Le Rock Progressif

Disques Rares, Rééditions, Autres Sélections


Série IV - Volume 6 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 4 ] [ 5 ] [ 7 ] [ 8 ] [ 9 ] [ 10 ]

Nemo : Le Ver Dans Le Fruit (Progressive Promotion Records), France 2013



Pour son huitième album en studio, le groupe français Nemo revient avec un double album conceptuel qui, à l'instar d'un Ayreon, inclut un sacré mélange de styles. Démarrant sur un chant a capella qui ressemble à du Malicorne (Stipant Luporum), on passe rapidement en vitesse lumière avec une musique à la fois plus angulaire et plus métallique qu'autrefois. La guitare de Jean Pierre Louveton tient le haut du pavé et lâche son fiel dans un déluge de variations rythmiques parfois difficiles à digérer au premier abord. Cette approche plus sauvage est toutefois cohérente par rapport aux thèmes abordés qui traitent tous de manipulations opérées pour diverses raisons à l'encontre des individus. Du premier CD, on épinglera d'abord le terrible Milgram, son riff énorme, son solo explosif inspiré par les dieux du métal, sa rythmique arborescente, et son thème traitant de l'expérience du psychologue américain Stanley Milgram qui cherchait à analyser le processus de soumission à l'autorité.

Beaucoup moins radical et donc plus accessible, le second compact n'en est pas moins un autre morceau de bravoure. On adhère tout d'abord à l'idée développée dans A La Une selon laquelle les journalistes exagèrent parfois des faits sans importance dans l'unique but d'accroître les audiences et le profit, ce qui constitue également en soi une forme grave de manipulation malhonnête. Mais musicalement, c'est Allah Deus et Opium qui retiennent surtout l'attention, l'un pour ses solos speedés et l'autre pour par sa basse énorme et son groove hypnotique quasi psychédélique. L'œuvre se clôture comme il se doit sur un morceau épique de 17 minutes (Arma Diania), une armoire normande qui ressasse brièvement les idées développées auparavant tout en se concentrant sur une musique plus éclectique que jamais.

Le chant en français est correct et, grâce à une diction claire et à un mixage intelligent, les paroles, importantes dans le cadre d'un album à message, restent toujours compréhensibles même au cœur du métal. On saluera d'ailleurs en passant la production efficace et soignée qui rend le disque agréable à écouter. Le coffret multicolore qui contient les compacts est magnifique. La pochette et le design réalisés par l'artiste Stan-W. Decker (voir son site internet) sont en phase avec le concept et constituent une œuvre d'art en soi qu'on ne se lasse pas de regarder tandis que le livret qui contient les textes est tout aussi réussi.

L'Œuvre aurait probablement gagné à être plus concise tandis que la densité du premier CD aurait pu être légèrement atténuée mais ces remarques sont subjectives car Le Ver Dans le Fruit reste un achèvement remarquable bourré de punch vital et d'idées originales. Bien que sculptée dans la tradition progressiste, c'est aussi une réalisation moderne qui par sa fraîcheur, son message et son interprétation, s'inscrit comme un jalon séminal du prog francophone, sinon international.

[ Le Ver Dans Le Fruit (CD & MP3) ]
[ Extrait du titre Opium ] [ Un Pied Dans La Tombe ]

