"Le jazz, musique universelle par exellence,Romain Grosman, Rédacteur en chef de Jazz News |
Joudour [Igloo Records] 4 novembre 2022 |
1. Ahia Mhanti - 2. Ana Majdoub - 3. Morrocan Blues - 4. Desert Swing - 5. Sahara Tnadi - 6. Imta Ya Mama - 7. Zagora Palms - 8. Allal - 9. Mabrate Tessfa - 10. Aferdou Dance - 11. Barma Sousangdi Majid Bekkas (compositions, guembri, oud, guitare, n'goni, bouzouki, kalimba, balafon) ; Manuel Hermia (saxophones, bansuri); Michael Hornek (piano); Childo Tomas (basse); Karim Ziad (batterie); Khalid Kouhen (percussions, tablas, penderos, calabas) Le musicien marocain Majid Bekkas, je l'ai découvert via l'album African Gnaoua Blues, sorti en mai 2002 sur Igloo. Avec l'appui des guitares de Paolo Radoni et de Marc Lelangue, Majid y proposait des chants lancinants issus de la tradition gnaoua, dont les racines sont en Afrique de l'Ouest mais qui s'est ensuite perpétuée dans les pays du Maghreb. Une musique basée sur la gamme pentatonique qui présente des analogies aussi bien avec les premiers country-blues du Delta du Mississippi qu'avec le vaudou haïtien ou les mélopées sonrai d'Afel Bokoum. Depuis, Majid Bekkas a fondé de nouveaux projets et a enregistré sur différents labels une vingtaine d'albums au côté de jazzmen prestigieux comme Flavio Boltro, Joachim Kühn, Ramon Lopez, Klaus Doldinger, Louis Sclavis, Benoît Delbecq et d'autres. Ainsi, si sa musique reste pétrie dans la tradition, Majid l'a aussi intelligemment mixée à diverses cultures : blues, jazz, apport oriental et percussions africaines témoignent à la fois des origines du gnaoua et des accommodations qui lui ont été apportées sur différentes terres d'accueil. Vingt années plus tard, le label Igloo fête l'anniversaire d'African Gnaoua Blues en sortant Joudour (qui signifie Racines), une collection de onze nouveaux titres enregistrés avec divers invités. Evidemment, le fond musical n'a guère changé au fil des ans : à la base, ce sont toujours les mêmes chansons envoûtantes du désert, accompagnées par une guitare, un oud ou un guembri, ainsi que par des percussions diverses. Conçu pendant la crise sanitaire, l'album a été enregistré par Majid à Salé (Maroc) et les compositions ont ensuite été transmises à plusieurs musiciens qui les ont enrichies en incrustant leurs parties. Travaillant en solitaire, Majid lui-même en a profité pour ajouter de nouvelles couleurs en jouant aussi du ngoni, du bouzouki, du kalimba et du balafon. Sur l'ensorcelant Ahia Mhanti, Manuel Hermia a apporté son bansuri (une grande flûte traversière indienne en bambou) dont le son grave se mêle parfaitement à celui des autres instruments et en particulier à celui cristallin de la kora de Mbemba Diabate. Desert Swing est mis au goût du jour par les claviers de l'Autrichien Michael Hornek, spécialiste du jazz fusion au sein du groupe Passport de Klaus Doldinger. Sur la plupart des titres, les rythmes ondulants sont assurés par l'Algérien Karim Ziad, grand défenseur de la culture gnaoua et gardien du temps pour des groupes majeurs comprenant Joe Zawinul ou Nguyen Lê. Mais l'album se referme par un retour à la source : Barma Sousangdi est une composition épurée, interprétée par Majid Bekkas seul avec sa guitare, en hommage à une population d'Afrique de l'Ouest. Outre le plaisir direct qu'il procure, Joudour établit des ponts entre le passé et le futur d'une culture ancestrale riche d'histoire et imprégnée de spiritualité. Un album à ranger précieusement aux côtés de ceux, déjà cultes, d'Ali Farka Touré et Ry Cooder (Talking Timbuktu), de Taj Mahal et Toumani Diabaté (Kulanjan), et d'Ahmed Abdul-Malik (Jazz Sahara)! [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Joudour sur Igloo Records ] [ Joudour sur Amazon ] [ A écouter : Angkor 1ère partie - Joudour Project, live 07/2022 ] |
