Sophie Tassignon : Licht-Raum-Erkundungen (Indépendant), septembre 2017 Sophie Tassignon (chant, électronique, compositions); Margareta Hesse (installation lumineuse). Enregistré live le 15 septembre 2017 à la Galerie Historischer Keller. 1. Incandescence (8:27) - 2. Obscurité (7:34) - 3. L'impalpable (7:18) Margareta Hesse est une artiste berlinoise dont les expositions, difficiles à catégoriser, reposent sur des contrastes entre des espaces sombres et des rayons laser rouges intenses qui sont autant de fils d'Ariane pour les visiteurs. L'atmosphère étrange qui s'en dégage, dont on peut se faire une idée en regardant une vidéo de l'un de ses évènements, est amplifiée à l'occasion d'une nouvelle exposition par la musique tout aussi abstraite de Sophie Tassignon. Grande prêtresse d'anciennes incantations qui vont si bien à la pénombre des temples érodés, la chanteuse a marié son art à cet univers visuel futuriste. On ne doute pas un seul instant que la convergence entre lumière et musique sera profitable puisque, comme l'affirmait jadis Baudelaire dans son poème Correspondances, « les couleurs, les parfums et les sons se répondent ». Mais le fait est que cette bande sonore peut aussi bien s'affranchir de son support visuel et, par la seule force de ses vibrations sonores, suggérer une infinité de mondes sensoriels avec une puissance effarante. D'une durée de 24 minutes, l'œuvre intitulée Licht-Raum-Erkundungen, que l'on traduira en inversant les mots par "Exploration de l'espace de lumière", est découpée en trois phases. La première, Incandescence, s'inscrit dans un champ de référence qui s'étend de la musique classique à celle d'avant-garde. Sans être opératiques, les onomatopées vocales se superposent en draperies grandioses d'où s'échappent des gouttes sonores qui éclatent dans un fracas scintillant sur les vieilles pierres mangées de mousse. Sophie Tassignon accomplit ainsi le sacre de la lumière qui par une explosion primordiale au cœur des ténèbres, libéra l'énergie incandescente dont nous sommes les enfants. L'obscurité, sans qui la lumière n'existerait pas, est le pôle opposé du morceau précédent. Ce titre est moins abstrait en ce qu'il est le seul à se définir explicitement par des paroles chantées en français : la nuit a envahi les lieux. Elle a gagné la bataille contre la lumière …. Dans sa seconde partie, l'atmosphère se fait plus ésotérique, entraînant l'auditeur dans les arcanes d'un labyrinthe occulte conçu comme un rite d'initiation. Quant à L'impalpable, c'est une qualité que la lumière partage avec les rêves. Normal dès lors que l'ambiance y soit onirique et les sons en apesanteur. Quelque part entre Meredith Monk et György Ligeti mais sans reposer sur un quelconque appui instrumental autre que des effets électroniques, Sophie Tassignon utilise des techniques de jeu étendues pour la voix, inventant des fresques sonores inédites qui laissent l'auditeur ébloui tant par leur splendeur que par leur hardiesse inouïe. Et insidieusement, cet album rappellera à ceux qui cherchent à apprivoiser la musique qu'elle est d'abord, au-delà de toute théorie savante, l’art des sons arrangés selon un mystère désincarné. [ Sophie Tassignon website ] Giuseppe Millaci & Vogue Trio : Songbook (Hypnote Records), 29 septembre 2017 Giuseppe Millaci (contrebasse); Amaury Faye (piano); Lionel Beuvens (drums). Toutes les compositions sont de Giuseppe Millaci excepté Skylark de Hoagy Carmichael. Enregistré en juillet 2016 au WallStudio Music par Jonas Verrijdt, mixé par Jonas Verrijdt, masterisé par Dré Pallemaerts. 1. Nostalgia Op.1 (5:32) - 2. Imagining The Fourth Dimension (5:42) - 3. Travel To (6:31) - 4. Unknown Land (6:30) - 5. Song for Clarice (5:54) - 6. Crazy Night, Lazy Day (4:22) - 7. Room 317 (4:58) - 8. Lollipop (4:31) - 9. Skylark (6:08) Le "Vogue Trio" est un projet du jeune contrebassiste d'origine italienne Giuseppe Millaci dont Songbook est le premier enregistrement. Il en a composé tous les titres excepté le standard Skylark de Hoagy Carmichael (ici prolongé par une surprise cachée) qui ne dépare d'ailleurs en rien un répertoire sonnant instantanément comme une enfilade de classiques à la séduction immédiate. Au piano, le Toulousain Amaury Faye, un des fers de lance de la génération montante du jazz français, joue comme il le fait au sein de propre trio, avec décontraction et spontanéité. Quant au Belge Lionel Beuvens, il apporte au triangle son expérience et son efficacité coutumière, ajustant sa frappe imaginative à la contrebasse volubile du leader. La diversité est de mise et au fil des plages, on se laisse séduire par la profusion des idées et des climats qui composent cet album. Du lyrique Nostalgia Op.1, dont l'intitulé est un bon résumé, au groove bluesy de Crazy Night, Lazy Day en passant par le swing intense de Room 317, les tempos sont variés tandis que thèmes plaisants se prêtent à merveille au jeu de l'improvisation. Giuseppe Millaci, en plus de servir un accompagnement fluide et protéiforme, se fend à l'occasion de quelques envolées qui illuminent les compositions (Nostalgia Op.1). Sur le très réussi Unknown Land, le contrebassiste laisse courir plus loin son imagination, délivrant à l'archet des phrases abstraites et aventureuses qui justifient amplement le titre du morceau. Amaury Faye lui-même, emporté par le côté singulier de cette fantaisie rythmique, se laisse aller à un jeu plus percussif et avant-gardiste, lâchant des chapelets de notes en cascade tel un esprit tourmenté par les spectres de Cecil Taylor et de Herbie Nichols. Quant à Lollipop qui clôture le répertoire original en offrant quelques connotations pop à la manière de The Bad Plus, il permet à Amaury de tourner longuement autour de la mélodie angulaire avant de se lancer dans un solo sophistiqué qui dévoile son sens aigu du rythme. Ainsi, entre tradition et modernité, le songbook de Giuseppe Millaci trouve-t-il un parfait véhicule dans ce trio qui réunit tous les paramètres nécessaires à sa mise en valeur. Mélodies originales, harmonies subtiles, rythmes complexes, improvisations innovantes, plus quelques dissonances bien dosées constituent le fond de cette musique bien équilibrée qui surprendra autant par sa multiplicité que par sa maturité : pour un premier essai, avouez qu'on a franchement de quoi se réjouir. [ Songbook (CD / Digital) ] [ Cover Art & Infos ] [ A écouter : Songbook (teaser) - Nostalgia Op.1 ] Lisa Rosillo & Michel Mainil Quartet : The Christmas Songbook (Travers Emotion), novembre 2017 Lisa Rosillo (Chant), Michel Mainil (Sax), Alain Rochette (Piano), Nicholas Yates (Contrebasse), Christian Verlent (Drums). Enregistré en février 2017 aux studiox Aram à La Louvière (Belgique). 1. Have Yourself a Merry Little Christmas (3:36) - 2. Santa Baby (5:05) - 3. God Bless the Child (6:48) - 4. Here Comes Santa Claus (3:14) - 5. Christmas Song (4:53) - 6. Let it Snow ! Let it Snow ! Let it Snow ! (3:27) - 7. White Christmas (3:32) - 8. Jingle Bell Rock (2:52) - 9. Nature Boy (4:49) - 10. Silent Night (4:02) - 11. Santa Claus is Coming to Town (5:46) - Durée Toale : 48'31" Voici déjà que nous arrive, bien en avance, un disque de Noël. Doté d'une pochette vintage digne de celles des disques Decca, RCA Victor ou Capitol dans les années 50, cet album offre quelques incontournables comme White Christmas, Silent Night ou Santa Claus Is Coming To Town autrefois chantés et popularisés par Bing Crosby mais aussi quelques titres moins connus ou oubliés. Parmi ces derniers, l'amusant Santa Baby de Javits et Springer jadis chanté par Eartha Kitt qui déroule malicieusement, à l'intention du père Noël, une interminable liste de cadeaux saugrenus comme une zibeline, une Chevy 54 convertible bleu clair, un yacht et une bague (Santa Baby I do believe in you) ou encore le nostalgique Nature Boy de Nat King Cole et son message d'amour éternel (The greatest thing you'll ever learn is just to love and be loved in return). Lisa Rosillo a une diction élégante et une voix chantante bien adaptée à l'interprétation de ces rengaines désuètes qui, en dépit de leur longue existence, font toujours rêver. Elle prend un accent insouciant à la Marilyn Monroe sur Santa Baby tandis que sur God Bless The Child, sa voix se laisse aller à des intonations à la Billie Holiday, retrouvant ainsi cette sorte de tristesse et de solitude qui était l'apanage de la plus grande chanteuse de jazz de tous les temps. Alain Rochette, compagnon de longue date de Michel Mainil, est au piano acoustique ou électrique pour une prestation imprégnée de jazz classique qui n'exclut pas de subtiles nuances. Par contre, la rythmique a été confiée à un nouveau tandem comprenant le contrebassiste Nicholas Yates (membre des Sidewinders avec Thomas Champagne) et le batteur Christian Verlent qui s'en tirent fort bien en délivrant un soutien frais et dynamique, quand il n'est pas carrément propulsif comme sur le joyeux Here Comes Santa Claus. Quant au leader du quartet, son jeu de saxophone est comme d'habitude d'une grande maturité même s'il est ici plus cool et velouté que d'habitude, beaucoup plus proche par l'esprit d'un Lester Young que d'un Sonny Rollins. On peut aussi l'entendre virevolter à la clarinette sur Silent Night, un autre morceau au tempo enlevé des plus agréables. Cet album, qui fait honneur à l'ambiance sereine des jours de Noël, suscite un bonheur semblable à celui ressenti quand, une fois par an autour du sapin illuminé, on ouvre un bon champagne entouré d'amis. Pour l'originalité du projet, ça se discute mais quant au plaisir qu'on en retire, il est irrécusable. [ A écouter : White Christmas ] Mazzle : Genetic Modified Art (Monks and Thieves / MAT), 10 septembre 2017 Koen Nys (saxophone ténor); Bram Weijters (piano Wurlitzer, Moog); Lionel Beuvens (drums). Enregistré en janvier 2015 au studio Kip Kaas, Mortsel, Belgique. 