Série V - Volume 5 | Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 4 ] [ 6 ] [ 7 ] [ 8 ] [ 9 ] [ 10 ] |
Kingcrow : Eidos (Sensory records), Italie 2015 | |
Depuis sa création à Rome en 1996, le groupe Kingcrow a connu à la fois de multiples changements de personnel et une évolution considérable de sa musique qui l'a amené aujourd'hui à occuper une place enviable sur la scène italienne du métal progressif. Ce sixième album est intitulé Eidos d'après un concept philosophique d'origine grecque qui renvoie aussi bien à l'âme qu'aux idées ou à l'essence première des choses. Sans être un album conceptuel, tous les titres sont liés à l'histoire d'un homme d'âge mûr qui revoit le fil de sa vie et analyse les choix qu'il a fait sous l'influence de pressions et de facteurs externes. C'est ce thème qui a également servi à Cristian "Devilnax" Nastasi pour la réalisation de la pochette, inspirée par la peinture The Lovers de Magritte, dont le symbolisme n'échappera à personne. Quant à la musique, elle est magnifiquement arrangée: Kingcrow qui dispose de son propre studio à Rome a en effet pris tout son temps pour peaufiner les arrangements aux couches multiples des dix morceaux du répertoire. En conséquence, la musique ressemble à une matriochka: chaque couche sonore en cache une autre et il faut de multiples écoutes pour l'appréhender dans sa glorieuse intégralité et en révéler toutes les richesses. Ici, l'approche métal ne sert pas à mettre l'emphase sur la technique ou sur la virtuosité des musiciens, mais comme chez Porcupine Tree ou chez Riverside par exemple, elle est utilisée à bon escient pour relever certaines sections et leur donner du relief (impossible de ne pas succomber aux nuances et aux contrastes de Adrift ou de Fading Out Part II). Par ailleurs, le métal n'est pas un but en soi pour Kingcrow: plusieurs titres sont joués en tempo moyen ou lent et misent plus sur l'atmosphère que sur un impact artificiel, ce qui est l'apanage des meilleurs. Le chanteur Diego Marchesi, qui chante en anglais, a une voix superbe qu'il ne force jamais et parvient, fait rare dans le prog métal, à faire passer des émotions aussi diverses que subtiles incluant même lyrisme et nostalgie. Enfin, le guitariste Diego Cafolla, qui a écrit toutes les compositions, sait vraiment y faire. D'une durée comprise entre 4 et 8 minutes, toutes ses chansons sont concises et bien ajustées, sans temps mort ni complaisance et ça fait la différence par rapport aux autres formations opérant dans un genre devenu de moins en moins intéressant au fur et à à mesure que croissaient les imitations sans âme de Dream Theater. Avec Eidos, Kingcrow semble avoir atteint un pic créatif et il est grand temps maintenant de faire connaître ce groupe au niveau international.
[ Eidos ] [ A écouter : The Moth ] |
Andy Jackson : Signal To Noise (Esoteric Antenna), UK 2014 | |
A l'instar d'Alan Parsons, Andy Jackson est d'abord un ingénieur du son impliqué depuis 1980 dans l'enregistrement des albums de Pink Floyd et de David Gilmour plus le premier disque de Roger Waters (The Pros And Cons Of Hitchhiking). Guitariste à ses heures, il est aussi l'auteur de ce disque, Signal To Noise, sorti en 2014 sur Esoteric Antenna. Déjà, l'illustration énigmatique de la pochette (Sisyphus Sleeping par Michael Bergt) situe l'objet dans un environnement prog et c'est quasiment sans grande surprise que dès le premier titre, The Boy In The Forest, on se trouve immergé dans un rock atmosphérique emmené par une basse énorme, où les nappes sonores comme répercutées par l'écho sont délicieusement peuplées de courts riffs et de solos émotionnels de six-cordes tandis que la voix posée, parfois un peu terne mais rehaussée d'effets, évoque de loin les styles vocaux de David Gilmour et de Richard Wright. A partir de là, le disque continuera sur sa lancée à travers les six autres plages, sans grande variation de tempo ou de style mais en explorant des climats et thèmes différents, souvent sombres, avec une approche aussi subtile que cohérente. De