bientôt dans leurs concerts. Mais pour les amateurs de blues, celui-ci, paru une année auparavant, compte parmi les plus grandes réalisations du genre : le disque fut d’ailleurs classé à la onzième place des 50 meilleurs albums de blues par le célèbre magazine américain Downbeat juste avant Albert Collins et Robert Cray. Ce premier essai fut initié par le producteur d’Elektra, Paul Rothchild, qui enregistra la formation en studio en décembre 1964, puis en live au Cafe Au Go Go à New York City et, insatisfait des résultats, une troisième fois en studio en décembre 1965 avec l’addition de Mark Naftalin à l’orgue sur six titres. Ces derniers enregistrements sont ceux de l’album officiel, les premiers ayant été réédités en 1955 sur The Original Lost Elektra Sessions. Dès les premières mesures de Born in Chicago, une reprise d’une composition de Nick Gravenites, on est confronté à un drive intense imposé par l’harmonica de Paul Butterfield et la rythmique composée du bassiste Jerome Arnold et du batteur Sam Lay, tous deux débauchés du band de Howlin’ Wolf. Entre parenthèses, le quintet de Paul Butterfield fut l’un des tout premiers en Amérique à mixer des musiciens noirs et blancs et, en parallèle avec les formation britanniques, à faire chanter le blues par un artiste blanc. Les solos de guitare sont denses et concis : tous sont interprétés par le grand Mike Bloomfield (écoutez-le pleurer sur Last Night), le second guitariste nommé Elvin Bishop, pourtant également excellent, étant confiné à la guitare rythmique (il gagnera bientôt le droit de s’exprimer lui aussi sur le prochain opus). Le style est du pur Chicago Blues mais revitalisé avec une passion débordante qui suinte des huit reprises et trois originaux composant le répertoire. Les grands classiques comme Shake Your Moneymaker, I Got My Mojo Working et Look Over Yonders Wall retrouvent ainsi une vigueur naturelle qui ne passera pas inaperçue puisqu’elle remettra le blues au goût du jour et l’imposera du même coup au public blanc ensorcelé.

[ Paul Butterfield Blues Band (CD & MP3) ] [ The Lost Elektra Sessions ] [ East-West ]
[ A écouter : Born In Chicago - Last Night ]

Mighty Mo Rodgers : Red, White and Blues (Verve), USA 2002

Maurice Rodgers, aujourd’hui plus connu sous le nom de Mighty Mo Rodgers, est une sorte d’intellectuel du Blues. Détenteur d’un diplôme en philosophie et ensuite enseignant dans les quartiers difficiles de Los Angeles, il est aussi un musicien qui s’est donné pour mission de rendre au blues une signification spirituelle en droite ligne avec l’histoire du peuple afro-américain, depuis l’esclavage des premiers temps jusqu’à aujourd’hui. Du coup Maurice le Tout-Puissant n’est pas très intéressé par les prouesses instrumentales et n’a que faire des solos : seules comptent les paroles chantées sur des musiques généralement assez simples et dans des arrangements sans trop de fioritures. D’ailleurs, il n’aime pas les guitares qui, selon lui, ont détourné le public du vrai blues qui vient d’une tradition orale. Heureusement, il possède une voix rauque et expressive dont tous les chanteurs de soul et de blues rêvent d’être pourvus. Et bien souvent, ses compositions font mouche même si, sur la durée d’un album complet, on a parfois envie de passer à autre chose. Paru en 2003, Red, White And Blues est son second disque, après Blues Is My Wailin' Wall sorti quatre années auparavant, et ce n’est sûrement pas le plus mauvais (évitez surtout son dernier en date, Dispatches From The Moon, trop naïf et commercial). La pochette porte déjà un message. On y voit un enfant noir tenant la bannière étoilée : Maurice Rodgers lui-même à deux ans, photographié dans le Sud au milieu des années 40 à un endroit et à une époque où les Noirs n’avaient aucun droit civique. C’est que Mighty Mo se sent américain même si ses textes sont polémiques et attirent la controverse. Ainsi en est-il de DNA, à propos des amours du président Thomas Jefferson avec une femme de couleur (qu’il emmena en France quand il y fut ambassadeur) ou The Boy Who Stole The Blues qui décrit comment Elvis Presley est devenu riche en s’appropriant le blues. Au plan musical, l’homme fait le tour des musiques noires. On y entend du hip hop (The Holy Howl), du boogie à la John Lee Hooker (The Boogie Man), de la Soul (DNA), du Folk (Have You Seen The American Dream) et même du reggae (Prisoners Of War), tout ça pour exprimer à sa façon, selon la célèbre phrase de Willie Dixon, que si le blues est les racines, tout le reste est ses fruits. Original et malin certes, mais pas nécessairement le genre de plat dont raffolent les amateurs de blues classique.