Flying Colors (Mascot Records), USA 2012
Certains producteurs exécutifs sont à l’origine de bonnes idées ayant engendré des albums historiques. En jazz par exemple, Alan Douglas a réussi à amener Ellington, Roach et Mingus dans le même studio pour l’inoubliable Money Jungle tandis qu’en rock, Kevin Shirley est à la base du super-groupe Black Country Communion dont le rock polychrome et musclé surpasse la somme des talents des musiciens rassemblés. Et voilà que le producteur Bill Evans décide à son tour de réunir autour d’un chanteur pop (Casey McPherson) quatre musiciens renommés en provenance de formations progressives : le puissant Mike Portnoy (Dream Theater) derrière les fûts ; le versatile guitariste Steve Morse (Deep Purple, Dixie Dregs) ; Neal Morse (Spock’s Beard et Transatlantic) aux claviers ; et le bassiste Dave Larue (Dixie Dregs). Avec un tel équipage, le vol s’annonçait pour le moins turbulent. Pourtant, enregistré en neuf jours seulement, l’album ne correspond pas complètement à ce qu’on en attendait. Certes, les musiciens sont extraordinaires et s’avèrent capables de bâtir une musique irréprochable en captant sur le tas les idées des uns et des autres (on peut s’en rendre compte en visualisant sur YouTube l’étonnant processus de création du morceau Shoulda Coulda Woulda). Mais on se retrouve vite perdu au sein d’un amalgame de styles divers qui évoquent, au fil des titres, aussi bien Muse que les Beatles, Rush ou Coldplay. Du progressif il n’y en guère sauf la dernière plage épique de 12 minutes intitulée Infinite Fire. Et c’est une bombe : les musiciens libérés y déploient enfin leurs ailes et s’envolent là ils veulent. Le casting de rêve tourne alors comme une horloge : Steve Morse est un guitariste prodigieux tandis que Neal Morse groove sur son orgue comme au temps de Spock’s Beard. La rythmique est prodigieuse, Larue et Portnoy composant un tandem magique. Quant à la voix de McPherson, elle est parfaitement à sa place dans ce contexte moins évident pour lui. Le reste du répertoire est très hétérogène avec des ballades (Everything Changes), du métal (Shoulda Coulda Woulda), du rock alternatif (All Falls Down) et beaucoup de rock-pop classique pour radio FM (Kayla, The Storm, Forever In A Daze) plus un superbe Blue Ocean plutôt indescriptible dans le style très particulier des productions en solo de Neal Morse. Tout ça est joué avec une vivacité renversante et un enthousiasme indiscutable. Maintenant, si cet album, qui ne manque pas de qualités, répondra à vos attentes, c’est davantage une affaire de goût mais, en ce qui me concerne, le potentiel du groupe n’a été entièrement exploité. Ce qui laisse de la marge pour une amélioration dans le cadre d’un éventuel second opus.

[ Flying Colors (CD & MP3) ]
[ Blue Ocean ]

Quintessence : In Blissful Company (LP Island), UK 1969 - CD (Repertoire), 2003
La pochette en dit déjà long et les surnoms dont se sont affublés les musiciens (Ronald « Raja Ram » Rothfield , Phil « Shiva Shankar » Jones…) le confirment : Quintessence joue un rock psychédélique typique de la fin des années 60 fortement teinté d’influences hindoues. La filiation avec les Beatles, et avec George harrison en particulier, est indiscutable même si la musique n’a ni la sensibilité pop ni la claire évidence des mélodies composées par les « Fab Four ». Par contre, Quintessence parsème ses compositions d’improvisations jazzy où brille surtout la flûte de l’Australien Raja Ram et, dans une moindre mesure, la guitare d’Alan Mostert. Bien sûr, on n’évite pas les Hare Krishna ni le son du sitar indispensable à ce genre d’entreprise mais, globalement, la musique est plaisante, sinon planante. Le groupe était d’ailleurs connu à l’époque pour donner des concerts en forme de happenings musicaux où la spiritualité flottait dans l’air en même temps que quelques nuages illicites. La production vivante et naturelle fait penser aux disques enregistrés à la même époque par le label Vertigo, à Jade Warrior ou Nirvana (en moins complexe) ou à Gravy Train (en moins brouillon) par exemple quand, sur Manco Capac, le rythme devient plus hard et que la flûte, jouée dans le style de Jethro Tull, est confrontée à une guitare électrique qui replonge dans un blues-rock inattendu. L’un des meilleurs titres de l’album s’appelle Notting Hill Gate en référence à un quartier de Londres ou était basé le groupe. Semblable au Greenwich Village de New York ou au Haight Asbury de San Francisco, Notting Hill et Ladbroke Grove étaient le refuge de l’underground musical à la fin des 60’s : c’est là qu’Eric Clapton forma Cream et que décéda Jimi Hendrix et c’est là aussi que fut tourné le film culte de Nicolas Roeg, Performance, avec Mick Jagger et Anita Pallenberg. Quant à la musique, elle évoque le rock léger et jazzy de Savoy Brown au temps de Raw Sienna. Ce mélange de musique occidentale et orientale, assez inusité à l’époque, est plutôt bien conçu et s’écoute encore aujourd’hui avec un certain plaisir pour autant, bien sûr, que l’on ne soit pas réfractaire au style psyché des groupes anglais des glorieuses sixties.