quoi faire vibrer la corde de tous ceux à qui le Pink Floyd manque déjà. Pourtant, le travail d'Andy Jackson ne se résume pas à un simple plagiat et il est clair qu'il a pris son temps pour peaufiner les textes de ses chansons, les arrangements qui mettent en relief les mélodies ainsi que le son en technicolor qui est absolument magnifique (bon, ça, c'est normal : c'est quand même sa spécialité !) En plus de ses thèmes métaphoriques d'une inspiration très large s'abreuvant à différentes sources qui vont de la littérature de science fiction (Herman At The Mountain) à la science (Brownian Motion) en passant par le rêve (One More Push) et la psychologie (The Boy In The Forest), Jackson a aussi introduit dans sa musique des éléments plus personnels. Ainsi, les morceaux sont ils peuplés de bruits évocateurs et de sonorités trafiquées de toute sorte qui les rendent à la fois mystérieux, "space" et psychédéliques (écoutez par exemple le début de Herman At The Mountain), parfois plus proches de certains groupes expérimentaux des 60's que du Floyd lustré de Wish You Were Here. Le plus étonnant est qu'en dépit de son carnet d'adresses qui doit être imposant, Andy Jackson a choisi de tout faire seul, se chargeant de l'intégralité des instruments en plus de toutes les étapes successives de l'enregistrement et de la production. C'est un peu dommage quand même car on imagine sans peine comment un solo de David Gilmour ou de Steve Hackett et un autre de Richard Barbieri auraient pu propulser cet album dans les hautes couches de la stratosphère qu'il peine parfois à atteindre. Sinon, les amateurs de Pink Floyd et des réalisations en solitaire de leurs membres (Richard Wright et Syd Barrett inclus) apprécieront probablement ce disque sobre et quelque peu minimaliste dont le son est superbement sculpté par l'un des plus grands orfèvres qui hantent aujourd'hui les studios d'enregistrement. [ Signal To Noise (CD & MP3) ] [ A écouter : The Boy In The Forest - Spray Paint - 'Signal To Noise (album preview) ] |
Narrow Pass : A New Day (Musea), Italie 2014 | |
Si le Royaume-Uni a largement contribué à renouveler le prog grâce à une multitude de groupes s'inspirant abondamment de Porcupine Tree, Radioplay et autres Pineapple Thief, il devient de plus en plus rare d'y écouter du prog symphonique à l'ancienne, un genre considéré comme rétro qui n'a désormais plus tellement la côte au pays du rosbif. Heureusement, d'autres contrées continuent à défendre le genre avec une belle assiduité et, parmi eux, l'Italie d'où émane régulièrement des formations qui étonnent par leur qualité digne des meilleures réalisations des 70's. Tel est Narrow Pass, formé par le guitariste et claviériste Mauro Montobbio, dont le troisième album, A New Day, est une petite merveille. Conçue comme une longue suite d'une heure, l'œuvre raconte, via un récit métaphorique de science-fiction écrit par Beatrice Oldi, comment une personne peut traverser des périodes sombres et les analyser pour finalement les accepter et vivre une existence meilleure. Ancien membre d'Eris Pluvia dans les années 90 (il n'apparaît toutefois pas sur l'excellent Rings Of Earthly Light enregistré avant son arrivée), Montobbio s'est associé avec un autre musicien de ce même groupe, le guitariste Alessandro Serri qui partage le chant en anglais avec Anna Marra, soit un tandem élégant de voix masculine et féminine qui fonctionne bien. D'autres musiciens plus ou moins connus ont également apporté leur contribution comme Edmondo Romano (saxophone et fûte) d'Eris Pluvia ainsi qu'Elisa Montaldo (grand piano) et Fabio Gremo (basse) du groupe Tempio Delle Clessidre. Plus étonnant, John, le frère cadet de Steve Hackett, a aussi été impliqué dans le projet et joue de la flute sur quatre morceaux. Le résultat est superbe avec des envolées atmosphériques et, parfois, des ambiances pastorales qui renvoient aux premiers albums de Steve Hackett ou, quand les guitares se font acoustiques, à Renaissance (Fireflies). Et quand le groupe montre un peu ses muscles comme sur Metamorphosis, c'est l'occasion de chouettes échanges entre guitare saturée et claviers. Voici un rock symphonique mélodieux et poétique dont la qualité et le pouvoir émotionnel, hors des modes et du temps, compensent largement le manque d'originalité qu'on pourrait lui reprocher. Entre deux albums de Steve Wilson, l'écoute de A New Day procure en tout cas un immense plaisir. [ A New Day (CD & MP3) ] [ A écouter : A New Day (promo video) ] |