Héliotropiques [Indépendant / Bandcamp] 3 octobre 2021 |
1. Banzi Iboga (9:19) - 2. Mwinda 1 (0:55) - 3. Biyadhoo (7:24) - 4. Mwinda 2 (0:47) - 5. Khadabsakar (7:39) - 6. Mwinda 3 (0:45) - 7. Angkor (15:38) - 8. Mwinda 4 (1:01) - 9. Tubbataha (8:39) - 10. Mwinda 5 (0:37) - 11. Résilience (10:32) Christophe Lehoucq (sax alto, claviers) ; Philippe Razol (sax soprano et ténor, electronique) ; Swala Emati (chant) ; Alex Stuart (guitare, sanza) ; Gilles Sonnois (basse) ; Gérald Portocallis (batterie, percussions) + Invités : Didier Malherbe, Sam Isaac, Julien Lecomble, Georges Dieme, Grégoire Terrier. Enregistré en janvier 2020 au Studio des Egrefins Cinq années après l'excellent Finis Terrae, chroniqué dans ces pages à sa sortie, et une pandémie plus tard, Alula est toujours un « world jazz sextet » mais avec quelques changements quand même. Bachir Sanogo, chanteur, joueur de kamalé n'goni et percussionniste ivoirien qui imprimait une forte coloration ouest-africaine à la musique s'en est allé en laissant sa place à Swala Emati, la formidable chanteuse des Frères Smith dont l'album Mutation fait également partie des chouchous de ce magazine. Swala a participé aux compositions avec Christophe Lehoucq et a écrit les textes des chansons qu'elle interprète en langue kikongo mais aussi en français (Khadabsakar), en espagnol (Biyadhoo, Résilence) et même en anglais (Tubbataha). La musique reste donc globalement enracinée en Afrique mais elle est forcément moins typée « Sahel » quand elle ne part pas à la découverte d'autres cultures sur d'autres continents. Ainsi Angkor, véritable morceau épique de 15 minutes, nous emmène à la découverte des célèbres ruines au son d'une musique planante et, surtout, mystérieuse. Les saxophones virevoltent et la guitare d'Alex Stuart se fait tremblotante tandis que Didier Malherbe, invité d'honneur, pose son doudouk sur les étranges et délicates harmonies. Banzi Iboga, premier titre du répertoire au rythme irrésistible, démontre combien le groupe est maintenant soudé. Renforcée par des claviers, des percussions et un trombone (tous invités), cette musique sonne à certains moments comme une fanfare africaine. La mise en place est superbe et l'arrangement ciselé au couteau : les cuivres sont resserrés et le rythme implacable. Quant à la chanteuse, elle à la voix qu'il faut pour transformer cette chanson en un hymne irrésistible. En plus, des passages improvisés viennent aérer la composition avant de la transformer en un crescendo vigoureux auquel participe le groupe d'une manière collective. Cinq petits interludes de moins d'une minute, appelés Mwinda 1 à 5, séparent les morceaux plus longs. Le répertoire se clôture sur un autre titre épique de 10 minutes appelé Résilience. Emportée au début par un rythme frénétique de guitare, la chanson finit par cristalliser autour d'un tapis intense de percussions sur lequel vient se greffer la voix chaude de Swala Emati. Des moments de tension et de détente maintiennent l'attention tandis que, dans un héliotropisme irrésistible, cette musique qui vient du vent invite à un périple dépaysant au cœur du sable fin et de la lumière crue. Fort bien mixé et produit, ce disque laisse l'auditeur admiratif devant l'équilibre quasi parfait de cette musique entre jazz et world, mais aussi devant la musicalité et la nouvelle maturité de ce groupe désormais habité par une voix qui enchante et ensorcelle. Recommandé ! [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Héliotropiques sur Bandcamp ] [ A écouter : Angkor 1ère partie - Angkor 2ème partie ] |
Apes Theater [Miz'artProduction / Orkhestra International] 30 Novembre 2018 |
