Fud Candrix with his Orchestra : Vol.3 - Mr Ghost Takes The Air - Brüssel 1940-1945, Berlin 1942, Paris 1943 (Antikburo), 1940-1945 |
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Fud Candrix et son Orchestre
Mr. Ghost Takes The Air (3:06) - Good Morning (2:39) - Shoot Me The Meat Balls, Dominick Boy! (2:36) - Broadway Shuffle (2:22) - Anticipate That Rhythm (2:38) - Moderner Rhytmus (3:05) - Ring Dem Bells (2:55) - Kleine Geschenke erhalten die Freundschaft (2:26) - Sweeping The Floor (3:08) - Studio 24 (2:57) - Amapola (3:19) - Indian Love Call (3:09) - Stop! It´s Wonderfull (3:14) - Doggin´ Around (2:55) - Riffin´ At The Arena (2:28) - Oh! Johnny! (2:49) - Potsdamer Platz (2:27) - ABC (2:20) - Zuiderzee Blues (2:39) - Verlaine (3:13) - Serenade For Nelly (2:54) - At A Dixie Roadside Dinner (3:25) - Eisbrecher (2:57) - Serenade (3:01) - Optimismus (3:20) - Was geschah in dieser Nacht (2:53) - Special Delivery Stomp (2:46)
Né à Tongres en 1908, Fud Candrix fait ses débuts à Berlin en 1928 en tant que saxophoniste ténor. En 1936, à l'âge de 28 ans, il parvient à monter son propre big band avec lequel il enregistre son premier 78 tours à Bruxelles le 25 novembre 1937 pour la marque Telefunken (Love Is In The Air couplé avec Cotton Picker's Congregation, Tel A 2378). C'est le début d'une belle carrière de chef d'orchestre et d'arrangeur qui durera quelques vingt années. Bien qu'il soit fiché à la Gestapo pour avoir joué Saint Louis Blues sous un faux nom à la Salle Pleyel, il est invité d'avril à août 1942 à Berlin où il interprètera au Delphi Filmpalast des standards de jazz (rebaptisés avec des titres allemands) pour les militaires, introduisant ainsi une certaine idéologie américaine au coeur de l'Allemagne nazie. Mais pour beaucoup, il est entré dans l'histoire en portant à l'échelle du big band la musique de Django Reinhardt quand son orchestre a enregistré avec Django, d'abord à Bruxelles le 16 avril 1942 pour la marque Rythme, les morceaux Place de Brouckere, Seul Ce Soir, Mixture et Bei Dir War Es Immer So Schön et ensuite, à Paris le 12 mars 1943 pour le label Swing, les titres Belleville, Oubli, ABC et Zuiderzee Blues. Comme on pourra en juger sur l'extrait présenté ci-dessous (Riffin' At The Arena composé par Candrix et Deloof), son orchestre, inspiré par ceux de Count Basie et Jimmy Dorsey, sait ce que swinguer veut dire et il a intégré dans ses rangs, au fil de ses différentes moutures, des solistes compétents comme Raymond "Coco" Colignon ou Yvon de Bie (p), Gus Deloof (tp), Bobby Naret (as), Lou Logist (cl, ts), Victor Ingeveldt (ts, cl) ou Candrix lui-même (ts). Fud Candrix n'a d'ailleurs jamais cessé de rencontrer un réel succès populaire jusqu'au milieu des années 50 quand il fut définitivement vaincu par le renouveau de la musique populaire et la vogue des juke-boxes américains qui, à cette époque, remplacèrent peu à peu les orchestres dans les salles de danse. Décédé en 1974, il a laissé derrière lui une foule d'enregistrements, certes de qualité variable, mais dont la plupart ont heureusement été repiqués et édités dans une série de compacts mémorables édités par le label allemand Antikburo / Swingtime.
Le troisième volume de la série Swingtime, qui dure 78 minutes et comprend 27 titres, se concentre sur la période de guerre 1940 - 1945 avec des enregistrements effectués dans des contextes différents à Bruxelles, Berlin et Paris. On y entend quelques uns des meilleurs solistes de l'orchestre dont le pianiste Yvon de Bie connu pour ses longues improvisations, le trompettiste Janot Morales et Victor Ingeveldt (clarinette et sax ténor) dont le style était directement inspiré par Coleman Hawkins. Parmi les plages les plus intéressantes figurent deux titres gravés à Paris en mars 1943 avec Django Reinhardt à la guitare. Selon la petite histoire, ce dernier n'était pas très chaud d'enregistrer avec un big band mais il s'est finalement laissé convaincre par quelques paquets de cigarettes belges. Quant à sa prestation, inutile d'écrire qu'elle est comme d'habitude exemplaire au point de transformer cet ABC, dédié au club du même nom à Montmartre, et ce Zuiderzee Blues en de petites bijoux devenus aussi rares que légendaires. En fait, vu la qualité des rééditions et leur intérêt historique, les quatre volumes de la collection Swingtime sont tous recommandables et mieux vaut en profiter maintenant avant qu'ils ne disparaissent pour toujours des catalogues.
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Stan Brenders with his Orchestra : Modernes Tempo, Brüssel 1940 - 1943 (Antikburo), 1940-1943 |
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Stan Brenders et son Orchestre
Modernes Tempo (2:31) - Well All Right (2:47) - Im Wachen und im Träumen (3:14) - Ja und Nein (2:56) - Moonglow (3:21) - Fascination (3:04) - Trübe Gedanken (2:33) - Give A Little Whistle (2:30) - When You Wish Upon A Star (2:25) - And The Angels Sing (3:22) - Oase (2:30) - Wir tanzen weiter (2:22) - Opus 13 (2:51) - Dansons Ensemble (2:32) - Bal du Rythme (2:49) - Deine Liebe ist ein Märchen (2:47) - Inspiration (2:39) - Corso (2:42) - Kapriziöse Trompeten (3:05) - XXième siècle (2:51) - Avalance (2:23) - Éclats de cuivre (2:58) - Boogie Woogie (2:52) - Silky (2:52) - Tout atout (2:52) - Blaues Boot (2:44) - There´ll Be Some Changes Made (3:06)
Véritable précurseur à l'instar de Fud Candrix et de Jean Omer, Constant "Stan" Brenders, né à Bruxelles le 31 mai 1904, se destinait à une carrière de pianiste classique quand il fut attiré par le jazz des frères Candrix. Il écoute alors les rares disques américains qu'il peut trouver et rejoint Chas Remue et ses New Stompers avec qui il enregistre une quinzaine de titres chez Edison-Bell à Londres les 27 et 28 juin 1927. Dès 1930, Brenders forme son propre ensemble au Savoy (Bruxelles) et en 1932, Franz André l'engage comme pianiste pour le grand orchestre symphonique de l'I.N.R. (Institut National de Radiodiffusion de la Place Flagey à Bruxelles) devenu célèbre pour ses interprétations de Gershwin. En 1935, l' I.N.R. lui confie la formation d' un nouvel orchestre de jazz semblable à ceux existant déjà aux Pays-Bas et en Angleterre. Un répertoire conséquent est mis au point et la formation devient rapidement connue, enregistrant plusieurs 78 tours dès 1938 et diffusant régulièrement sa musique sur les ondes nationales et étrangères. Pendant l'occupation, Stan Brenders continue ses activités avec succès et enregistre abondamment, notamment le 8 mai 1942 avec le guitariste Django Reinhardt et, quelques jours plus tard, avec le saxophoniste français Hubert Rostaing. Comme beaucoup de musiciens de son époque, il est accusé après la guerre d'avoir collaboré avec les Allemands : son orchestre est dissous et il est forcé de jouer seul ou en petite formation. Mais en 1947, il reconstitue un big band et, à partir de 1953, Brenders ouvre son propre piano-bar appelé L'Archiduc qui existe toujours aujourd'hui à la rue Antoine Dansaert à Bruxelles. Devenu aveugle, Stan Brenders est décèdé le 1er juin 1969 à l'âge de 65 ans. La compilation Stan Brenders Grosses Tanzorchester, éditée par Antikburo / Swingtime en 2005, présente 27 titres enregistrés à Bruxelles pendant l'occupation, de novembre 1940 à décembre 1943. La formation y est au mieux de forme et on y découvrira entre autre le travail de pionnier de Brenders qui sut marier avec bonheur un big band de jazz avec une orchestration symphonique plus classique. Un des morceaux présentés ci-dessous, intitulé Boogie Woogie, est un classique du répertoire de Tommy Dorsey. Enregistré en mars 1942 à Bruxelles, il met en valeur le pianiste John Ouwerx mais aussi l'arrangement impeccable de la formation dont la syncope, soulignée par les riffs bluesy des trompettes, est tout simplement irrésistible.
