Le Rock Progressif

Disques Rares, Rééditions, Autres Sélections


Série IV - Volume 8 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 4 ] [ 5 ] [ 6 ] [ 7 ] [ 9 ] [ 10 ]

The Windmill : The Continuation (Windmill Records), Norvège 2013



Constituée en Norvège en 2001, cette formation a immédiatement adopté une ligne directrice dont elle ne déviera plus: produire un rock progressiste symphonique largement inspiré par celui des seventies (Genesis, Camel, Jethro Tull, Pink Floyd…) mais aussi par le néo-prog des années 80 (Marillion, Pendragon). Après un premier disque laborieux sorti en 2010 et laconiquement intitulé « To Be Continued? », ce second opus dénommé assez logiquement « The Continuation », poursuit sur la même voie à la recherche du temps perdu. Ce n’est pas un reproche en soi si la musique est bonne et interprétée avec suffisamment de passion. Et le fait est que The Windmill a quelques atouts dans la manche en la présence d’excellents instrumentistes et dans cette faculté de composer des mélodies attachantes enrobées dans des arrangements élaborés. Tout cela transparaît fort bien dans The Continuation, le court instrumental qui ouvre cet album sous de bons auspices. Première composition épique, The Masque introduit la voix pas exceptionnelle mais plaisante de Morten Clason (l'un des trois chanteurs de The Windmill) tandis que les parties de guitares, acoustique et électrique, emportent l'adhésion. Not Alone, qui bénéficie d'une excellente partition de flûte, confirme l'excellence du groupe à créer de petites miniatures ciselées avec soin. Chanté cette fois par Erik Borgen, ce morceau ample et nostalgique, qui est capable d'emmener l'auditeur en promenade dans un paysage bucolique, constitue le meilleur moment du disque. Malheureusement, Giant Prize rompt le charme installé depuis le début de l'album en recourant à un tempo exotique proche du reggae qui, dans ce contexte, s'avère vite lassant. L'album se clôture par The Gamer, un titre fleuve de 25 minutes qui traite des conséquences de l'addiction aux jeux électroniques. Cette composition à tiroirs comprend de bonnes sections mais aussi quelques passages binaires trop longs et répétitifs qui en émoussent l'intérêt. On épinglera aussi la partie de saxophone et de piano jazzy en soi roborative mais qui, parachutée de nulle part, n'a aucune cohérence ni raccord avec la partition globale. En dépit de ses lacunes, The Continuation, bien présenté dans un joli digipack dessiné par l'épouse du claviériste Jean Robert Viita, devrait séduire les amateurs de prog rétro, entre rock et folk, aux textures bien travaillées. D'autant plus qu'il n'y a pas tellement de productions réussies dans ce style qui soient sorties cette année.

[ The Continuation ]
[ Not Alone (extrait de l'album The Continuation) ]

Tokamak : Solitude (Indépendant), France 2012
Deux années après un mini-CD prometteur sorti en 2010, Solitude est le premier vrai album de Tokamak, groupe de rock originaire de Marseille qui a choisi de chanter en français. Résultat d’un processus évolutif impressionnant, on sent dès les premières notes que le travail et l’expérience acquise pendant les concerts ont payé. Le chant de Jorge Dias est habité, les chansons installent des climats dont la profondeur est indéniable et les structures se sont considérablement épaissies grâce à l’ajout d’un claviériste (Rémi Gallimard). La plupart des titres sont du rock classique joué en tempo moyen mais avec quelques dérives progressistes et un côté sombre qui n’échappera à personne. Les textes sont à l’avenant, exprimant le doute (J’ai tant de mal à percevoir dans le brouillard quelle est la suite de mon histoire), l’isolement (Je préfère cacher mes blessures, m’enfermer dans cette pièce obscure car chaque regard est une morsure), voire la schizophrénie (La haine a pris tous les visages pour nous enfermer dans des cages …). La pochette du digipack, lui aussi tout noir, est à cet égard très parlant avec cette boule rouge incongrue perdue au milieu de ses consœurs grises. La sonorité épaisse est dominée par la guitare de Thierry Vidal qui évite tout effet de virtuosité et ignore les complications stériles. Ses riffs sobres et robustes drivent une musique menaçante à travers les paysages désolés d’un monde futuriste qui s’est autodétruit (le genre humain va finir son règne le temps que ma vie s’éteigne). Bien écrites, les paroles font mouche tandis que naissent des visions obsédantes. Au milieu du répertoire figure un drôle de rap / rock, deux genres par essence antinomiques qui sont ici intégrés avec une belle fluidité. Parfois, comme sur Qui Sait? ou sur le superbe Elle, des traits de lumière trouent les ténèbres tandis que la musique dense se fait soudain plus légère et harmonieuse. A noter que le disque contient un onzième titre caché : un instrumental éthéré joué à la guitare qui termine le répertoire sur une note mélancolique porteuse d’espoir. Après un voyage éprouvant au cœur de ruines fumantes, le soleil resplendit enfin. Sur leur site, les membres de Tokamak souhaitent connaître ce qu’on pense de leur musique: ils n’ont aucun souci à se faire, leur premier long-métrage aussi obscur qu’ambitieux est une belle réussite!

