La période Swing en Belgique



Après tout, peut-être que le jazz était prédestiné à s'étendre dans la petite Belgique puisque c'est un Belge de Dinant, Adolphe Sax (1814-1894), qui inventa l'instrument emblématique de ce style de musique: le saxophone. Et quand au début du vingtième siècle, le chef d'orchestre américain John Philip Sousa vint à Bruxelles avec sa fanfare, sa musique syncopée rencontra un succès inattendu, surtout quand il joua à l'exposition internationale de Bruxelles en 1903. Plus sérieusement, c'est dans les années 20 que les premiers musiciens belges de jazz ont fait leur apparition et, parmi les premiers, le pianiste de ragtime Jean Pâques, le pianiste Clément Doucet, le chef d'orchestre Lucien Hirsch et ses Revellers, et surtout Charles Remue. Grâce à deux promoteurs inlassables, Félix Faecq et Robert Goffin, l'intérêt pour cette musique a soudain crû en Belgique. Après une visite à la Nouvelle-Orléans, Goffin écrivit une série d'articles qui deviendront plus tard un livre historique (Aux Frontières du Jazz, 1932) tandis que Faecq a organisé en 1926 le premier concert de jazz en Belgique avec deux formations aux noms aussi célèbres qu'évocateurs: le Waikiki Jazz Band et le Bistrouille Amateur Dance Orchestra. C'est encore Faecq qui, en 1924, fonda la première revue au monde traitant sérieusement du jazz (Music Magazine qui sera abrégé plus tard en Music) et, en 1927, organisera le premier enregistrement de jazz belge à Londres avec Charles Remue et ses New Stompers. A partir de là, dans un contexte plutôt favorable, des musiciens , chefs d'orchestre, solistes, arrangeurs et compositeurs, vont émerger pour créer une scène jazz belge vivante tandis que, dans le sillage d'un tel succès, le jazz finira même par s'installer en permanence à l’Institut National de Radiodiffusion via un grand orchestre constitué et dirigé par Stan Brenders.





"L'année 1920 voit à la fois la création à Bruxelles du premier big band européen, The Bistrouille Amateur Dance Orchestra, et celle de Music, le premier magazine de jazz au monde… Le premier concert de jazz belge est organisé le 15 janvier 1926. Le 27 juin 1927 constitue une autre date historique, avec le premier enregistrement d'un orchestre belge à Londres: The New Stompers dirigé par Chas Remue, avec Stan Brenders au piano. Ces évènements donnent naissance, vers 1930, à ce qu'on peut appeler le premier âge d'or du jazz en Belgique."

- Marc Danval, Les âges d'or du jazz belge, in "Jazz In Little Belgium, la collection Robert Pernet", Fondation Roi Baudouin, 2003.


"Les oeuvres de Peter Packay sont au répertoire d'Eddie Tower, Jean Omer, Stan Brenders, Ernst Van 't Hoff, Gene Dersin ou Bobby Naret. En Angleterre, l'orchestre de Jack Payne enregistre Hot Bricks, tandis que ses compositions sont jouées par Jack Hilton, The Savoy Orphans, Ted Heath ou Nat Gonella, en Hollande par The Ramblers et en Amérique par Luis Russell and his Orchestra... Le monde de Peter Packay mérite d'être redécouvert par les jeunes. L'idéal serait qu'un fabuleux big band comme The Brussels Jazz Orchestra le révèle à nouveau."

- Marc Danval, Histoire du Jazz en Belgique, Editions Avant-Propos, 2014.


"La clarinette du leader évoque le style Boyd Senter / Ted Lewis alors que son orchestre peut favorablement être comparé au meilleur du style newyorkais. La star pour moi est le trompettiste Alphonse Cox, dont l'approche tranchante et anguleuse démontre sa maîtrise de ce qui était alors un tout nouvel idiome dans la musique hot européenne. Mais ce n'est pas seulement les musiciens qui seront une révélation. Les arrangeurs méritent aussi une distinction car ce disque est également un hommage à leurs compétences. Le Charles Remue New Stompers Orchestra fut une formation éphémère puisque, formée au printemps 1927, elle s'est dispersée quand Remue a rejoint les Savoy Orpheans en décembre de la même année. Heureusement que des enregistrements pareils ont été réalisés et sont à nouveau disponibles, car maintenant, on dispose non seulement d'un documentaire valable sur les premières musiques hot européennes mais aussi d'un disque fort agréable."