La Coscienza di Zeno (Mellow Records), Italie 2011 | |
La Coscienza di Zeno est d'abord un célèbre roman psychanalytique et introspectif, à la manière de Proust, écrit par Italo Svevo et publié en 1923. Le nom en a été repris par ce groupe originaire de Gênes mais aussi certains thèmes du livre qui ont été adaptés par le pianiste et compositeur Stefano Agnini pour leur premier album éponyme. Les textes chantés en Italien sont importants pour La Coscienza di Zeno et ils prennent souvent l'ascendant sur la musique à tel point que leurs albums sont parfois difficiles à appréhender pour ceux qui ne maîtrisaient pas la langue italienne. Ce n'est toutefois pas le cas avec ce premier disque pour lequel les parties instrumentales abondent et viennent largement compenser l'absence de compréhension immédiate des paroles que l'on peut aussi, si on le souhaite, analyser plus en profondeur via une traduction ultérieure. Par contre, le chant en lui-même est impeccable et on ne soulignera jamais assez combien les consonances particulières de la langue "du bel canto" conviennent à merveille pour ce genre de musique rock qui fait la part belle au folklore et au classique. En plus, Alessio Calandriello peut atteindre des hauteurs insoupçonnables comme sur l'impressionnant Il Fattore Precipitante où sa voix monte par paliers dans un registre aigu inaccessible à beaucoup. Dans la ligne du prog italien des années 70, du néo-prog des 80's et du rock symphonique plus musclé des 90's, la musique de La coscienza di Zeno éclate dans toute sa splendeur, combinant avec brio des instruments modernes et vintage. Il faut dire que les membres du groupe sont loin d'être des inconnus et ont, pour la plupart, collaboré à d'autres formations de renom en Italie : Narrow Pass et Il Tempio delle Clessidre pour le bassiste Gabriele Guidi, Finisterre pour le batteur Andrea Orlando, et Narrow Pass encore pour le chanteur Alessio Calandriello. Et ces gars-là savent certainement jouer. Ecoutez-lez abandonner toute retenue sur Cronovisione jusqu'à ce qu'ils soient balayés en finale d'un grand coup d' orgue d'église rageur; ou muter en groupe folk de luxe avec guitare acoustique et accordéon sur le magnifique Il Basilisco; ou encore dévaler avec une déconcertante facilité les rythmiques compliquées de l'instrumental Un Insolita Baratto Alchemico tout en y incrustant de superbes parties d' orgue et de de flûte. Sorti en 2011, ce premier disque était réellement un coup de maître qui, malheureusement, ne sera pas reproduit: trop bavards, les deux albums suivants n'ont pas réussi à maintenir l'élan initial en dépit d'un niveau qualitatif global qui reste quand même au-dessus de la moyenne. [ La Coscienza Di Zeno (CD) ] [ La Coscienza Di Zeno sur Bandcamp (CD & MP3) ] [ A écouter : Cronovisione - Il Basilisco - Un Insolito Baratto Alchemico ] |
Sanguine Hum : Now We Have Light (Esoteric Antenna), UK 2015 | |
Les albums conceptuels ont parfois des thèmes bizarres mais celui-ci les surpasse tous. Imaginez un monde futuriste plongé dans le noir où un héro, nommé Don, qui fut la cause d'un évènement apocalyptique, est aussi l'inventeur d'une source d'énergie gratuite basée sur la logique suivante : d'une part, un chat atterrit toujours sur ses pattes et d'autre part, une tartine lancée en l'air retombe invariablement sur sa face beurrée. La combinaison de ces deux principes autorise à penser que si un toast beurré est fixé sur le dos d'un chat et qu'on lance ce dernier dans le vide, on obtiendra une sorte de mouvement rotatif perpétuel à l'origine d'une énergie propre et