Le fantastique est un genre différent de la science-fiction et de la fantasy. Le problème réside toutefois dans sa définition qui est loin d’être simple. Ainsi le mot recouvre t’il des thèmes aussi variés que l’amour absolu et les orbites du désir quand il confine à la folie ; les diables et la sorcellerie ; l’au-delà, la mort et les fantômes ; les créatures de l’imaginaire comme le loup-garou, la momie, le vampire ou le golem sans oublier celle de Frankenstein ; le monde du rêve, des cauchemars, des fantasmes, des délires et de la folie, sous l’emprise de drogues ou pas, et ses relations avec le réel ; ou encore tout remaniement de la causalité ainsi que les distorsions du temps ou de l’espace capables de sortir l’individu du temps présent et de l’espace conventionnel dans lequel il évolue. Le fantastique naît aussi d’une rupture entre le réel et l’irréel qui sape brutalement toute conception implicite de la réalité, d’un passage individuel ou collectif du naturel au surnaturel que l’on n’explique pas mais que l’on subit. Dans une sémantique subjective, on appellera parfois fantastique tout ce qui provoque chez le sujet qui y est confronté une réaction viscérale comme la fascination ou la répulsion, voire l’effroi, l’angoisse et la terreur. Le fantastique est un genre qui apparaît dans la plupart des arts comme la peinture, la sculpture, la littérature, la poésie et, plus récemment, dans le cinéma, la bande dessinée et les jeux vidéo. La musique, en tout cas quand elle est purement instrumentale, est souvent classée à part car il est à priori difficile de lui associer une quelconque expression fantastique. Pourtant, beaucoup d'œuvres musicales portent la marque de l’étrange et sont capables de provoquer une intrusion soudaine d’inquiétude ou d’émerveillement. C’est le cas par exemple de ces œuvres classiques bien connues que sont la Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz, la Nuit Sur le Mont Chauve de Modest Mussorgsky, la Danse Macabre de Camille Saint-Saëns, la Marche Funèbre d'une Marionnette de Charles Gounod (utilisée comme musique du générique pour la série télévisée Alfred Hitchcock Presents) ou les deux suites Peer Gynt de Edvard Grieg. A ces classiques, il faut encore ajouter les musiques qui sont pour toujours associées à des films fantastiques. On pense notamment à l’extraordinaire Tubular Bells de Mike Oldfield utilisé par William Friedkin pour son Exorciste, aux synthés de Vangelis rythmant les aventures du chasseur de primes futuriste dans le fameux Blade Runner de Ridley Scott, ou encore aux nappes électroniques de Tangerine Dream pour le Sorcerer du même Friedkin. Hors du domaine du rock, on trouve aussi de superbes bandes originales spécialement composées pour le cinéma et qui évoquent immanquablement les images des films pour lesquels elles ont été créées. Parmi les meilleures figurent en bonne place Jerry Goldmith pour The Omen ; Danny Elfman pour The Nightmare Before Christmas, Edward Scissorhands et Sleepy Hollow ; Bernard Herrmann pour le Psycho d’Alfred Hitchcock ; Elliot Goldenthal pour Interview With A Vampire ; James Newton Howard pour The Village ou encore Franz Waxman pour l'inoubliable The Bride Of Frankenstein. Ceux-là méritent bien une écoute que vous ayez vu le film ou pas. Le propos de cette page n’est pourtant pas de débattre du rapport entre musique et fantastique mais plutôt de présenter le fantastique dans un nouvel art récent : celui de l’illustration de la pochette de disque. Les pochettes n’ont souvent qu’une relation très vague avec la musique mais, dans certains cas, cette relation existe vraiment. D’ailleurs, beaucoup d’amateurs se basent souvent sur l’image aperçue dans un bac à disques pour sélectionner une œuvre à écouter plutôt qu’une autre. Que cette dernière réponde à leurs attentes est une autre histoire, mais il arrive aussi que la synergie existe. La science-fiction et l'heroic-fantasy ayant été traités sur d’autres pages qui leur sont plus spécifiquement consacrées, voici une sélection de quelques une parmi les plus belles pochettes dans le genre fantastique. A noter que le gore prisé par certains groupes de Rock extrême, qui relève de l’horreur et parfois du morbide sans pour autant se référer à des éléments surnaturels, n’est pas du tout considéré ici. Toutes ces pochettes ne sont pas puisées dans le Rock Progressif mais c’est quand même dans ce genre musical (et dans le Heavy Metal) que l’on a trouvé les plus belles expressions graphiques des thèmes apparentés ou suggérant le monde de l'étrange et de l’irrationnel. |