1. White sugar (6:10) - 2. Solid (8:00) - 3. Eraser (6:22) - 4. Alone Together (4:32) - 5. Hikari Park (4:32) - 6. Infant Eyes (7:09) - 7. Silk And Satin (4:07) Baptisé Mazzle, ce nouveau trio résulte de la rencontre entre trois musiciens expérimentés qui ont par ailleurs leurs propres groupes : le saxophoniste Koen Nijs, le batteur Lionel Beuvens et le pianiste Bram Weijters dont on a plusieurs fois vanté les mérites à l'occasion de la sortie de ses albums avec le trompettiste américain Chad McCullough. Avec un nom de groupe bizarre, un intitulé d'album qui ne l'est pas moins et une pochette en forme de graffiti peint à l'aérosol, l'auditeur n'a guère de repères avant d'aborder l'écoute de ce disque. Premier titre du répertoire présenté comme une version contemporaine de Brown Sugar, White Sugar n'a rien à voir avec le riff incandescent du succès des Rolling Stones. A la place, on a une musique aux accents lyriques mais pourvue d'un beat lancinant, propice aux improvisations, qui évoque l'ambiance nocturne d'une cité calme. Bram Weijters joue sur un piano électrique Wurlitzer dont on goûte le timbre caractéristique à consonnance légèrement métallique. Ce dernier confère un côté urbain à la musique un peu dans l'esprit de l'Elastic Band de Joshua Redman et Sam Yahel dont se réclame d'ailleurs Mazzle dans son dossier de presse. Le groove s'accentue sur Solid qui reste dans la même veine, le saxophoniste tournant autour de la mélodie et injectant un funk léger dans son jeu qui rend ce morceau à la fois accessible et plaisant. Composé par Thom Yorke (Radiohead) dont les productions sont toujours appréciées des jazzmen, Eraser met en exergue le jeu dynamique de Lionel Beuvens associé à une pulsation primale de basse synthétique accentuée par le saxophone. Après Alone Together en forme de voyage onirique, Hikari Park renoue avec cette approche gentiment funky qui, globalement, définit la ligne artistique du projet. On épinglera encore la superbe ballade Infant Eyes de Wayne Shorter, un thème aux accents nostalgiques ici rendu et exploré avec une profonde sensibilité. Le compact se referme sur le vivace Silk And Satin qui semble flotter dans l'air emporté par une brise tourbillonnante. Genetic Modified Art est un album facile à écouter. Sans se rattacher aucunement au jazz smooth, les trois complices ont défini un style moderne et lisible à la croisée des chemins entre un jazz dont la sonorité chaleureuse doit beaucoup à la combinaison sax / piano électrique, un groove souple et décontracté, et des compositions attrayantes dont le côté relax influence l'humeur de celui qui les écoute. Personnellement, voici une musique que j'adorerais écouter seul en voiture sur une autoroute filant droit dans la nuit. [ Mazzle sur Bandcamp ] [ A écouter : Eraser (live au Muze Cafe, Heusden-Zolder, 7/5/2017) - Hikari Park (live au Muze Cafe, Heusden-Zolder, 7/5/2017) ] Jelle Van Giel Group : The Journey (Hevhetia), June 2017 Carlo Nardozza (tp); Bart Borremans (ts); Tom Bourgeois (as); Tim Finoulst (gt); Bram Weijters (piano); Janos Bruneel (contrebasse); Jelle Van Giel (drums, compositions). Enregistré en décembre 2016 au Fattoria Music Studio, Osnabrück. Mixé au Studio Avatar à New York. 1. The Journey (7:33) - 2. Fuzz (9:12) - 3. Just A Little Waltz (5:36) - 4. Lullabye For Nelle (8:02) - 5. Bonito (8:18) - 6. Colorious (6:47) - 7. The Hidden City (7:18) - 8. Heading Home (4:23) Jelle Van Giel est d'abord un batteur. Formé dans les conservatoires d'Anvers et de La Haye où il a notamment suivi les leçons d'Ari Hoenig et de Jim Black, il a rapidement trouvé son style personnel à la fois souple et énergique (écoutez son solo plein de verve sur Bonito), tout entier mis au service de d'un septet qui sonne comme un mini big band. Mais Van Giel est aussi un compositeur efficace, un art qu'il a perfectionné en compagnie de Kris Defoort et de Bert Joris. Ses thèmes sont simples, attachants et inspirées par des évènements personnels reflétant des voyages (Bonito dont le rythme enlevé renvoie au Brésil) ou des situations intimistes comme l'émouvant Lullabye For Nelle en forme de comptine dédiée à sa fille. Les arrangements sont feutrés et louchent vers le passé en ravivant les vertus d'un jazz swinguant qui avait droit de cité avant le bop de Charlie Parker. Bien entendu, la réussite d'une telle entreprise est fortement dépendante des solistes qu'on peut avoir à sa disposition mais, heureusement, en réunissant autour de lui des musiciens aussi talentueux que le trompettiste Carlo Nardozza, le saxophoniste alto Tom Bourgeois ou le pianiste Bram Weijters, Van Giel a mis toutes les bonnes cartes dans sa manche : les improvisations sont fluides et l'homogénéité de la formation impressionnante tandis que le côté chaleureux et relax imposé par le leader est préservé tout au long du répertoire. On accordera une mention particulière au guitariste Tim Finoulst dont le timbre clair et le phrasé sans effets, à la fois nuancé et mesuré, s'intègre très bien à ce genre de jazz mainstream : sa splendide introduction en solo d'une remarquable fluidité sur Colorious est un modèle du genre. Le compact est emballé dans un beau digipack dont la pochette en trois volets, réalisée par Sébastien Gairaud, donne une vision abstraite, voire mathématique, de l'univers musical pourtant populaire de Van Giel. Séduisant, reposant, chantant et toujours élégant, The Journey dégage un charme qui, pour être un peu désuet (mais pas démodé), n'en est pas moins bien réel. [ Jelle Van Giel homepage ] [ A écouter : The Journey (album teaser) ] Greg Lamy Quartet : Press Enter (Igloo), avril 2017 Greg Lamy (guitare); Johannes Mueller (sax); Gautier Laurent (basse); Jean-Marc Robin (drums). Toutes les compositions sont de Greg Lamy. Enregistré en octobre 2016 au Studio des Bruères à Poitiers. 1. Control Swift (6:05) - 2. There Will Be (5:01) - 3. Le Sujet (1:42) - 4. A.-C. (8:33) - 5. Exit (7:04) - 6. Erase (8:04) - 7. Press Enter (4:41) - 8. Le chien (5:11) - 9. Blues For Jean (7:37) - 10. Bonus Track : D Blues (3:06) - Durée totale 57'04" Dès la première mesure, Control Swift groove sur une rythmique revigorante portée par la frappe tranchante du batteur Jean-Marc Robin tandis que le saxophone s'enroule autour des riffs d'une guitare électrique dont le son organique et légèrement acide invoque quelques fantômes dont le regretté Larry Coryell. Une fois mis en orbite, la détente est permise avec un There Will Be félin auquel le leader, par ses cordes tirées, donne des reflets bleutés. Ce style expressif perfusé de soul refera surface à plusieurs reprises. D'abord sur Le Chien, un morceau qui balance comme une panthère rose en maraude grâce au solo jubilatoire du saxophoniste Johannes Mueller suivi du thème joué à l'unisson. Et ensuite sur Blues For Jean dont l'intitulé étale au grand jour l'énorme emprise du blues sur cette musique, même si ce qui est ici restitué est un blues à la John Scofield, c'est-à-dire torturé par un phrasé aux contours originaux qui, combiné à une palette d'effets maîtrisés, produit un son saturé et des inflexions viscérales. Grand amoureux de belles mélodies, Lamy a aussi composé quelques pièces idéales pour faire chanter les instruments comme cet A.-C. aux accents mélancoliques, délicatement coloré par des accords flottants et de beaux chapelets de notes qui n'en finissent pas de virevolter avec grâce avant de se dissoudre dans un final onirique. Quant à Erase, c'est une sortie en apesanteur où l'on épinglera le solo de basse de Gautier Laurent décliné sur des nappes mouvantes de guitare juste avant que cette dernière ne déploie ses ailes pour s'envoler à son tour. Ce répertoire éclectique s'achève sur une friandise offerte en bonus : un D Blues en forme de hard-bop swinguant et débridé, comme une concession à un jazz classique dans lequel guitariste et saxophoniste mordent avec gourmandise, moulinant le thème et faisant tourner les solos dans un flux torrentiel. Sur le clip de présentation de l'album, on voit Greg Lamy appliqué sur sa belle guitare jaune flambant neuve, une Benedetto modèle Benny, délivrant des lignes mélodiques fluides qui n'excluent pas une vraie intensité. Il a l'air heureux et, en l'entendant jouer, nous le sommes aussi ! [ Press Enter sur le site du label Igloo ] [ A écouter : Press Enter (teaser) - Control Swift (Colombe Sessions) ] Azolia : Everybody Knows (AJazz Records), 14 avril 2017 Sophie Tassignon (vocals, composition); Susanne Folk (saxophone, clarinet, vocals, composition); Lothar Ohlmeier (bass clarinet); Andreas Waelti (double bass). Toutes les compositions sont de Sophie Tassignon et Suzanne Folk. Enregistré les 14 et 15 juillet 2015 au studio Greve à Berlin. 