[ Tokamak Website ]

The Tangent : Le Sacre Du Travail (InsideOut), UK 2013
Apprendre qu'Andy Tillison fut capable de réunir un nouveau groupe aussi vite après la dissolution du line-up de Comm était déjà une surprise mais qu'un album conceptuel aussi ambitieux que celui-ci aie pu voir le jour dans la foulée en est une autre. Musicalement, l'inspiration est venue du Sacre Du Printemps de Stravinsky sans toutefois aucune reprise explicite des thèmes, très protégés, de la composition originale comme l'avait fait jadis Emerson, Lake & Palmer pour les Tabeaux D'une Exposition de Mussorgsky. Pour des raisons financières, Tillison n'a pu faire appel à un grand ensemble et a choisi d'orchestrer sa musique au synthé avec quand même l'aide appréciable du talentueux flûtiste Théo Travis qui ajoute énormément aux harmonies. Il en résulte une véritable symphonie électrique constituée de cinq mouvements dont deux s'étendent sur plus ou moins vingt minutes. Au plan du concept qui fait, lui, plutôt référence au fameux Days Of Future Past des Moody Blues, l'oeuvre explore la relation quotidienne de l'être humain avec le travail, chaque mouvement étant dès lors consacré à une partie de la journée. Il s'agit là toutefois d'une vision plutôt basique et terre à terre, voire aliénante plutôt que motivante, d'un jour de labeur tel qu'il peut être globalement perçu par l'homme moyen vivant en Occident. Drôle de sujet pour un disque de rock progressiste et on constatera d'ailleurs à plusieurs reprises une certaine dichotomie entre des textes assez plats et une musique rock pas toujours en phase avec le sujet abordé.

L'ouverture (Coming Up On The Hour), qui commence logiquement par un réveil radio, est plutôt réussie et même musicalement prometteuse avec en plus une bonne introduction au thème sous la forme d'une narration par Rikard Sjoblom du groupe Beardfish. On entre alors dans le second mouvement (Morning Journey & The Arrival), le plus long de l'album avec une durée qui frôle les 23 minutes. Même si les musiciens ne se sont jamais trouvés ensemble dans le studio et ont enregistré leurs parties à distance en communiquant via Dropbox, les orchestrations sonnent bien, évoquant à l'occasion le côté pastoral de certains passages du Sacre du Printemps, tandis que l'ensemble contient quelques parties instrumentales plaisantes. Par contre, les paroles terre à terre et les longs passages chantés par Andy Tillison, dont la voix n'a rien d'exceptionnel, engendrent parfois l'ennui. Il manque ici le mystère d'un Musical Box, le merveilleux d'un Roundabout ou la fantaisie d'un Gates Of Delirium pour emporter l'adhésion et on se demande en fin de compte si la démesure du rock progressiste s'accommode bien de la banalité d'un sujet comme celui traité ici.

Afternoon Malaise, troisième mouvement, séduit davantage en mettant en exergue les performances individuelles des musiciens. Le solo de saxophone de Théo Travis est jouissif tandis que Tillison se fend de chouettes variations jazzy sur son orgue vintage. Quant à la rythmique composée de Jonas Reingold (basse) et de Gavin Harrison (drums), elle assure une trame solide qui bénéficie à tout le monde. Le quatrième mouvement, A Voyage Through Rush Hour, est un court instrumental sur fond de piano avant la conclusion de la journée dénommée Evening TV qui constitue la cinquième et dernière section. C'est également une bonne composition, plus condensée, plus progressiste, et surtout dotée d'une ligne mélodique dont on ne perd pas le fil.

La pochette conçue par Martin Stephen, en rappelant certaines peintures abstraites du XXème siècle, complimente joliment cette musique rock conçue comme une oeuvre classique contemporaine. Une oeuvre qui, si elle ne parvient pas à se hisser tout à fait à la hauteur de ses ambitions, n'en offre pas moins beaucoup de moments agréables dont on aurait tord de ne pas profiter.