inépuisable. Grâce au paradoxe du chat beurré, Don ramènera la lumière (now we have light, now we have power…) sur son coin de terre tout en devenant incidemment la cible d'un obscur gouvernement désireux de s'approprier son invention. Cette théorie loufoque, déjà abordée auparavant dans divers films et publications, est ici développée de façon ambitieuse sur deux disques pour constituer un récit dont l'humour absurde, nourri par la science-fiction, renvoie à des œuvres comme l'incontournable Guide Du Voyageur Galactique de Douglas Adams, Joe's Garage de Frank Zappa ou d'autres auteurs de SF déjantés comme Ron Goulart et Fredric Brown. La musique par contre est on ne peut plus sérieuse. Après deux disques particulièrement réussis, Diving Bell en 2010 et The Weight Of The World en 2013, celui-ci confirme le talent du tandem Matt Baber / Joff Winks pour écrire de bonnes mélodies et les enrober dans des arrangements complexes et modernes. Ils savent aussi, comme sur Out Of Mind, l'instrumental Theft, ou encore sur Settle Down, utiliser à bon escient l'électronique dont les bulles, les boucles et les frissons sont fort bien intégrés dans une instrumentation plus classique. Le quartet s'est en outre adjoint les services du vibraphoniste Jim Hart qui donne une coloration supplémentaire aux textures sur deux titres: on peut l'entendre soloter sur Bubble Trouble ainsi que sur l'épique Spanning The Eternal Abyss dont la construction protéiforme et angulaire renvoie à des œuvres aussi sophistiquées que celles de Gentle Giant. Les passages instrumentaux sont nombreux, ce qui permet à tous les musiciens de briller: écoutez par exemple la partie de basse assertive de Brad Waissman sur l'instrumental Factory Cat ou les claviers grandioses de Baber sur On the Beach. Toutefois, globalement, il y a peu de solos au profit d'une créativité sonore permanente résultant d'un véritable travail de groupe : après tout, l'élaboration de ce projet leur aura pris plusieurs années avant de voir le jour. Et ce n'est pas fini car, satisfait du résultat, Sanguine Hum a déjà annoncé une séquelle à cette étrange histoire qui s'appellera Now We Have Power. [ Now We Have Light (2CD & MP3) ] [ A écouter : Chat Show - Cat Factory - Bubble Trouble ] |
Mark Wingfield : Proof Of Light (Moonjune), UK 2015 | |
Avec des artistes à son catalogue comme Allan Holdsworth, Dewa Budjana, DFA, Simak Dialog et The Wrong Object, le label Moonjune s'est fait une solide réputation en matière de fusion / jazz-rock actuel mais sa nouvelle production, Proof Of Light du guitariste basé en Angleterre Mark Wingfield, échappe à toute classification. Bien qu'ayant à son actif une douzaine d'albums dont le premier remonte à 2001, le guitariste pourtant très apprécié par ses pairs est resté méconnu du grand public. Heureusement, les choses pourraient bien changer avec ce nouvel opus plus varié que les précédents, mieux produit et surtout mieux distribué par la maison de disques new-yorkaise. Dans une approche qui n'est pas sans évoquer un certain classicisme éthéré propre aux productions ECM des années 70, Wingfield fait chanter sa guitare dans le registre aigu, modulant avec passion et un sustain diabolique des notes qui s'étirent tout en haut du spectre sonique, bien au-delà de la trame rythmique riche et dynamique tissée par le bassiste Yaron Stavi (Robert Wyatt; Phil Manzanera; David Gilmour; Nigel Kennedy) et le batteur Asaf Sirkis (Larry Coryell; Tim Garland; Gary Husband). Certains titres sont plus énergiques comme le morceau d'ouverture, Mars Saffron, propulsé par une basse vrombissante; d'autres sont plus avant-gardistes comme le superbe Voltaic et ses angoissantes nappes de sons; mais la plupart d'entre eux restent mélodiques et atmosphériques (Restless Mountains, The Way To Etretat, A Thousand Faces, Summer Night's Story, Koromo’s Tale). A l'opposé du son froid et métallique auquel souscrivent beaucoup de guitaristes de fusion (comme Tony McApine, Guthrie Govan ou Frank Gambale par exemple), Wingfield développe des phases fluides et chantantes, utilisant toutes les possibilités à sa disposition (vibrato, sustain, attaque des cordes...) pour affiner le son de chaque note et lui donner la plus grande expressivité possible, ce qui le rapproche davantage de musiciens comme Allan Holdsworth, Terje Rypdael ou même Jeff Beck au temps de Blow By Blow. Certes, Mark Wingfield ne réinvente pas le genre mais il lui ajoute indéniablement quelque chose de très personnel. [ Proof Of Light (CD & MP3) ] [ A écouter : The Way To Etretat ] |
