Jazz en France : une Sélection de CD


Volume 3 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 4 ]


Olivier Calmel Quartet : Mafate (réédition)
[Musica Guild]


1) Expansion - 2) Le Rocher d'Ayers Part 1 - 3) Il Palio - 4) A Regret - 5) Nomade - 6) Chasseurs de têtes (basé sur Watermelon Man de Herbie Hancock) - 7) Piazotango - 8) King Luis Song - 9) Spirit Hommes (Bruno Schorp) - 10) Mafate - 11) Sonate pour 2 pianos - 12) Le Rocher d'Ayers Part 2. Toutes les compositions sont de Olivier Calmel sauf indication contraire.

Olivier Calmel (p), Frédéric Eymard (violon alto, bruitages), Jean Wellers (contrebasse), Karl Jannuska (dr), Bruno Schorp (contrebasse sur 1, 4 & 9), Fabrice Dupé (dr sur 3 & 7), Mamour Seck (percussions sur 1 & 2), Luiz De Aquino (gt sur 9). 3 & 7 Enregistrés en février 2003 et le reste en février 2004. Produit par Christian Gentet pour Musica Guild. Nouvelle édition, 2005.

Mafate a été chroniqué l'année dernière lors de sa première publication à compte d'auteur. Réédité par Musica Guild et diffusé par Abeille Musique, il bénéficie maintenant d'une distribution plus large, d'une nouvelle production et d'une pochette plus professionnelle. Une bonne occasion pour (re)découvrir ce premier album très éclectique et fort réussi du pianiste Olivier Calmel. [P. Dulieu]

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Olivier Calmel Quartet : Mafate
[No Chaser Records]


1) Expansion - 2) Le Rocher d'Ayers Part 1 - 3) Il Palio - 4) A Regret - 5) Nomade - 6) Chasseurs de têtes (basé sur Watermelon Man de Herbie Hancock) - 7) Piazotango - 8) King Luis Song - 9) Spirit Hommes (Bruno Schorp) - 10) Mafate - 11) Sonate pour 2 pianos - 12) Le Rocher d'Ayers Part 2. Toutes les compositions sont de Olivier Calmel sauf indication contraire.

Olivier Calmel (p), Frédéric Eymard (violon alto, bruitages), Jean Wellers (contrebasse), Karl Jannuska (dr), Bruno Schorp (contrebasse sur 1, 4 & 9), Fabrice Dupé (dr sur 3 & 7), Mamour Seck (percussions sur 1 & 2), Luiz De Aquino (gt sur 9). 3 & 7 Enregistrés en février 2003 et le reste en février 2004. Produit par No Chaser Records.

Mafate est un disque qui tire dans toutes les directions, du jazz-rock acoustique (Expansion) à la biguine (Le Rocher d’Ayers) en passant par le tango (piazotango), le soul-funk (King Luis Song, Chasseurs de Tête), le jazz d’inspiration africaine (Mafate) ou même quelques essais plus méditatifs (A Regret et Spirit Hommes). Six des onze titres constituent aussi la bande sonore originale de Close Up, un court-métrage réalisé par Claude Farge. Accompagné par le violon alto très présent de Frédéric Eymard et une section rythmique composée de Jean Wellers à la contrebasse et de Karl Jannuska à la batterie, le leader Olivier Calmel joue du piano acoustique ou du Fender Rhodes dans un style alerte qui privilégie la mélodie mais qui peut à l’occasion décoller dans des improvisations très serrées. Les compositions sont séduisantes et variées, souvent limpides et ne manquent ni d’émotion ni de poids. Elles sont parfois interprétées avec une touche de modernisme incluant des rythmes actuels et même des bruitages réalisés de façon acoustique. Les titres de fusion comme Expansion et King Luis Song sortent à mon avis du lot en affichant un groove décoiffant qui fait plaisir à entendre d’autant plus que les sons du violon et du piano s’y marient particulièrement bien et que la rythmique s’y dégèle avec plus de ferveur qu’ailleurs. Le disque se clôture par un morceau classicisant interprété au piano solo sans compter la douzième plage en bonus non listée sur la pochette qui est une courte extension aérienne de Rocher d’Ayers. Un reproche que l’on peut faire à ce disque concerne la production : le mixage ne prend aucune liberté et le son ténu manque de présence là où il aurait fallu une texture sonore organique et contrastée mettant en évidence le grain inédit du violon alto. Mais à part ça, ce disque mérite largement d’être écouté et, malgré sa relative déficience en production, il constitue quand même pour Olivier Calmel une belle carte de visite. [P. Dulieu]