[ Le Sacre Du Travail (CD & MP3) ]
[ A écouter : le Sacre Du Travail : Présentation (Teaser) et Evening TV ]

Warm Dust : Peace For Our Time (Trend), UK 1971 - Réédition 2 LP couplés sur 1 CD Peace For Our Time / Warm Dust (Red Fox Records), 2001
Apparu au début des 70's, cet obscur sextet anglais, qui comptait deux saxophonistes / flûtistes à bord, fait partie des groupes de rock cuivré. Trois LP furent édités entre 1970 et 1972 dont celui-ci qui, sans être nécessairement le meilleur, est par contre le plus ambitieux. Il s’agit en effet d'un album conceptuel dénonçant une conspiration des nations occidentales dans le but d'imposer une tyrannie mondiale. S'en suit une description des guerres et conflits récents assortis de quelques réflexions parfois naïves dans l'esprit de l'époque. Les sept premiers morceaux du disque sont ainsi tous précédés d'une courte narration retraçant brièvement quelques grands évènements historiques internationaux tandis que dernier commentaire se réfère à une situation future imaginaire. Le titre de l'album, Peace For Our Time, reprend les mots prononcés le 30 Septembre 1938 par le Premier Ministre Britannique Neville Chamberlain après les Accords de Munich, des accords par ailleurs inutiles puisqu'ils n'eurent pratiquement aucun effet sur les intentions belliqueuses de l'Allemagne nazie. Malgré le rôle prépondérant des deux souffleurs, la musique n'a rien à voir avec celle des formations américaines comme Chicago ou Blood Sweat &Tears mais s'inscrit plutôt dans une tradition britannique en s'inspirant surtout de la scène de Canterbury (de Soft Machine à Caravan) avec parfois un zeste de Colosseum. Globalement, les compositions sont variées, bien écrites et certaines d'entre elles sont même fort réussies comme le très enlevé Blood Of My Fathers avec sa double attaque de saxophone et sa voix trafiquée ou le psychédélique Winds Of Change. Le son bénéficie souvent de la présence d'un orgue Hammond vintage joué d'une manière experte par Paul Carrack, le seul membre de Warm Dust qui connaîtra par la suite le succès en chantant et en jouant entre autre pour Squeeze, Mike + The Mechanics avec Mike Rutherford, Roxy Music (sur l'album Manifesto en 1979), et Roger Waters (Radio K.A.O.S.) en plus de ses disques en solo. On peut l'écouter ici groover sur le rock funky Justify et soloter sur l'excellent Rejection qui combine flûte et orgue d'une bien belle manière. En dépit de son concept daté, Peace For Our Time reste un bon album injustement méconnu qu'on peut raisonnablement conseiller aux amateurs de rock cuivré progressiste et psyché tel qu'on le jouait en Angleterre dans les années 60 et 70.

[ Peace for Our Time / Warm Dust (CD) ]

Budgie : Never Turn Your Back On A Friend (MCA), UK 1973 - Réédition CD remastérisée + 3 titres en bonus (Noteworthy), 2004
Formé en 1967 au Pays de Galles, Budgie trouva rapidement son style qu’on peut décrire comme un hard-rock classique empruntant aussi bien à Black Sabbath qu’à Wishbone Ash ou à Rush (celui du premier album éponyme), cette dernière référence sautant immanquablement à l’esprit après avoir entendu la voix falsetto du chanteur Burke Shelley dont la hauteur tonale évoque celle de Geddy Lee. Si les deux premiers disques (Budgie, 1971 et Squawk, 1972) sont des réussites sans surprise, le troisième, Never Turn Your Back On A Friend, sort du business habituel. Le premier titre nommé Breadfan est bâti sur un riff dévastateur, lourd et speedé, qui annonce avec quelques années d’avance un nouveau genre qu’ont appellera plus tard le heavy métal. Metallica reprendra d’ailleurs ce morceau mémorable qui figure sur le double disque « Garage, Inc. » de 1998, faisant du même coup de Budgie un groupe culte que certaines personnes, qui n’en avaient jamais entendu parler, ont eu soudain envie de découvrir. Après un classique du blues emprunté à Big Joe Williams, Baby Please Don't Go ici décliné à toute allure, la ballade acoustique You Know I'll Always Love You est une belle accalmie au cœur de l’orage. Démarrant sur un solo de batterie doté d’un effet « flanger », You're The Biggest Thing Since Powdered Milk impose un groove en béton lacéré par une guitare basse haut perchée qui rappelle celle d’Andy Fraser (Free) dans Mr Big. In The Grip Of A Tyrefitters Hand confirme cette attirance particulière de Budgie pour les titres alambiqués ainsi que pour les bombardements d’artillerie lourde. Après une autre jolie ballade acoustique, la longue plage Parents louvoie en mid-tempo sur une structure plus proche du rock classique qui favorise de beaux lâchers de guitares avant de se fondre dans les cris perçants des oiseaux marins. De 1971 à 2006, Budgie a sorti quelques 14 albums mais celui-ci restera dans l’histoire comme leur opus majeur. Il démontre en tout cas de manière magistrale que Budgie, dont le nom est celui d’une perruche colorée originaire du désert australien, savait voler.