1. She Will (5:31) - 2. January (3:54) - 3. Everybody Knows (8:14) - 4. Don't Be So Shy With Me (2:26) - 5. False Prophecy (4:44) - 6. He Is Waiting For Me (5:06) - 7. Your Love (6:34) - 8. Attitude Song (5:08) - 9. Card Game (5:35) - 10. Good Things (5:30) - Durée totale 52'36" Tout aussi poétique que son projet House Of Mirrors quoique bien moins abstrait, Everybody Knows ramène la chanteuse belge basée à Berlin Sophie Tassignon dans le giron d'une musique plus légère et plus accessible. Elle tisse ici des liens forts avec ses deux partenaires allemands, Suzanne Folk au saxophone alto et à la clarinette et Lothar Ohlmeier à la clarinette basse et au saxophone soprano, le trio étant complété par le contrebassiste Andreas Waelti. Dans ce contexte permettant diverses configurations sonores et qu'on peut raisonnablement étiqueter comme une musique de chambre moderne, Sophie Tassignon déploie son chant clair, bien articulé dont le phrasé virevoltant, les nuances multiples et la vibrante interaction avec ses deux complices souffleurs évoquent parfois un troisième instrument soliste. C'est particulièrement vrai quand la voix part en ballade comme sur Your Love ou sur She Will, inventant des onomatopées (on appelle ça du scat) qui s'arrachent à la pesanteur comme les oiseaux sur la pochette de l'album. Pas de convulsion ni d'abstraction inutile ici, ces pièces à la fois écrites et improvisées sont ravissantes tout du long, composant sur la durée un récital d'une fraîcheur inouïe. Sur January, un groove léger s'invite tandis que les voix des dames s'harmonisent avant que saxophone et clarinette ne se mettent à dialoguer dans une intervention aussi pertinente que concise. Troublant aussi est la façon dont musiques et textes sont parfaitement en phase, comme par exemple sur Everybody Knows quand la clarinette basse, dans sa grave plénitude, ajoute une emphase dramatique à cette phrase terrible : "Everybody knows that life is a joke, but everybody plays the game." Et qui d'autre que Sophie pourrait chanter aussi bien sur les contorsions de He Is Waiting For Me, étrange mélopée saturnienne aux accents hivernaux ? L'art du quartet Azolia est lyrique, enchanteur et raffiné : trois qualités majeures à l'opposé des musiques superficielles qui, dans un monde idéal, devraient lui ouvrir les sentiers, sinon de la gloire, du moins de la diffusion radiophonique et de la reconnaissance internationale. [ A écouter : False Prophecy (live) ] Music 4 a While : Ay Linda Amiga (Igloo IGL 279), mars 2017 Muriel Bruno (chant); Johan Dupont (piano, trompette, arrangements); André Klenes (contrebasse); Jean-François Foliez (clarinette); Martin Lauwers (violon) + Invités. 1. The Lowest Trees Have Tops (6:50) - 2. Je Vivroie Liement (5:10) - 3. Les Tendres Souhaits (5:14) – 4. La Carpinese (4:12) - 5. Chiome D'Oro (5:58) - 6. The Mock Marriage (3:35) - 7. Shall I Sue (5:01) - 8. D'Où Vient Cela (4:46) - 9. Ay Linda Amiga (7:16) - 10. Dido's Lament (6:37) - Durée totale 54'39" Dès les premières mesures de The Lowest Trees Have Tops, un titre repris au compositeur luthiste britannique John Dowland, les bases du projet sont posées : investir avec un enthousiasme indéfectible et une bonne dose d'originalité l'univers musical très particulier des cantates de la Renaissance. Puisant dans le vaste répertoire de différents pays européens qui va de Monterverdi à Henry Purcell en passant par une chanson traditionnelle espagnole du 16ème siècle, la musique traduit avant tout un grand respect pour ces ritournelles du temps jadis dont la poésie est intacte. Toutefois, le groupe les restitue dans un contexte actuel en les interprétant sur des instruments modernes et en adaptant leurs arrangements, tous écrits par le pianiste Johan Dupont, co-fondateur du quintet avec la chanteuse lyrique Muriel Bruno. Des orchestrations parfois osées puisqu'elles n'hésitent pas à inclure des instruments extérieurs au contexte comme le piano bien sûr, mais aussi, via la présence d'invités, un trombone (Adrien Lambinet sur deux titres de Purcell), des percussions diverses (Stephan Pougin) ou, plus inattendu, un charango, soit une petite guitare péruvienne joliment intégrée par César Guzman sur l'émouvante chanson Ay Linda Amiga (Ah belle amie) qui prend du coup une légère couleur andine. Mais surtout, et c'est sans doute là sa principale singularité, le groupe complète les partitions écrites par une part subtile et maîtrisée d'improvisation. Contrairement à d'autres ensembles ayant, avec des réussites diverses, tenté le mariage du classique et du swing, Music 4 a While (dont le nom est dérivé d'une pièce célèbre de Purcell) ne joue pas du baroque en jazz. Les thèmes anciens sont en effet restitués avec une grande rigueur avant d'être ensuite prolongés par des improvisations fluides sans qu'aucune fracture entre les deux approches ne soit perceptible. Tout cela est réalisé avec nuance et goût par des musiciens possédant une solide formation classique mais qui affichent aussi une appétence pour des musiques plus libres. Music 4 a While, c'est un peu comme des voyageurs temporels qui revisiteraient leur lointain passé en emportant avec eux quelques objets et techniques du monde d'aujourd'hui. Et tant pis pour les paradoxes puisque Ay Linda Amiga, transcendant toutes les époques, est ressenti comme une musique sans âge, autrement dit, intemporelle. Brillant ! [ Ay Linda Amiga sur le site du label Igloo ] [ Cover Art & Infos ] [ A écouter : Ay Linda Amiga (extrait) ] Raphaelle Brochet / Philippe Aerts : Kamalamba (Igloo IGL 282), février 2017 Philippe Aerts (contrebasse); Raphaëlle Brochet (voix) 1. Kedaram (5:05) - 2. O Bebado E A Equilibrista (3:13) - 3. Crystal Silence (7:51) - 4. Santhanam (6:42) - 5. Folhas Secas (5:21) - 6. Kamalamba (6:45) - 7. Spring can really hang you up the most (6:43) - 8. Sah'ra (6:07) - 9. Estar a ti (3:23) - 10. Sah'ra Epilogue (1:22) - Durée Totale : 56'32" Vocaliste au parcours atypique, Raphaëlle Brochet ne s'est pas contentée d'étudier la musique et le jazz dans les conservatoires mais elle s'est aussi rapidement intéressée à d'autres cultures incluant des musiques indiennes, perses, balinaises et brésiliennes. Toutes ces influences cosmopolites sont bien audibles sur cet album qui porte le nom d'une des nombreuses divinités du panthéon indien. Que ce soit sur Kedaram dont le cadre mélodique est inspiré par les ragas, ou sur O Bebado a Equilibrista, une chanson hautement politique jadis popularisée par Elis Regina qui en dépit de ses graves paroles groove avec une belle musicalité, ou encore sur les deux titres intitulés Sah'ra dont les effluves orientaux se mêlent à un folklore imaginaire issu des Balkans, on se promène à l'aise sur des sentiers ethniques colorés tout en se tenant à l'écart des grandes routes encombrées de la musique world. La configuration aussi est originale puisque c'est en duo avec le contrebassiste Philippe Aerts que la chanteuse a choisi d'enregistrer sa musique. A l'instar d'un Avishai Cohen, la basse sinueuse enveloppe les paroles sans effet superflu mais avec beaucoup d'émotion, s'appropriant les rêves baladeurs de la chanteuse et les nourrissant musicalement dans une interaction à la fois simple et sophistiquée d'une inouïe justesse. De quoi briser les murs artificiels des étiquettes et faire chavirer les cœurs même de ceux qui n'aiment pas forcément le jazz. Pourtant, les risques et les improvisations sont bien présents tandis que le dialogue entre l'instrument et la voix aérienne, qui s'envole parfois en scat (Folhas Secas) ou se dédouble par la magie du réenregistrement (Santhanam), témoigne d'une vraie rencontre fraîche, spontanée et stimulante même si on sent que la session a été soigneusement préparée et longuement murie. Le duo donne également sa version de Crystal Silence, une magnifique composition du pianiste Chick Corea qu'il interpréta lui-aussi en duo avec le vibraphoniste Gary Burton, et qui bénéficie ici d'un solo fluide et chantant de contrebasse. Aux confins des musiques improvisées et de folklores multiples où se mêlent des teintes et des rythmes glanés dans bien des traditions, Kamalamba a le goût des épices rares et procure le frisson de la découverte. Mariage inattendu, voici un duo frais et plein de charme qui sans jamais verser dans l'exotisme vous fera pourtant traverser des paysages sonores aussi mystérieux qu'inédits. Une belle réussite ! [ Kamalamba (CD / Digital) ] [ Cover Art & Infos ] [ A écouter : Kamalamba (teaser) - Kedaram ] De Groote - Faes Duo : Symphony For 2 Little Boys (Vlaamsekunst Records), 2017 Bruno De Groote (guitare électrique); Ben Faes (contrebasse); Dave Douglas (trompette : 3,5,9). Enregistré en juin 2016 à Madam Fortuna, Borgerhout sauf 3, 5 et 9 enregistrés en novembre 2016 au studio Number Nine, Gand (Belgique). 