[ In Blissful Company (CD) ]
[ Notting Hill Gate ]

Taï Phong : Taï Phong (WEA), France 1975
Fondé en 1972 par deux frères d’origine vietnamienne, Khanh Mai et Taï Sinh, le groupe Taï Phong (qui signifie « grand vent » ou « typhon » en vietnamien) connaît à ses débuts des problèmes de personnel sans arriver à conclure un contrat artistique. Après avoir recruté le jeune chanteur et guitariste français Jean-Jacques Goldman, ils décrochent enfin un contrat avec WEA (Warner) et entrent en studio en février 1975 pour enregistrer leur premier LP éponyme resté à ce jour le plus célèbre du groupe. A ce moment, la formation comprend, en plus des trois membres précités, le claviériste Jean-Alain Gardet et le batteur Stéphan Caussarieu. Quand le disque sort en 1975, il attire immédiatement les regards par sa double pochette stylisée représentant un samouraï tandis que le carton épais et ridé sous les doigts donne l’impression d’un produit de qualité. Et quand on entend la musique, on n’est pas déçu. Les arrangements à base d’instruments acoustiques et électriques sont particulièrement bien travaillés tandis que les voix des deux chanteurs, parmi lesquelles on reconnait aujourd’hui immédiatement celle haut-perchée de Goldman, accrochent. Le premier titre, Going Away, démarre sur les chapeaux de roue et, avec ses changements de rythme et d’atmosphère, s’inscrit dans la tradition du rock progressif anglais, certains critiques allant jusqu’à citer des influences comme Yes ou Pink Floyd alors que j'évoquerais bien davantage les Moody Blues et surtout Barclay James Harvest. Le second morceau, Sister Jane, deviendra le tube de l’été 1975 et si beaucoup ont oublié ce groupe aujourd’hui, presque tous se souviennent de ce slow langoureux qui évoque parfois l’esprit du fameux « A Whiter Shade Of Pale ». Le reste de l’album est plus progressif avec de beaux et parfois longs passages instrumentaux (l’excellent Crest) où brillent guitares et claviers, l’ensemble restant toutefois fort accessible avec un petit côté pop-rock pas déplaisant. On épinglera aussi Out Of The Night qui s’étend sur près de 12 minutes, son orgue lancinant, sa mélodie qui monte en puissance comme un thème floydien au temps de Ummagumma, son inévitable solo de guitare planant dans le style de David Gilmour et l’explosion finale et libératrice avant le retour au calme sur fond de piano acoustique. Après deux autres disques sorti respectivement en 1976 (Windows) et en 1979 (Last Flight), Tai Phong, déjà en perte de vitesse, se dissout tandis que Goldman entame une carrière en solo en chantant cette fois des textes en français qui lui apporteront le succès que l'on sait. Dans l’histoire de la musique populaire française, Taï Phong est souvent cité comme le groupe rock de jeunesse du chanteur Jean-Jacques Goldman. Il était quand même un peu plus que ça !

[ Taï Phong (CD & MP3) ]
[ Sister Jane ]