L’album est doté d’une belle pochette dessinée par Roger Dean sur laquelle on voit une perruche géante mise en situation, cet animal, qui est le symbole du groupe, réapparaissant de manière récurrente sur tous leurs albums. Ce n’est certes pas la meilleure œuvre du grand designer britannique mais elle réussit quand même, par son thème fantastique et ses belles couleurs, à focaliser les regards des amateurs potentiels sur ce disque particulier un peu plus progressiste que les autres productions du groupe. La réédition CD de 2004 par Noteworthy Productions comprend trois titres en bonus : une version alternative de Breadfan et une autre live enregistrées toutes deux en 2003 ainsi qu'une version acoustique de Parents de 2004. Le CD a un son amélioré par rapport à celui du label Repertoire qui date de 1989 (RR 4013) sans toutefois dépasser celui de l'édition japonaise (MCA WMC5-83) de 1990.

[ Never Turn Your Back on a Friend (CD Noteworthy) ]

Toe Fat : Toe Fat (EMI Parlophone / Rare Earth), UK 1970 - Réédition CD couplée avec Toe Fat 2 (Beat Goes On - 2 CD), 2002
Formé en juin 1969, Toe Fat avait quelques atouts dans sa manche. D'abord, le chanteur vétéran Cliff Bennett (Rebel Rousers) possède une voix rocailleuse qui ne manque pas de soul. Ensuite, la formation inclut aussi le talentueux guitariste, claviériste et chanteur Ken Hensley, qui fera ultérieurement les beaux jours d’Uriah Heep, ainsi qu'une section rythmique haut de gamme se composant du batteur Lee Kerslake (futur membre d'Uriah Heep également) et du bassiste John Glasscock qu'on retrouvera plus tard chez Jethro Tull. Le style hard-rock pétri de boogie et très légèrement progressif du groupe est encore en 1970 un style qui plaît à un large public. Quant aux compositions originales, pourtant créditées à Bennett seul, elles portent indéniablement la marque du savoir-faire de Hensley (qui composera plus tard des pièces aussi fameuses que Look At Yourself, Easy Livin', Blind Eye ou Rainbow Demon). A mi chemin entre Humble Pie et Spooky Tooth, la musique regorge d'énergie avec plusieurs titres qui volent au-dessus de la moyenne comme ce That's My Love For You et sa guitare fuzz incisive, Nobody hanté par une cohorte de six-cordes psychédéliques au son éraillé qui se disputent les deux canaux de la stéréo, ou encore Bad Side Of The Moon, une composition d'Elton John fort bien chantée par Hensley qui aurait pu devenir un succès commercial. A noter aussi un Just Like All The Rest plus élaboré qui, contrairement à ce que laisse supposer son titre, se démarque du reste de l'album par l'addition d'une flûte et d'un harmonica joués par Mox, un inconnu qui laissera aussi quelques traces sur deux disques de Jackson Heights. Malgré toutes ces bonnes nouvelles, Toe Fat fut un flop commercial aussi bien en Angleterre qu'aux USA où l'abum fut pourtant édité par le label Rare Earth sous l'égide du tout puissant Motown. Peut-être doit-on en chercher la cause dans le nom peu attrayant du groupe, ou encore dans la repoussante pochette pourtant conçue par la jeune firme Hipgnosis. Une pochette qui fut par ailleurs modifiée pour le marché US afin d'éviter de heurter la bonne conscience des Américains que l'on sait toujours très susceptibles vis-à-vis des produits culturels importés : deux personnages inoffensifs mais nus sur la plage ont en effet été brushés à la hâte et remplacés un chien!!! Et c’est sans sans parler d'une certaine confusion dans les noms des musiciens ayant réellement joué sur l'album. Quoi qu’il en soit, ceux qui apprécient le rock lourd de Black Sabbath, Uriah Heep, Warhorse et autres Gravy Train sont fortement invités à écouter cet album qui, sans être très original, n’en est pas moins plutôt réussi.