1. Majnoun Leila (07:04) - 2. Ir Me Quiero (03:22) - 3. Insomnia (03:44) - 4. Pycnonotus (04:00) - 5. Breakfast In Damascus (04 :37) - 6. El Djazair (03:45) - 7. Midnight In Brabes (04:19) - 8. Belaredj (04:52) - 9. Usfan (03:58) 10. The Blind Monkey (04:20). Anis Benhallak (composition, guitare, glissentar, chant, percussions, oud); Karim Ziad (batterie); Chris Jennings (contrebasse) + Invités : Gregory Privat (piano); Smail Benhouhou (piano, Rhodes); Adel Khababa (percussions); Kawthar Meziti et Youba Djugurta Adjrad (chant); Damien Hennicker (saxophones). Enregistré au studio de Meunon, France. Mixé et masterisé au Bass Hit Studio à New-York. Originaire de Chelghoum L'Aid, petit village à l'extrême Est de l'Algérie, le musicien algérien Anis Benhallak présente son langage musical dans son nouvel album Apes Theater. Son précédent CD, Paradoxical Project, avait emmené l'auditeur dans un univers très oriental grâce à la présence de percussions traditionnelles (darbourka et krakebs). Anis Benhallak pousse la fusion plus loin avec Apes Theater. Loin de renier ses origines, il garde le style chaabi algérien avec le chanteur d'opéra Youba Djugurta dans Pycnonotus, mais joue un solo de guitare rock dans Usfan. Les influences arabo-andalouses, assurées par la merveilleuse voix de la chanteuse algérienne Kawthar Meziti, donnent une touche sensuelle à ce CD. Ir Me Quiero et Eldjazair coulent comme du miel dans les oreilles de l'auditeur. Le ciment des dix compositions d'Anis Benhallak est un mélange équitable de jazz et de musique arabo-andalouse, l'apport du jazz étant remarquable dans Insomnia où l'introduction dissonante au piano est digne d'un morceau de free jazz. Le dossier de presse de l'artiste nous confie que "son nouvel opus est une satire du monde contemporain ... pour effacer d'un coup de guitare toutes les frontières, toutes les détresses et soudainement comme par magie, traverser la mer n'est plus nécessaire pour voyager, l'autre devient accessible car on le retrouve en soi. Dans un monde en guerre où tous les idéaux s'effondrent, Anis nous invite avec son Apes Theater à la paix et à la rencontre. " Tout comme l'ophtalmologiste Ludwik Lejzer Zamenhof alias Doktoro Esperanto a, en 1887, créé l'esperanto, la langue Internationale, Anis Benhallak propose un langage musical pour abattre les frontières. Le guitariste compositeur aura-t-il plus ou moins de succès que le Doktoro Esperanto ? L'avenir le dira mais il est certain que si ce dernier avait écouté cet album, il aurait pensé : Ĉi tiu muziko estas nemalhavebla por homaro (Cette musique est indispensable à l'humanité). [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ Apes Theater (CD / Digital) ] [ A écouter : Majnoun Leila - Usfan ] |
Jean-Philippe Collard-Neven Yalla [Igloo Records / Igloo Mondo] 21 septembre 2018 |
Avec leur album Yalla, Jean-Philippe Collard-Neven et Nasser Houari invitent l'auditeur à un voyage que même les avions les plus performants ne permettent pas. Le duo Jean-Philippe Collard-Neven / Nasser Houari est composé de deux artistes dont les parcours ne sont plus à présenter, tant au niveau de leur formation (conservatoire, prix de luth et de virtuosité pour le Marocain Nasser Houari ; nombreuses productions en musique classique, jazz et contemporaine pour le Belge Jean-Philippe Collard-Neven) qu'au niveau de leurs créations et participations, dont le festival "Takassim wa Mawawil" pour l'oudiste et l'ensemble "La Fête Etrange" pour le pianiste. Les voici aujourd'hui réunis dans un album plus original, difficile à classer. Le réflexe initial serait de le référencer dans les "musiques du monde". Mais la première écoute ne le permet pas : nos oreilles entendent du classique, du contemporain, un répertoire arabe traditionnel. Dans le premier morceau Son Bati, l'oud invite à voyager dans le désert, avec