Benjamin Moussay Trio : Conciliabules
[CNSM]


1) Conciliabules sous un Voile Jaune - 2) Schubob - 3) La Bonde mystérieuse - 4) Pure Laine - 5) Le Cou, la Tête, le Dos - 6) Incantation - 7) Just One of Those Things (Cole Porter) - 8) Joanna - 9) Les Cloches de l’Enfer. Toutes les compositions sont de Benjamin Moussay sauf indication contraire.

Benjamin Moussay (p), Luc Insenmann (b), Arnault Cuisinier (dm). Enregistré en Novembre 1998 au CNSM de Paris.

Déjà remarqués au sein du groupe Kassalit, lauréats du premier prix d'orchestre au Concours National de Jazz de la Défense en 1997, remarqués par un Martial Solal enthousiaste ("Lorsqu'un jeune pianiste possède une très belle technique, un sens évident du jazz, un véritable talent de compositeur, lorsqu'il forme un trio avec des musiciens parmi les plus doués, le résultat ne se fait pas attendre"), Benjamin Moussay (p), Luc Insenmann (dm) et Arnault Cuisinier (b) - moyenne d'âge : autour de 25 ans - se lancent avec ces Conciliabules sur le chemin du triangle magique, sans jamais poser aux bons élèves collectionnant les bons points, les mentions ou les récompenses. Marqué par ses études classiques (élève de Jean Fassina et Jean-Louis Haguenauer), Benjamin Moussay révèle un indéniable talent de compositeur (il signe huit des neuf thèmes du disque), son imagination explosant le plus tangiblement dans des pièces au tempo moyen ou lent, où l'on découvre un créateur de climats amples et ambitieux dignes du meilleur Hancock - celui de Speak Like A Child (La Bonde Mystérieuse - le thème porte bien son titre - est peut-être le plus significatif de cette hypothèse comparative sans autres conséquences ; c'est d'ailleurs le plus beau morceau de l'album). Puisque les filiations, bien qu'agaçantes en ce qu'elles effacent un peu l'originalité du musicien sous l'héritage qu'on veut lui faire supporter, ont quand même un côté flatteur, on remarquera que certains traits mélodiques de la main droite du pianiste, dans le haut du clavier, nous ont évoqué Pieranunzi (Joanna - une ballade étrange et splendide). La diversité des neuf morceaux laisse aussi la place à des thèmes plus rapides et enjoués, où le trio nous semble faire montre de moins de personnalité (Le Cou, la Tête, le Dos), malgré la vivacité remarquable du jeu touffu de Luc Insenmann (élève de Daniel Humair au Conservatoire de Paris, batteur attitré du Big Band du saxophoniste ténor Ricky Ford, promenant son talent entre jazz - Carla Bley, Maria Schneider, Joe Lovano - et musiques contemporaines - Michel Reverdy, ou bien les compositions du bouffon méditerranéen Aperghis) et la précision rythmique d'Arnault Cuisinier. Au final, un long morceau intitulé Les Cloches de l'Enfer (Moussay a, outre ses talents de pianiste et de compositeur, un don peu commun pour les titres) expose et résume l'univers dans lequel ces trois jeunes musiciens, qui ont poussé leurs investigations du côté des chansons de Lou Reed et de son Velvet et rendent hommage aux australopithèques australiens électrifiés d'AC/DC, jouent le mieux : une atmosphère pleine de mystère et de pièges, le calme avant (et après) la tempête, un ostinato de basse qui figure le battant de leur horloge interne et le support vif des peaux de Cuisinier. Il ne fait pas de doutes que le trio de Benjamin Moussay devrait connaître - on le lui souhaite en tout cas, et on se le souhaite pour le retrouver au plus vite - le succès d'un Prysm, par exemple, et qu'un label le prendra sous on aile. Après ces Conciliabules, produit pas le Conservatoire de Paris dans la collection "Jeunes Solistes", et réalisé grâce au soutien de la Fondation Meyer, il serait étonnant qu'on ne se les dispute pas. Dernière minute : Benjamin Moussay a obtenu le second prix de soliste au concours de La Défense. [B. Quiriny]