[ Modernes Tempo sur Amazon.de ] [ La Période Swing en Belgique : Manneken Swing ] [ A écouter : Avalance - Eclats De Cuivre - Boogie Woogie ] |
Jean Omerin Dr. Jazz Collection - Place De Brouckère - Swing Und Hot Aus Belgien Und Holland 1939 - 1945 (Jube), CD - 2001 |
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Jean Omer et Son Orchestre - Enregistré à La Haye, Juin 1941
Sing High, Sing Low, Sing It Like You Want (2:56) - Schicksal (3:22)
Né à Nivelles le 7 septembre 1912, Jean Omer est, avec Fud Candrix et Stan Brenders, le troisième grand chef d'orchestre belge des années 30 et 40. Mais avant de devenir un homme d'affaires avisé et directeur de big band, il fut aussi clarinettiste et un excellent saxophoniste, jouant notamment en France avec Billy Smith and His International Aces, avec les Golden Stars à Bruxelles, avec René Compère et avec Fud Candrix. A l'été 1929, il est saxophoniste alto dans la formation d'Albert Sykes au Kursaal d'Ostende et ensuite dans les Carolina Stomp Chasers qui égayeront le célèbre Moulin Rouge. Il joue alors avec tant d'ardeur et de tempérament qu'un quotidien parisien le décrit en 1930 comme un saxophoniste de grande valeur possédant un style remarquable. 1931 est pour lui une année importante au cours de laquelle il fonde son propre orchestre, les 'Hot Melodians', et enregistre chez Pathé avec Gus Deloof and his Racketeers tandis qu'il est engagé par Robert De Kers dans les Baker's Boys qui accompagnent Joséphine Baker dans une tournée 1931/1932 en Europe et en Afrique du Nord. En 1937, alors qu'il est aussi chef d'orchestre au Casino de Middelkerke, il transforme un dancing à la Porte de Namur à Bruxelles qu'il rebaptise Le Boeuf Sur Le Toit. Ce dernier deviendra l'un des hauts lieux du jazz belge et international. A partir de là, son succès ira croissant et il connaîtra l'une de ses plus belles heures de gloire en accompagnant le saxophoniste ténor américain Coleman Hawkins au Palais des Beaux-Arts le 5 novembre 1938. Au début de la guerre, il enregistre abondamment pour Decca et joue au Delphy Palast de Berlin à la fin de l'été 1941 ainsi qu'au printemps 1942. Il en profitera pour réaliser quelques enregistrements en Allemagne qui lui vaudront, comme à quelques autres, pas mal d'ennuis à la libération. Omer a enregistré avec divers orchestres quelques 80 faces de 78 tours éditées par Decca, Columbia, Brunswick, Victory ou Ronex mais, malheureusement, son oeuvre discographique n'a pas connu de réédition en CD digne de ce nom. En cherchant bien, on peut toutefois trouver quelques titres éparpillés sur de rares compilations mal distribuées (une des plus réussies est le compact Jube édité en Allemagne, Dr. Jazz Collection - Place De Brouckère - Swing Und Hot Aus Belgien Und Holland 1939 - 1945, qui comprend deux morceaux de Jean Omer : Sing High, Sing Low, Sing It Like You Want et Schiksal). Le morceau présenté ci-dessous est une interprétation du célèbre Star Dust (ou Stardust) composé en 1927 par Hoagy Carmichael. Énregistré le premier mai 1941 pour Telefunken (matrice 25717), il permet de se rendre compte de l'excellente mise en place de la formation qui swingue plaisamment en mid-tempo tandis qu'Omer lui-même et Rudy Bruder solotent à l'aise respectivement au saxophone soprano et au piano. A la libération, on le retrouve pour deux ans à la tête d'un orchestre à Monte Carlo. Il réouvre le Boeuf Sur Le Toit en 1948 et, après la fermeture de ce dernier en 1967, il inaugurera un nouveau jazz club à Bruxelles appelé La Nouvelle Gaity. Jean Omer est décédé à Bruxelles à l'âge de 82 ans le 30 mai 1994.
Outre les deux titres de Jean Omer, le CD Dr. Jazz Collection - Place De Brouckère offre aussi des enregistrements rares de Fud Candrix (avec ou sans Django Reinhardt), Stan Brenders, Hubert Rostaing, Eddie Tower, Gus Deloof et Tony Young plus quelques autres, soit 22 pièces historique autrefois éditées en 78 tours sur le label belge Rythme.