Alusa Fallax : Intorno Alla Mia Cattiva Educazione (LP Fonit), Italie 1974 - réédition CD (Mellow Records), 1994 - CD mini-album (BTF/Vinyl Magic), 2005 | |
Issu de la manne sans fond des formations de rock italiennes du milieu des années 70, Alusa Fallax est l'auteur d'un unique album dont l'intitulé signifie "A Propos De Ma Mauvaise Education". Alors que le groupe s'est produit sur scène pendant plusieurs années dans des styles qui n'ont rien à voir avec le rock progressiste, l'album, lui, relève bien du prog symphonique avec, comme particularité, une forte allégeance à la musique baroque. Les 13 pièces de l'album sont réparties en deux suites obéissant au concept suivant : un enfant (qui était représenté sur scène par une poupée) s'est trouvé asservi par une éducation stricte qui a bloqué son développement physique et intellectuel. Ceci se traduit dans la première face du LP par une musique plutôt sage et formelle. A un moment donné de sa vie, qui correspond au dernier titre de la face A, le protagoniste se rebelle et se libère de ses inhibitions pour entamer une nouvelle existence décrite par les titres en face B du LP initial. La musique devient alors moins solennelle en corrélation avec sa liberté retrouvée. Une belle histoire que la musique n'arrive pas toujours à mettre en relief avec efficacité. D'abord, la voix du chanteur Duty Cirla n'a rien d'exceptionnel et a souvent du mal à faire passer l'émotion. Ensuite, la rythmique semble monotone jusqu'à ce qu'on se rende compte qu'elle est mal mixée. Les synthés analogiques ne sont pas toujours utilisés à bon escient (confer les horribles couinements au début de Il Peso Delle Tradizioni). Et enfin, certaines compositions un peu faciles semblent n'être qu'un décalque de ces morceaux rock basés sur la musique classique dont Pocol Harum et Aphrodite's Child se sont fait une spécialité (Non Fatemi Caso). Sinon, quelques titres sont plutôt réussis comme l'instrumental Soliloquio qui ouvre le disque et l'enlevé Carta Carbone qui referme la première face, ou encore la ballade Per Iniziare Una Vita avec son excellente partie de flûte pastorale. Ces titres au-moins montrent qu'Alusa Fallax avait le potentiel pour s'améliorer et tenter l'enregistrement d'un second opus plus mature. Mais, tiré à 5000 exemplaires seulement et sans aucune promotion, le disque n'eut guère de retentissement et la formation milanaise ne connut pas l'élan nécessaire pour persévérer dans ce genre de musique. La réédition soignée sous la forme d'un mini-album par le label italien indépendant Vinyl Magic est certes toujours bonne à prendre mais il y a beaucoup d'autres disques de prog italien à écouter avant celui-ci. [ Intorno Alla Mia Cattiva Educa (CD & MP3) ] [ A écouter : Soliloquio - Non Fatemi Caso - Carta Carbone - Per Iniziare Una Vita ] |
Nightingale : Retribution (InsideOut), Suède 2014 | |
Multi-intrumentiste et producteur suédois, Dan Swanö est surtout connu des amateurs de death metal et a son nom lié à toutes une série de projets de musique extrême (Edge Of Sanity entre autres) qui n'ont pas grand chose à voir avec le prog. C'est oublier toutefois qu'il fut aussi le fondateur au début des années 90 d'un projet nommé Unicorn qui sortit au début des années 90 deux albums de néo-prog intéressants (Ever Since en 1993 et Emotional Wasteland en 1995). Formé en 1995, Nightingale est un autre projet qui permet à Swanö d'assumer épisodiquement, à côté de ses activités plus brutales, ses inclinations pour le hard-rock mélodique des 70's ainsi que pour