[ Toe Fat I / Toe Fat II (CD) ]

Barclay James Harvest : Live (2 LP Polydor), UK 1974 - Réédition Cd remastérisée (Esoteric Recordings), 2009
Barclay James Harvest : Live Tapes (2 LP Polydor), UK 1978 - Réédition CD remastérisée + 3 titres en bonus (Esoteric Recordings), 2009




Dans les années 70, Barclay James Harvest a sorti deux doubles albums "live", chacun reflétant une période différente de leur histoire.

Sorti en 1974, Barclay James Harvest Live fut enregistré en Angleterre sur deux concerts, le groupe interprétant 4 titres de leur dernier disque en studio, Everyone Is Everybody Else, et 7 extraits des albums précédents gravés pour le label Harvest/EMI. Seul le premier LP éponyme de 1970 n'est pas représenté alors que l'excellent Dark Now My Sky aurait complété à merveille le répertoire en forme de "best of" présenté ici. Le groupe est au sommet de sa forme et la musique éclate dans toute sa splendeur. L'orchestre symphonique des débuts a été remplacé par le mellotron de Stuart Wooly Wolstenholme, véritable maître de l'instrument. Harmonies vocales, guitares légèrement acides et nappes sonores sont les trois composantes principales de cette fantastique musique qui peina pourtant à s'imposer. Heureusement, ce Live rencontra finalement le public et grimpa dans le Top 40 en Angleterre redonnant ainsi de l'espoir à un groupe en manque de ressources financières. S'il souffrait à l'époque d'un son assez plat, la remastérisation en CD lui procure aujourd'hui une nouvelle dynamique exceptionnelle, rendant enfin justice à l'un des albums live parmi les plus essentiels du rock progressiste symphonique.

Live Tapes, sorti en 1978, est d'un autre calibre. Une fois passé sur le label Polydor, BJH a modifié son approche, composant désormais des chansons plus linéaires, mélodiques et soyeuses dans un style entre les Moody Blues et le Alan Parsons Project. A part l'incontournable Mockingbird, tous les titres sont extraits des albums parus sur Polydor qui furent leurs plus grands succès : Everyone Is Everybody Else (1974), Octoberon (1975) et Gone To Earth (1976). La guitare légèrement saturée est désormais mise avant, avec encore plus de mordant en live qu'en studio, tandis que le mellotron et les autres claviers sont relégués au second plan en soutien harmonique. Un rôle certes essentiel mais qui ne satisfaisait pas tout à fait ce grand créateur de murs sonores qu'était Wolstenholme. Le son plus feutré est mieux capté que dans le "Live" de 1974 tandis que les versions des titres retenus ont été sélectionnées pour leur qualité parmi toute une série de concerts enregistrés sur deux tournées en 1976 et 1977.

Comme les répertoires sont différents (mis à part Mockingbird, Crazy City et For No One), il n y a pas trop de redondance entre les deux doubles LP et si un choix doit être fait, ce ne peut être que sur base de l'intérêt que l'on porte à une musique plus complexe, symphonique et progressiste (Live) ou plus pop, chaleureuse et mélodique (Live Tapes). Pour ma part, j'apprécie les deux époques de BJH et je n'ai jamais cessé, pour le plus grand plaisir, de réécouter ces deux albums en alternance.

Les rééditions remastérisées en CD, éditées en 2009 par Esoteric Recordings, sont de qualité, surtout celle du Live de 1974 dont le relief sonore initial déficient a été nettement amélioré. Quand à Live Tapes, on a ajouté trois titres en bonus inédits (Medicine Man, The World Goes On et Hymn for the Children) qui en rehaussent encore l'intérêt.

[ Live (Esoteric Recordings) ] [ Live Tapes (Esoteric Recordings) ]

Votum : Harvest Moon (Mystic Production), Pologne 2013
Début 2013, Riverside édite son nouvel album et toutes les oreilles sont attentives, conscientes que le groupe a apporté un vent de fraîcheur en combinant diverses tendances qui vont du space-rock floydien au métal progressiste en passant par un néo-prog classique dont les Polonais se sont fait une spécialité. A peu près au même moment sort également ce Harvest Moon réalisé par Votum, une formation constituée à Warszawa vers 2003 qui, malgré deux disques intéressants sortis en 2008 et 2009, est constamment resté sous le radar des amateurs. Pourtant, leur musique n’est pas fondamentalement différente de celle de Riverside tout en offrant aussi quelques particularités qui les démarquent quand même de leurs compatriotes. Cette troisième production pourrait bien changer les choses. Croisant le versant musclé du premier compact (Time Must Have A Stop, 2008) avec les ambiances plus atmosphériques du second (Metafiction, 2009), Harvest Moon parvient à créer un univers attachant. La prise de son est grandiose, amplifiant fortement l’effet de la musique. Si le claviériste reste discret en se contentant d’enrichir les textures, les deux guitaristes en profitent et se retrouvent la plupart du temps au centre de la mêlée. La basse est énorme, assurant avec le batteur un drive impressionnant sur lequel dérive la voix de Maciej Kosinski qui chante en anglais des textes fort bien écrits. Peu ou pas d’effets pyrotechniques dans ces chansons qui brillent surtout par leurs arrangements très lustrés. On pense parfois à Porcupine Tree et beaucoup à Riverside mais davantage à celui des trois premiers albums (Out Of Myself, Second Life Syndrome et Rapid Eye Movement) qu’à la formation d’aujourd’hui dont la musique a évolué. Dans tous les cas, ceux qui ont apprécié les charmes de cette superbe trilogie polonaise retrouveront ici un style similaire et seront probablement conquis par la qualité mélodique, les climats multiples et la puissance de feu de Votum.