- Traduction d'une chronique de John G. Featherstone parue dans Storyville Magazine (UK), Octobre-Novembre 1974, page 36, à propos du LP Charles Remue and His New Stompers Orchestra 1927 (Retrieval)


"Tant qu'il a été assimilé à une musique faite pour la danse, pendant l'époque du Swing et du Mainstream (surnommé en France Middle Jazz), le Jazz a connu un franc succès d'audience. Le public confondait Buck Clayton (tp) avec Harry James (tp) et mettait dans le même sac : Glenn Miller (tb), Benny Goodman (cl) et Duke Ellington (p)! Ne jetons pas la pierre à ce public ni à ces musiciens borderline entre Jazz et musique de danse plus ou moins jazzisante ; ils ont largement contribué à la découverte du Jazz par des gens qui sont ensuite devenus des amateurs avertis."

- Jean Lerusse, Le Jazz pour tous, LDH Editions, 2010


"A l'image des machines dirigées par les dieux américains de la "swing craze" (Benny Goodman, propulsé "King of Jazz" après Paul Whiteman, Glenn Miller, Tommy Dorsey, Artie Shaw, etc.), vont en effet se constituer en Belgique un certain nombre de grandes formations, professionnelles ou - le plus souvent - amateurs, bientôt attraction indispensable des grandes salles de danse. A partir de 1935-1936, ces orchestres commenceront à fréquenter les studios d'enregistrement, inaugurant un processus qui connaîtra son apogée pendant la Seconde Guerre mondiale lorsque, privés des "originaux" américains, les amateurs de jazz se rueront sur les productions nationales... Tous ces orchestres proposent dans l'ensemble un répertoire copié des orchestres américains; pourtant, il existe une proportion importante d'œuvres et d'arrangements dus à des musiciens belges (Jack Demany, Peter Packay, Jean Delahaut, etc.)"

- Collectif, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie, 327 p., éditions Mardaga, 1991.


"L'invasion de la Belgique, le 10 juin 1940, bouleversa évidemment les conditions de la vie musicale... L'édition phonographique belge ne fut cependant pas totalement interrompue par l'Occupation. Au contraire, les importations étant quasiment taries, deux firmes belges, la Sobedi et la firme Fonior produisent des disques de jazz sans discontinuer... Les firmes allemandes Telefunken et Brunswick sont également très actives et enregistrent Stan Brenders, qui a transformé l'orchestre de jazz de l'I.N.R. en Grosses Tanzorchester Stan Brenders, et le Grosses Tanzorchester Fud Candrix... Cette activité musicale ne manque évidemment pas d'ambiguïté : collaboration évidente dans certains cas (tels ceux de Stan Brenders et John Ouwerx) , sanctionnée à la Libération, elle prit dans certaines situations la forme d'un véritable défi aux nazis: musique de nègre aux titres anglo-saxons, inspirée parfois par les transmissions de la B.B.C., interprétée quelque fois par des musiciens juifs ou, comme Django Reinhardt, tziganes, le jazz pouvait signifier une mise en cause de l'esthétique nazie."


- André Lange, Stratégies de la Musique, 429 p., collection Création & Communication, éditions Mardaga, 1986.






CD Retrieval FG-401

Charles Remue & his New Stompers Orchestra :
Slow Gee-Gee (2:43)
Charles Remue and his New Stompers Orchestra : Slow Gee-Gee (Edison Bell Electron), Londres, 28 juin 1927

Considéré par beaucoup comme le meilleur jazz band européen et parfois pris à tord pour un orchestre américain par ceux qui entendaient ses 78 tours pour la première fois, Charles "Chas" Remue et ses New Stompers sont entrés dans l'histoire en gravant dans la cire les premiers disques de jazz belge. Par manque de studio convenable en Belgique, ces enregistrements furent effectués à Londres en juin 1927 pour la compagnie Edison Bell. Outre Remue à la clarinette, les vedettes de cette formation éphémère sont le trompettiste liégeois Alphonse Cox et le pianiste Stan Brenders: deux musiciens que l'on entend particulièrement bien sur ce morceau 100% belge puisqu'il a été composé par Peter Packay et David Bee.