[ Dr. Jazz Collection - Place de Brouckere - 1939-1945 (CD & MP3) ] [ Jean Omer : Sing High, Sing Low, Sing It Like You Want (MP3) ] [ Jean Omer : Schicksal (MP3) ] [ A écouter : Star Dust ] |
Kenny Clarke - Francy Boland Big Band : Three Latin Adventures (MPS Records), 1968 |
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Francy Boland
(p); Kenny Clarke (dr); Ake Persson - Nat Peck - Erik Van Lier (tb); Derek Humble - Phil Woods (as); Johnny Griffin - Tony Coe - Ronnie Scott (ts); Sahib Shihab (f,bs); Benny Bailey - Idrees Sulieman - Milo Pavlovic - Jimmy Deuchar - Dusko Gojkovic (tp); Jimmy Woode, Jean Warland (b); Kenny Clare - Shake Keane - Al "Tootie" Heath - Tony Inzalaco - Sabu Martinez (perc)
1. LATIN KALEIDOSCOPE : Un Grao De Areja (4:54) - Duas Rosas (2:27) - A Rosa Negra (1:58) - Uma Fita De Tres Cores (4:02) - Olhos Negros (4:01) - Ramo De Flores (2:02)
2. CUBAN FEVER : Fiebre Cuban (2:24) - Mambo De Las Brujas (4:08) - Extrano Sueno (4:05) - Cara Bruja (2:10) - Crepusculo Y Aurora (5:51)
3. FELLINI 712 : Villa Radieuse (11:38) - 'Tween Dusk And Dawn In Via Urbana (6:55) - Rosati At Popolo Square (15:18)
Cette année là, le grand orchestre Clarke-Boland, qui existe depuis 1962, est au sommet de sa puissance, exhibant une cohésion et une vitalité maximales. C'est le moment idéal pour enregistrer ces trois longues suites (Latin Kaleidoscope, Cuban Fever et Fellini 712), éditées à l'époque sur deux LP (Latin Kaleidoscope, 1969 & Fellini 712, 1969), et ici regroupées sur un seul compact d'une durée de 74 minutes. Bolland s'occupe des harmonies et Kenny Clarke alimente en charbon le foyer de cette rutilante locomotive traînant avec elle des solistes inspirés comme Benny Bailey et Dusko Gojkovic (tp), Ronnie Scott, Johnny Griffin et Phil Woods (saxophones), Sahib Shihab (fl), Ake Persson (tb) sans oublier Jean Warland à la contrebasse. Comme l'indique les titres des compositions, la musique est globalement d'essence latine mais avec une très légère touche d'avant-gardisme et beaucoup de surprises que l'on peut attribuer au talent singulier du grand arrangeur qu'était Francy Bolland. Car si on n'entend guère ce dernier en solo, c'est bien lui le scénariste hyper doué de ces trois suites ambitieuses. Il suffira pour s'en rendre compte d'écouter le travail sur les sections, le jeu des conversations triangulaires entre les pupitres de trompettes, de trombones et de saxophones, les appels et réponses entre les sections sans parler de ce fantastique effet d'écho quand les trompettes jouent une phrase répétée quelques mesures plus loin par les trombones ou les saxophones. A noter que la dernière suite est dédiée au réalisateur Federico Fellini (712 est le nombre de kilomètres séparant Rome de la frontière française) tandis que les noms des trois sections se réfèrent respectivement à l'hôtel à Rome qui a abrité la formation, au studio où elle a enregistré et à un café populaire fréquenté par les musiciens. Au plan musical, il s'agit là de l'un des plus grands achèvements de Francy Bolland qui recevra d'ailleurs les félicitations enthousiastes de Fellini lors de son passage dans le studio d'enregistrement. Voilà l'occasion de réentendre enfin dans les meilleures conditions possibles l'un des plus passionnants big bands de jazz de l'après-guerre.
[ Three Latin Adventures ] [ A écouter : Latin Kaleidoscope - Fellini 712 - 3rd Movement: Rosati at Popolo Square ((part 1) ] |
Stan Getz & The Kenny Clarke - Francy Boland Big Band : Change Of Scenes (Verve), 1971 |
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Francy Boland
(p), Kenny Clarke (dr), Jean Warland (b), Stan Getz (ts), Tony Coe (cl, ts), Herb Geller (as, fl, hautbois, cor anglais), Stan Saltzmann (ss, ts), Sahib Shihab (fl), Ake Persson (tb), Albert Mangelsdorff (tb) , Erik Van Lier (tb), Ack Van Rooyen (tp), Benny Bailey (tp), Manfred Schoof (tp), Art Farmer (bugle), Tony Inzalaco (perc)
Extravagances (6:01) - Symptones (5:47) - Quiproquos (9:17) - Escarmouches (4:46) - Touchstone (6:33) - Provocations (6:34)
Trompettiste et pianiste, mais surtout arrangeur et chef d'orchestre, Francy Bolland a traversé l'histoire du jazz européen, depuis ses premiers arrangements pour les orchestres de Bobby Jaspar et Henri Renaud au début des années 50 jusqu'aux années 80, en passant par la constitution en 1962, en association avec le batteur Kenny Clarke, d'une espèce de plate-forme hybride sur laquelle se sont côtoyés des jazzmen de toute origine. Enregistré en 1971, cet album recèle néanmoins une saveur spéciale. Le premier morceau, Extravagances, est une bonne introduction à l'oeuvre et, comme il est détaillé par l'arrangeur Bill Kirchner, profitons-en. Ca commence par une cascade de notes jouées sur plusieurs tons par tous les instruments et qui se termine abruptement par une nappe de trompettes bouchées ; Stan Getz fait son entrée suivie par une partie de cuivres assez dissonante et une section en 5/4 ; Le rythme se ralentit à nouveau avec Sahib Shihab à la flûte alto en solo et en duo avec Getz. Un tempo enlevé en 4/4 permet ensuite d'entendre des échanges entre l'orchestre et la clarinette de l'Anglais Tony Coe, le saxophone soprano électrifié de Shihab et le ténor de Getz. A lire, tout cela fait assez décousu et à la première écoute, c'est pareil. Ensuite, après plusieurs auditions attentives, les formes se lient plus naturellement et la richesse de l'arrangement finit par surgir de ce que l'on pourrait prendre, au départ, pour un simple collage. Bien que Bolland dénie toute volonté délibérée d'avoir voulu réaliser une suite, l'album a une atmosphère générale homogène qui peut faire penser à certaines bandes originales de film avec une succession de scènes d'action et de détente, d'où peut-être son titre : Change of Scenes. On a définitivement affaire ici à une oeuvre de compositeur et l'on peut comprendre que Getz ait été décontenancé par la musique de Bolland qui ne devait pas être exactement ce qu'il avait anticipé lorsqu'il avait entendu l'orchestre au Club londonien de Ronnie Scott deux ans auparavant. Selon divers témoins de l'époque, Getz était plutôt mal à l'aise lors des préparatifs à l'enregistrement. Bolland n'était pas spécialement connu pour aller jusqu'au bout de ses ressources en matière de composition et la surprise a dû être de taille pour le saxophoniste : s'immiscer dans des pièces aussi techniquement complexes que variées ne devait pas être simple, même pour un géant comme lui. Cet album contient sans doute les derniers enregistrements du Clarke - Bolland Big Band. L'orchestre fut dissout en 1973 et, bien qu'une nouvelle formation sans Kenny Clarke fut reconstituée en 1976, l'esprit ne fut plus jamais le même que celui du band original. Une réédition de luxe comme celle-ci, en série limitée, avec une restauration méticuleuse aussi bien de la musique que de l'emballage, mérite assurément le respect de l'amateur.