[ Votum Website ] [ Time Must Have A Stop ] [ Metafiction ] [ Harvest Moon ]

Pete Brown & Piblokto! : Thousands On A Raft (Harvest), UK 1970 - Réédition CD remastérisée + 2 titres en bonus (Repertoire), 1994
Ayant acquis une renommée enviable en tant que parolier du groupe Cream (I feel Free, Sunshine Of Your Love, Swlabr, White Room, Politician, …), Pete Brown persévéra dans la musique en tant que parolier mais aussi chanteur en fondant The Battered Ornaments. Alors que le groupe s’était assuré un avenir en signant avec le prestigieux label Harvest, Pete Brown en fut éjecté une journée avant de se produire en concert à Hyde Park en ouverture des Rolling Stones. En dépit de cette mésaventure, Brown rebondit aussitôt en créant une nouvelle formation appelée Piblokto. Thousands On A Raft est leur second et dernier album resté dans les mémoires davantage pour sa pochette que pour sa musique. La photo plutôt originale représente deux maquettes, l’une du Titanic et l’autre du Concorde (à noter que l’unique accident impliquant le Concorde ne se produira qu’en juillet 2000, soit trente années après la sortie de cet album), naufragées dans une flaque d’eau alors que des radeaux en forme de toasts transportent des centaines de fèves vers le rivage. Cette mystérieuse photo de Val Allen sur un design de l’illustrateur anglais Mal Dean reflète bien le goût de ce dernier pour les juxtapositions surréalistes et nul doute que la composition frappe par son étrangeté en délivrant de surcroît un message crypté: la multitude de fèves, qui représentent les gens, fait référence à un monde surpeuplé que la technologie moderne ne peut aider tandis que l’eau sale de la mare accentue le côté misérable d’une vision globalement pessimiste. La musique, elle, ne démérite pas, offrant un rock jazzy musclé de bonne facture emmené par la guitare agile de Jim Mullen. Plus hard-rock à l’instar de Deep Purple / Uriah Heep sur Aeroplane Head Woman, plus atmosphérique dans le genre Pink Floyd sur le titre éponyme, space et psyché sur le futuriste Got A Letter From A Computer, la musique est variée. Pete Brown lui-même laisse la bride sur le cou à son groupe qui en profite pour s’exprimer sur le long instrumental Highland Song. Mullen et l’organiste Dave Thompson improvisent alors à cœur joie sur une rythmique élastique et parviennent à maintenir l’intérêt par de nombreux et subtils changements de rythmes. Rock, jazz et même blues-rock y sont intégrés dans un medley intense et endiablé qui n’est pas sans rappeler Colosseum. Enfin, Station Song Platform Two est une belle chanson progressiste transcendée par l’emploi brillant d’un mellotron. Souvent déprécié par rapport au premier album du groupe (Things May Come and Things May Go But the Art School Dance Goes On For Ever), Thousands On A Raft est pourtant un bon disque qui, sans être exceptionnel, explique quand même fort bien pourquoi le rock anglais dominait la musique populaire au début des seventies.

La réédition chez Repertoire comprend deux titres de plus de 6 minutes en bonus, Can't Get Off The Planet et Broken Magic qui sont les faces A et B d’un 45 tours sorti par Harvest la même année que le LP . Ils offrent une version à peine plus commerciale du groupe et s’inscrivent parfaitement dans l’ambiance de cet album dynamique et ambitieux qui mérite bien d’être tiré de sa longue léthargie.