la même intensité que le célèbre trio Joubran. Puis le piano arrive avec des gammes arabo-andalouses ; la main droite de Jean-Philippe Collard-Neven décrit alors des arabesques, tandis que sa main gauche joue rapidement des dissonances, proches des musiques contemporaines. Et le voyage proposé ne s'arrête pas là : l'oudiste répond à la sombre mélodie du piano, dans une gamme blues pentatonique, qui emmène l'auditeur un court instant dans le Tennessee, pour enfin revenir dans des tonalités orientales. Même les avions les plus performants ne permettent pas un changement aussi rapide de destination. L'album est constitué de nouvelles compositions et d'improvisations sur des classiques de la musique arabe, comme Longa Farahfaza écrit par Riad Mohammed Al Sumbati, compositeur d'Oum Kalthoum. Le duo Jean-Philippe Collard-Neven / Nasser Houari propose également une très belle et singulière reprise du morceau Raqsat al Jamal écrit par le musicien égyptien Farid el Atrache. Dans cette pièce, le piano et l'oud engagent un dialogue où leur symbiose est telle qu'il est difficile de les distinguer ; la traduction française du titre de cette piste "la danse de la beauté" reflète leur performance. L'audition de cette musique ne permet pas de répondre à la question du choix de sa classification. Pour autant, est-ce essentiel ? L'essence même de l'album est dans son titre, Yalla. Au Moyen-Orient, ce terme est une injonction qui signifie "allons-y vite". Donc, ne perdez plus de temps à vous poser des questions, "yalla, dépêchez-vous" plutôt d'écouter ce disque … [ Chronique de Jean-Constantin Colletto ] [ Yalla (CD / Digital) ] [ A écouter : Son Bati (live) - Souk al Abid (live) - Raqsat al Jamal (live) ] |
New Land [Tapu Records / Bandcamp] 2017 |
Né d'un père yéménite et d'une mère hollandaise, Michel Banabila s'est d'abord fait connaître comme auteur de plusieurs bandes originales pour des films ou des documentaires. Ce compositeur / claviériste, basé à Rotterdam, réalise aujourd'hui des disques aux confins de plusieurs styles. New Land est ainsi une combinaison d'ambient, d'électronique, de jazz (grâce à l'apport du trompettiste Eric Vloeimans) et de musique moyen-orientale (avec le luthiste Mehmet Polat), même si ces deux derniers musiciens ne jouent ensemble que sur le dernier titre (Forest Road - Discovery Mix). C'est aérien, hypnotique et totalement dépaysant même s'il faut ajouter un petit bémol : avec un minutage qui ne dépasse pas les deux minutes, la moitié des titres du répertoire ont à peine le temps d'installer une atmosphère qu'il faut la quitter pour une autre. C'est un peu l'inverse des musiques « ambient » qui ont souvent tendance à s'étaler sur des durées beaucoup plus longues. Néanmoins, en dépit de cette remarque, ce disque mérite largement l'écoute. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ New Land (CD / Digital) ] [ New Land sur Bandcamp ] [ A écouter : New Land (trailer) - Jabal Haraz ] |
Finis Terrae [Composite Collectif] 2016 |
Quatrième album de ce groupe parisien qui existe depuis 1998, Finis Terrae est marqué par l'inclusion récente de Bachir Sanogo, chanteur, joueur de kamalé n'goni et percussionniste ivoirien. Sa voix, son djembé et sa guitare traditionnelle impriment en effet une coloration ouest-africaine aux compositions plus éclectiques du saxophoniste Christophe Lehoucq. Le groove nonchalant propre aux musiques du grand fleuve Niger est souvent présent et c'est dans son flot que s'immergent les solistes, en l'occurrence le guitariste électrique Alex Stuart et, surtout, les saxophonistes Christophe Lehoucq et Philippe Razol dont les lignes cuivrées dans Forêt Danse forment un tourbillon organique des plus réjouissants. D'une manière générale, l'entrelacement entre