[ Change Of Scenes ] [ A écouter : Provocations ] |
Act Big Band & Guests : Extrêmes (Igloo IGL 044), 1987 |
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Félix Simtaine (drums, leader); Michel Herr (piano, directeur musical); Joe Lovano (ts : 3 & 4); John Ruocco (ts : 5); Eric Verhaeghe, Serge Plume, Bert Joris, Richard Rousselet (tp & bugle); Peter Vandendriessche (as); Erwin Vann, Kurt Van Herck (ts); Johan Vandendriessche (bs); Marc Godfroid, Paul Bourdiaudhy (tb); Jean-Pol Danhier (tb, tuba); Philippe Aerts (contrebasse); Jean-Pierre Catoul (vl : 2)
Pentaprism (6:26) - Omnitonic (7:30) - Extrêmes (8:38) - In A Sentimental Mood (6:29) - Ré (8:38) - Easy Fucksong (7:40) - Rough Business (5:45) - Ana Maria (6:22) - Rough Stuff (6:49)
Avec son collectif, devenu une véritable institution depuis sa création en 1978, on peut écrire que Félix Simtaine a renouvelé la dynamique du grand orchestre en Belgique. Ce big band, qui a compté dans ses rangs Michel Herr, Bill Frisel, Pierre Vaiana, Robert Jeanne, Steve Houben et Richard Rousselet et qui a accueilli des invités prestigieux comme Toots Thielemans, John Ruocco et Joe Lovano, a enregistré quatre disques entre 1980 et 1996, tous superbes mais dont les trois premiers sont aujourd'hui quasiment introuvables (à quand une réédition remastérisée par le label Igloo de l'Act Big Band de 1981 et de celui-ci ?). A une époque où faire vivre une grande formation étaient impensable en Belgique pour des raisons économiques, l'Act Big Band eut la chance de bénéficier d'une subvention du Conseil de la Musique de la Communauté Française de Belgique pour interpréter quatre nouvelles œuvres commandées à Francy Boland (Omnitonic), Michel Herr (Extrêmes), Arnould Massart (Ré) et Jean Warland (Rough Stuff). Toutes les quatre figurent ici à côté d'autres thèmes écrits par Herr, Warland, Duke Ellington (In A Sentimental Mood) et Wayne Shorter (Ana Maria). A l'écoute, on comprend vite qu'on a affaire à un orchestre soudé par sept années d'existence : les sections de trompettes, de saxophones et de trombones sonnent avec une précision remarquable tandis que les solistes, comme Kurt Van Herck, Bert Joris, Johan Vandendriessche et Richard Rousselet, auxquels s'ajoutent Joe Lovano et John Ruocco en tant qu'invités, rivalisent de talent dans leurs improvisations. L'ensemble est mené de main de maître par Félix Simtaine lui-même qui relance les échanges à coup de roulements de tambours tel un Gene Krupa moderne tandis que le pianiste Michel Herr cimente le collectif par un drive efficace. A noter aussi la présence sur un titre (Omnitonic) du jeune Jean-Pierre Catoul au violon, musicien malheureusement aujourd'hui disparu. Héritier du swing, Félix Simtaine se révèle ici, d'après une expression à son propos lue dans un ancien numéro de Jazz Hot, comme le « fil rouge du jazz moderne belge ». Les riffs ravageurs de Easy Fucksong, les harmonies audacieuses de Pentaprism, les « chases » et les chorus endiablés des solistes (ceux de Lovano sur Extrêmes et In A Sentimental Mood sont exceptionnels) vous feront vite comprendre pourquoi l'Act Big Band était considéré en son temps, à l'intar de l'ONJ en France, comme l'une des grandes formations parmi les plus excitantes d'Europe.
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Brussels Jazz Orchestra : Live (BRTN Radio 3), 1997 |
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Andy Haderer (tp), Laurent Blondiau (tp), Michel Paré (tp), Gino Latucca (tp), Marc Godefroid (tb), Lode Mertens (tb), Jan De Backer (tb), Laurent Hendrick (tb), Frank Vaganée (as, ss, leader), Fabrice Alleman (as, ss, cl), Kurt Van Herck (ts, ss), Bart Defoort (ts), Bo Vanderwerf (bs, b cl), Christoph Erbstösser (p), Nic Thys (b), Dré Pallemaerts (dr).
Nuées d'Orage (7:34) - Hortensia Part 1, 2 & 3 (25:27) - Louis Amstrong Suite Part 1, 2,& 3 (18:34) - Manna Hatta (9:31) - Mr Dodo (11:06)
Un grand orchestre de jazz de 16 musiciens à notre époque, caractérisée par l'hyper-individualisme et la raréfaction des ressources, apparaît toujours comme un anachronisme. Pour l'amateur, par contre, c'est un événement festif, l'occasion d'entendre des musiciens, bien connus pour leurs oeuvres personnelles avec leurs combos respectifs, dans un contexte contraignant imposé par le travail collectif et la nécessité de l'écriture. Pour le musicien de jazz, c'est davantage le challenge de participer à l'élaboration d'un travail rigoureusement organisé allant de pair avec l'acquisition d'une discipline musicale irremplaçable. Le Band de Frank Vaganée, né en 1993 des répétitions ouvertes qui se tenaient chaque mardi au Sounds à Bruxelles, est de facture classique avec trois sections instrumentales (trompettes, trombones et anches) et un trio rythmique. Après s'être fait les dents sur des thèmes de Bob Brookmeyer et de Thad Jones, l'orchestre s'est mis à jouer les suites que ses compositeurs les plus talentueux avaient fini par lui concocter. Cet album en est une sorte d'anthologie. Erwin Vann a ainsi offert au BJO une suite orchestrale de 25 minutes, véritable odyssée en 3 mouvements, qui constitue la pièce de résistance du compact (Hortensia ainsi nommée en hommage aux fameux Lundis d'Hortense). Introduite par un piano solitaire, la première partie, après un passage joué à l'unisson, met en évidence les solistes : Bo Vanderwerf au baryton à qui succède l'excellent Bart Defoort et, dans la seconde partie, Frank Vaganée. Dans le troisième mouvement, l'orchestre prend les couleurs des premiers Big Bands de Dollar Brand avec une ambiance sud-africaine sur laquelle vient se greffer la trompette exotique de Michel Paré. Le second compositeur à l'honneur est l'arrangeur Bert Joris, responsable de trois titres, dont on retiendra la Louis Armstrong Suite, qui présente une relecture, en forme de tunnel entre la tradition et la modernité, des célèbres thèmes Struttin' With Some Barbecue, St. James Infirmary et I've Found A New Baby, ainsi que Nuées d'Orage inspiré des fameux nuages de Django Reinhardt. Enfin, écrit par Frank Vaganée à l'issue d'un atelier de composition à Cologne, Manna Hatta (nom donné à Manhattan par ses habitants originaux) surprend par sa densité qui atteint un point culminant avec une série de breaks que se partagent le batteur Dré Pallemaerts et les souffleurs. Un grand orchestre est comme un château de cartes, s'il y en a une qui n'est pas à sa place, c'est l'ensemble qui s'écroule. Ce n'est pas le cas ici : non seulement l'édifice tient debout mais il est aussi fort bien construit. Il conviendra seulement de ne pas se laisser rebuter par une pochette qui, sans être hideuse, est plutôt banale : le disque est lui bien enregistré et agrémenté de notes intéressantes et trilingues. Nostalgiques de Duke Ellington et du Kenny Clarke - Francy Bolland Big Band, amateurs du Thad Jones - Mel Lewis Orchestra, voire des titres acoustiques de l'ONJ de Laurent Cugny, cet album est pour vous.
[ A écouter : Brussels Jazz Orchestra en concert (BJO's 20th Anniversary, Hasselt, 28 mars 2013) ] |
Brussels Jazz Orchestra : The September Sessions (WERF 18), 1999 |
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Frank Vaganée (as, ss, directeur artistique), Dieter Limbourg (as, cl, fl), Kurt Van Herck (ts, ss, fl), Bart Defoort (ts), Bo Vanderwerf (bs, b cl), Serge Plume (tp, bugle), Laurent Blondiau (tp, bugle), Michel Paré (tp, bugle), Gino Latucca (tp, bugle), Marc Godefroid (tb), Lode Mertens (tb), Jack Coenen (tb), Jan De Backer (tb), Laurent Hendrick (b tb), Christoph Erbstösser (p), Nic Thys (b), Arnoud Gerritse (dr)
Warp 9 (7:11), When Spring Begins (9:27), Celebration Suite (12:58), Touch Her Soft Lips And Part (5:10), Seasoned (10:20), Alone At Last (5:23), Tarantulas (12:52)
Le grand orchestre de Frank Vaganée est de retour avec ce compact enregistré un mois à peine après sa brillante prestation, illuminée par Kenny Werner, au Jazz Middelheim le 13 août 1999. Six morceaux sur sept, tous fascinants et totalement accessibles, sont écrits par quelques-uns des plus brillants compositeurs et arrangeurs de la scène belge : Bert Joris, Frank Vaganée, Michel Herr et Erwin Vann. Quant aux solistes, qu'ajouter de plus : Kurt Van Herck (ts), Frank Vaganée (as), Gino Lattuca (bugle), Laurent Blondiau (tp) et Bart Defoort (ts) ont déjà prouvé leur talent exceptionnel au fil de leurs propres disques. La Belgique s'était fait remarquer dans le monde du jazz des années 60 par le Kenny Clarke - Francy Bolland Big Band et dans celui des années 80 par l'Act Big Band de Félix Simtaine. Voici sa nouvelle arme, affûtée avec pugnacité, compacte comme une cohorte de droïdes, et brillante comme un rasoir.
