Les guitaristes jazz des années 50 : une sélection d'albums




Tous les guitaristes des années 50 ont été influencé par Charlie Christian et par Django Reinhardt, et plus par le premier que par le second aux Etats-Unis. La plupart jouaient sur des guitares "hollow body" électrifiques, caractérisées par une table d'harmonie bombée et des ouvertures en "f" semblables à celles des violons. La plus célèbre était la Gibson ES-150 (Electric Spanish) qui fut introduite en 1936 et dénommée ainsi parce que son prix avait été fixé à l'époque à 150 US$. Charlie Christian l'avait utilisée et les jazzmen des années 50 l'adoptèrent ainsi que la Gibson ES-175 qui en est dérivée et qui fut lancée par la firme en 1949.

Tal Farlow fut l'un des guitaristes les plus fameux de la décennie : son style bop en "single notes" à la fois véloce et fluide et d'une extrême virtuosité fit sensation. Il remporta le référendum Down Beat, catéégorie New Star en 1954 et celui des critiques en 1956 tandis que son disque The Swinging Guitar Of Tal Farlow de 1957 est souvent retenu parmi les plus grands disques de guitare jazz du monde. L'arrivée de Wes Montogomery une année plus tard marquera le début d'une nouvelle ère pour la guitare jazz : il deviendra un exemple pour la plupart des guitaristes modernes et son influence se fait toujours sentir aujourd'hui.

De l'autre côté de l'Atlantique, un prodige nommé Django avait porté la guitare jazz à son apogée dès les années 30 et, avant son décès le 15 mai 1953, il enregistrera encore quelques sessions qui appartiennent aux années 50 mais l'essentiel de son œuvre est antérieur. En 1954, le guitariste américain Jimmy Raney viendra tourner en Europe où son style élégant et raffiné fit sensation. Très influencé au début par Raney, le Belge René Thomas développera rapidement un style personnel et une technique qui lui vaudra l'admiration de tous les guitariste du monde, y compris américains (Coryell et McLaughlin lui dédieront un morceau appelé Rene's Theme sur Spaces en 1970).



"Je ne suis pas embarassé pour trouver les improvisateurs que j'aime.
Les noms qui me viennent les premiers aux lèvres sont :
Charlie Christian, Django, George Van Eps, Tal Farlow, Jimmy Raney,
Teddy Bunn, Wes Montgomery, Herb Ellis et Chuck Wayne."


Barney Kessel, guitariste, in Jazz Hot N°283, Mai 1972.



Django Reinhardt : The Last Studio Sessions
(Fresh Sound Records), 1951-1953


Après son séjour américain de 1946, Django, de plus en plus fasciné par le be-bop, est passé à l'électricité, dépouillant son phrasé pour s'adapter à ce nouveau son. De 1947 à 1953, il a enregistré des faces qui en témoignent. Ce compact regroupe des titres gravés pour Decca à Paris le 11 mai 1951, le 30 janvier 1952 et le 30 janvier 1953. Les fameuses sessions en quartette du 10 mars 1953 réalisées pour le producteur Norman Granz (qui les publiera aux Etats-Unis sur son label Clef), avec la dernière version (électrique) de Nuages fort bien enregistrée, sont également incluses. Enfin, j'ai un faible pour les derniers titres franchement bop de l'ultime séance du 8 avril 1953 connue sous le nom de Deccaphonie d'après l'intitulé de sa dernière composition. Django est mort trop tôt pour enregistrer en stéréo mais ces dernières faces offrent un qualité sonore supérieure à tout ce qu'on peut trouver dans sa discographie.

[ A écouter : Nuages (version électrique du 10 mars 1953) - Deccaphonie (8 avril 1953, avec Martial Solal et Fats Sadi Lallemand) ]


Barney Kessel : Volume 1 - Easy Like
(Contemporary), 1953


Ce disque regroupe les premières sessions en studio de Barney Kessel réalisées pour le label Contemporary Records (avec une pochette de William Claxton et des notes de Nesuhi Ertegun). Il est ici accompagné par un quintet de requins de la West Coast incluant le batteur Shelly Manne et les saxophonistes flûtistes Buddy Collette ou Bud Shank. Le jeu de Barney s’inscrit dans un bop très classique encore fortement imprégné du style de Charlie Christian.