folklore et musique improvisée est cohérente et bien dosée, ce qui amène certaines compositions comme Nostalgia In Tropical Rainforest à proposer des atmosphères originales au confluent des deux cultures. Quelques bruitages atmosphériques et sons électroniques très subtils donnent à l'occasion une touche aérienne à la musique comme sur Les Trois Belles d'Eté dont la structure évoque davantage un jazz européen aux sonorités plus feutrées et introspectives. Bien sûr, il y a l'inévitable Lona, un véhicule modal avec cadence et voix africaines qui coule comme du miel au soleil, emportant les solistes qui rebondissent sur le trampoline des rythmes alanguis. Placé stratégiquement en début de répertoire, il attirera le bedeau amateur de productions "world" mais il est bon de savoir que la musique d'Alula (dont le nom fait référence à une partie du plumage de l'aile des oiseaux) est un peu plus que ça : globalement, elle s'inscrit plutôt dans une fusion douce de mélodies délicates, d'improvisations aérées et d'ostinati envoûtants dont la séduction immédiate résiste aussi aux écoutes successives. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Finis Terrae (CD / Digital) ] [ Finis Terrae sur Bandcamp ] [ A écouter : Intro Malta ] |
Tukki Janeer / Imaginary Voyage [Autoproduction] 2015 |
Une fois que la superbe pochette multicolore peinte par le Brésilien Cleverson de Oliveira a accroché le regard, on n'a plus qu'une envie: pénétrer au coeur de cet album ouvert sur le monde et en découvrir ses secrets. Et ça commence bien: dès les premières notes de Fuuta Blues, on est téléporté chez les Toucouleurs sur les rives du Fleuve Sénégal. La mélopée incantatoire est chaloupée à l'instar de ces blues africains dont Taj Mahal et Ry Cooder sont si friands tandis que les cordes du violoniste Benoit Leseure et du guitariste Robert Falk dansent sur les djembés. Pas une once d'électricité ici mais rien que des instruments acoustiques qui renforcent l'évocation des sonorités et des couleurs africaines. A ce même coin du continent appartiennent aussi Maggat Thiof et Chérie / Sicap Amitié et, si les rythmes sont cette fois différents, on ressent la même empathie pour ces mélodies enivrantes qui débordent de nostalgie chantante. Le répertoire s'avérant très éclectique, on s'envole avec Siete vers une Espagne chimérique qui n'est pas sans évoquer celle de Miles Davis et de Gil Evans. Le violon y tient une large place avec une longue introduction legato de toute beauté et un finale mélancolique qui traverse les frontières telle une roulotte gitane. De là au Brésil, il n'y a qu'un océan vite franchi avec Villa Sabrina et, surtout, Hexagon en forme de samba veloutée aux accents séducteurs. Le guitariste et le percussionniste Gauthier Lisein glissent cette fois dans la lumière pour quelques improvisations savoureuses et alanguies, pétries de sable et de soleil. Et puis, il y a ce formidable Diamant inspiré par le Mutuashi qui est la danse des Balubas du Kasai, une province diamantifère de la République du Congo. La transe habituellement électrique de ce style a été gommée au profit d'un arrangement acoustique mais la verve sensuelle y a été préservée à la grande satisfaction des esprits de la forêt. Le reste du disque n'est pas insignifiant et explore d'autres idées, d'autres cultures, d'autres genres parfois inattendus comme Freegyan Love Song qui évoque une fusion acoustique, comme Larry Coryell en jouait autrefois, mutant en son milieu en une section free aussi provocante qu'imprévue. Via ce voyage imaginaire qui transcende les cultures, Robert Falk et son groupe remuent en nous une sensibilité enfouie, ce qui nous rend un peu plus citoyen conscient de cette bonne vieille planète Terre. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Tukki Janeer: Imaginary Voyage (CD & MP3) ] [ A écouter : Hexagon live (May 2014) - Teaser Orchestre Toubab ] |