[ The September Sessions ] [ A écouter : Touch Her Soft Lips And Part ] |
Octurn : Round (WERF 018), 2000 |
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Jeroen Van Herzeele (ts, ss), Bart Defoort (ts, ss), Ben Sluijs (as, flûte), Pierre Bernard (flûte), Bo Van Der Werf (bs), Laurent Blondiau (tp, bugle), Geoffroy De Masure (tb), Jacques Pirotton (gt), Fabian Fiorini (p), Nicolas Thys (b), Chander Sardjoe (dr), Jean "Toots" Thielemans (hca), Kenny Werner (p)
Notes Gone Be There (16:12) - Round-Miroir (9:58) - Lydia (5:56) - Olga (10:44) - The Cradle Will Rock (12:17) - When The Wind Blows (3:16)
Après Chromatic History et Ocean, l'ensemble à géométrie variable Octurn (qui n'est pas un big band mais qui comprend quand même, dans cette configuration, onze musiciens plus deux invités) revient, après deux années de silence, avec de nouvelles têtes et une palette musicale élargie. Moins strictement assujetti aux expériences contemporaines, Round sonne parfois comme le dernier opus d'Aka Moon ou de Deep In The Deep. C'est le cas avec Round-Miroirs, une composition du tromboniste émérite Geoffroy de Masure par ailleurs compagnon de longue date des aventures en grand orchestre de Fabrizio Cassol. Le disque démarre avec ce que l'on peut considérer être sa pièce maîtresse : Notes gone be there est une longue suite composée par Kenny Werner qui y joue aussi du piano. Ici, on a droit à un zapping entre les styles, une ambiguïté permanente, une mise en scène subversive, un carrousel funky et ostensiblement insolite : on pense à Frank Zappa ou à Magma dans leurs œuvres les plus bizarres, celles qu'il faut réécouter dix fois avant d'espérer en saisir le fil. Et voici soudain qu'après la dixième minute, Toots Thielemans fait une apparition avec un harmonica qui s'intègre à merveille dans un contexte où on ne l'attend pas sauf, peut-être, si l'on pense à cette musique comme la bande son d'un film surréaliste. Le sixième et dernier titre est une reprise de When The Wind Blows, qui figurait déjà sur le précédent disque d'Octurn, mais cette fois jouée au piano solo par son compositeur d'obédience classique contemporaine Frederic Rzewski. Le reste est plus dans la ligne de ce que l'on pouvait attendre du groupe : une seconde composition de Rzewski (The Cradle Will Rock) et deux oeuvres d'un autre compositeur classique contemporain : Denis Pousseur (Lydia et Olga). Voici un disque ardu mais passionnant que l'on conseillera d'abord à ceux qui ont les oreilles éduquées et grandes ouvertes.
[ Round ]
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Kenny Werner & The Brussels Jazz Orchestra : Naked In The Cosmos (Jazz n' Pulz), 2003 |
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Frank Vaganee (fl, as, ss); Dieter Limbourg (cl, fl, as, ss); Kurt Van Herck (cl, fl, ss, ts); Bart Defoort (ss, ts); Bo Van Der Werf (b-cl, bs); Olivier Bodson (tp, bugle); Gino Lattuca(tp, bugle); Michel Paré (tp, bugle); Serge Plume (tp, bugle); Nico Schepers (tp, bugle); Jan De Backer (tb); Marc Godfroid (tb); Lode Mertens (tb); Laurent Hendrick (b-tb); Carlo Mertens (b-tb); Jacques Pirroton (gt électrique); Jos Matchell (contrebasse); Martijn Vink (dr); Kenny Werner (p, synthé)
Naked in the Cosmos (12:03) - Use Me (13:15) - All That (7:30) - Portrait of Jenny (7:26) - Sasumi (19:44)
Il est clair qu'en s'associant avec le Brussels Jazz Orchestra, Kenny Werner a été bien inspiré. Il s'est trouvé une grande formation déjà constituée et rôdée, pour qui le swing n'a pas de secret et qui, de surcroît, est parfaitement capable de jouer toutes sortes de jazz, du plus classique au plus moderne. Connu surtout comme compositeur et pianiste, Werner est aussi un formidable arrangeur. Ca fait longtemps qu'il écrit des partitions pour big band mais, selon ses propres paroles, il a toujours refusé de les enregistrer parce qu'il n'avait jamais trouvé d'ensemble capable des les interpréter. Et il ajoute : « Maintenant que le Brussels Jazz Orchestra et moi-même, on s'est trouvé, je suis content d'avoir attendu ». Et voici le résultat intitulé Naked In Cosmos qui prouve que l'association a porté ses fruits. On y entend un jazz vivant, dynamique, moderne, superbement arrangé et interprété, qui s'abreuve à une multitude de styles différents tout en gardant une grande clarté dans le discours. Même si le David de Michel-Ange évoque à la fois le titre de l'album et la statue du parc d'Anvers - un vestige de l'exposition universelle de Bruxelles de 1910 - où est organisé chaque année le Middelheim Jazz Festival, la pochette est banale mais qu'on ne s'y trompe pas : la musique, elle, est irrésistible, véritable collusion entre deux esprits impressionnants, celui de l'Américain et celui collectif d'une des plus grandes formations de jazz européennes.