1. Le métropolitain (05:11) - 2. Bastien (04:40) - 3. Fermeture (06:00) - 4. La valse du coeur brisé (06:40) - 5. Manifesto (06:06) - 6. La bataille (06:58) - 7. De eenzame treurwilg (06:00) - 8. Les lunes (05:09) - 9. Endormi (05:24) - 10. Cascamorras blues (05:44) - 11. Help (I need it) (02:48) - 12. Ballade mignonne (02:52) – Durée Totale : 63'51" Voici un duo très singulier déjà en ce qui concerne sa configuration. D'un côté, une contrebasse acoustique jouée par Ben Faes, dont la formation au Conservatoire Royal d'Anvers lui permet de s'intégrer dans des contextes divers allant d'un groupe de folk à un orchestre philarmonique ; et de l'autre, une guitare électrique Gibson Les Paul jouée par Bruno De Groote dont le panel des styles est tout aussi varié que celui de son complice. Auteur en 2014 d'En Route, un premier disque plus jazz mais déjà très éclectique, le tandem propose un second opus toujours ouvert aux innombrables possibilités, aussi bien soniques que rythmiques ou mélodiques, que permet la musique moderne improvisée. C'est ainsi qu'au fil des plages, on écoutera un hommage à Jean-Sébastien Bach (Bastien), une valse bluesy propice à de belles improvisations et interactions entre les deux instruments (La Valse Du Cœur Brisé), une interprétation personnelle et un peu sombre des mystères de l'Orient sans doute revus à la lumière de l'histoire récente de ce coin du monde (La Bataille), une bande sonore étrange et romantique pour un film ésotérique imaginaire qui n'est pas sans évoquer Univers Zero (De Eenzame Treurwilg ou, en français, le Saule Pleureur Solitaire), quelques espagnolades discrètes enfouies sous d'autres genres de musique (Cascamorras blues), une chanson mélancolique avec des harmonies vocales surprenantes (Help), et finalement, stratégiquement placée en fin de répertoire, une gentille et tendre ballade pour s'endormir avec le sourire (Ballade Mignonne). La guitare chante parfois avec une réverbération spatiale comme celle de Bill Frisell mais elle peut aussi devenir agressive et saturée, plongeant à l'occasion dans une rage urbaine incontrôlée. Alliée au son plus classique de la contrebasse, elle invite à un voyage aussi merveilleux qu'imprévisible dans un monde multi-facettes et surréaliste dont le collage de la pochette se fait l'écho. Le légendaire trompettiste Dave Douglas apparaît en invité sur trois titres, reliant quelque part l'univers du De Groote - Faes Trio à celui de John Zorn, créateur avant-gardiste dont l'œuvre dense et variée défie toute classification académique. C'est particulièrement évident sur Fermeture avec sa fusion de jazz et de thèmes orientaux que l'on nomme en Israël "jazz falafel" en référence à une recette culinaire locale ainsi que sur le thème klezmer de Manifesto. Mais c'est aussi vrai sur Endormi ou l'association trompette / guitare électrique / contrebasse renvoie à certaines expériences soniques dont le label Tzadik a toujours été coutumier. Ni jazz, ni rock, ni folk, ni classique, Symphony For 2 Little Boys est tout cela à la fois. Voici en tout cas une production aussi déroutante qu'aboutie qui devrait ravir toutes les oreilles avides de musiques plurielles et originales. [ Symphony for 2 Little Boys (CD / Digital) ] [ Symphony For 2 Little Boys sur Bandcamp ] [ Cover Art & Infos ] [ A écouter : Le Métropolitain - Les Lunes ] Igor Gehenot, Alex Tassel, Viktor Nyberg, Jerome Klein : Delta (Igloo IGL 280), 3 mars 2017 Igor Gehenot (piano); Alex Tassel (bugle); Viktor Nyberg (contrebasse); Jerome Klein (drums). Toutes les compositions sont de Igor Gehenot sauf 7 par Alex Tassel et 8 par Jerome Klein. Enregistré en octobre 2016. 1. Intro (1:47) - 2. December 15 (2:43) – 3. Moni (5:46) - 4. Sleepless Night (4:56) – >5. Step 2 (6:06) – 6. Abysses (8:15) - 7. Starter Pack (5:37) – 8. Johanna (6:16) – 9. Drop By (4:58) Sorti en 2011, Road story révélait un jeune pianiste lyrique dont la retenue naturelle allait de pair avec la poésie de ses compositions. Son talent fut confirmé deux années plus tard avec Motion, un album qui mettait aussi en relief sa maîtrise des morceaux plus rapides. Soutenu par un public littéralement sous le charme de son toucher et de son sens harmonique et adoubé par les chroniqueurs de revues importantes comme Jazzhot ou Jazzwise, Igor Gehenot est resté sur le label Igloo pour son troisième disque qui présente quelques innovations. D'abord la pochette neutre, d'un blanc aveuglant, avec seulement le nom du projet (Delta) et ceux des musiciens, contraste avec les photos artistiques des précédents opus en laissant une impression de néo-classicisme. Ensuite, la formule du trio est abandonnée au profit d'un quartet, ce qui entraîne en principe un nouveau partage des responsabilités mais permet aussi de nouveaux échanges et interactions. Enfin, l'adoption d'une formation internationale avec un bugliste français (Alex Tassel), un contrebassiste suédois (Viktor Nyberg) et un batteur luxembourgeois (Jerome Klein), devrait permettre au leader d'élargir son champ d'action et de jouer sa musique dans de nouveaux contextes. La brève introduction (Intro) suivie de December 15 rassurent d'emblée sur les intentions du pianiste : sa musique reste d'abord empreinte d'une profonde nostalgie, évoquant même ces teintes nordiques dont le label munichois ECM est l'incarnation. Récompensé d'un Choc Jazz Magazine pour sa production Serenity dans un style hard-bop, Alex Tasssel joue ici la carte de la sérénité, déposant avec grâce et légèreté des notes veloutées sur les tempos lents qui sont majoritaires. La sonorité d'ensemble est émouvante, particulièrement sur le magnifique Sleepless Night propice à une méditation nocturne. Moni, Abysses et Johanna prolongent ce climat onirique où la rythmique semble jouer derrière un voile tandis que le pianiste esquisse quelques accords saturniens et que le bugliste courtise à la fois le silence et l'apesanteur. Ces moments fugaces de pure beauté automnale sont complétés par des compositions plus nerveuses : Step 2 permet aux musiciens de se divertir dans une longue envolée post-bop euphorique tandis que Starter Pack, le seul titre écrit par Tassel, séduit par son groove subtil avant de s'imposer, après trois écoutes seulement, comme un vrai standard avec lequel on aurait déjà vécu une éternité. En bonne compagnie, Igor Gehenot passe avec brio le cap du troisième album et poursuit son évolution personnelle en jouant sur les formes. Son imagination, son sens mélodique et sa profonde sensibilité restant par contre intactes, cette nouvelle production n'a aucun mal à se hisser au même niveau de réussite que les deux premières. [ Delta (feat. Alex Tassel) (CD / Digital) ] [ Delta sur le site du label Igloo ] [ A écouter : Sleepless Night ] Blueline : Jazz Quartet and More (Indépendant), 2017 Alain Cupper (sax, flute); Xavier-Edouard Horeman (claviers); Marc Lognard (basse); Jacques Le Texier (drums, percussions) 1. Tears In Heaven (3:46) - 2. The Bright Star In The Sky (5:29) - 3. The Gift / Recado Bossa Nova (4:12) - 4. Ballad For G Angel (4:36) - 5. Work Song / Sing Sing Song (3:08) - 6. Symphony N°3 Opus 90 (3:32) - 7. Blue Line (4:05) - 8. Over The Rainbow (5:41) - 9. Ain't No Sunshine (8:42) - 10. Sunny (5:49) - 11. Just The Two Of Us (4:30) - 12. The Show Must Go On (7:13) Si sur ses disques précédents, Alain Cupper se consacrait exclusivement au saxophone baryton en faisant allégeance aux grands maîtres des fréquences basses comme Pepper Adams ou Gerry Mulligan, il n'en joue ici que sur deux titres sur douze, optant sur les autres morceaux pour le ténor, le soprano, la flûte et surtout l'alto. Il faut dire que Blueline est un projet bien différent créé par Cupper en collaboration avec le pianiste Xavier-Edouard Horemans et dont l'objectif est de jouer une musique éclectique, douce et jazzy (qu'on peut qualifier de smooth) s'abreuvant à différents genres comme la pop (Tears In Heaven d'Eric Clapton, The Show Must Go On de Queen, Sunny de Bobby Hebb), la musique latine (Recado Bossa Nova), les standards américains (Over The Rainbow interprété par une chanteuse), la soul (Ain't No Sunshine de Bill Withers), la musique classique (le troisième mouvement de la symphonie N°3 de Brahms) et, pour faire bonne mesure, un classique du hard-bop (Work Song de Nat Adderley) sur lequel Cupper revient à son baryton fétiche. Le répertoire ne comprend que trois compositions originales : Ballad For G Angel d'Alain Cupper, également interprété au baryton, qui est exactement ce que son titre indique, soit une ballade tranquille habillée d'une belle mélodie, le bucolique The Bright Star In The Sky écrit par le pianiste, ainsi que Blue Line doté d'un groove léger assuré par Horemans à l'orgue Hammond. S'il est clair que ce groupe peut jouer toutes sortes de musiques différentes, l'ambiance générale, quel que soit le style abordé, reste feutrée, sage, passée à la moulinette pour plaire à un public le plus large possible. Cette suite de vignettes sonores constitue un large éventail et une belle carte de visite de ce que ce quartet peut offrir : le versant tamisé le plus immédiatement accessible du jazz, un "easy listening" de luxe assuré par des musiciens professionnels et qui plaira à ceux qui ne jurent que par Kenny G, Bob James, Chris Botti et Fourplay (ce qui, avouons-le, fait déjà pas mal de monde). [ Cover Art & Infos ] [ Blueline website ] Orchestra Nazionale Della Luna (Eclipse Music / Jazz Avatars), 2016 Manuel Hermia (sax, flute & bansuri); Kari Ikonen (piano & Moog); Sébastien Boisseau (contrebasse); Teun Verbruggen (drums) 1. Itamerengue (1:27) - 2. Karibou (6:07) - 3. The Truth (6:21) - 4. Luna 17 B (8:51) - 5. Anastasia Anastaa Sian (6:06) - 6. First Visions (8:27) - 7. Nostalgie d'un Absolu (5:32) - 8. Begemot (10:30) - 9. Ankkuri (5:34) Fondé en 2015 par le saxophoniste et flûtiste belge Manuel Hermia et par le pianiste finlandais Kari Ikonen, ce quartet est étrangement affublé d'un patronyme fellinien - Orchestra Nazionale della Luna - qui pourrait suggérer que leur musique décalée vient d'ailleurs, à moins que ce ne soit plutôt une forme d'humour au second degré comme le laisse supposer la superbe couverture du digipack en quatre volets (conçue par Maël G. Lagadec qui a aussi travaillé récemment pour Igor Géhenot et Jean-Paul Estievenart). Si le préambule au premier titre, Itamerengue, sonne bizarrement, les