[ A écouter : Barney Kessel : Easy Like ]


Jimmy Raney: Visits Paris
(Vogue), 1954


Une année après la mort de Django, le guitariste américain Jimmy Raney vint en Europe avec le Red Norvo Trio et impressionna les amateurs par son art du swing et son éloquence apparemment sans limite. Même le magazine Jazz Hot le désigna à l'époque comme le N°1 des guitaristes de jazz. Le 6 février 1954, il y enregistra ce disque pour la maison Vogue en compagnie de Maurice Vander, de Roger Guérin ou Bobby Jaspar et de la section rythmique Jean-Marie Ingrand / Jean-Louis Viale. Le répertoire, qui comprend essentiellement des standards plus une composition de Raney (Très Chouette), est relax et spontané, le guitariste profitant de l'occasion pour enfin prendre le lead de la session et s'épancher comme il en avait envie. Le reste du groupe témoigne par ailleurs du bouillonnement artistique qui prévalait en ces années-là sur les bords de la Seine.

[ A écouter : Jimmy Raney : Fascinating Rhythm ]


René Thomas Et Son Quintette
(Vogue), 1955


Au retour d'une tournée en Belgique, Django en avait parlé en termes élogieux si bien que ce guitariste liégeois était attendu à Paris où il suscita immédiatement l'enthousiasme des amateurs. Très influencé au début par Jimmy Raney qu'il rencontra à Paris en 1954, René a développé rapidement son propre style et s'est positionné comme l'un des guitaristes les plus avancés d'Europe. Le 5 mai 1954, il est entré en studio à Paris avec le trompettiste Charles " Buzz" Gardner, le pianiste Henri Renaud et une section rythmique comprenant le contrebassiste Jean-Marie Ingrand et le batteur Jean-Louis Viale pour enregistrer sept titres dont deux originaux de sa plume (Autobuzz et Thomasia, une variante sur Body & Soul). Les arrangements sont de Henri Renaud mais la plupart des soli sont réservés au leader qui fait déjà preuve d'une belle maturité et d'une volonté de transcender ses modèles : au confluent de Django Reinhardt et de Jimmy Raney, le guitariste s'est forgé un style "thomasien" qu'il affinera d'année en année et que Stan Getz reconnaîtra plus tard en disant "René est un ménestrel de la guitare. Une de ses premières idoles était Jimmy Raney mais maintenant, il joue comme René Thomas, le seul et unique !"

[ A écouter : René Thomas : Burt's Pad ]


George Van Eps : Mellow Guitar
(Columbia/Euphoria!) 1956


Mellow Guitar est le seul album de la decennie sorti par le légendaire George Van Eps, inventeur d'une guitare à sept cordes (avec une corde basse supplémentaire) et d'un style particulier ressemblant à du picking et en partie basé sur des accords sophistiqués. On peut l'écouter ici dans trois contextes différents : avec une section rythmique discrète, au sein d'un nonet ou accompagné par un orchestre à cordes. Le répertoire se compose de standards bien connus comme Yesterdays, S' Wonderful ou I'll Remember April et de quelques compositions originales (dont un Tango El Bongo aussi splendide que concis). La musique, en dépit de sa permanente créativité, apparaît douce, facile, et coule comme du miel au soleil.

[ A écouter : George Van Eps : Tango el Bongo ]


Presenting Oscar MooreOscar Moore : Presenting Oscar Moore
(Five Stars Recordings), 1956


Oscar Frederic Moore a enregistré quelques albums sous son nom mais, pour le grand public, il reste d’abord associé au trio de Nat King Cole. Moore, c’est le swing à l’état pur : contrairement à ses pairs, il utilisait sa guitare non de façon « linéaire » mais de manière « orchestrale », combinant avec aisance toutes les possibilités mélodiques et harmoniques de l’instrument. Il était aussi connu pour son utilisation du « glissendo » et du « portamento ». Parmi ses albums personnels, tous restés plus ou moins confidentiels, celui-ci le présente en duo avec le bassiste Leroy Vinegar. Par la magie du ré-enregistrement, on peut l’écouter à la fois comme accompagnateur et comme soliste et il excelle aussi bien dans un rôle que dans l’autre. Il y joue 8 reprises, pour la plupart des ballades, et une seule composition personnelle trop courte intitulée Taborra dans laquelle il swingue avec une belle intensité. La bande de 1956, jamais sortie en LP, a été éditée en compact aux Etats-Unis en 2011 et rééditée au Japon en 2017.