[ Naked In The Cosmos ]
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Sadi Greatest Arrangements : Flagey Nine Thirty a.m. (1974 - 1991) (Igloo IGL 184), 2006 |
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Sadi (vibraphone); Peter Vandendriessche (as); Alex Scorier (saxophone); Johan Vandendriessche (bs); Janot Morales (Bugle); Nic Fissette (tp); Bert Joris (tp); Marc Mercini (tb); Marc Godfroid (tb); François Hendrickx (b-tb); Tony Bauwens (piano); Freddy Sunder (gt); Tony Gyselinck (dr)
Flagey Nine Thirty a.m. (6:08) - Versad (4:28) - The Booze Rush (6:17) - The Moten Swing (4:42) - No Screaming (4:31) - Don't Blame Me (5:27) - Open No Mute (8:52) - Am I Blue ? (3:59) - Majorette's Delight (4:36) - There's A Small Hotel (3:45) - Big Balcony (3:49) - My Heart Stood Still (4:22) - Avalanche (4:30) - Le Spectacle Est Fini (4:47)
Les dernières nouvelles discographiques du vibraphoniste Sadi dataient de novembre 2000 avec la réédition par le label Igloo d'enregistrements de 1987 réalisés en nonet pour la radio BRT (Sadi's Nonet, Igloo IGL 151). Six années plus tard, le même label propose une nouvelle compilation d'enregistrements toujours gravés pour la même radio mais entre 1974 et 1991. Il s'agit cette fois de 14 enregistrements de Sadi au sein de l'Orchestre de Jazz de la BRT. La moitié d'entre eux sont des compositions du vibraphoniste tandis que le reste consiste en des reprises de Bobby Jaspar ou d'Etienne Verschueren ou encore d'une poignée de standards comme My Heart Stood Still et There's A Small Hotel de Rodgers & Hart ou The Moten Swing de Bennie Moten, tous arrangés pour un grand orchestre de 13 musiciens. Ce qui frappe d'abord ici, c'est le travail sur les masses sonores magnifiquement rendu par une production claire et une stéréo intelligente. Du coup, les solistes sont mis en valeur comme dans un écrin de velours : la trompette de Nic Fissette, les saxophones alto et baryton de Peter et Johan Vandendriessche et le trombone de Marc Godfroid sont savoureux tandis que les interventions de Bert Joris à la trompette sur No Screaming et Majorette's Delight sont tout simplement magistrales. Quant à Sadi, ses notes s'élèvent en apesanteur comme des bulles de lumière avant d'éclater sous la pression du vent. Ecoutez Versad dont le nom est une combinaison de celui du compositeur Verschueren et du soliste Sadi : ce dernier conduit avec un swing félin ce morceau qui aurait pu sans problème accompagner le générique d'un film de la Panthère Rose. Même les titres les plus lents comme Don't Blame Me ou Le Spectacle Est Fini deviennent excitants grâce aux notes vibrantes du leader et à l'architecture magique de ses phrases. Cet album historique est une nouvelle occasion de se replonger dans l'univers rare du vibraphoniste et de se remettre en mémoire la formidable qualité de son jeu, la rationalité de ses compositions et sa faculté naturelle à les arranger.
[ Sadi Greatest Arrangements ]
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Brussels Jazz Orchestra : The Music Of Michel Herr (WERF 067-068), 2008 |
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Serge Plume, Nico Schepers, Pierre Drevet, Jeroen Van Malderen (tp, bugle); Marc Godfroid, Lode Mertens, Frederik Heirman (tb); Laurent Hendrick (trombone basse); Frank Vaganée (as & ss, flûte); Dieter Limbourg (as, flûte); Kurt Van Kerck (ts, ss, flûte, clarinette); Bart Defoort (ts, clarinette); Bo Van Der Werf (bs, clarinette basse); Nathalie Loriers (piano); Peter Hertmans (guitare); Jos Machtel (contrebasse); Martijn Vink (drums); Michel Herr (compositeur, arrangeur, directeur de l'orchestre)
CD 1 - Pieces : Springboard (5:16) - Distant echoes (8:20) - Extremes (10:15) - Multributes (11:30) - Bad Fever (7:32) - Song for Lucy (7:40) - Out of the Silence (5:51)
CD 2 - Suites and More : Celebration Suite : Prelude (1:30), Bells (6:06), New Page (7:28), The Next 20 Years (5:07) - Flagey, A New Era : Past Splendor (4:27), Hibernation (1:49), The awakening (1:32), Sailing again (3:41) - Song for Micheline (9:15) - Pentaprism (6:45)
Cet album annoncé, on l'attendait avec fébrilité. Entendre le Brussels Jazz Orchestra mettre toute sa puissance au service des compositions de Michel Herr est une idée porteuse de frissons. Quand on sait qu'en plus le pianiste lui-même, réputé pour sa science de l'agencement des masses sonores depuis son travail dans les années 60 avec le grand orchestre de la BRT, s'est chargé de tous les arrangements et même de conduire l'orchestre, on ne peut qu'être impatient d'écouter cette nouvelle production. Le compositeur a sélectionné dans son vaste répertoire deux suites et neuf thèmes, dont certains spécialement écrits pour big band, qui couvrent différentes périodes de sa déjà longue carrière : de Pentaprism offert dans les années 70 au BRT Jazz Orkest d'Etienne Verschueren - et repris en 1986 sur le second album du ACT Big Band de Felix Simtaine (Extremes, Igloo) d'où est tiré également le morceau Extremes - jusqu'à sa fameuse Celebration Suite, déjà enregistrée avec le BJO en 1999 pour The September Sessions (WERF), ici rendue dans une superbe version étendue. Le parcours revisite également Song For Micheline extrait de l'album Short Stories du Engstfeld / Herr Quartet (Nabel, 1983), Song for Lucy extrait de la bande originale du film Just Friends enregistrée en 1993 avec Archie Shepp (AMC), Out Of The Silence qui figurait sur Intensive Act de Felix Simtaine (Igloo, 1996) et Distant Echoes du plus récent Notes Of Life (Igloo, 1998). Multributes, Springboard et la seconde suite Flagey : A New Era sont des titres inédits sur disque. Enregistré en deux jours et demi, ce double compact témoigne à la fois de la maîtrise du leader mais aussi de l'expérience d'un orchestre qui a déjà su dans le passé mettre en valeur le talent d'artistes aussi divers que Bert Joris, Kenny Werner ou David Liebman. Que ce soit sur les ballades lyriques comme Song For Lucy ou les titres plus extravertis comme Springboard, l'émotion est au rendez-vous tant la machine dégage un swing à fleur de peau. Les solistes - Nico Schepers (tp), Kurt Van Herck et Bart Defoort (ts), Frank Vaganée (as), Lode Mertens (tb), Bo Van Der Werf (bs), Nathalie Loriers (p) et Peter Hertmans (gt) entre autres –, littéralement propulsés dans le dos par le reste de l'orchestre, donnent le meilleur d'eux-mêmes. Si vous aimez l'expressivité et la puissance dégagées par un vrai big band, les solos inventifs au service de thèmes magnifiques et les couleurs miroitantes des grands ensembles de jazz, il n'y a rien de mieux à s'offrir cette année que ce fantastique double compact.