choses se mettent en place rapidement avec quelques mesures d'un un jazz moderne et enlevé qui rassure sur ce qui va venir. Après cette courte introduction, le programme commence vraiment par le morceau suivant, Karibou, doté d'un thème attachant et marqué par un groove subtil sur lequel s'épanouissent la flûte de Manuel Hermia et ensuite le piano de Kari Ikonen. On ne manquera pas de noter le jeu à l'archet très original du lillois Sébastien Boisseau, un contrebassiste particulièrement versatile et inventif déjà rencontré dans une multitude de projets à géométrie variable comme Maak's Spirit et Wood ou avec Daniel Humair, Joachim Kühn et Louis Sclavis. Sur certains titres comme The Truth et Ankkuri, Kari Ikonen joue également du Moog, un synthé dont les sonorités typées renvoient à certaines œuvres de fusion progressive des années 70. Au fur et à mesure que défilent les compositions, toutes écrites soit par Hermia soit par Ikonen, il se passe des choses inattendues. Que ce soit la mystérieuse déambulation nocturne dans les sables de Luna 17 B, les borborygmes extraterrestres du futuriste First Visions, le climat onirique de Nostalgie D'un Absolu, la batterie crépitante de The Truth animée au cœur de la tourmente par un Teun Verbruggen impétueux, ou le post-bop endiablé de Begemot, la musique de cet orchestre captive par son constant dynamisme et son imprévisibilité. Voici une musique qui bouillonne de vitalité tout en s'exprimant de façon fluide et cohérente, les quatre musiciens venus d'horizons différents ayant réussi à amalgamer leur sève et leur talent en un collectif aussi singulier que visionnaire. [ Delta sur le site du label Igloo ] [ Cover Art & Infos ] [ Orchestra Nazionale della Luna sur Bandcamp ] [ A écouter : Orchestra Nazionale della Luna ] Jean-Paul Estiévenart : Behind The Darkness (Igloo Records), novembre 2016 Jean-Paul Estiévenart (trompette); Sam Gerstmans (contrebasse); Antoine Pierre (batterie). Enregistré au Studio Jet en février 2016 (Belgique). 1. Blade Runner (5:07) - 2. Mixed Feelings (6:55) - 3. Simple Mind (5:14) - 4. Equilibre (2:10) - 5. Quadruplets (0:25) - 6. Lost End (5:27) - 7. MOA (8:05) - 8. Fenêtre (0:26) - 9. Asphalt (5:33) - 10. Deep Heart (5:36) - 11. Behind The Darkness (2:45) - 12. Cafe Yuka (0:33) - 13. Miyako (3:39) Behind the Darkness aurait pu être l'intitulé d'un album de Miles Davis cédant aux forces de ces ténèbres dont on disait qu'il était le prince. Mais pour Jean-Paul Estiévenart, cette noirceur est d'abord celle des terrils du borinage dont les formes sombres et aujourd'hui verdoyantes, témoins d'une époque révolue, recelaient assez de mystère pour attirer les enfants en mal d'aventure. Aurait-on dès lors entre les mains un autre de ces albums nostalgiques où une trompette impalpable ressasserait sans fin les chimères de l'âge tendre. La réponse est non car si quelques morceaux aux contours sinueux comme le court Equilibre, Miyako emprunté à Wayne Shorter, ou le long MOA distillent un lyrisme contemplatif dont l'expressivité est encore rehaussée, sur ce dernier titre, par l'utilisation avisée d'une trompette avec sourdine, le répertoire est dans sa globalité un vrai florilège de styles constituant un univers musical des plus variés. Aussi, du cinglant Blade Runner au sinueux Deep Heart en passant par les mille détours d'un Asphalt post-moderne, on peine à refléter la diversité de ces miniatures dont on se contentera de louer la finesse des nuances. Après avoir brillamment contribué au succès de formations plus étoffées comme le projet Urbex d'Antoine Pierre, le LG Jazz Collective ou le Black Rainbow de Lorenzo Di Maio, c'est avec son trio habituel (celui de Wanted sorti en 2013) que le trompettiste a enregistré ce nouvel album. Un cadre épuré qui permet à l'interprète Estiévenart de s'épanouir à l'aise, de peaufiner ses attaques fulgurantes, d'exposer son sens des contrastes alliant force et fragilité, et de séduire par la précision d'une sonorité maîtrisée qui, telle celle d'un Wynton Marsalis, possède une fantastique plasticité. Allié précieux, le contrebassiste Sam Gertsmans profite ici de l'absence d'instrument harmonique, accompagnant avec autorité et prenant quelques beaux solos qui ont du caractère (Mixed Feelings). Quant au phénoménal Antoine Pierre, il fait crépiter sa batterie avec une intensité superlative, épousant les idées du leader tout en dynamisant la musique par des rebondissements inattendus. Sur Asphalt, le trompettiste ouvre son trio au saxophoniste ténor Steven Delannoye. Après un thème sophistiqué joué à l'unisson, la rentrée du saxophoniste accentue le côté post-bop de la musique et l'on se rend alors compte, lors des échanges qui suivent, combien sa sonorité se marie à merveille avec celle du trompettiste. Bien emballé dans un somptueux digipack trois volets avec livret en forme de poster, ce nouvel album confirme Jean-Paul Estiévenart comme étant non seulement un compositeur inspiré mais aussi et surtout un musicien raffiné, curieux et polyvalent, capable dans la seconde d'enfiler une cascade de notes saccadées juste après un phrasé legato et de faire passer le tout dans un frisson de plaisir. Bel album qu'on aimerait un jour voir édité en vinyle ! Grande musique qui laisse l'oreille aux aguets ! [ Cover Art & Infos ] [ Chronique de Wanted ] [ J-P Estiévenart website ] [ Behind Darkness sur Igloo Records ] [ A écouter : Behind the Darkness - Teaser ] TAB (Alex Beaurain - Tom Bourgeois - Frédéric Malempré) : Seahorse (Homerecords.be), 21 septembre 2016 Alex Beaurain (guitare acoustique); Tom Bourgeois (saxophones soprano & tenor, clarinette basse); Frédéric Malempré (percussions) + Frédéric Becker (bansuri) sur 8. Enregistré à Homerecords.be (Belgique). 1. Mystic wood (4:45) - 2. Snapshot #1 (5:08) - 3. Au large (6:24) - 4. Seahorse I (4:24) - 5. Seahorse II (6:58) - 6. Interlude (7:07) - 7. Snapshot #2 (0:34) - 8. Halotouktouk (4:51) - 9. Ahouféoudéboyz (6:37) - 10. Tragodia (5:27) - 11. Snapshot #3 (0:50) - 12. Le gang des fées (6:44) Il y a deux ans, l'album Himeros avait posé les bases d'un nouveau trio voyageur nommé TAB. Pour ceux qui ne le savent pas encore, TAB est l'acronyme de "Trio d'Alex Beaurain", histoire de préciser que ce triangle n'est pas tout à fait équilatéral, le guitariste français étant le leader et celui qui écrit toutes les compositions. Toutefois, la musique de TAB ne serait pas ce qu'elle est sans la contribution de ses deux complices qui apportent des couleurs vives et originales à ce jazz de chambre dont les racines sont plantées dans le sol de la vieille Europe mais dont les fleurs s'épanouissent aux quatre vents du monde. Après tout, ce n'est pas si souvent qu'on peut entendre une clarinette basse converser avec une guitare acoustique sur fond de percussions. Loin de n'être que de simples esquisses livrées à l'improvisation collective (qui n'est cependant pas pour autant négligée), les compositions apparaissent fort structurées et les moments de liberté sont cadrés avec soin pour préserver l'empreinte de celui qui les a écrites. Mystic Wood qui ouvre l'album porte bien son nom tant la mélodie austère évoque un endroit à la fois sombre et mystérieux. Plus loin, la première partie de Seahorse, qui donne son nom à l'album, renvoie à un univers liquide où les notes sont effleurées avec délicatesse, presque murmurées alors que les percussions donnent l'impression d'un environnement mouvant où l'hippocampe du titre, animé par les deux solistes, peut se contorsionner à l'aise. Tout cela sonne comme de la poésie qui danse, comme un tableau animé, ou comme une sculpture dont les formes voluptueuses se mettraient soudain à vibrer. Avec Halotouktouk, la palette sonore devient plus luxuriante et les rythmes plus exotiques : Frédéric Becker est ici invité à jouer de cette grande flûte traversière indienne appelée bansuri, apportant d'autres sons qui invitent l'auditeur à prendre la route. Retour au jazz de chambre sur Tragodia et sur Le Gang Des Fées, un thème onirique où le trio frôle la grâce tandis que Frédéric Malempré fait danser les elfes sur ses drôles d'instruments percussifs. Le répertoire inclut aussi trois courts interludes, intitulés Snapshots, qui paraissent des essais inachevés au milieu du reste. De sa guitare acoustique qui sonne parfois de manière étrange sans doute à cause d'accordages non conventionnels, Alex Beaurain laisse échapper des accords inusités qui contribuent à donner à sa musique un cachet très particulier. Aussi limpide et épuré que sa pochette, Seahorse est un beau disque à conseiller d'abord aux grands rêveurs impénitents mais aussi à tous ceux qui recherchent avidement un peu de douceur dans un monde furieux. [ Seahorse ] [ Alex Beaurain website ] [ Chronique de Himeros ] [ A écouter : Au Large - Ahouféoudéboyz ] Jean-Philippe Collard-Neven, Michel Donato, Pierre Tanguay : Mardi 16 Juin (Igloo), 9 septembre 2016 Jean-Philippe Collard-Neven (piano); Michel Donato (contrebasse); Pierre Tanguay (batterie). Enregistré le 21 mai 2014 et le 25 juin 2015 au Studio 270, Montreal. 