[ A écouter : Oscar Moore with Leroy Vinegar : Taborra ]


Johnny Smith featuring Stan Getz : Moonlight In Vermont
(Roost/Vogue/Roulette), 1956


Musicien de studio spécialisé dans les ballades tranquilles, Johnny Smith a réalisé un coup de maître en enregistrant en 1952, avec le saxophoniste Stan Getz, un morceau pour le label Roost intitulé Moonlight In Vermont qui connaîtra un énorme succès critique et populaire. Cette musique douce sera suivie par d'autres titres, pour la plupart des standards, interprétés dans le même style dépouillé et romantique à propos duquel Barney Kessel dira : on peut jouer différemment mais pas mieux. Johnny Smith délivre des accords veloutés tandis que la sonorité douce du saxophone de Stan Getz contribue largement à amplifier le côté rêveur de cette musique. Ce disque est une compilation de plusieurs sessions enregistrées en 1952 et 1953. Ça manque peut-être un peu de dynamisme mais il faut avouer que cette musique hyper cool ne manque pas de charme.

[ A écouter : Johnny Smith featuring Stan Getz : Moonlight In Vermont ]


Billy Bauer : PlectristBilly Bauer : Plectrist
(Norgran Records / Verve), 1956


Dans la liste des guitaristes essentiels des années 50, on ne fait que rarement mention de Billy Bauer ... sauf si cette liste a été établie par un autre guitariste. Musicien ouvert, Billy Bauer ne se cantonne pas à un style unique et peut jouer aussi bien du swing que du bop en passant par du jazz cool et de l’avant-garde (il a été pendant trois ans l’accompagnateur très remarqué du pianiste Lennie Tristano connu pour son approche sérieuse ou intellectuelle du jazz qui débouchera sur les premières expériences de free jazz). Mais, dans toute sa carrière, il n’a réalisé qu’un seul disque en studio : Plectrist. Accompagné par le bassiste Milt Hinton, le batteur Osie Johnson et un obscur pianiste nommé Arnold Ackers, Billy Bauer y délivre des standards (Jerome Kern, Irving Berlin, Cole Porter...) plus quelques compositions personnelles dans le style bop (l’excellent Lincoln Tunnel) et/ou ballade (Night Cruise) si bien que Plectrist reste un disque très abordable, quasi mainstream, comme si Billy Bauer gardait son jeu le plus innovant pour son travail de sideman.

[ A écouter : Billy Bauer : Lincoln Tunnel ]


Tal Farlow : The Swinging Guitar Of Tal Farlow
(Verve Records), 1957


Talmadge Holt "Tal" Farlow est le guitariste emblématique des années 50. Après s'être formé au sein du Red Norvo Trio (en compagnie de Charles Mingus), Tal a enregistré une série d'albums sous son nom qui ont fait avancer considérablement la guitare jazz. Au départ fortement inspiré par Charlie Christian, il a développé le côté harmonique de l'instrument tout en acquérant une vélocité stupéfiante : il s'était même fait fabriquer une quitare à manche court qui lui permettait de jouer à toute vitesse des phrases fluides et douces. Ce disque le présente en trio sans batterie avec le brillant pianiste Eddie Costa et le bassiste Vinnie Burke dont les inébranlables "walking basses" supportent à merveille le vol de la six-cordes. Sur la pochette, Tal pose avec sa chère Gibson ES-350, une guitare qu'il a utilisée tout au long de la décennie à tel point qu'il était surnommé "The Gibson Boy" par ses pairs. Dans les 60's, la firme Gibson le remerciera en lui réservant un de ses premiers modèles "signature" avec ceux de Johnny Smith et de Barney Kessel. Entre swing et be-bop, le style de Tal Farlow séduit par sa complexité autant que par sa musicalité. Et on peut dire qu'avec lui, la guitare est entrée de plein pied dans la modernité.

[ A écouter : Tal Farlow : Meteor ]


Jim Hall : Jazz Guitar
(Pacific Jazz), 1957


Dans son premier disque en leader, Jim Hall se révèle comme un guitariste original et doté d’une grande sensibilité. Le répertoire ne se compose que de standards, empruntés à Ellington, Benny Goodman, Jerome Kern et consorts, mais tout est dans l’interprétation subtile qu’en donne le guitariste. Cet album fut malheureusement edité et trafiqué par le producteur Richard Bock qui en a sorti des versions différentes (avec un batteur ajouté non présent dans la session originale) mais la réédition en CD par Jazz Images de 2019 permet de retrouver le trio initial dans toute sa pureté avec Joe Pass uniquement accompagné par le bassiste Red Mitchell et le pianiste Carl Perkins.