[ Commander chez De Werf ] |
Ivan Paduart & The Metropole Orchestra : Crush (Mons records MR 874495 - 2 CD), 2010 (enregistré en décembre 2008) |
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Ivan Paduart (piano & compositions); Bob Malach (sax ténor); Fay Claassen (vocals) + The Metropole Orchestra (55 musiciens incluant un big band, une section de cordes, des bois, des percussions et une harpe) conduit par Jim McNeely. Compositions d'Ivan Paduart. Arrangements d'Ivan Paduart (6, 10, 11); Michel Herr (1, 2, 3, 8, 9, 12); Jim McNeely (4, 7) et Bert Joris (5)
CD 1 : Waterfalls (6:33), Another Lifetime (7:15), Life As It Is (7:02), Melancholy blue (6:30), The Bridge Between Us Two (9:39), I Had A Ball (3:57)
CD 2 : Igor (9:40), Shivers Down My Back (8:18), Sherry On A Cake (7:27), Crush (6:18), White Nights (8:03), Precious moments (9:24)
Le 12 décembre 2008, le pianiste Ivan Paduart se produisait au Cirque Royal de Bruxelles avec un grand orchestre de 55 musiciens et quelques invités de marque. Ce double compact restitue cet évènement dans son intégralité, soit une heure 30 de musique pour douze compositions du leader qui comptent parmi ses plus belles réalisations. On sait combien Paduart est amateur de belles mélodies délicates déjà fort chantantes quand elles sont interprétées en petite formation mais il faut avouer qu'une fois confiées aux mains expertes d'arrangeurs comme Michel Herr ou Bert Joris, elles prennent une autre dimension. Le Metropole Orchestra, dirigé par Jim Mc Neely, est un orchestre néerlandais combinant un big band de jazz et un ensemble classique avec cordes, bois et une harpe. Souple et jamais envahissant, il parvient à donner à la musique un lustre incomparable. Le premier compact rassemble les chansons interprétées par la chanteuse néerlandaise Fay Claassen et dont les textes ont été écrits entre autre par David Linx. Largement majoritaires, les ballades sont lisses et voluptueuses tandis que le swinguant I Had A Ball (extrait de Blues Landscapes), qui bénéficie de la présence d'une guitare électrique bluesy, introduit la deuxième partie du concert. Le second disque, entièrement instrumental, permet d'apprécier différents solistes avec, en tête, le saxophoniste ténor Bob Malach, dont la sonorité musclée et l'approche néo-bop font parfois penser à Michael Brecker, et Ivan Paduart lui-même dont les notes cristallines flottent comme des étoiles au-dessus de la masse orchestrale. Beaucoup de charme, d'expressivité et de moments magiques affleurent à la surface tandis que défilent dans leur nouvel écrin les thèmes mémorisés jadis à l'écoute de précédents albums (Igor extrait de Blue Landscapes, Shivers Down My Back de Belgian Suites, White Nights…). Ceux qui ont vécu le concert en direct trouveront ici le support nécessaire pour en perpétuer indéfiniment le souvenir. Les autres peuvent s'offrir une belle soirée musicale dans le confort ouaté de leur salon sans risque d'être déçus.
[ Crush ] [ A écouter : I Had A Ball - Igor ] |
Dave Liebman & Brussels Jazz Orchestra : Guided Dream (Prova Records), 2011 (enregistré en novembre 2006) |
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Frank Vaganée (as, ss, flûte); Dieter Limbourg (as, ss, cl, flûte); Kurt Van Kerck (ts, ss, flûte, clarinette); Bart Defoort (ts, ss, clarinette); Steffen Schorn (bs, clarinette basse); Serge Plume, Ernie Hammes, Pierre Drevet, Gino Lattuca (tp, bugle); Marc Godfroid, Lode Mertens, Frederik Heirman (tb); Laurent Hendrick (trombone basse); Nathalie Loriers (piano); Hendrik Braeckman (guitare); Jos Machtel (contrebasse); Holger Nell (drums); Dave Liebman (ss, ts)
Gazelle (9:11), M.D. (9:59), Off Flow (8:28), Papoose (8:06), Off A Bird (9:05), Picture Of Dorian Grey / Guided Dream (7:11), Move On Some (9:34), In A Sentimental Mood (7:48)
Parmi les rencontres qui comptent, le Brussels Jazz Orchestra est décidément devenu incontournable. A croire qu'il veut essayer tous les grands solistes qui passent à sa portée. Sur ce Guided Dream, enregistré en public en 2006 à Ghent et à Turnhout et resté jusqu'à présent dans les tiroirs, c'est Dave Liebman qui s'y colle, une véritable légende du jazz qui a enregistré quelques trois cents disques dont quelques uns avec Miles Davis dans sa période électrique (il lui rend d'ailleurs hommage avec sa composition M.D. extraite de son premier album Lookout Farm paru en 1973 sur ECM). Devenu l'un des grands maîtres du saxophone soprano au début des années 80, Liebman a rencontré pour la première fois le Brussels Jazz Orchestra en 2003 lors d'un concert mémorable au Middelheim Jazz Festival. Conquis et convaincu par la puissance du grand ensemble, il a remis le couvert trois années plus tard et voici enfin que sort cet album qui reprend sept compositions du saxophoniste et une de Duke Ellington (In A Sentimental Mood) qui clôture en beauté un répertoire superbe. Quelle force dans ces arrangements concoctés par des maîtres comme Bill Dobbins, JC Sanford et le Suisse George Gruntz. En vérité, c'est du pain béni pour le BJO littéralement galvanisé par cette musique qui lui tombe du ciel. Ecoutez Move On Some par exemple et vivez l'expérience ultime d'un big band en pleine charge. On ne sait d'ailleurs trop si c'est Liebman et son soprano virevoltant qui stimulent l'orchestre ou le contraire tant ces deux entités sont complices. Pas de panique, la musique sait aussi se faire lyrique dans un hommage à la fille du saxophoniste (Papoose) ou même sombre comme cette composition fantastique (dans tous les sens du terme) intitulée Picture Of Dorian Grey. Et bien sûr, on a droit aussi à quelques beaux solos délivrés par les membres de l'orchestre comme Frank Vaganée (as), Nathalie Loriers (p), Hendrik Braeckman (gt), Marc Godfroid (tb), Gino Lattuca (tp) ou Kurt Van Herck (ts). Ces enregistrements enfin rendus publics réjouiront ceux qui étaient présents aux concerts de novembre 2006 et qui pourront ainsi y retourner mais, encore bien davantage, tout ceux qui n'y étaient pas.
[ Guided Dream ] |
West Music Club Jazz Big Band : Natural (Igloo IGL 247), 2013 |
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Xavier Bouillon, Gilles Carlier (piano); Alain Dhamen, Philippe Thomas (contrebasse); Thomas Pechot (basse électrique); David Demuynck (drums); Jean-François Hanoteau (guitare); Isabelle Guerin (Flûtes); Arnaud Dupire (Clarinette); Luc Jaivenois, Jaak Govaere, Marie-Anne Standaert, Massimo Staquet, Maxime Van Heghe (tp); Fred Parmentier, Didier Bonte, Jean-Pierre Pottiez, Jean-René Doumont, Johan Van Coppenolle, Francis De Vilder (tb); Thomas Dewattripont, Thomas Van Ingelgem, Julien Cuvelier, Jessica Themelin (as); Stéphane Letot, Gérard Mourin, Bernard Dezutter, Arnaud Dupire (ts); Jean-Paul Donck (bs); Chrystel Wautier, Julie Dumilieu, Chris Simon (chant); Richard Roussselet (conducteur)
Winding Way (6:42), Ride The Wind (4:48 ), Gone With The Wind (5:13), The Summer Wind (2:46), Blackbird (5:33), The End Of A Love Affair (4:47), Softly As In A Morning Sunrise (4:20), Come Rain Or Come Shine (3:14), Blue Moon (2:54), Les Moulins De Mon Coeur (7:19), Sometime Ago (6:22), Over The Rainbow (3:46), Spring Wind (13:19), After Supper (5:33)
Au moment de la sortie de ce disque en 2014, le West Music Club a près de 45 années d'existence, dont 25 sous la direction du trompettiste Richard Rousselet. Bien que ne jouant pas sur cet enregistrement, le conducteur de cet imposant big band s'est assuré que ses objectifs seraient bien respectés : 1) ouvrir l'orchestre à des sonorités actuelles; 2) respecter la tradition des grands maîtres des années 30 comme Duke Ellington et Count Basie; et 3) mettre le jazz joué en grande formation à la portée de tous. Avec Natural, ces trois lignes directrices sont respectées à la lettre. En ce qui concerne le premier point, l'orchestre a indéniablement modernisé sa sonorité, intégrant par exemple une flûte (jouée par Isabelle Guérin), un instrument inhabituel dans les big bands, ainsi que, sur quelques titres, une basse électrique (Thomas Pechot) et une guitare électrique (Jean-François Hanoteau). La tradition des grands orchestres historiques du jazz n'est pas pour autant oubliée : les différents pupitres sont conformes à ceux de la période classique tandis que le West Music Club swingue avec décontraction et, comme jadis, donne même envie de danser. Enfin, le répertoire a été choisi avec bonheur, combinant des thèmes populaires et inusables comme Blue Moon, Come Rain Or Come Shine, ou Gone With The Wind à d'autres plus récents et tout aussi accessibles comme Blackbird de Lennon/McCartney ou Les Moulins de Mon Cœur de Michel Legrand. S'inspirant du Moulin de la Marquise à Moulbaix, situé près du lieu où l'orchestre répète habituellement, les titres choisis font référence à la nature, au vent ou à la pluie, au soleil ou à la lune, aux arcs en ciel et aux oiseaux. Des évocations propices à des mélodies magnifiques dont certaines sont chantées par Chrystel Wautier, Julie Dumilieu ou Chris Simon. En plus, quelques oeuvres ont bénéficié de superbes réarrangements conçus par des artistes aussi talentueux que Michel Herr et Jeanfrançois Prins qui côtoient ainsi d'autres arrangeurs célèbres comme Lennie Niehaus ou Francy Boland. Natural est un album à conseiller à tous les mélomanes et même à ceux qui disent ne pas aimer le jazz car ceci, c'est certain, ils aimeront bien !