1. Djuni (5:57) - 2. Petite Brise (7:11) - 3. La balance (6:38) - 4. Moon smile (6:21) - 5. Mardi 16 juin (9:28) - 6. Pour Clara (6:15) - 7. Gros câlin (6:17) – 8. Passeur d'étoile (6:36) - 9. Toronto (3:46) Le pianiste et compositeur Jean-Philippe Collard-Neven est un musicien hors normes dont le jeu s'abreuve à différents courants allant du jazz au classique en passant par d'autres musiques moins catégorisables (il a notamment joué avec le groupe d'avant-garde Art Zoyd). Sa discographie rattachée au jazz, aussi bien en solo (Out Of Focus, 2015) qu'en duo avec Jean-Louis Rassinfosse (Regency's Nights, 2006), en quartet avec Fabrice Alleman (Braining Storm, 2010 ) ou en compagnie du Quatuor Debussy (Filigrane, 2016), reflète cette diversité d'intérêts tout en s'inscrivant dans un jazz de chambre en clair-obscur où tendresse et mélancolie sont deux constantes universelles. Il joue sur cet album avec un nouveau trio incluant deux célèbres musiciens montréalais : le contrebassiste Michel Donato, qui accompagna jadis Oscar Peterson, et le batteur Pierre Tanguay, véritable cheville ouvrière de la scène québécoise. Ces trois-là étaient à priori faits pour s'entendre car le répertoire, dont tous les titres sauf un sont composés par l'un des trois complices, est d'une cohérence absolue. Favorisant les climats aériens, supporté par une rythmique en suspension, le pianiste ornemente le silence de sons perlés qui tombent comme des gouttes de pluie (écoutez par exemple l'introduction de Pour Clara ou celle de Passeur d'Etoile). Certains titres comme Toronto ont un fort parfum classique inscrit dans leurs mélodies et évoquent le style également singulier et éclectique d'un autre pianiste atypique nommé Charles Loos. Ecrit par Pierre Tanguay, La Balance met en évidence la souplesse et l'inventivité de son jeu de baguettes, le batteur allant jusqu'à mener avec le pianiste une surprenante conversation improvisée. La seule composition étrangère au groupe est celle qui donne son nom à l'album : empruntée à la canadienne Diane Labrosse, Mardi 16 Juin est une pièce évanescente dont les sonorités éparses s'effilochent dans l'éther et qui ne rompt pas l'équilibre du disque. Un disque tout en nuances, produit parfait d'une nouvelle manière d'aborder l'art du trio dont les contours sont revisités sous un angle européen. Si l'on en juge par l'impact émotionnel de la musique offerte, c'est définitivement une approche féconde qui ne manque ni d'attrait ni de fraîcheur. [ Mardi 16 Juin (CD / Digital) ] Yves Peeters Gumbo : The Big Easy Revisited (WERF 136), février 2016 François Vaiana (chant); Bruce James (p, chant); Nicolas Kummert (ts); Dree Peremans (tb); Nicolas Thys (b); Yves Peeters (dr). Enregistré en juin 2015 au Sunny Side Inc, Brussels. 1. My Gumbo's Free (5:19) - 2. This Time (6:04) - 3. New Orleans by Dawn (4:55) - 4. Force of Nature, part 1 (4:15) - 5. Force of Nature, part 2 (3:59) - 6. Light house (7:20) - 7. 24 Hours Later (5:29) - 8. Masquerade (4:04) - 9. No Hero (5:20) - 10. True Love Pie (4:36) - 11. Street Parade (6:33) The Big Easy, c'est l'un des surnoms donnés à La Nouvelle Orléans qui se réfère à l'attitude libre et décontractée affichée par les résidents, et les musiciens de jazz en particulier, face à la vie. Quant au gumbo, c'est un ragoût local composé d'ingrédients multiples issus de différents pays et cultures dont entre autres la France, l'Espagne, les Choctaws et l'Afrique de l'Ouest. Soit deux dénominations qui décrivent à merveille le style et les objectifs de cette formation : faire revivre avec enthousiasme, sinon exaltation, le riche et pluriel héritage musical d'une ville qui fut le berceau du jazz et des métissages en tous genres (blues, boogie-woogie, soul, funk, R'N'B, rythmes caraïbes, fanfares…) et dont le groove continue à imprégner beaucoup de musiques actuelles. Alors oui, on retrouve tout ça dans ce disque d'Yves Peeters. Le son est moderne, chaleureux et le jazz joué d'une façon collective s'y mâtine de blues et de soul. La ligne de cuivres, composée de Nicolas Kummert au sax ténor et de Dree Peremans au trombone, s'approprie des grooves hypnotiques tandis que la basse ronde de Nicolas Thys (qui se fend de beaux solos sur No Hero et sur My Gumbo's Free), associée à la batterie du leader, assure un ancrage sans faille et sert de fil conducteur. Bien sûr, un projet pareil ne pouvait se concevoir sans chanteur et, ici, on en a deux, chacun avec une forte personnalité et une voix caractéristique. D'un côté, François Vaiana, fils du saxophoniste Pierre Vaiana, a une voix claire et bien articulée tandis que son complice, le pianiste américain Bruce James, a une voix rocailleuse et expressive. Chacun imprime donc sa marque aux morceaux qu'il chante, ce qui accentue agréablement la diversité de l'album. Sur les onze titres, on ne compte qu'un seul instrumental (Force of Nature, part 1) ce qui indique bien que l'accent est mis avant tout sur l'aspect chanson, qu'elle soit dans un style funky (This Time), soul (New Orleans By Dawn), un peu cajun (True Love Pie) ou bien rythmée par les tambours à la manière de Iko Iko (Force of Nature, part 2). Enfin, on notera que toutes les compositions ont été écrites par les membres du groupe car, si l'inspiration du projet reste avant tout la musique de la Nouvelle Orleans, sa réalisation est entièrement originale, ce qui donne à cette célébration un indéniable côté créatif d'autant plus que les arrangements efficaces et nuancés ont une élégance naturelle d'une grande fraîcheur. [ The Big Easy Revisited (CD / Digital) ] [ A écouter : The Big Easy Revisited (Recorded at Café Bravo, Brussels, 2014)] Big Noise : Live (Igloo Records), Juillet 2016 Raphaël D'Agostino (chant, cornet, trompette); Johan Dupont (piano); Max Malkomes (contrebasse); Laurent Vigneron (batterie) 1. What-'Cha-Call-'Em Blues (3:53) - 2. Down by The Riverside (4:55) - 3. Make Me A Pallet On The Floor (6:07) - 4. Carry Me Back To Old Virginny (4:40) - 5. Big Chief (6:49) - 6. Old Stack O'Lee Blues (5:29 ) - 7. Jesus On The Mainline (5:06) - 8. Oh, Didn't He Ramble (4:19) - 9. Cornet Chop Suey (2:54) - 10. Savoy Blues (4:50) - 11. Forty Second Street (3:07) - 12. Mardi Gras Mambo (6:54) - 13. My Indian Red (7:27) - 14. (I'll Be Glad When You're Dead) You Rascal You (4:12) - 15. Black And Blue (8:01) Big Noise, ce sont quatre musiciens belges tombés dans la marmite du Jazz New Orleans. Le vrai, l'authentique, celui qu'on peut entendre dans le Vieux Carré ou le Faubourg Marigny à la Nouvelle Orléans. Et s'ils portent des noms bien européens comme Vigneron, D'Agostino ou Dupont, leur musique sonne comme si elle était jouée par des formations vintage telles le Preservation Hall Jazz Band, Rene Netto and the Sounds of New Orleans ou Kermit Ruffins and the Barbecue Swingers. D'ailleurs, inutile de s'encombrer de nouvelles compositions, il suffit de reprendre et d'arranger avec goût les classiques du genre dont certains comme Savoy Blues de Kid Ory, Cornet Shop Suey de Louis Armstrong ou Oh, Didn't He Ramble de W.C. Handy font danser les riverains du Mississippi et du Lac Pontchartrain depuis plus d'un siècle. Au total, on a droit à quinze reprises dont la moitié environ sont chantées et parfois sifflées. Certaines sont des spiritual (Down By The Riverside), d'autres des blues (Stack O'Lee), d'autres remontent au berceau de la musique syncopée (Cornet Chop Suey) ou sont issus de la tradition orchestrale (What-'Cha-Call-'Em Blues qui fit les beaux jours de Fletcher Henderson) sans oublier les incontournables références aux grooves boogaloos, aux parades, à la Seconde Ligne et au Mardi Gras (Mardi Gras Mambo). Et puis il y a ce fantastique Indian Red joué autrefois en ouverture des rassemblements du Mardi Gras Indien et, surtout, une version déjantée du Big Chief d'Earl King et de Professor Longhair incluant une partie de piano à tomber à la renverse. Big Noise a déjà à son actif deux albums enregistrés en studio, Power Jazz New Orleans de 2011 et New Orleans Function sorti en 2013, mais on conviendra que cette musique prend tout son sens quand elle est interprétée live. Elle procure alors une joie de vivre immédiate à ceux qui l'écoutent tout en les incitant, dans ce qui reste un mystère impondérable, à se lever et à onduler en mesure dans des postures désinhibées en oubliant tous leurs soucis. Retrouvant quelques fondamentaux, elle devient synonyme de petits bonheurs et de rires, de cortèges et de fanfares, de liberté et de légèreté, et quand elle est jouée le samedi, elle peut éventuellement engendrer de l'amitié, voire même de l'amour. Si vous n'avez pas de quoi vous payer un orchestre pour animer vos soirées d'été au milieu des pins et des sycomores, ce disque-ci fera l'affaire et si, par malheur, il n'y a pas de fête au programme, écoutez-le au casque et régalez-vous dans la tête en rêvant des grands bateaux à aubes qui glissent devant la lune rousse. La Belgique avait déjà la Zinneke Parade, elle a maintenant la musique qui va avec ! [ Big Noise Live sur le site du label Igloo] [ A écouter : 42nd Street / Mardi Gras Mambo (vidéo) - Big Chief (vidéo) ] Sander De Winne : Kosmos (WERF 135), avril 2016 Sander De Winne (chant, compositions, arrangements); Steven Delannoye (saxophone ténor & soprano, clarinette basse); Bram De Looze (piano, fender rhodes); Lennart Heyndels (contrebasse); Lionel Beuvens (batterie) 1. Alma's Teddybear (2:17) - 2. Be Aware (5:23) - 3. Once I Was a Bird, Pt. 1 (5:43) - 4. Once I Was a Bird, Pt. 2 (4:10) - 5. Once I Was a Bird, Pt. 3 (5:57) - 6. Once I Was a Bird, Pt. 4 (3:22) - 7. Once I Was a Bird, Pt. 5 (7:36) - 8. The Weather Is Changing (6:09) - 9. Ballade Perdue (8:58) - 10. Relief (7:46) Autant l'écrire tout de suite, Kosmos n'est pas votre disque de jazz vocal habituel. Pas de