[ Thousands On A Raft (CD & MP3) ]

Pete Brown & Piblokto! : Things May Come And Things May Go But The Art School Dance Goes On Forever (Harvest), UK 1970 – Réédition CD remasterisée + 2 titres en bonus (Repertoire), 1994
Doté d'un titre fleuve, le premier album de Pete Brown avec Piblokto est généralement considéré par les amateurs comme sa meilleure production. Une des raisons expliquant ce choix est probablement que la musique est plus directement accessible que celle du second LP. L'autre raison et que l'on ne trouvera pas ici de longue plage instrumentale jazzy comme ce Highland Song de 17 minutes qui dominait le répertoire de Thousands On A Raft. Sinon, il faut bien avouer que, tout en étant moins progressiste que son successeur, Things May Come And Things May Go reste un excellent album de rock anglais qui, à l'écoute, révèle deux ou trois surprises. Le premier titre éponyme par exemple est un excellent hard-rock bluesy du calibre de ceux que l'on trouve sur les disques de Cream, emmené par une la basse énorme de Roger Bunn bien mise en avant comme le faisait jadis Jack Bruce (avec qui Brown collabora bien souvent) et un solo de guitare compétent de Jim Mullen. A la fin du morceau, la musique mute subtilement en une sorte de jazz dixieland transformant ce début d'album en une belle réussite. High Flying Electric Bird est une bonne chanson avec une partie amusante jouée sur ce genre de sifflet qui imite le chant des oiseaux. Walk For Charity Run For Money est un des sommets du disque grâce à son riff irrésistible et son solo de saxophone. Pete Brown, qui est davantage un poète et un parolier qu'un chanteur digne de ce nom, y fait pourtant une prestation remarquable, contrôlant sa voix comme un pro et se permettant même quelques effets étonnants qui mettent en valeur ses textes alambiqués. Then I Must Go And Can I Keep évolue en mode psychédélique avec une basse fuzz qui butine entêtante tout au long de la chanson. On trouvera ici également quelques titres plus conventionnels comme la ballade acoustique My love Is Gone Far Away, le folky Golden Country Kingdom et l'intimiste Country Morning avec sa basse languissante et ses nappes d'orgue qui s’effilochent mais tous restent écoutables et contribuent à l’ambiance d’un disque que l’on peut faire tourner en boucle sans se lasser. Comme sur Thousands On A Raft, le label Repertoire a ajouté deux plages qui sont les faces A et B d’un 45 tours : l’excellent rock Flying Hero Sandwich et le moins intéressant My Last Band (HAR 5028). Bien que parus également en 1970, ces deux titres ont été enregistrés par une formation différente, le guitariste Jim Mullen, le batteur Rob Tait, le bassiste Roger Bunn et l’organiste Dave Thompson ayant été respectivement remplacés par Brian Breeze, John Pugwash Weathers, Steve Glover et Phil Ryan. Cette nouvelle mouture du groupe n'aura qu’une très brève existence et Piblokto ! sera dissous définitivement peu de temps après. De tous ces musiciens, c'est le guitariste Jim Mullen qui tirera le mieux son épingle du jeu en jouant avec Brian Auger's Oblivion Express, Kokomo, The Average White Band, Mose Allison et Gary Husband sans parler du groupe de soul/fusion douce, Morrissey - Mullen, qu'il fonda avec le saxophoniste Dick Morrissey (If) et qui devint l'un des plus populaires du genre en Angleterre.

Dommage que Repertoire n’ait pas aussi ajouté la face A du premier 45 tours de Piblokto! : Living Life Backwards / High Flying Electric Bird paru en 1969 (Harvest HAR 5008). Cette chanson courte et quasi hard-rock n'a rien d'exceptionnel mais son inclusion aurait permis d'avoir sur deux compacts les deux LP et les trois simples (non extraits des LP) de Piblokto!, soit l’intégralité de leur production officielle. A noter que Living Life Backwards sera repris en 1974 par Beck, Bogert & Appice : il aurait dû figurer sur l’album BBA II qui n’est jamais sorti mais on peut l’écouter sur le disque non officiel du groupe intitulé Working Session (ITS 1001). Enfin, signalons encore l'édition en 2001 par le label Beat Goes On d'un double CD, devenu rare, réunissant cette fois par ordre chronologique tous les enregistrements de Piblokto!, LP et 45 tours inclus, plus quelques titres inédits.