The Many Sided Talent Of Peter Packay (LP palette records MPB S-584), 1977

Peter Packay's Swing Academy :
8 Bars In Search Of A Melody (2:55)
Peter Packay's Swing Academy : 8 Bars In Search Of A Melody (Regina), Belgique, 1936

Le Bruxellois Pierre Paquet, alias Peter Packay (1904 - 1966) est une figure importante des premières années du jazz en Belgique. Trompettiste autodidacte, ce sera surtout comme compositeur et arrangeur qu'il se fera connaître. Il mérite aussi de passer à la postérité pour deux raisons: il a fait partie dès 1925 du premier big band européen, créé à Bruxelles en 1920 : The Bistrouille Amateur Dance Orchestra et, en 1927, quand un orchestre belge (Charles Remue and His New Stompers Orchestra) a enregistré pour la première fois à Londres, le répertoire comprenait à côté de standards des chansons belges écrites par David Bee et Peter Packay. De 1936 à 1939, Packay à dirigé son propre big band intitulé Peter Packay's Swing Academy qu'on peut écouter sur cette vidéo interpréter 8 Bars In Search Of A Melody, un foxtrot composé par l'arrangeur américain Will Hudson.





Big Chief Swing It (His Master’s Voice)

Stan Brenders :
Big Chief Swing It (2:45)
Stan Brenders : Big Chief Swing It (His Master’s Voice F.290), Bruxelles, mai 1938

En 1935, Ministre des PTT Paul-Henri Spaak confie à Stan Brenders (1904-1969) la formation d' un nouvel orchestre de jazz au sein de l’Institut National de Radiodiffusion, semblable à ceux existant déjà aux Pays-Bas et en Angleterre. L'orchestre devient rapidement très connu, en Belgique et à l'étranger, ce qui lui permet de graver ses premières faces pour des maisons de disques comme ce Big Chief Swing It enregistré pour His Master’s Voice en mai 1938. Ca swingue comme chez Jimmie Lunceford avec d'excellents musiciens à bord comme Raymond Chantrain (tp), Chas Remue (as, cl), Jack Demany (ts, cl) et John Ouwers au piano.





Fud Candrix, Vol. 4 (1937-1939)

Fud Candrix :
Ragging The Scale (2:45)
Fud Candrix : Ragging The Scale (Telefunken A 2660), Blankenberge, 29 juin 1938

Après son service militaire, le saxophoniste Fud Candrix (1908 - 1974) monta un nouvel orchestre qui squatta les dancings de Bruxelles et de la Côte Belge. Impressionné, le promoteur Felix Faecq lui fit enregistrer une démo et parvint à intéresser le label allemand Telefunken qui le prit sous contrat pour six ans. A l'été 1938, alors qu'il venait d'adapter sa formation (notamment en incluant le guitariste Gaston Backaert) pour jouer à Blankenberge, Candrix enregistra ce titre pour Telefunken. A l'origine un ragtime écrit en 1905 par Arthur B Claypool, Ragging The Scale swingue en douceur et se nourrit de belles interventions de saxophone et de clarinette.





Whispering

Gus Deloof and his Swing Orchestra :
Whispering (3:07)
Gus Deloof and his Swing Orchestra : Whispering (Decca Swing Series 8751), Bruxelles, 1940

Gus Deloof a conçu un bel arrangement jazz pour cette vieille chanson populaire datant de 1920 et qui a connu, de Paul Whiteman à Miles Davis, plus de 700 interprétations. Trompettiste renommé, compositeur et arrangeur, Deloof a joué avec les plus grands orchestres de l'époque dont ceux de Fud Candrix et de Ray Ventura. Cet arrangement dynamique met bien en exergue son style vivant au swing intense. Deux autres solistes remarquables étaient également présents lors de cette session : David Bee à la clarinette et Jean Robert au sax ténor.