Taï Phong : Windows (WEA), France 1976
Surpris par le succès inattendu de Sister Jane, Taï Phong remet un peu trop vite le couvert en enregistrant une nouvelle ballade, North For Winter, qui n’aura aucun succès. Le groupe retourne alors en studio en janvier 1976 pour enregistrer son second LP intitulé Windows. Comme le premier, celui-ci est encore doté d’une belle pochette dessinée par Lang Ho Tong, frère de Khanh et de Taï, qui représente le même samurai stylisé placé cette fois dans une construction cubique futuriste peuplée de cerisiers japonais. When It's The Season rassure sur le fait que Taï Phong a gardé non seulement sa sonorité spécifique due à une combinaison plaisante de guitares acoustiques et électriques mais aussi ses tendances progressives. Ce premier morceau se décline en effet en plusieurs sections aux tempos différents, la première plus rock et les suivantes plus atmosphériques, le tout chargé de mélodies accessibles et lustré par des arrangements élaborés auxquels rend justice une prise de son impeccable réalisée par Khan. Games se voulait le « Sister Jane » de l’album mais ce slow qui sortira en simple en mai 1976 ne connaîtra pas le même succès que son prédécesseur. St. John's Avenue est une de ces pièces mélodiques dont l’ambition symphonique, les solos mélodramatiques de guitare et de synthés, ainsi que les harmonies vocales renvoient à Barclay James Harvest et aux Moody Blues. L’instrumental Circle est plus original et démontre que Taï Phong avait une réelle personnalité qui ne demandait qu'à se développer encore davantage. Last Chance est une chanson acoustique pop et ensoleillée dotée de belles harmonies vocales tandis que le dernier titre du LP original (The Gulf Of Knowledge), avec ses influences asiatiques, son long passage instrumental en introduction et sa mélodie accrocheuse, est un autre grand moment du répertoire. On y appréciera en particulier les lavages de mellotron et le jeu de batterie fort convaincant de Stéphan Caussarieu dans un style organique qui n’est pas sans évoquer celui de Nick Mason (à écouter attentivement à partir de la cinquième minute). Dans un monde parallèle où le punk n'aurait jamais fait surface, ce second album, aussi bon que le premier sur tous les plans, aurait dû consolider le groupe et lui assurer un futur glorieux. Ce ne fut malheureusement pas le cas: le disque passa quasiment inaperçu, ce qui engendra doutes et incertitudes au sein d'une formation destabilisée.

La réédition en compact de Windows offre en bonus trois morceaux édités uniquement en 45 tours : le slow Dance, face B de Follow Me paru en 1977, ainsi que les deux faces du simple Back Again / Cherry, sorti l’année suivante, qui furent enregistrées après le départ de Taï et de Jean-Alain Gardet. Rien de spécial toutefois dans ces trois plages pop et calibrées pour plaire aux radios. L’essentiel de Windows est dans le LP original qui, lui, ne décevra pas les fans du premier opus éponyme.

[ Windows (CD & MP3) ]
[ When It's The Season ]

Marsupilami : Arena (Transatlantic), UK 1971 – Réédition CD (Esoteric Recordings), 2007
Drôle de nom pour un groupe de rock, fut-il progressif, et surtout quand ce groupe joue une musique dramatique et parfois sombre à l’opposé du petit monde comique dans lequel évolue l’animal de Franquin. C’est en effet aux arènes et aux combats sanglants des gladiateurs de l’Empire Romain qu’est consacré ce deuxième et dernier album de Marsupilami, groupe anglais relogé aux Pays-Bas. C’est après avoir lu le livre « Those about to die » de Daniel P. Mannix que le groupe eut l’idée de transposer en musique le monde apocalyptique des jeux de la Rome antique en ajoutant toutefois une comparaison entre la chute de l’Empire Romain et le déclin présumé de la civilisation Occidentale. Enregistré dans le petit studio Tangerine de Londres, l’album a été produit par Peter Bardens, claviériste et membre fondateur de Camel, qui intervient ici également aux percussions. L’élément le plus faible de ce disque inégal est la voix de Fred Hasson, chanteur limité aux inflexions théâtrales sans doute appropriées à cette musique composée pour mettre en valeur une histoire mais qui n’a ni le timbre d’un Greg Lake, ni la justesse d’un Peter Gabriel ni la puissance d’un Fish. Reste la musique plutôt complexe et variée où l’on retrouve tous les ingrédients d’un rock progressiste aventureux et expérimental. Les sections calmes succèdent aux éruptions de violence, les mélodies au chaos dans un maelstrom de sections instrumentales et chantées où brillent les instruments vintage de l’époque comme l’orgue et le mellotron. Mention particulière doit être donnée au saxophoniste Mandy Riedelbanch ainsi qu’à la flûtiste Jessica Stanley-Clarke qui apportent indéniablement un peu de fraîcheur dans un univers de brutes. Le morceau épique est évidemment Arena, pompeux et ridicule à certains moments mais aussi ambitieux et ouvert avec ses références orientales. Toutefois,le meilleur de l’album est le morceau qui vient ensuite, Time Shadows, avec son indescriptible mixage de styles et d'instruments (on y entend même un harmonica) et sa longue partie instrumentale à la fois jazzy et psychédélique. Arena est à redécouvrir mais je ne pense pas qu’il fera l’unanimité des amateurs même si la majorité des chroniques du Web reconnaissent en Marsupilami un groupe précurseur oublié du rock progressiste qui mérite d’être réhabilité dans l’histoire de cette musique. A noter que Marsupilami fut le premier groupe à se produire le premier jour du Festival de l’Ile de Wight en 1969, un peu avant Keith Emerson et les Nice avec lesquels ils partageaient indéniablement un petit grain de folie ainsi qu'un goût similaire pour les musiques épiques, baroques et grandiloquantes.