Sylvain Beuf Quintet : La Danse Des Inter-notes
[RDC RECORDS]


1) Tout le monde danse - 2) Antipodes - 3) Nocturnes - 4) La danse des Inter-nôtes - 5) Tango - 6) Act III - 7) Solo - 8) Thomas Dream - 9) Urban Mood - 10) Spleen Valse - 11) Irish Walk. Toutes les compositions sont de Sylvain Beuf.

Sylvain Beuf (sax), Manuel Rocheman (p), Christophe Wallemme (b), Jean-Pierre Arnaud (dm), François Verly (perc). Enregistré en juin 1998 au studio Recall (France)

Naïf et jovial, le titre du premier morceau de ce second album, "Tout le monde danse", reflète en définitive assez justement notre état d'esprit à son écoute : il y a en effet de quoi danser de joie à l'idée que la relève est là, la besace chargée d'idées et d'audaces, facétieuse et virtuose, menée notamment, saxophone battant, par ce Sylvain Beuf à l'itinéraire déjà riche et promis, incontestablement, à des lendemains qui soufflent. On l'a entendu ces derniers mois auprès du jeune vibraphoniste David Patrois, du batteur André Cecarelli et du groupe suisse Inside Out ; après trois années d'absence en tant que leader, cette formation avec Jean-Pierre Arnaud (dm) et Christophe Wallemme (b), auxquels se sont joints Manuel Rocheman (p) et le bondissant François Verly (perc), donne à entendre une musique toute neuve (pas une reprise), originale et festive. Tout le monde y danse, donc, y compris les conventions (bousculées), les lignes mélodiques (splendides), les thèmes (souvent inspirés), les doigts habiles du percussioniste (cloches, triangles, woodblocks, peaux et autres, qui donnent à la palette des timbres une richesse inédite) et le reste ; bref, ça bouge. Le pianiste Manuel Rocheman, souverain, traverse le disque avec une maestria qui confirme le bien qu'on pensait de lui ; Sylvain Beuf, formidable au soprano, fait un improvisateur de grand talent (il attribue, dans un entretien récent avec Pascal Anquetil, une partie de son élan au fait d'avoir changé de saxophone, passant d'un Selmer domestiqué à un Keilwerth à découvrir - une marque allemande, utilisée notamment par Dave Liebman... le talent et l'instrument, tout semble donc favorable). A la vérité les cinq musiciens, emportés dans le tourbillon d'un enthousiasme dangereusement contagieux, colportent ensemble ce réjouissant manifeste de la vivacité du jazz hexagonal. [B. Quiriny]



André Ceccarelli Quartet : 61:32:00
[RCA VICTOR]


1) Meeting point (Sylvain Beuf) - 2) Sticks Time (André Ceccarelli) - 3) A.G. Pym Entrevue (Rémi Vignolo) - 4) Where do U want 2 go (Ceccarelli - Luc - Vignolo) - 5) Toco.bombo.con (Ceccarelli - Garay) - 6) Latino Souvenir (Antonio Farao) - 7) 11th Street East (Thomas Bramerie) - 8) Ha Nevicato Martedi (André Ceccarelli) - 9) Instant Blues (Ceccarelli - Eliez) - 10) Blue Cab Express (Ceccarelli)

André Ceccarelli (dr), Rémi Vignolo (b), Sylvain Beuf (ss, ts), Antonio Farao (p) + invités : Stéphane Belmondo (tp), Sylvain Luc (g), Thierry Eliez (org), Minino Garay (perc). Enregistré du 13 au 15 janvier 1999 à Paris.