chanson pop ou de standard en vue interprété par un crooner à la voix de lait et de miel ni d'arrangement calibré avec cordes romantiques. A la place, une musique inclassable, décloisonnée, et totalement fascinante où la voix est bien souvent traitée comme un instrument à part entière. Déjà, Alma's Teddybear, comme une ouverture à ce qui va venir, donne quelques indices: De Winne y combine sa chaleureuse tessiture de baryton léger avec les onomatopées inventées par les six chanteuses de IKI, un groupe vocal nordique qui puise son inspiration aussi bien dans le folklore scandinave que dans des mélopées africaines ancestrales. C'est concis, c'est beau et c'est émouvant. Il faut attendre le second titre, Be Aware, pour faire connaissance avec le quartet de jazz. Emerge alors une musique nuancée mais alerte, qui swingue par moment, et dans laquelle Steven Delannoye enroule son saxophone ténor autour de la voix du leader. Il est ensuite temps d'aborder la pièce maîtresse du répertoire: Once I Was A Bird, une suite en cinq mouvements d'une rare élégance intégrant cette fois l'ensemble vocal et le quartet. Rires, soupirs, incantations, effets organiques, harmonies chorales quasi religieuses, cris primitifs, comptines africaines et instruments jazz s'imbriquent et se succèdent sur un rythme envoûtant installé par le bassiste Lennart Heyndels et le batteur Lionel Beuvens. Sans ligne directrice, chacun se fera son cinéma intérieur mais on peut certainement le vivre avec bonheur comme un voyage initiatique, voire mystique, vers une spiritualité retrouvée. Sur la belle mélodie de The Weather Is Changing, Sander De Winne rassemble musique et poésie au sens large en déclamant un texte positif où l'auteur, du plus profond d'un hiver sombre, remonte progressivement vers la clarté salvatrice d'un nouvel été. Ballade Perdue est l'occasion pour Steven Delannoye de briller à la clarinette basse, tourbillonnant comme une ballerine autour de la voix du chanteur tandis que Bram De Looze s'octroie un long solo habité dont les notes tombent du ciel comme la pluie. Et le disque se referme déjà sur Relief, hanté tout du long par la contrebasse volubile de Lennart Heyndels. Album singulier et créatif, pétri de lyrisme et de sophistication mesurée, Kosmos est composé, arrangé et interprété par un véritable vocalchimiste dont on n'a pas fini d'entendre parler. [ Kosmos sur le site du label WERF] [ A écouter : Once I Was A bird, Part 3 (vidéo) ] Charles Loos / Serge Lazarevitch Quintet : Sava (Lundis d'Hortense / LDH 1001), 1981 - Réédition remastérisée CD (Igloo IGL 275), 2016 Charles Loos (piano); Serge Lazarevic (guitare); Greg Badelato (saxophone soprano, saxophone tenor); Jean-Louis Rassinfosse (contrebasse); Félix Simtaine (batterie). Toutes compositions sont de Charles Loos excepté "Sava" de Serge Lazarevitch. Enregistré au Studio LDH en 1981 par Daniel Léon. Remastérisé en février 2016. 1. Growlin'face (6:16) - 2. Tubdelete (10:08) - 3. Sava (5:37) - 4. Hematome (5:02 ) - 5. Some waltz (7:54) - 6. Clementine (6:41) En même temps que Free Three, le tout nouvel album du trio de Serge Lazarévitch, Igloo réédite une version remastérisée d'une rareté: Sava, un premier vinyle oublié du quintet de Charles Loos et Serge Lazarevitch sorti en 1981 sur le label des Lundis d'Hortense. A l'aube des années 80, le pianiste Charles Loos s'était déjà fait connaître localement par quelques disques réalisés en solo, dont le double LP Egotriste datant de 1978 devenu aujourd'hui introuvable, mais avec ce quintet qui, en plus du guitariste français, comprend aussi le saxophoniste américain Greg Badolato, sa musique acquiert une dimension plus internationale. Sur les cinq compositions de sa plume, on entend un jazz à l'esthétique très européenne basé sur des mélodies, souvent jouées à l'unisson par les trois solistes, marquées par ce style primesautier imbibé de classique qui fera de Loos l'un des musiciens parmi les plus originaux de la scène belge … et celui qu'il faut absolument inviter pour réussir un déjeuner sur l'herbe dans une ambiance jazz. Mais tout n'est pas que romantisme et préciosité sur ce disque et si le nonchalant Tubdelete affiche une humeur lascive, ça boppe aussi de belle manière sur Hématome et plus encore sur Growlin' Face. La guitare fluide de Lazarevitch n'a aucun mal à s'intégrer à l'univers charmant mis en place par son co-leader. Lazarevitch est par ailleurs l'auteur d'un unique morceau (Sava) qui donne son nom à l'album et qui ne rompt en rien la cohésion du répertoire. Pour un américain en provenance de l'Ecole de Musique de Berklee (où il retournera plus tard comme enseignant et membre actif), Badolato joue comme un Européen, sa partie épurée de soprano sur Some Waltz évoquant la ligne claire des saxophonistes scandinaves qui squattent les productions ECM. A la batterie, le grand Felix Simtaine assure un soutien efficace tandis qu'une autre surprise de taille réside dans le jeu et la sonorité de Jean-Louis Rassinfosse. Mixée bien en avant, sa contrebasse est omniprésente et interagit en permanence avec le groupe, n'hésitant pas à monter dans les aigus pour participer sur un plan d'égalité à la conversation des solistes. A certains moments, quand le groove se fait plus présent comme à la fin de Hematome, on croirait presque entendre une basse électrique. En conclusion, Sava est une réédition plus que bienvenue qui comble un vide dans la disponibilité sur le marché des disques ayant marqué l'histoire du jazz en Belgique. A redécouvrir! [ Sava sur le site du label Igloo] Serge Lazarevitch, Nicolas Thys, Teun Verbruggen : Free Three (Igloo), avril 2016 Serge Lazarevitch (guitare); Nic Thys (contrebasse); Teun Verbruggen (batterie, effets électroniques) 1. One More Time (1:16) - 2. Mid Life Crisis (2:01) - 3. Cats In The Garden (4:31) - 4. One For Snowden (2:36) - 5. Keep Dancing In D (2:54) - 6. Through The Red Sands (2:45) - 7. Long Island City (3:51) 8. Drifting & Diving (2:12) - 9. Until Then (4:48) - 10. Rush Hour (1:36) - 11. Carla, Bill & Charlie (5:22) - 12. Strumming In C (3:28) - 13. Factory Dreams (2:06) - 14. Time To Wake Up (2:20) - 15. It Should Have Been A Normal Day (1:48) - 16. See You Later (6:27) - 17. Conversation With Rosetta (4:36) Depuis l'excellent A Few Years Later sorti en 1997 sur Igloo Records, le guitariste français Serge Lazarevitch a évolué hors des radars belges, ses activités plurielles s'étant principalement concentrées dans son pays d'origine où son nom est apparu bien souvent lié à des organismes prestigieux comme, entre autres, l'Orchestre National de Jazz, le Festival de Marciac, Radio France ou des conservatoires divers. Mais voilà qu'en 2015, il refait surface dans le plat pays pour donner quelques concerts, notamment avec Toine Thys et Ben Sluijs, alors qu'aujourd'hui sort ce nouvel album en trio avec le bassiste Nicolas Thys et le batteur Teun Verbruggen. Un disque judicieusement intitulé Free Three qui comprend dix-sept pièces courtes à géométrie variable tournant pour la plupart autour des trois minutes. Ce sont autant d'études où le guitariste aborde une grande variété de styles, se jouant des frontières musicales et créant, avec le soutien infaillible de ses deux complices, des mini-espaces colorés qui, mis bout à bout, finissent pas constituer une fougueuse épopée. Ainsi, d'un One More Time ou d'un Cats In The Garden très épurés et intimistes dans l'esprit d'un Bill Frisell à un Conversation With Rosetta où les boucles ne sont pas sans rappeler le style "ambient" expérimental de Robert Fripp, en passant par Rush Hour et ses giclées de guitare acide évoquant cette fois la fusion agressive d'un John Scofield, Lazarevitch fait le tour des possibilités de la guitare contemporaine sans pour autant transformer son disque en catalogue disparate. Car ce puzzle sonore dégage tout du long une sorte de limpidité, la musique coulant sans bavardage d'un titre à l'autre, faisant naître des souvenirs enfouis ainsi que des émotions aussi diverses que fugaces. Comme sur Drifting & Diving qui plonge l'auditeur en apnée dans une univers liquide ou sur It Should Have Been A Normal Day dont le thème terriblement nostalgique rend hommage aux victimes des récents attentats de Paris. Verbruggen fait crépiter sa batterie (littéralement sur One For Snowden et sur Factory Dreams) tandis que la contrebasse de Thys, d'une redoutable efficacité, suit le leader telle une ombre facétieuse (écoutez son solo sur Long Island City pour en savoir plus). Quant à Lazarevitch, sa guitare (une Telecaster?) a un son clair qui enchante et son travail sur les timbres rend la musique particulièrement expressive tout en tirant les différentes plages dans des directions imprévisibles. Certes, Free Three célèbre à sa manière la guitare et les guitaristes, mais c'est aussi avant tout un champ de découvertes dont les innombrables facettes mettent en relief l'immense potentiel créatif des musiques libres, improvisées et interactives. [ Free Three (CD / Digital) ] [ Cover Art & Infos ] [ A écouter : Serge Lazarevitch sur Soundcloud - One More Time (Free Three + One live in Narbonne, 23/7/2014) ] JF Foliez's Playground : Lagune (Igloo IGL 270), avril 2016 Jean-François Foliez (clarinette); Casimir Liberski (piano); Janos Bruneel (contrebasse); Xavier Rogé (batterie) 1. Lagune (5:36) - 2. Platinum (4:05) - 3. Labirinos (5:26) - 4. Germination (4:13) - 5. Turquoise (7:31) - 6. Electrotest (4:14) - 