[ Arena (CD) ]
[ Time Shadows ]

Supersister : To The Highest Bidder (Dandelion / Polydor), Pays-Bas 1971 - Réédition CD + 4 titres en bonus (Esoteric Records) 2008
Constitué à La Haye à la fin des années 60, Supersister se fait remarquer par le label Polydor grâce au succès relatif remporté par son premier enregistrement réalisé au printemps 1970 : un simple intitulé She Was Naked / Spiral Staircase (Blossom). Il s’en suit un premier LP, Present From Nancy, qui affiche déjà les grandes lignes du style Supersister : un rock expérimental et psyché inspiré globalement par la scène de Canterbury mais se rapprochant davantage de Soft Machine ou Egg que de Caravan ou Camel. Paru l’année suivante, To The Highest Bidder, affiche une évolution musicale certaine sous un titre et une pochette (anglaise) discutables sur le plan du message véhiculé (notons en passant que ce message a par la suite été atténué lors des rééditions successives par l'élimination de la dame en tenue d’Eve présentant le label britannique Dandelion). Le répertoire ne comprend que quatre titres toujours inspirés par la scène de Canterbury mais tirant cette fois vers un rock jazzy plus accessible où l’on retrouve surtout l’influence de Caravan. La combinaison des claviers de Robert Jan Stips et de la flûte de Sacha van Geest fait de Supersister ce qu’il est : une formation essentiellement instrumentale aux textures inédites, capable d’improviser pendant de longues minutes en stimulant l’auditeur. Quelque part, on sent aussi l’influence de Frank Zappa, et de Hot Rats en particulier, dans l’attitude humoristique du groupe et la manière d'agencer une foule de thèmes originaux en une longue histoire sophistiquée mais cohérente. A cet égard, A Girl Named You est certainement leur plus belle composition, tous albums confondus. No Tree Will Grow (On Too High A Mountain) est une autre réussite caractérisée par un arrangement plus symphonique, dû à l’usage subtil d’un mellotron, et une ambiance sombre où l’on discerne parfois le cri étrange des corbeaux. Le groupe s’en libère à la fin par un éclat de rire énorme en porte-à-faux avec la musique. Avec ses quinze minutes, Energy (Out Of Future) est la pièce maîtresse de l’album : flûtes et claviers y sont prépondérants sur des trames flexibles qui évoquent plus que jamais la scène de Canterbury. Higher, le dernier titre du LP original, est une ballade agréable avec flûte sur fond de piano qui aurait pu être éditée en simple, ce qui étrangement ne fut pas le cas. Moins disparate que le premier album, ce second opus et le suivant, Pudding En Gisteren, restent les meilleures réalisations d’un groupe majeur qui n’avait rien à envier à ses pairs britanniques de l’époque. Supersister fut d’ailleurs très vite repéré par John Peel, le célèbre disc-jockey de la BBC, qui édita le disque sur son propre label et lui ouvrit ainsi toutes grandes les portes du marché britannique.

La réédition luxueuse de Esoteric Records rend justice à l’album en lui procurant un son nettoyé et plus clair. Agrémenté d’un livret copieux, illustré et instructif, le CD offre aussi quatre plages en bonus : les deux premiers titres de l’album en versions raccourcies calibrées pour 45 tours (A Girl Named You et No Tree Will Grow) et leurs faces B respectives : Missing Link (1971) et The Groupies Of The Band (1972). Rien de spécial toutefois dans ces morceaux courts qui n’ajoutent absolument rien à la qualité du LP original.