le style A.O.R. et le néo-prog des 80's. Septième album du groupe, Retribution est à ce jour le ples abouti des productions de Nightingale. Dan, qui a écrit tous les morceaux, y est secondé par son frère aîné Dag, qui joue essentiellement de la basse mais contribue aussi au département des guitares et à celui des claviers. Abandonnant le grunt, Dan chante avec une voix grave et profonde plutôt rare dans ce genre de musique. Ses solos de guitare sont percutants tandis que des synthés bien présents renforcent le côté A.O.R. ou néo-prog des arrangements. Quelques ballades agrémentées à l'occasion d'une guitare acoustique en accompagement (Divided I Fall) apportent encore un peu plus de variété dans un répertoire qui se décline sans aucun ennui. Pas de concept général ici mais des thèmes variés traitant aussi bien de l'avidité engendrant l'invasion guerrière de nouveaux territoires (Warriors Of The Dawn) que du suicide causé par le stress d'une société impitoyable (Echoes Of A Dream), sans oublier l'étrange malédiction causant la mort de musiciens célèbres ayant atteint l'âge de 27 ans (27-Curse or Coincidence?). On appréciera aussi la superbe pochette apocalyptique dessinée par le talentueux graphiste américain Travis Smith (qui d'autre ?). Certes, la musique des frères Swanö n'est pas exagérément complexe ni d'ailleurs très originale mais les riffs sont efficaces, les mélodies bien tournées et les textures agréables. En fait, ceux qui apprécient des formations comme Asia (période Aura et Silent Nation), Rush, Magnum, Ayreon, The Mission, Enchant, voire le versant le plus accessible de Threshold (certains de ces groupes sont d'ailleurs cités pour référence sur un sticker collé sur le boîtier: for fans of ...), seront probablement séduits par cet album. [ Retribution (CD & MP3) ] [ A écouter : On Stolen Wings - Warriors Of The Dawn - The Voyage Of Endurance - Echoes Of A Dream ] |
Between The Buried And Me : The Parallax II: Future Sequence (Metal Blade), USA 2012 | |
12 morceaux, 72 minutes de musique bourrée de riffs agressifs, de dissonances calculées et de rythmes compliqués pour l'amour de la complexité, sans parler du chant grunt auquel recourt occasionnellement le chanteur Tommy Rogers. On pourrait s'en tenir là mais ça ne serait pas tout-à-fait rendre justice à ce groupe de Caroline du Nord qui a choisi de jouer une musique hybride hors des courants existants, s'aliénant à la fois le public prog qui les trouve trop brutaux et celui du métal perplexe devant leur approche chaotique. En plus, ce disque est un album conceptuel de science-fiction dont l'histoire, déjà énigmatique, est la suite d'une préquelle commencée plus d'une année auparavant avec l'EP The Parallax: Hypersleep Dialogues. Le thème, peut-être une métaphore déguisée sur le pouvoir destructif de l'espèce humaine, traite de deux personnages se trouvant chacun à un bout de l'univers mais qui sont reliés l'un à l'autre par une étrange énergie cosmique et qui finiront par se rejoindre pour mettre fin à toute chose (Goodbye To Everything). Alors imaginez une pièce intitulée Parallax où des paroles comme celles-ci sont déclamées par Amos Williams de TesseracT (un autre groupe de prog-métal technique évoluant dans la même sphère que Meshuggah et Periphery) : "It was the relativity of time and space in our shared conscious which brought us together. Now we are one. Two forces entwined to make a decision." Et vous aurez une toute petite idée de ce qui vous attend en chemin. En dehors des parties "death", les titres longs contiennent d'excellents moments: Silent Flight Parliament par exemple démontre combien ces musiciens sont accomplis et comment leurs idées fusent à la vitesse de la lumière. Parfois, comme sur Melting City, la musique devient soudain atmosphérique et, pendant un court instant, on se retrouve dans un septième ciel floydien avant que l'enfer ne se déchaîne à nouveau. En fait, on a souvent envie de passer outre les passages féroces et d'explorer plus en détail les sections plus conventionnelles