Encore un superbe moment de musique (61 minutes et 32 secondes pour être précis, puisque c'est le titre du disque... mon lecteur n'indique que 27 secondes, mais qu'importe) que nous offre le batteur André Ceccarelli avec son quartet et quatre invités qui viennent, sur six des dix morceaux, enrichir la palette sonore. A se demander, en écoutant avec ravissement ce jazz de la plus belle facture, comment d'aucuns en viennent encore à écarter notre génial niçois du cercle des grands, au prétexte qu'il irait régulièrement voir ailleurs (variété, chanson, hantant les studios et accompagnant bien des vedettes)... Un des intérêts de ce superbe disque, ce sont les rencontres réussies qu'il contient : Stéphane Belmondo, dont la trompette répond aux saxophones de Sylvain Beuf sur deux titres ; l'excellent Sylvain Luc, formidable à la guitare, notamment sur 11th Street East, six minutes rythmées et balancées ; les percussions de Minino Garay en duo avec les toms et cymbales de Ceccarelli sur Toco.Bombo.Con ; l'orgue Hammond de Thierry Eliez, enfin, sur un Instant Blues étonnant. Les trois permanents, Beuf, Vignolo (b) et Farao (p) sont parfaits, cohérents, complices, interprétant ces compositions subtiles (seule un des morceaux n'est pas dû à la plume des membres du quartet) en bonne intelligence. Et derrière eux, en tendant un minimum l'oreille, on profite de la richesse du jeu rapide, sec et enlevé de Ceccarelli. Une fois le disque terminé, tout seul dans son salon, on peut applaudir les musiciens pendant au moins 10:00:00. [B. Quiriny]



Eddy Louiss : Sentimental Feeling
[Dreyfus Jazz]


1) Sentimental Feeling (Eddy Louiss) - 2) Le destin (Eddy Louiss) - 3) Cahin-caha (Eddy Louiss) - 4) Blind man (Eddy Louiss) - 5) La scorpionne (Eddy Louiss) - 6) Insomnie (Eddy Louiss) - 7) High Life (Eddy Louiss) - 8) Célestin (Marthe Alessandrini & Albert Lirvat) - 9) Enlacés (Eddy Louiss)

Eddy Louiss (org, p), Julio Rakotonanahary (elb), Paco Séry (dm) + fanfare de 40 musiciens (solistes : Daniel Huck (as) et Xavier Cobo (ts, fl)). Enregistré au studio Ferber (Paris) du 28 novembre au 2 décembre 1998.

Qu'il se prête au jeu du blind test ou qu'il se lance en toute connaissance de cause, il faudra environ 10 secondes au mélomane de bonne foi pour admettre que le rythme qui coule ici ne se rencontre qu'assez rarement. Monsieur Eddy a donné à ce nouvel album pour le label Dreyfus Jazz, très attendu, le titre du premier morceau, Sentimental feeling : un thème d'une simplicité essentielle, brute, taillé dans le chêne, joué sans aucune fioriture superfétatoire par un trio de musiciens dont les coeurs battent d'une même pulsation. Paco Séry y donne le tempo, rien que le tempo, avec un son extrêmement mat ; Julio Rakotonanahary, à la basse électrique, trace avec détermination et rigueur la route de l'organiste mélodiste, qui plaque les accords en fond, sur son piano. Trois des neuf titres de cet album sont ainsi joués en trio, les autres faisant intervenir la célèbre fanfare (quarante musiciens) qui fit les belles heures du Multicolor Feeling : le groove n'en souffre en rien, bien au contraire ! Les arrangements exploitent à merveille les effets de masse et de couleurs, le mixage restituant au mieux l'équilibre entre le trio, les cuivres et, sur trois morceaux, les solistes Daniel Huck (alto) et Xavier Cobo (ténor). Outre les découvertes, on retrouve avec un immense plaisir des compositions plus ou moins connues : la mélodie chaloupée de Célestin (seule reprise du disque, que l'organiste avait joué sur Sang Mêlé), qu'on retrouvera vraisemblablement sur beaucoup de lèvres - avec un fabuleux Paco Séry ; High Life, que la fanfare avait joué au festival Banlieues Bleues... Notons aussi un étonnant Cahin-Caha, audacieuse acrobatie rythmique, et un magnifique Le Destin, dédié à Michel Petrucciani, lente avancée vers un dénouement nostalgique. Blues, funk, Caraïbes et chansons : une musique en arc-en-ciel qui fait claquer des doigts. Louiss attaque ! [B. Quiriny]