[ To The Highest Bidder (CD) ]
[ A Girl Named You ] [ No Tree Will Grow ]

Hannibal (B&C Records), UK 1970 - Réédition CD (Repertoire) 1994
Hannibal a surgi en 1970 de la scène rock de Birmingham. Lorsque le groupe de blues-rock Bakerloo perdit son guitariste Dave Clemson, parti rejoindre Colosseum, leur manager Jim Simpson (Black Sabbath) tenta de maintenir cette formation en vie en recrutant le guitariste Adrian Ingram et le saxophoniste George Northall qui, très rapidement après quelques tournées infructueuses en Angleterre et en Allemagne, joignirent leurs forces au sein de Hannibal autour de Jack Griffiths à la basse, Bill Hunt à l'orgue Hammond B3 et au cor, Alex Boyce au chant et John Parkes à la batterie. Cliff Williams remplaça ensuite Northall au sax et à la clarinette avant l'enregistrement de cet unique album éponyme dont même les sites spécialisés semblent avoir oublié l'existence. Pourtant, Hannibal est un bon album de rock jazz psychédélique et cuivré qui rappelle le style un peu brouillon mais hyper dynamique du premier disque de Colosseum (l'excellent Valentyne Suite, premier LP édité sur le label Vertigo). D'ailleurs, enrobé dans une étrange pochette aux teintes jaunes et brunes dont le graphisme surréaliste évoque les éléphants du célèbre général carthaginois, Hannibal se caractérise par une approche stylistique et une sonorité chaude et organique qui l'apparentent à quelques un des meilleurs groupes progressistes de l'écurie Vertigo. Sinon, la vedette de ce disque est incontestablement Adrian Ingram, compositeur de tous les titres, qui s'impose par un jeu de guitare inventif, virtuose et bourré de feeling. L'homme se fera d'ailleurs connaître par la suite comme un technicien de jazz à la fois interprète et éducateur de haut niveau. On pourra l'apprécier ici tout particulièrement sur Winter dans lequel il prend un long solo dans le style électrisant du Larry Coryell des années 60. Boyle est un chanteur doté d'une voix rauque et expressive idéale pour le genre tandis que Bill Hunt s'avère être un musicien très compétent à l'orgue et au cor. Il sera d'ailleurs repéré plus tard par Roy Wood et Jeff Lynne qui l'incluront dans l'Electric Light orchestra et ensuite dans Wizzard, deux autres formations essentielles issues de Birmingham. Difficile de savoir pourquoi Hannibal n'a guère rencontré de succès à l'époque mais, en le réécoutant aujourd'hui, on ne peut qu'inciter les amateurs et collectionneurs à le redécouvrir et à le réhabiliter!

[ Hannibal ]
[ Winter ]

Barclay James Harvest : Baby James Harvest (Harvest), UK 1972 - Réédition CD + 10 titres en bonus (EMI), 2002
Pour une fois, tout le monde semble être d'accord. De l'avis des fans comme des chroniqueurs, de la maison de disques et des membres du groupe lui-même, Baby James Harvest est un album médiocre. D'abord, le LP, d'une durée de 37 minutes, ne comprend que 6 plages très inégales. Ensuite, il a été enregistré dans de mauvaises conditions alors que le groupe était pressé par son label pour enregistrer avant une nouvelle tournée. De plus Les Holroyd, John Lees et Mel Pritchard se trouvaient à l'automne 1972 dans les studios Strawberry à Stockport alors que Woolly Wolstenholme se démenait à Londres dans les Studios Abbey Road pour terminer l'enregistrement de sa pièce orchestrale Moonwater, si bien qu'il ne joue quasiment pas sur les autres titres de l'album. Et même la pochette, conçue d'après une idée du manager Ian Cassie, est banale avec son bébé nu placé dans un pot et son titre qui évoque le fameux "Sweet Baby James" de James Taylor. La musique par contre n'est pas dénuée d'intérêt. Summer Soldier, entre autre, est l'une des plus belles chansons de l'époque Harvest. Construite en trois parties et s'étendant sur plus de 10 minutes, cette composition épique et symphonique offre en plus un texte profond condamnant la violence et faisant probablement référence aux troubles d'Irlande du Nord qui connurent une escalade en 1972. Moonwater, la composition orchestrale de Wolstenholme, est aussi un grand moment même si ce genre de fusion entre classique et rock, qui rappelle un peu trop le style des Moody Blues, n'est probablement pas apprécié par tous les fans du groupe. En plus des 60 musiciens de l'orchestre symphonique, cette pièce dédiée à Gustav Mahler laisse entendre Wolly à l'orgue et un passage au mellotron joué par Les Holroyd mais les autres membres de BJH n'y ont aucun rôle. Wolstenholme est l'homme qui tirait la formation vers ce genre de musique orchestrale plutôt intéressante. Malheureusement, l'interprétation sur scène exigeait une logistique imposante et un budget important qui mit Barclay James Harvest financièrement en péril. La réédition en CD par EMI offre une version inédite et remixée de Moonwater qui est plus claire et permet d'apprécier dans de bonnes conditions le réel travail sur les masses sonores. Le reste du répertoire est moins brillant mais comprend quand même un One Hundred Thousand Smiles Out fort plaisant à propos de l'isolement d'un astronaute dans l'espace, un thème assez courant dans le rock (Space Oddity, Rocket Man...) en cette époque d'intense conquête spaciale. Quant à Thank You, un morceau dont le texte remercie une foule de gens proches du groupe, il est sauvé de l'ennui par un chouette et long solo de guitare qui balance gentiment. On peut par contre faire l'impasse sur Crazy Over You et Delph Town Morn qui ne sont pas particuièrement inspirés. Sous la forme du LP original, on a donc bien au total un disque médiocre avec trois morceaux sur six qui sont recommandables et, pour deux d'entre eux, indispensables aux fans de BJH.