Pace Of Mind [Zig Zag World] 2015 Distribué au Bénélux par Xango Music |
Rouge, absurde et dérangeante, le livret du pénultième opus de Slang (Karmasutra, 2009) laissait bien présager du groove urbain qu'on trouvait à l'intérieur. Cette fois, la pochette bleue et ludique a un parfum d'aventure en montrant un trio à dos d'éléphant, arpentant avec tout son matériel une route qui le conduira jusqu'aux confins de l'Inde. Sur le cou de la bête aux couleurs chatoyantes, c'est Purbayan Chatterjee qui leur sert de cornac. L'homme a apporté son sitar et deux des cinq compositions, Run et Pace Of Mind, qui traduisent son étourdissante maîtrise de ce luth indien complexe qui ensorcela jadis George Harrison mais aussi sa propension à en amalgamer les sons frisés à des techniques modernes d'amplification et de bidouillage sonore (écoutez-le s'envoler sur Run avec l'impétuosité des guitaristes de rock). Face à ces sonorités inédites, qui d'autre que Manuel Hermia, muni de son saxophone soprano et de son bansuri, pouvait dialoguer avec lui? Entendre ces deux là musarder avec une curiosité insatiable autour d'un thème sur un tréfonds rythmique électrique, tantôt explosif tantôt lascif, fera peut-être dresser les cheveux de la jazz police mais réjouira à coup sûr tous les autres. Ainsi, aérienne et mystérieuse, la reprise sensorielle de Karmasutra n'a-t-elle aucune peine à propulser le tapis volant un peu plus près du soleil en faisant oublier la version originale. Plus question de vocaux cette fois et c'est tant mieux. Car la musique suffit amplement à cette fête de la main tendue au dessus des continents, des conventions et des styles. Emportés par leur élan, les musiciens ont aussi allongé leurs compositions au-delà des dix minutes, histoire de remplir leur carnet de route avec des détails insolites. C'est ainsi que The Apu Trilogy, coda de cet album migrateur qui frôle les quinze minutes, part tranquillement sur fond d'udu à la conquête du monde, explorant le moindre espace de liberté et laissant libre cours aux émotions qui jaillissent des solistes. Envoûtant comme le pas du tigre ! [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Slang sur Zig Zag World ] [ Pace Of Mind (CD & MP3) ] [ A écouter : Slang et Purbayan Chatterjee live à Bruxelles (Septembre 2014) ] |
Tali Toke [Homerecords.be] 2014 |
Le label Homerecords.be s'est fait une spécialité de ces groupes surgis de nulle part (If Trio, Diab Quintet, PiWiZ trio…) qui jouent des musiques protéiformes émargeant à plusieurs styles (du classique au folk en passant par la variété et le jazz) et qui suscitent la curiosité par la qualité de premiers albums inclassables. Tel est Tali Toke, un quintet international (Belgique, Luxembourg et France) qui joue les compositions originales du saxophoniste François Lourtie déjà remarqué pour ses participations à des projets divers comme le quartet Cruz Control ou le fabuleux groupe de jazz-rock The Wrong Object (sur lequel on reviendra bientôt dans les pages prog de ce site). Le premier titre, Etan Sul, confirme que Tali Toke cultive son art hors des sentiers battus. Certes au début, les bribes d'un folklore hybride rôdent un peu à cause de l'accordéon diatonique de Jonathan De Neck et du violon de Benoît Leseure mais la musique s'enfuit rapidement vers d'autres styles aux angles différents. La composition connaît ainsi plusieurs ruptures et, après une minute, voici qu'on arpente soudain un univers féérique installé par le phrasé fluide et évanescent d'une guitare qu'on dirait jouée par John Abercrombie. Un peu avant la troisième minute, une nouvelle mutation s'annonce par quelques dissonances avant