Paul Davies : two
[Quoi De Neuf Docteur]


1) Lanceress (for Marc Ducret) (Paul Davies) - 2) Vow - One is enough (Paul Davies) - 3) Het parkske over de brug (Paul Davies) - 4) He lends heart by line (Paul Davies) - 5) Where’s John (Paul Davies) - 6) One of the things you’re not (Paul Davies) - 7) In a silent way (Joe Zawinul) - 8) Miroir Richesse, pourquoi poubelle ? (Paul Davies) - 9) Le rêve de Tatiana (for Aki Kaurismaki) (Paul Davies)

Paul Davies (gts), David Pouradier-Duteil (dm). Enregistré à Paris le 8 avril 1997.

Certes, le guitariste Paul Davies n'est pas français... Mais il réside à Paris depuis de longues années et signe ici un disque magnifique : je ferai donc peu de cas de ce problème de nationalité et vous propose cet album sans hésiter ! Né en Grande-Bretagne en 1953, Paul Davies a offert sa science originale, aux inspirations diverses, à des musiciens tels que Marc Ducret (auquel est dédié le premier morceau du disque), Andy Emler, François Couturier, Renaud Garcia-Fons ou encore Jean-Philippe Viret ; paru en 1994, Voices Off, enregistré live au Petit Faucheux, avait recueilli des éloges unanimes. Avec ce nouveau disque où tout, extérieurement - du titre (trois lettres) à la pochette (design monacal qui repose des livrets photographiques de cinquante pages) - tend à la simplicité, Paul Davies signe une oeuvre réellement séduisante, d'une beauté fascinante, en duo avec le batteur David Pouradier-Duteil, formule rare dont les plus fameux explorateurs - et sans doute pas les moins intéressants - sont Joey Baron et son compère Bill Frisell. Si elle cède parfois à de brefs orages électriques saturés, la musique du guitariste repose le plus souvent sur des climats obsédants et fascinants créés autour d'arpèges aux réminiscences folk ou par l'utilisation créative des possibilités littéralement atmosphériques de l'amplification. Le procédé du re-recording lui permet d'improviser sur les nappes d'accords arpégés et de mêler les sonorités acoustiques et électriques. David Pouradier-Duteil donne l'impulsion de ces improvisations, tantôt en figure libre, tantôt dans la plus pure veine rock, sans aucune pesanteur. Une poésie irrésistible émane de ces onze morceaux au climat léger, unique et énigmatique. Two est de ces rares oeuvres inclassables - inutile, de toutes façons, de les classer, sorties en permanence de notre discothèque et vissées au lecteur CD qu'elles sont - où l'on peut découvrir la clé d'un univers vraiment personnel et inédit. [B. Quiriny]



Belmondo Quintet : Infinity
[SHAÏ]


1) Part I The memories that never dies (Lionel Belmondo) - 2) Part II For my son (Stéphane Belmondo) - 3) Part III The mind thing (Laurent Fickelson) - 4) Part IV Song for eternity (Stéphane Belmondo)

Stéphane Belmondo (tp, flg), Lionel Belmondo (fl, ss, ts), Laurent Fickelson (p, Fender Rhodes), Clovis Nicolas (b), Philippe Soirat (dm). Enregistré les 20 et 21 Août 1998 à l'espace de projection IRCAM, Paris.

Quatre longs morceaux aux influences hard bop ou modales, enchaînés par des transitions en solo (basse ou piano - Laurent Fickelson, on y revient) : la construction de ce disque des frères Belmondo, première référence d'un nouveau label français, Shaï, est ambitieuse, la continuité du propos lui donnant une étonnante cohérence. Une fresque brûlante, en quelques sorte, où les musiciens, grâce à ce découpage habile, peuvent étendre leurs interprétations jusque vers la transe (The memories, avec un Lionel Belmondo débordant d'énergie rageuse et de souffle) ou la fascination répétitive (The mind thing, où la flûte indienne remplace le saxophone sur une suite d'accords en arpèges répétée). Si les morceaux composés par les souffleurs sont fort inspirés (et surtout admirablement arrangés), celui qu'apporte Laurent Fickelson (le The mind thing en question) touche littéralement au sublime. Le pianiste est d'ailleurs lumineux sur l'ensemble du disque, tant dans son jeu de piano (aérien) qu'au Fender Rhodes, qui donne une couleur très particulière au For my son de Stéphane Belmondo - le jeu de Fickelson est, là encore, extraordinaire. Ce disque passionnant est une réussite ; un quintet au faîte de sa maîtrise, impliqué à fond dans sa musique : enthousiasme et investissement n'y sont pas de vains mots. Et le Belmondo Quintet accède, incontestablement, au rang des plus grands groupes de jazz français. [B. Quiriny]