[ Red, White And Blues (CD & MP3) ]
[ A écouter : The Boy Who Stole The Blues ]

Eric Burdon and Jimmy Witherspoon : Guilty! (LP MGM), UK/USA 1971 - Réédition CD remastérisé : Black & White Blues (ARG Records/BMG) 1999

Voici une autre excellente collaboration entre un chanteur blanc britannique (Eric Burdon, ex-Animals) et un authentique bluesman afro-américain, Jimmy Witherspoon, qui fit ses débuts avec l’orchestre de Jay McShann dans les années 40. En fait, associer ces deux là sur un même album était une riche idée car ce sont deux grandes gueules dotées de voix puissantes aussi bien capables de transmettre l’émotion du blues que la chaleur du R’n’B. Au début des années 70, Burdon, sans doute pour des raisons de santé, venait de quitter brusquement le groupe War tandis que Witherspoon avait décidé de s'éloigner de la scène pour s'établir à Los Angeles en prenant temporairement un job de disc jockey. Ce disque aurait du les remettre en selle mais malheureusement, il n'a connu aucun succès à sa sortie et ne s'est guère vendu. En le redécouvrant aujourd’hui dans sa réédition en compact, on constatera combien les deux hommes formaient une combinaison parfaite : leurs voix ont chacune une puissance extraordinaire et un timbre unique qui en font deux monstres sacrés du "shouting blues". Le groupe WAR (dont Lee Oskar à l'harmonica, Papa Dee Allen aux percussions, Howard E. Scott à la guitare et l’excellent Lonnie Jordan aux claviers plus les riffs de cuivres) intervient sur un titre (Home Dream) uniquement chanté par Burdon et déjà enregistré en août 1969 avant qu’il n’abandonne la formation. Les autres morceaux, gravés aux studios MGM à Hollywood le 31 juillet 1971, bénéficient d’un accompagnement correct par des musiciens de studio et certains arrangements sont plutôt élaborés (écoutez par exemple la combinaison orgue – vibraphone sur I've Been Driftin'/Once Upon A Time). Le répertoire contient des classiques du British Blues (The Laws Must Change de John Mayall), une reprise de Chuck Berry (Have Mercy Judge) et quelques originaux plus un superbe gospel transcendé par les choeurs du Révérend James Cleveland (The Time Has Come). Tout cela est produit efficacement par Jerry Goldstein, producteur de War et ancien manager de Sly and the Family Stone. Le seul bémol consiste finalement en une version approximative du standard Goin' Down Slow, enregistrée live dans de mauvaises conditions en mai 1971 pendant un concert à la prison de San Quentin dans la baie de San Francisco, dans laquelle on peut entendre un des détenus, Ike White, chanter et jouer de la guitare. Sorti initialement en 1971 et baptisé Guilty (coupable), le LP a été réédité une première fois en 1976 sous le nom de Black & White Blues (LA Records GG 58001) et ensuite en compact en 1999 (ARG Records/BMG). L'ancienne pochette montrant un individu non identifié (serait-ce Barry Jenkins, le batteur des Animals ?) dont le crâne est une prison, fut imaginée par Burdon et faisait référence à l'univers carcéral qui constitue globalement le thème de l'album. Elle a été remplacée sur les rééditions successives par une photographie plus banale montrant les deux chanteurs voyageant côte à côte dans un bus, probablement pendant la tournée qui a suivi l’enregistrement de l’album. Magnifique rencontre comme le blues sait parfois en produire, ce disque est tout particulièrement conseillé à ceux qui ont tendance à rouler trop vite sur l'autoroute. Entendre en effet les deux compères chanter à l'unisson "Ayez pitié, je suis dans de sales draps, attrapé par la police routière..." devrait en principe les inciter à lever le pied !

[ Black & White Blues sur Amazon.fr ] [ Black & White Blues sur Amazon.co.uk
[ A écouter : Steam Roller - Have Mercy Judge - Headin For Home - The Time Has Come ]

And I feel so lonesome
you hear me when I moan
When I feel so lonesome
you hear me when I moan
Who been drivin' my Terraplane
for you since I've been gone


Et je me sens si seul
m'entends tu quand que je gémis ?
Quand je me sens si seul
m'entends tu quand que je gémis ?
Qui conduit ma Terraplane
pour toi depuis que je suis parti ?


Robert Johnson in Terraplane Blues, 1936


A écouter : La playlist de DragonJazz : Texas Guitar Blues


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