Toutefois, comme la réédition offre une nouvelle version de Moonwater remixée en 2002 et neuf autres titres supplémentaires, l'acquisition du compact n'est pas une si mauvaise affaire d'autant plus qu'on y ressent encore une réelle volonté de progresser qui disparaîtra par la suite. Sept de ces neuf titres en bonus proviennent de 45 tours. I'm Over You / Child Of Man (Harvest 5051) est sorti en avril 1972 et comprend deux compositions standards de John Lees. Plus intéressants et rares sont l'instrumental Breathless (John Lees) et surtout When The City Sleeps (Woolly Wolstenholme), édités en simple sous le nom de Bombadil (Harvest 5056, 1972). Medicine Man est sorti en octobre 1972 comme face B de Thank You (Harvest 5058). Sont également ajoutées une version alternative de Thank You et une interprétation inédite de Child Of Man enregistrée pour la BBC le 15 mars 1972. Enfin, Rock And Roll Woman et sa face B, The Joker, constituent le dernier disque (Harvest 5068, 1973) édité par Harvest avant que le label ne se sépare du groupe. Un mauvais calcul pour EMI soit dit en passant car BJH était loin d'avoir tout dit et n'allait pas tarder à revoir sa stratégie, à abandonner ses vélléités de fusion avec le classique, et à entamer une seconde carrière plus commerciale chez Polydor qui ramènerait de larges bénéfices.

[ Baby James Harvest (CD & MP3) ]
[ Summer Soldier ]

Electric Light Orchestra : Eldorado (Warner Bros.), UK 1974 – Réédition CD remastérisé + 2 titres en bonus (Epic), 2001
Si ELO n'a jamais vraiment fait partie de la cohorte des groupes progressistes, il n'en a jamais été très éloigé non plus et ce quatrième album en studio est sans doute celui qui, dans sa discographie, correspond le plus aux canons du genre. D'abord, il s'agit d'un véritable concept album dont les textes ont été écrits avant la musique et dont l'histoire, sans doute inspirée par le film The Secret Life of Walter Mitty (La vie secrète de Walter Mitty) de 1947, raconte les péripéties d'un personnage qui se réfugie dans la fantaisie pour échapper aux désillusion du monde réel. Ensuite, pour la première fois, Jeff Lynne a eu recours à un véritable orchestre interagissant en direct avec le groupe, ce qui transcende sa musique pop, dont les racines plongent directement dans les derniers albums des Beatles, en un art-rock symphonique ample et puissant. Enfin, les arrangements sont complexes et novateurs, intègrant des éléments empruntés le plus souvent à la musique classique mais aussi au jazz. Un autre élément qui concourt à rendre ce disque plaisant est qu'il a été fort bien enregistré : les diverses composantes sont claires et bien mixées et malgré le mur de sons inévitable dans ce genre d'entreprise orchestrale (ce sont en effet plus de trente musiciens qui jouaient ensemble dans la même pièce), la musique respire et ne lasse pas. L’ambiance du disque est plutôt rétro, évoquant la fantaisie romantique et surannée des années trente. D’ailleurs, la pochette, avec ses escarpins rubis, renvoie immédiatement à la magie du célèbre film The Wizard of Oz (Le Magicien d'Oz) sorti en 1939. Et au milieu de cette étonnante suite, on trouve la chanson Can't Get It Out of My Head qui, sortie en simple couplée avec Illusions in G Major, aura un impact commercial certain surtout aux Etats-Unis. Les amateurs qui apprécient à la fois le maniérisme du Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles et les aspirations classiques de groupes comme les Moody Blues ou Barclay James Harvest doivent absolument écouter ce disque. C’est ici que l’Electric Light Orchestra a pour la première fois atteint son objectif initial de créer une fusion sophistiquée et subtilement imbriquée de rock et de symphonie en évitant le piège du simple collage. Malheureusement, cette incontestable réussite est aussi la dernière car Jeff Lyne abandonnera peu à peu toute velléité progressive en cédant à une musique pop, voire disco, de plus en plus en plus convenue en réponse aux modes éphémères.