Henri Texier Azur Quintet : Mosaïc Man
[LABEL BLEU]


1) Mosaïc Man (Henri Texier) - 2) The lost kids of Nairobi (Henri Texier) - 3) Mr. Freeman (Henri Texier) - 4) Fertile danse (Henri Texier) - 5) Twiga and Puntamilia (Sébastien Texier et Bojan Z) - 6) Ape, dog and Tiger (Tony Rabeson) - 7) Out of the lights (Bojan Z) - 8) Cap Espérance (Henri Texier) - 9) Happy Daze (Glenn Ferris) - 10) Awa (Henri Texier) - 11) Russ and Jim (Sébastien Texier) - 12) Togo (Ed Blackwell)

Sébastien Texier (ss, as, cl), Glenn Ferris (tb), Bojan Zulfikarpasic (p), Tony Rabeson (dm), Henri Texier (b). Enregistré au studio Gil Evans à Amiens (date non précisée).

Ce n'est peut-être pas "assurément, le chef d'œuvre d'Henri Texier" (Alex Duthil) : comment distinguer, parmi ces joyaux, ces moments de pur bonheur que nous a offert le contrebassiste, l'un ou l'autre de ses disques ? Mosaïc Man est un chef d'œuvre, certes, comme l'a été An indian's week, et c'est bien cela qui est extraordinaire : faire retrouver cette émotion vainement cherchée ailleurs, redécouvrir ce charme que l'on croyait consommé à jamais avec les sommets précédemment atteints, bref, maintenir cette magie fugace et volatile qui fait de l'Azur Quintet le groupe le plus passionnant de ces dernières années. Les douze morceaux de l'album (dont 7 d'Henri Texier), réduits à l'essentiel, c'est-à-dire à ce qui compte vraiment, sont magnifiquement restitués sur le disque par une excellente prise de son (Philippe Teissier du Cros aux manettes du studio Gil Evans à Amiens). Glenn Ferris confirme l'originalité de son jeu de trombone plein de souffle, presque organique ; Bojan Z se dépouille du superflu et accompagne ou improvise avec douceur et rigueur ; l'exceptionnel Tony Rabeson joue avec une finesse jubilatoire, effleurant les peaux et les cuivres avec science et précision (soulignons encore une fois le rendu de l'enregistrement) ; Sébastien Texier, enfin, apporte sa jeunesse et son enthousiasme. Et Henri Texier ? Il trouve encore, avec cette fameuse économie de gestes et de sons qui caractérise son style, la justesse, la musicalité, le rythme sur lesquels se construisent les thèmes. Pilier solide et infaillible d'une musique fragile et géniale. [B. Quiriny]



Workshop de Lyon : Côté Rue
[ARFI], 1998


1) Le tracteur de Lilly (Merle) - 2) De l'autre côté de la Rue (Emer / Merle) - 3) Marcello (Bolcato) - 4) Bernardo (Merle) - 5) Paolo (Merle) - 6) Ballade baltique (Merle) - 7) Pessoa (Merle) - 8) Rapid'chocs (Merle) - 9) St Peters (Merle) - 10) Valse à Beppino (Bolcato) - 11) Machicotage (Bolcato)

Jean-Paul Autin (as, sopranino, bcl), Jean Bolcato (b), Maurice Merle (as, ss, voc), Christian Rollet (dm). Enregistré au studio La Buissonne à Pernes les Fontaines (1, 3, 4, 6, 9, 10, 11) et au Carré Bleu à Poitiers (2, 5, 7, 8) (dates non précisées).