[ A écouter : Jim Hall : Stompin' At The Savoy ]


Herb Ellis : Nothing But The Blues
(Columbia), 1957


Ce guitariste texan surtout connu pour sa participation au trio d'Oscar Peterson de 1953 à 1958, a aussi eu l'occasion d'enregistrer sous son nom pour le label Verve quelques albums de bonne facture dont celui-ci qui, selon les paroles même de son auteur, est le meilleur qu'il ait réalisé. Comme tous les guitaristes texans, Herb Ellis a toujours inclus des accents de blues et même de country dans son jeu et, comme le titre de l'album le suggère, cet aspect blues est ici accentué. Il faut aussi souligner la qualité du quintet dans sa globalité avec le saxophoniste Stan Getz, le trompettiste Roy Eldridge plus une section rythmique impeccable constituée du contrebassiste Ray Brown et du batteur Stan Levey. Nothing But The Blues est un disque bourré de swing et de feeling qu'on écoute facilement et avec délectation.

[ A écouter : Jim Hall : Stompin' At The Savoy ]


Kenny Burrell : Blue Lights, Volume 1
(Blue Note), 1958


Enregistrée le 14 mai 1958, cette session de Kenny Burrell ressemble à une jam en studio. Il y est accompagné par le trompettiste Louis Smith (excellent quoique peu connu), les saxophonistes ténors Junior Cook et/ou Tina Brooks, les pianistes Duke Jordan ou Bobby Timmons plus une section rythmique composée du contrebassiste Sam Jones et du batteur Art Blakey. Ça joue relax sur deux originaux basiques et deux standards (dont un superbe Caravan) étendus jusqu'à durer 10 minutes, chacun y allant de son improvisation dans le style bop et hard-bop emblématique du label Blue Note de l'époque. Kenny Burrell enregistrera des projets plus personnels durant la décennie suivante mais cette jam session n'en est pas moins divertissante. Le disque est aussi célèbre pour sa pochette qui présente un dessin d'Andy Warhol dans un design global de l'incontournable Reid Miles.

[ A écouter : Kenny Burrell : Caravan ]


The Wes Montgomery Trio : A Dynamic New Sound - Guitar/Organ/Drums
(Riverside), 1959


Enregistré en trio avec Melvin Rhyne à l'orgue et Paul Parker à la batterie, ce premier album ne reflète pas encore tous les qualités de cet extraordinaire guitariste qu'est Wes Montgomery mais il en présente quand même une grande partie. Enregistré juste à la fin de la décennie, les 5 et 6 octobre 1959, ce disque laisse déjà entendre la technique très personnelle de Wes qui joue avec son pouce accords, singles notes et notes doublées à l'octave. C'est juste que le contexte orgue / batterie n'est pas le plus approprié à son style fluide et lyrique qui demanderait des arrangements plus travaillés. Il n'empêche que A Dynamic New Sound marque à la fois la fin des 50's et l'entrée dans la décennie suivante pendant laquelle le style "Wes Montgomery" va fleurir en influençant la plupart des guitaristes de la génération montante. Historique !

[ A écouter : The Wes Montgomery Trio : 'Round Midnight ]


Autres suggestions :


  • Jimmy Gourley with Lee Konitz : Jazz Time Paris (Vogue), 1953
  • Barney Kessel : Volume 2 (Contemporary Records), 1954
  • Tal Farlow : The Tal Farlow Album (Norgran Records), 1954
  • Tal Farlow : The Artistry Of Tal Farlow (Norgran Records), 1954
  • Oscar Moore : Oscar Moore (Skylark Records), 1954
  • Barney Kessel : Vol. 3 - To Swing or Not to Swing (Contemporary Records), 1955
  • Jimmy Raney : A (Prestige), 1955
  • René Thomas : René Thomas And His Orchestra (Barclay), 1956
  • René Thomas : René Thomas Modern Group (Polydor), 1956
  • Tal Farlow : Tal (Verve Records), 1956
  • Herb Ellis : Ellis In Wonderland (Norgran Records), 1956
  • Kenny Burrell : Introducing Kenny Burrell (Blue Note), 1956
  • Mundell Lowe : Guitar Moods (Riverside), 1956
  • Freddie Green : Mr. Rhythm (RCA Victor), 1956
  • Tal Farlow : This Is Tal Farlow (Verve), 1957
  • Kenny Burrell : Kenny Burrell (Prestige), 1957
  • Charlie Byrd : Jazz Recital (Savoy), 1957
  • Kenny Burrell / Jimmy Raney : 2 Guitars (Prestige), 1957
  • Kenny Burrell : Blue Lights, Volume 1 (Blue Note), 1958
  • Kenny Burrell : Blue Lights, Volume 2 (Blue Note), 1958
  • Barney Kessel : Barney Kessel With Shelly Manne And Ray Brown - The Poll Winners (Contemporary Records), 1959
  • Tiny Grimes : Tiny In Swingville (Prestige), 1959










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