La réédition en compact par Epic offre deux titres en bonus. Le premier, Eldorado, est une suite orchestrale avec choeurs de huit minutes composée d'extraits musicaux de l'album. Bien qu'intégrant des instruments modernes comme la batterie et la guitare électrique, elle évoque les musiques des films des années 40 et confirme les origines de l'inspiration de Jeff Lynne pour ce disque. le second, Dark City, est une démo courte, inachevée et primitive de Laredo tornado qui n'a aucun intérêt.

[ Eldorado (CD & MP3) ]
[ Eldorado & Eldorado Finale ]

Unicorn : Emotional Wasteland (Mellow Records), Suède 1995
Le producteur, compositeur, chanteur et multi-instrumentiste suédois Dan Swanö est davantage connu comme membre éminent de formations aux noms poétiques (Bloodbath, Katatonia, Edge Of Sanity et autres Maceration) besognant dans toutes sortes de sous-genres liés au métal (y compris le métal progressif, ayant joué sur l’excellent Star One – Space Metal de Arjen Lucassen). Mais avant d’être totalement englouti dans le gouffre sombre de ce genre extrême, il a aussi été le leader, chanteur et batteur de Unicorn, un groupe suédois de Néo-prog peu connu formé à Orebro en 1988. Le premier titre éponyme ne surprend guère : on est ici dans la frange imprécise entre un néo-prog à la Marillion et une pop music légère sans conséquence. Heureusement, ce n’est pas la meilleur titre de Unicorn qui a d’autres cordes à son arc. Hiding Again par exemple, qui frôle les neuf minutes, est une superbe composition intégrant piano acoustique, flûte et violoncelle, de multiples changements de tempo, des passages symphoniques typiquement néo-prog et un chant féminin vers la fin (Asa Jonsson) qui vient joliment compléter celui de Swanö. At The End Of The Bridge qui a une ligne mélodique rappelant beaucoup Nights In White Satin, The Sorrow Song avec ses solos aériens de guitare, ainsi que le dramatique The Boy And The Impossible et ses vocalises féminines à la Pink Floyd (celui du Great Gig In The Sky) sont d’autres très bons moments chargés d’émotion. Quant à After Before qui se démarque à peine d’un smooth jazz tranquille avec son saxophone et son piano électrique, il parvient à installer durablement une atmosphère relaxante. Le reste tourne rond mais quand même avec un ou deux ratés (Waterfall et sa fin abrupte en particulier). Globalement, Emotional Wasteland est un album au-dessus de la moyenne même si le mixage et la production auraient pu être bien meilleurs considérant l’expérience reconnue et appréciée de Swanö dans ce domaine. Une réédition remastérisée serait d’ailleurs bienvenue d’autant plus que bien qu’il soit toujours au catalogue de Mellow Records, l’album devient rare à trouver en version neuve. Unicorn s’est séparé après deux disques dans la même veine, Ever Since paru en 1993 et celui-ci. Plus tard, le groupe s’est réuni une dernière fois pour enregistrer la chanson After Me, incluse sur Recital For A Season’s End, une compilation hommage à Marillion sortie en 2010 par le même label italien (Mellow Records) que celui sur lequel sont édités les deux albums d’Unicorn.

[ Emotional Wasteland ] [ The Boy And The Impossible ]

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