qui sont, il faut le souligner, d'un très haut niveau avec des couches empilées, des harmonies complexes, des contre-mélodies surprenantes et des rythmes époustouflants. Voilà bien toute l'ambigüité de Beyond The Buried And Me. Les amateurs d'expérimentations ayant une inclination pour le death métal hardcore seront probablement ravis par les excès de cette musique aussi intense que sophistiquée mais ceux qui n'apprécient ni les grognements ni l'agressivité assumée de ces premiers de classe risquent fort d'être asphyxiés avant d'en saisir toutes les richesses. En fin de compte, pour le public non informé, ce qui surnagera de ce chaudron démentiel est une musique dont l'émotion est noyée dans une complexité extrême et dans un niveau sonore létal rompu épisodiquement par quelques sections grandioses ou quelques courts interludes élégants qu'on reçoit comme une gourde d'eau fraîche dans le désert (Goodbye To Everything, The Black Box et Goodbye To Everything sont superbes). Par rapport à tout ça, la technique démesurée, la volonté de se démarquer du commun, la production maniaque, et la nature profondément progressiste de cette musique imprévisible pourront paraître anecdotiques. Ce qui est quand même dommage! [ The Parallax II : Future Sequence (CD & MP3) ] [ A écouter : On Stolen Wings - The Parallax: Hypersleep Dialogues [Full EP] - The Parallax II: Future Sequence [Full Album] ] |
Eclipse : Armaggedonize (Frontiers Records), Suède 2015 | |
De temps en temps apparaît un nouveau groupe de rock mélodique dont la qualité le distingue des innombrables productions du genre, la plupart interchangeables à force de répéter les mêmes schémas d'accords, les mêmes harmonies et les mêmes solos de guitare. En un mot: les mêmes clichés. Mais ce groupe originaire de Stockholm a définitivement quelque chose de spécial puisque, sans rien révolutionner, il parvient quand même à secouer le prunier différemment pour en faire tomber un fruit plus juteux. Créé en 1999, Eclipse n'a cessé de se bonifier au fil des quatre albums déjà sortis pour réaliser enfin leur plein potentiel avec le cinquième: Armaggedonize, un objet puissant constitué de hard-rock et d'A.O.R., le tout cuirassé par une bonne dose de métal rutilant. Eclipse, c'est d'abord le chanteur Erik Martensson, également guitariste rythmique, coproducteur et auteur des chansons, dont la voix exceptionnelle fait de ce disque un chef d'œuvre du genre. Ayant collaboré à de multiples autres projets comme Brozen Abbott, W.E.T., Ammunition, Giant ou Jimi Jamison, Martensson est aujourd'hui en Suède un homme à tout faire très prisé de ses pairs et il maîtrise le genre comme personne. Ensuite, le guitariste Magnus Henriksson, musicien de session réputé, délivre quelques solos à faire tomber les mâchoires tout en soignant les riffs et le son de son instrument. Quand ces deux là sont en phase, l'impact est celui d'un train de nuit qui déboule à toute charge, les baffles se courbent sous le poids des notes, la musique pétrifie l'air et vous laisse sur le carreau. C'est bien sûr à écouter volume à fond même ci ça dérange un tas de gens, d'autant plus que le casque est proscrit tant il est recommandé de laisser les vibrations entrer par le plexus solaire, condition essentielle pour se transformer en une créature frissonnante. Le claviériste Johan Berlin, le bassiste Magnus Ulfstedt, et le batteur Robbän Back n'ont, à mon sens, rien de spécial mais ils abattent leur boulot en y mettant du cœur. J'aurais certes préféré une rythmique moins binaire avec un peu plus de folie (on est prog ou on ne l'est pas) mais, dans un style aussi blindé et cadenassé que celui-ci, cela aurait peut-être déplu. Qui sait ? En tout cas, si vous appréciez le hard-rock mélodique en général et des groupes comme H.E.A.T., Giant, W.E.T., Whitesnake, Harem Scarem, House Of Lords ou Talisman en particulier… , ne ratez ce disque sous aucun prétexte. [ Armaggedonize (CD & MP3) ] [ A écouter : The Storm - Blood Enemies ] |
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