You Took Advantage Of Me

Eddie Tower et son Orchestre de Danse :
You Took Advantage Of Me (3:16)
Eddie Tower et son Orchestre de Danse : You Took Advantage Of Me (Telefunken A-10309), Bruxelles, 1er mai 1941

De son vrai nom Emile Deltour, le violoniste liégeois Eddie Tower (1899-1956) s'est vite intéressé au jazz, faisant ses débuts dès 1923 avec le Five Merry Kids de Jean Pâques, enregistrant en 1929 avec Charles Remue et rejoignant en 1936 l'orchestre INR de Stan Brenders. Ce titre, enregistré pour Telefunken en mai 1941, le présente à la tête de son propre orchestre de danse qui incluait des musiciens expérimentés comme les trompettistes Raymond Chantrain et Robert De Kers, le tromboniste Jean Damm, les saxophonistes Louis Billen, Jo Magis, et Arthur Saguet, le guitariste Chas Dolne, ainsi que le pianiste Armand Courtois. Composé par Richard Rodgers en 1928 et popularisé la même année par l'orchestre de Paul Whiteman avec Bix Beiderbecke, You Took Advantage Of Me est ici rendu dans une version qui swingue avec un bel entrain.



Le Bal des Bûcherons (Olympia)

Gene Dersin et son Grand Orchestre :
Le Bal des Bûcherons (3:25)
Gene Dersin et son Grand Orchestre : Le Bal des Bûcherons (Olympia D 7019), Bruxelles, 1942

L'orchestre de Gene Dersin interprète en 1942 Le Bal des Bûcherons qui n'est rien d'autre que le célèbre At The Woodchopper's Ball composé en 1939 par Joe Bishop et Woody Herman. Une bonne version, heureusement bien préservée, de ce standard joué par un natif de Jemappes (1905 - 1985), saxophoniste et clarinettiste, mais qui fut surtout apprécié en tant que chef d'orchestre dans les années 30, 40 et 50. Le jazz étant officiellement prohibé par l'occupant nazi, c'est en renommant les morceaux que les musiciens belges contournaient la censure. Ainsi, sur l'autre face du 78 tours, la composition Riffin' At The Arena de Candrix et Deloof est-elle, par sécurité, rebaptisée Dans L'arène.

Roger Guillams, Georges Clais, Jean Adam (tp); Joseph Awouters, Armand Gramme (tb); J. Kriekels, José Fontaine, G. Theubert, Charles Frenet (sax, cl); Gene Dersin (cl); M. Debouny (p); F. Lovinfosse (gt); Fernand Fontaine (cb); Josse Aerts (dm)



Place De Brouckère

Django Reinhardt & Fud Candrix :
Place De Brouckère (2:50)
Django Reinhardt & Fud Candrix : Place De Brouckère (Rythme D-5030), Bruxelles, 16 avril 1942

Au cours du printemps 1942, Django effectue une tournée en Belgique où il obtient un triomphe. Il est, à cette occasion, invité à se produire avec deux orchestres qui représentent le nec plus ultra du jazz de music-hall. Le 16 avril, il enregistre quatre titres avec la formation de Fud Candrix... Place de Brouckère [...] domine le lot: Django y propose une improvisation toute de virtuosité ailée, avec un passage en accords qui anticipe Wes Montgomery, très différente de celle qui deviendra canonique sur ce thème, au point d'en paraître partie intégrante... Certainement, Django apprécia cet accompagnement puisque, un an plus tard, à Paris, il fait de l'orchestre de Fud Candrix "l'orchestre de Django Reinhardt". (Extrait du livre Django de Patrick Williams, Editions Parenthèses, 1998)



Mohikaner

Jean Omer :
Mohikaner (3:53)
Jean Omer und sein Orchester : Mohikaner (Brunswick A 82273), mai 1942

En 1942, les affaires reprennent pour les musiciens belges. L'occupant nazi censure le jazz mais laisse les formations jouer des morceaux portant des titres en français ou en allemand. Mieux les Allemands invitent les orchestres à se produire et même à enregistrer à Berlin, des activités qu'on ne manquera pas de leur reprocher après la libération. En 1941, Jean Omer reforme son big band avec des musiciens comme Louis Dehaes (tp), Jean Robert (ts), Roger Squinquel (tb) et Rudy Bruder (p), et se produit au Boeuf Sur Le Toit à Bruxelles et au Delphi Palast à Berlin. C'est avec cet ensemble qu'il grave en mai 1942 quelques faces pour le label Brunswick de la Deutsche Grammophon Gesellschaft dont ce titre, Mohikaner, qui figure en face B du disque 78 tours Mitternachts-Musik (Brunswick 82273). C'est un foxtrot composé par le contrebassiste Jean Delahaut, juste ce qu'il faut pour faire swinguer l'orchestre, délivrer quelques beaux solos et, bien sûr, pour inviter le peuple à danser en oubliant ses soucis.


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