7. Africana (5:38) - 8. Mr Moustache (4:08) - 9. Récurrence (4:11) - 10. Waltz 50 Sticks (5:00) Jean-François Foliez a pris son temps, assimilant à son rythme les époques successives du jazz et d'autres styles depuis le baroque jusqu'aux folklores métissés, se préparant lentement mais inexorablement à l'enregistrement de cet opus inaugural sorti sur le label Igloo juste après son trente-deuxième anniversaire. Alors, forcément, l'éclectisme est de mise tandis que la musique part à l'aventure dans des compositions festives qui chérissent les changements d'ambiance. Le titre éponyme, qui ouvre le répertoire, est ainsi une véritable odyssée sonore aux accents cinématiques renforcés par l'intégration quasi classique de cordes et de bois alors que Platinum, qui lui succède, s'abreuve aux mélodies et aux rythmes endiablés de l'Amérique Latine tout en évoquant de manière diffuse un folklore issu d'Europe de l'Est ou de la tradition juive. Quant à Labirinos, c'est une ballade pleine de contrastes qui comporte un beau chorus de basse et révèle l'interaction formidable qui prévaut au sein du quartet. A partir de là, on sait que la route qui sinue à travers cet album sera pleine de surprises. Ainsi y croisera-t-on encore un débordement de swing sauvage sur Electrotest, un thème léger et des harmonies élaborées déposés sur un rythme bizarre qui n'est pas sans connivence avec l'Afrique (Africana), un Mr Moustache en forme de tango avec la clarinette dans le rôle du bandonéon, ainsi qu'une valse (Waltz 50 Sticks) introduite par une contrebasse lyrique mais qui s'envole bientôt en tourneries sensuelles sous les lampions d'un bal imaginaire. Et puis, il y a encore ce poignant Turquoise orchestral conçu comme un hommage somptueux au Blue In Green de Miles Davis. Toutes ces métamorphoses musicales sont rendues possibles grâce à la polyvalence éclairée d'un quartet exceptionnel comprenant le pianiste Casimir Liberski dont le jeu est époustouflant de fougue et d'expressivité, le bassiste anversois Janos Bruneel très efficace, et le tournaisien Xavier Rogé, batteur énergique récemment émancipé de la formation d'Ibrahim Maalouf avec qui il a joué plusieurs années. Quand au clarinettiste, on aime sa déclinaison des possibilités de l'instrument qui vont du swing fluide aux intonations précises d'un Artie Shaw ou d'un Benny Goodman au jeu plus éclaté et capricieux d'un Michel Portal. A l'instar de ce dernier, on devine d'ailleurs Jean-François Foliez paré à affronter tous les genres, enclin à aborder toutes les musiques y compris les bande sonores de films. Si vous êtes de ceux qui pensez encore que la clarinette dans le jazz contemporain est un peu dépassée, écoutez ce disque: moins agressive que ses frères cuivrés, elle subjugue par sa brillance et sa joie volubile dans les aigus et par sa sensualité dans le registre grave. Et pour un peu qu'elle hausse le ton, féminine jusqu'au bout des clés, c'est encore sa véhémence qui capte toute l'attention. [ Cover Art & Infos ] [ Lagune sur Igloo Records ] [ A écouter : Electrotest - Mr Moustache (live @ Belgian Jazz Meeting, De Werf, 04/09/2015) ] David Thomaere Trio : Crossing Lines (WERF), 8 mars 2016 David Thomaere (piano); Félix Zurstrassen (basse); Antoine Pierre (drums) + Invités sur 2 & 7 : Steven Delannoye (saxophone ténor) et Jean-Paul Estiévenart (trompette). Enregistré à Bruxelles en Janvier 2015. 1. Aftermath vs. Freedom (6:15) - 2. Dancing with Miro (7:20) - 3. Braddict (6:45) - 4. Lion's Mouth (5:11) - 5. Barcelona (5:47) - 6. Default (5:47) - 7. Mr. Infinity (5:52) - 8. Alive (3:43) - 9. Rebirth (6:58) - 10. Night Wish (4:33) Ce nouveau trio est celui de David Thomaere, un pianiste anversois formé auprès de différentes écoles et maîtres qui lui ont inculqué l'art du jazz. Des leçons à priori bien assimilées puisqu'à l'issue de ses études en 2012, il a reçu le Toots Thielemans Jazz Award mettant en relief le travail d'étudiants du Conservatoire de Musique de Bruxelles. Enregistré en 2015, ce premier disque témoigne incidemment de l'intérêt du pianiste pour différents fils musicaux qu'il intègre dans ses compositions, croisant d'autres influences dans un programme varié qu'il a d'ailleurs intitulé Crossing Lines. A l'instar d'un Brad Mehldau par exemple, Thomaere s'approprie avec bonheur quelques chansons pop qu'il fait revivre d'une manière personnelle. Default, un morceau du super-groupe Atoms For Peace de Thom Yorke ainsi que Lion's Mouth du groupe de rock alternatif belge Balthazar sont ainsi dotés de superbes arrangements jazz et rendus dans des versions fluides et épurées. Les huit autres titres, qui sont tous de la plume du leader, relèvent toutefois d'un jazz mélodique, parfois enflammé, souvent nostalgique et même éthéré, dont l'esthétique évoque une certaine tradition européenne associée au label munichois ECM. Braddict, Alive et Night Wish nous emportent dans un voyage poétique rempli d'ombres et de lumières où le toucher sensible du pianiste fait des merveilles. C'est d'autant plus apparent que la sonorité de l'album, chaude et veloutée, est magnifique. Pour son trio, David Thomaere s'est entouré d'une rythmique hors pair composée du bassiste Félix Zurstrassen et du batteur Antoine Pierre, un tandem aujourd'hui omniprésent sur la scène jazz en Belgique. Leur jeu pertinent interagit constamment avec le pianiste et lui donne des ailes, vivifiant le flux délicat des notes qui s'échappent comme autant de bulles dans le ciel. Enfin, sur deux titres, le trio devient un quintet par l'addition de deux autres pointures actuelles: le saxophoniste ténor Steven Delannoye et le trompettiste Jean-Paul Estiévenart. Dancing With Miro et Mr. Infinity prennent alors d'autres couleurs plus brillantes tandis que le swing émerge au premier plan. Sur Dancing With Miro, Thomaere passe au piano électrique pour une improvisation enlevée et pleine de feeling qui fait penser que, dans ce style plus ludique, il a aussi un bel avenir. En attendant, ce premier essai réussi, qui bénéficie d'une réelle vision artistique et d'une production exemplaire, confirme la naissance d'un trio magique capable d'offrir une large palette de sensations à celui qui l'écoute. [ Crossing Lines ] [ Cover Art & Infos ] [ Crossing Lines sur le site du label WERF] [ A écouter : Crossing Lines (trailer) - David Thomaere Trio: Alive (Live at Kasteel van Schoten, 21/11/2013) ] Ananke : Stop That Train! (Igloo IGL 267), 25 mars 2016 Victor Abel (piano, Rhodes); Yann Lecollaire (clarinette basse); Quentin Manfroy (flûte); Roméo Iannucci (basse); Alex Rodembourg (batterie). Enregistré au Studio Igloo en mai et octobre 2015. 1. Stop That Train (5:42) - 2. Ebb And Flow (5:46) - 3. Ebony (5:10) - 4. Stenaï (6:18) - 5. In a Hurry (5:43) - 6. Wave (4:33) - 7. Shadows (8:36) - 8. Lost (3:53) Après deux disques en trio, la formation du pianiste bruxellois Victor Abel s'est étoffée en intégrant Quentin Manfroy à la flûte traversière et Yann Lecollaire à la clarinette basse. Autant dire que si l'esthétique moderne d'Ananke est toujours reconnaissable, le son et la forme sont désormais bien différents. Les deux souffleurs, qui font aussi partie de l'ensemble à géométrie variable MikMaak de Laurent Blondiau, sont en effet très présents, se partageant matériel thématique et improvisations dans un style frais qui n'est pas sans évoquer celui de l'alumni Aka Moon et d'Antoine Prawerman et, à travers eux, de Steve Coleman, même si l'énergie est ici plus canalisée et les mélodies moins abstraites. Abel excelle au Fender Rhodes, colorant les rythmes et soufflant sur les braises dans Ebony, Stenaï et surtout In A Hurry. Pour les morceaux plus calmes, il change d'instrument et d'humeur, préférant le piano qu'il sait faire chanter avec délicatesse (sur le mystérieux Lost ainsi que dans la section finale de Stop That Train). Tous les titres sont de la plume du pianiste qui, pour l'écriture de ses compositions, a manifestement intégré l'arrivée des deux souffleurs dans son environnement, en leur laissant tout l'espace nécessaire pour briller. Du coup, sa musique, tantôt lyrique, tantôt ludique, a évolué et pris de l'épaisseur et il ne fait nul doute que sur scène, ce quintet plein de vitalité est à même de décocher de sérieux coups de griffes. Dans ce genre de jazz actuel, la rythmique reste évidemment une variable essentielle de l'équation si bien que sa valeur seule peut faire pencher la balance vers l'opulence ou l'anodin. Pas de souci avec le bassiste électrique Roméo Iannucci et le batteur Alex Rodembourg qui, non contents d'avoir assimilé le langage du tandem Galland / Hatzigeorgiou, savent comment éradiquer toute trace de pesanteur avec un jeu clair, subtil, incisif, et précis. D'une durée limitée (46 minutes au compteur) qui permet de l'appréhender d'un seul tenant sans fatigue auditive, Stop That Train est un disque dense et sophistiqué d'où émane aussi l'impression d'entendre un groupe soudé dont le jeu collectif force l'admiration (on apprend sur leur site qu'ils jouent à cinq sur scène depuis quelques années). Ananke peut donc poursuivre sa route en toute confiance en gardant la même configuration: la formule du quintet leur va très bien! [ Ananke sur le label Igloo ] [ Cover Art & Infos ] [ A écouter : Ananke Trio : Mystery Jungle (live in Namur, 2011) - Ananke Quintet : Stenaï (Live at Mazy) - Ananke Quintet : Shadows (Live at Mazy) ] |
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