que ne s'installe un jazz de chambre qui emprunte son vocabulaire aux musiques improvisées européennes. La démarche est sophistiquée et ambitieuse mais on est conquis par la dynamique, les interactions et la variété de ce qu'il faut bien considérer comme un coup de maître. Ce qui vient après reste enthousiasmant, certains morceaux tirant davantage vers un folklore imaginaire comme Le Chant Du Toke avec ses percussions exotiques sur lesquelles s'envolent successivement l'accordéon et un violon au lyrisme quasi-balkanique, d'autres vers le jazz avec de grands espaces réservés à l'improvisation (citons entre autre le superbe solo de saxophone soprano sur Pas Sûr), sans oublier ici et là un certain goût pour l'abstraction comme sur Olinaphte ou sur le cinématique Chérie d'A avec ses structures mouvantes aussi expressives qu'intimistes. En fait, l'intrication des genres pratiquée par Tali Toké est tellement profonde que sa musique atypique en devient universelle. Il ne suffit pas de larguer les amarres et de faire valser les étiquettes pour convaincre mais dans ce cas, on n'est pas loin d'un de ces petits chefs d'œuvre inclassables et gorgés de nuances qui laissent pointer l'héritage des grandes rencontres polychromes organisées jadis par le label visionnaire ECM. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Tali Toké sur Bandcamp ] [ Tali Toké website ] [ Le label Homerecords ] [ Tali Toke (CD & MP3) ] [ A écouter : Tali Toké (présentation de l'album) ] |
Vagabond [ACT] 2012 |
Malgré sa déjà longue discographie et sa collaboration fructueuse d'une décade avec Oscar Peterson (dont il fut le dernier guitariste), le Suédois Ulf Wakenius est aujourd'hui surtout connu du grand public pour son exceptionnel duo intimiste avec la chanteuse coréenne Youn Sun Nah. Le voici maintenant à la tête d'un nouveau trio comprenant l'accordéoniste français Vincent Peirani et le contrebassiste suédois Lars Danielsson. Leur musique est le produit d'un vagabondage aux quatre coins de la planète, du Japon à la Bretagne et de l'Amérique aux fjords nordiques. Pourtant, au-delà de ces références cosmopolites, elle reste d'une grande homogénéité en grande partie à cause de la sonorité très originale d'un trio en parfaite harmonie où chacun a l'occasion de briller sur son instrument. Wakenius sait tout faire sur sa guitare acoustique et sur son luth : fin et rapide comme l'éclair sur Praying et sur le très beau Chorinho de Lyle Mays, lyrique sur Encore de Keith Jarrett, fluide et mélodique en duo avec son fils Eric Wakenius sur Birds And Bees d'Attila Zoller, sans parler de sa composition Song For Japan où il imite à s'y méprendre le son d'un shamisen. Quand à l'accordéoniste, il s'adapte avec une étonnante facilité aux styles variés abordés et paraît aussi à l'aise en improvisant sur des mélodies celtiques que sur des arabesques arabes, levant toutes les appréhensions que l'on pourrait avoir par rapport à cet instrument qui n'est définitivement pas destiné à ne jouer que du musette. Et puis, il y a cette version aérienne du fameux Message In A Bottle de Police chantée par Youn Sun Nah, prestigieuse invitée venue témoigner de son amitié pour le guitariste. Nguyen Lê, grand spécialiste des réinterprétations de tubes rock, vient également y ajouter quelques lignes sinueuses de guitare. Et il n'en faut pas plus pour que la magie opère à nouveau tandis que le même frisson, que firent naître les chansons aériennes de Same Girl, se propage à nouveau dans l'échine. Brillant et polychrome! [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Vagabond (CD / Digital) ] [ A écouter : Vagabond - Message In A bottle - Bretagne - Song For Japan ] |
Commentaires et avis sur ce site : livre d'or Contact pour promotion : @dragonjazz.com |