[ Things May Come & Things May Go (CD & MP3) ]
[ Things May Come & Things May Go / Thousands On A Raft (2 LP, 3 simples + inédits sur un double CD : 26 titres) ]

Red Noise : Sarcelles-Lochères (Futura Records RED 01), France 1971 – Réédition CD (Futura), 2009
Red Noise est né à Paris en même temps que les barricades de 1968, à l'initiative du guitariste Patrick Vian, le fils que son père Boris appelait Petit Bison dans ses nouvelles. Leur unique album fut enregistré en novembre 1970 et édité en janvier 1971, dans une double pochette affichant une peinture surréaliste de H. Van der Meer, sur le tout nouveau label Futura de Gérard Terronès. Entre free jazz et rock avant-gardiste, la musique n'a rien de virtuose et est avant tout l'expression de l'idéologie confuse et complexe d'une époque où utopie, anarchie et désir de liberté s'entremêlaient en une explosion à la fois festive et violente. Les courtes plages sont des déclamations ou des bruitages à la Frank Zappa, parfois tout aussi iconoclastes comme en témoigne la séquence captée dans les toilettes. A côté de ces manifestations juvéniles et politiquement incorrectes, on trouve aussi quelques titres à vocation plus musicale comme le psyché Galactic Sewer-Song ou les deux morceaux plus jazz (Red Noise Au Café Des Sports et Red Noise En Direct Du Buffet De La Gare) qui démontrent que, sans être de grands techniciens, ces musiciens savaient quand même jouer. La seconde face est plus radicale avec un unique titre fleuve de 19 minutes (Sarcelles C'est L'Avenir) où tout le monde improvise avec allégresse sans se soucier des structures. Sur une rythmique de plomb, le rugissement des guitares se heurte alors à un sax libertaire, à une flûte contestataire et à un orgue désorganisé. La révolution s'est essouflée rapidement sans imprimer de traces marquantes dans l'Histoire. Red Noise n'y survivra pas mais il laissera par contre un trou, qu'il a contribué à forer, dans la médiocrité ambiante de la musique populaire. Un passage étroit par lequel s'engouffreront des dizaines de groupes en opposition qui feront de la France une des nations parmi les plus innovantes du rock progressiste.

[ Sarcelles-Lochères ]

Magma : Attahk (Eurodisc), France 1978 - Réédition CD (Seventh Records), 2009
Enregistré et mixé à l'automne 1977 au château d'Hérouville par Laurent Thibault, Attahk marque une évolution par rapport aux productions antérieures. Ce septième album qui comprend sept titres et clôture une période de sept années, apparaît en effet moins cryptique qu'autrefois et affiche une nouvelle fascination pour les musiques noires. Bien sûr, Christian Vander n' a pas coupé les ponts avec la zeuhl qui a fait sa réputation si bien que les combinaisons détonantes de choeurs et de masses instrumentales sont toujours bien présentes. Ainsi The Last Seven Minutes est-il un vibrant condensé de musique zeuhl, motifs répétitifs, basse bouillonnante, déluge de batterie et scat kobaïen inclus, en forme de conclusion au premier cycle de Magma tandis que Spiritual est une combinaison bizarre de zeuhl et de gospel qui, malheureusement, ne décolle pas vraiment. Rinde (Eastern Song) par contre est une superbe composition permettant à la vocaliste Stella Vander de briller sur un accompagnement ample et lumineux au grand piano. Liriïk Necronomicus Kanht conclut la première face du LP dans un explosion de rythmes et de voix à laquelle il manque une véritable direction. La seconde face est globalement plus intéressante: Maahnt est un brûlot futuriste ensemencé d'effets vocaux délivrés enfin par un Klaus Blasquiz par ailleurs très discret. Dondaî, le sommet du disque, installe un groove évolutif et hypnotique sur lequel fleurissent lentement des mélodies vocales qui ne sont pas de ce monde. Quant à Nono, il renoue avec un drive incandescent imposé par la basse très présente de Guy Delacroix et la batterie arborescente de Vander. Il est clair que sans le bassiste Janik Top, sans Yochko Seffer et Faton Cahen jouant désormais avec Zao, et sans Gauthier et Paganotti partis former Weidorge, Vander s'est retrouvé un peu seul d'autant plus que Klaus Blasquiz semble avoir été marginalisé. Il en a profité pour tenter de rendre le vaisseau Magma un peu plus convivial. Le résultat est mitigé, parfois réussi et parfois moins, mais dans tous les cas, l’esthétique musicale n'a pas été suffisamment enrichie pour obtenir plus de reconnaissance et accroître ainsi le noyau de base des fans de la première heure. C’est sans doute dans la même perspective de légitimité, que l’on a fait appel à Hans Rudolf Giger pour réaliser la pochette de l'album mais l'illustration conçue par le génial créateur d'Alien n’a ni le pouvoir de suggestion ni l'aura mystérieuse de la mythique et sublime image créée pour le Brain Salad Surgery d'Emerson, Lake et Palmer.

[ Attahk (CD & MP3) ]

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