[ Natural (CD / Digital) ] |
West Music Club Plays Placebo (Igloo IGL 306), 2019 |
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Richard Rousselet (directeur); Fabien Buisseret (piano, claviers); Thomas Pechot (basse); David Demuynck (batterie); Jean-François Hanoteau (guitare); Isabelle Guerin (flûtes); Thomas Van Ingelgem (alto sax, soprano sax, ewi); Bert De Coensel (alto sax, soprano sax); Stéphane Letot (sax ténor, flûte); Arnaud Dupire (sax ténor, clarinette); Diego Delporte (sax baryton); Michel Pare (trompette, bugle); Didier Couplet (trompette, bugle); Pascal Creteur (trompette, bugle); Gery Santos Infante (trompette, bugle); Luc Thomas trompette (bugle); Darren Abrahams (trompette, bugle) ; Jean-Pierre Pottiez (trombone); Bastien Moine (trombone); Tom Luc trombone); Jean-René Doumont (trombone); Johan Vancoppenolle (trombone basse)
1. Aria - 2. Planes - 3. Humpty Dumpty - 4. Temse - 5. Balek - 6. Only Nineteen - 7. Red Net - 8. N.W. - 9. Dag Madam Merci - 10. Bosso - 11. Stomp
En 1971, Ball of Eyes, le premier album de Placebo passa comme un OVNI dans le paysage musical belge. Oscillant entre le jazz-rock de Bitches Brew et de Nucleus, le pop-jazz de Blood Sweat & Tears, et la soul de l'époque (Marvin Gaye, Isaac Hayes), la musique est en avance sur son temps, un peu trop sans doute pour un public qui n'a pas encore compris que la tendance est à l'agrégation des genres. Placebo produira trois albums dans la foulée dont le dernier éponyme, paru en 1973, est le plus abouti. Les instruments électriques comme le Fender Rhodes et le Mini-Moog combinés avec des cuivres et une guitare électrique (jouée entre autres par Philippe Catherine) définissent le son d'un jazz futuriste qui fera école longtemps après sous la dénomination de jazz-funk et d'acid-jazz. Longtemps indisponibles, les trois vinyles originaux de Placebo sont devenus au fil du temps des « collectors » activement recherchés par les amateurs de jazz-rock.
Aussi, revisiter le répertoire de Placebo n'est certainement pas une mauvaise idée. Quant à le faire avec un big band de jazz de 22 musiciens, c'est beaucoup plus surprenant. L'homme derrière ce concept est le trompettiste et directeur d'orchestre Richard Rousselet : ayant fait partie de l'aventure Placebo - il a joué du bugle et de la trompette sur les trois disques en studio et a participé aux tournées live -, il est le lien naturel entre l'ancien groupe et ce nouveau projet. Quant au West End Club, créé à Leuze en 1969 dans une région verte du Hainaut qui est aussi la mienne, il a depuis longtemps montré qu'il maîtrise toutes les ficelles du jazz classique joué en grande formation (pensez Basie ou Ellington) mais en gardant une oreille ouverte sur les tendances actuelles du jazz. Dirigé par Richard, l'orchestre devenait ainsi un instrument de choix pour revisiter la musique de Placebo.
Extrait du premier album (Ball Of Eyes), Aria met tout de suite dans l'ambiance. La mélodie est intacte et si la guitare wah-wah et les sonorités psychés ont disparu, la composante « BS&T » s'est renforcée avec un arrangement de cuivres des plus efficaces. Du même album ont également été retenus Planes et Humpty Dumpty, deux autres compositions de Marc Moulin. Humty Dumpty est habité par un long solo de Jean-François Hanoteau à la guitare électrique qui en amplifie le groove mais, globalement, ces deux titres, qui dégagent une atmosphère de bande originale de film noir, auraient bien pu servir à accompagner un long métrage de « blaxploitation ».
Le second disque, Placebo 1973, est représenté par pas moins de cinq titres. Ici, encore, les arrangements confiés à la plume du bassiste du groupe, Thomas Pechot, sonnent comme des thèmes hollywoodiens écrits et arrangés par Lalo Schifrin (on pense notamment à On the way to San Mateo du film Bullitt). Les mélodies simples perfusées d'un jazz-funk-soul aussi subtil qu'entêtant rappellent furieusement les années 70 tandis qu'émergent des solos de sax ou de trompette jubilatoires. Ici et là, un orgue et une guitare bluesy (Only Nineteen) ajoutent des couleurs plus soul à l'ensemble.
La dernière partie de l'album est consacrée à quatre morceaux du troisième et dernier disque de Placebo sorti en 1974. Basé sur un riff insistant, N.W. (les initiales du producteur Norman Whitfield, un des créateurs du Motown sound) évoque les Marvin Gaye et autres Temptations, sans les paroles, mais avec une musique aux accents renforcés par un big band qui a collectivement adopté une incroyable sensibilité soul. Sur Dag Madam Merci, leur funk se fait charnel et moelleux comme pour accompagner l'inévitable scène romantique et nocturne d'un polar. Quant à Stomp qui clôture l'album, le groove est à nouveau bien là, roulé dans un arrangement hors-pair comme une friandise funky.
Mieux vaut ne pas résister à ce cocktail d'ancien et de moderne. La musique de West End Club Plays Placebo se déguste d'une traite comme on regarde un ancien feuilleton de Starsky et Hutch ou de Mission Impossible. Le soul-jazz des années 60 et 70 s'y mêle à un goût pour le swing, à des orchestrations raffinées et à un sens indéniable de la mise en scène. C'est encore du Placebo certes (et Marc Moulin, s'il avait vécu jusqu'à la parution de l'album, en aurait été fier vu que tout ce qu'il aimait y est encensé), mais c'est aussi du Placebo "augmenté" comme vous ne l'avez jamais entendu. Recommandé !
[ WMC Plays Placebo (CD / Digital) ] [ A écouter : N.W. ] |
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