Le Workshop de Lyon ? Un bastion de résistance à l'ennemi et à l'ennui, une capsule de survie à la fois underground (l'expérimentation en marge, le travail hors des sentiers battus traditionnels… L'Arfi est notre Knitting Factory - ou le Workshop notre Art Ensemble of… Lyon - à nous, dit-on souvent) et overground (le rêve est plus léger que l'air), une terre d'Utopie dans l'Etat… Le groupe fête son trentième anniversaire. A Lyon, dans les années cinquante, d'aucuns se réunissaient au Hot Club, tendance be-bop et progrès plutôt qu'antenne de Panassié & Cie : "la New thing leur apparaissaient (sic) comme une formidable machine de guerre esthétique contre l'idéologie conservatrice et nauséabonde de la bourgeoisie" (notes de pochette signées Bernard Prouteau). Ainsi naquit le Free Jazz Workshop, plus tard rebaptisé Workshop de Lyon, joyeux laboratoire où travaillèrent et travaillent encore d'illustres (al)chimistes : Jean Bolcato (basse), Jean-Paul Autin (sax, clarinettes), Maurice Merle (sax, voix), Christian Rollet (batterie) pour le groupe tel qu'il existe aujourd'hui, et aussi, jadis, Sclavis ou Vollat. Où l'on joue free, libre, sans limites, tout en reprenant son souffle dans certaines conventions traditionnelles locales auxquelles on redonne des couleurs. Ce nouvel album, Côté Rue, en onze morceaux, passionnants, donne un aperçu panoramique de l'Art multiple de ce groupe lyonnais très voyageur (quelques lieux pris au hasard dans la longue liste du livret : Vaux-en-Velin, Saint-Pétersbourg, Alger, Poitiers, Atlanta, Moscou, Uzeste, Grenade… de vrais ambassadeurs de la free music à la française) ; l'amour de la mélodie, le plaisir du rythme, de la voix, des interjections, l'humour et la poésie sont toujours présents. Bolcato réveillerait un mort par sa puissance, son énergie, sa joie ; Autin et Merle sont toujours de magnifiques improvisateurs. Quant à Rollet, à l'imagination sans bornes, il écoute, relance puis pioche à son tour pour voir ce qu'il y a plus loin. L'herbe est toujours plus verte ailleurs, en particulier à Lyon. Vive le Workshop. [B. Quiriny]



Simon Goubert : Le Phare Des Pierres Noires
[Seventh Records / Harmonia Mundi], 1998


1)The wind will come - 2) Le phare des pierres noires - 3) Organum I - 4) Cinq minutes plus tard - 5) For a new "K" - 6) Campanella. Toutes les compositions sont de Simon Goubert.

Simon Goubert (dms, Fender Rhodes, p), Jean-Michel Couchet (as, ss), David Sauzay (ss, ts), Laurent Fickelson (p), Stéphane Persiani (b). Enregistré et mixé au studio Univeria Zekt du 3 au 11 Août 1998.

Le premier morceau de l'album, passez moi l'expression, laisse sur le cul. On y retrouve l'énergie et la passion qui animaient, voilà plus de trente ans, un certain quartet, notamment dans ses albums "Transition" et "A Love Supreme"… C'est toujours avec une grande réticence que l'on en vient à citer la musique sacrée de John Coltrane, en particulier dans cette phase de son Art, mais cela semble ici justifié : les premières notes du thème de The Wind Will Come évoquent presque explicitement une mélodie célèbre de Coltrane ; la fougue des saxophonistes n'est pas non plus sans parenté ; le solo de Laurent Fickelson est digne de McCoy Tyner ; enfin, le jeu "puissant, bruissant" (pour reprendre deux termes de Michel Contat) et ample de Simon Goubert fait incontestablement penser à celui d'Elvin Jones. Ce morceau est une pure merveille. Les cinq thèmes suivants, plus calmes, confirment la qualité de ce quintet, inchangé depuis 1993. Le Phare Des Pierres Noires, magnifique composition, précède notamment un hommage à Alby Cullaz où le batteur s'installe au piano - aspect de son Art également très convaincant (que l'on connaissait entre autres dans ses travaux avec le groupe Magma) qu'il exploite aussi dans Campanella. The Wind Will Come ? Il est arrivé ! [B. Quiriny]




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