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L'art fantastique n'est jamais plus efficace que quand le surnaturel est simplement suggéré! L'une des premières et des plus belles pochettes du genre est celle conçue par Marcus Keef en 1970 pour le premier album des inventeurs du Heavy Metal. La photographie de Black Sabbath a déjà été analysée sur une autre page de ce site mais, représentant un archétype de l'illustration fantastique dans le cadre de la musique Rock, il était impossible de l'ignorer dans ce contexte. Avec son cinquième disque Blackwater Park, le groupe suédois Opeth transcenda son style Death Metal en élargissant ses horizons et en faisant appel pour la première fois à Steven Wilson de Porcupine Tree qui produisit la musique en lui insufflant une fluidité qui lui faisait jusqu'ici défaut. La pochette suggestive fut confiée à Travis Smith, illustrateur autodidacte et indépendant de San Diego renommé dans le petit monde du Métal et du Prog pour ses superbes couvertures d'album (Gordian Knot, Demons and Wizards, Devin Townsend, Anathema, Nevermore, Control Denied, Iced Earth ...). Travaillant essentiellement sur PC, avec Photoshop pour concevoir ses images à partir de dessins et de photographies qu'il prend lui-même et avec Quark Xpress ensuite pour la mise en forme, Travis a des visions et, plus rare, arrive à en transmettre l'essence avec une rare efficacité. La pochette de Blackwater Park, avec sa mise en scène froide, humide et floue, est en étroite corrélation avec l'atmosphère étrange de l'univers développé par Opeth. Ici, brumes, marais et créatures spectrales se confondent avec les arbres morts ... Difficile de faire mieux dans la suggestion. Si la musique du premier disque du groupe suédois Anekdoten évoque le King Crimson des années 75 en plus sombre, la photographie de la pochette rappelle plutôt le travail de Markus Keef pour Black Sabbath : couleurs filtrées, lumière spectrale, silhouette anonyme en robe noire ... Vemod génère la même fascination étrange parce qu'il est impossible d'en expliquer la cause. La dernière pochette de cette série est celle conçue pour un EP du groupe suédois de Heavy/Death Metal Dark Tranquility : Enter Suicidal Angels paru chez Osmose en 1996. Beaucoup plus classique que les précédentes images, ce montage n'en est pas moins terriblement efficace avec cet œil inquiet qui, surimposé à une forêt peuplée d'ombres, en accentue l'aspect maléfique et génère l'inquiétude. |
De l’autre côté du miroir | |
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"Orientez-le correctement, et un miroir devient un objet magique ; il peut vous montrer tout ce que vous pouvez imaginer et peut-être plusieurs choses que vous n'imaginez pas." Pour l'écrivain Neil Gaiman (Miroirs et Fumées, J'ai Lu, 2000), le fantastique est un miroir que l'on peut mettre à profit pour apercevoir des choses que l'on ne pourrait pas voir autrement. Le miroir, instrument privilégié des grands magiciens, est le passage obligé que l'on emprunte pour passer dans l'autre monde où vivent des dragons et des lapins qui parlent. Mais attention, inversement, c'est aussi de là que surgissent les créatures de l'au-delà et leurs intentions ne sont jamais claires. Après tout, ces trois superbes pochettes ne disent rien d'autre. On notera l'amusante similitude, à six années d'intervalle, entre les pochettes de ces monstres du Prog-metal que sont Dream Theater et Symphony X. Toutes deux donnent une belle illustration de la magie du miroir. Dans un style plus sombre, le miroir gothique du groupe de Heavy/Nu-Metal californien Korn, ligne ténue entre l'irréel et l'ordinaire, est suffisamment inquiétant pour faire travailler l'imagination d'une personne qui dormirait en sa présence. Quand à la pochette naïve illustrant l'univers de Lewis Carroll, auteur du célèbre livre De l'Autre Côté Du Miroir, elle a été dessinée par le fameux chanteur Roy Wood (The Move, Wizzard, Electric Light Orchestra) pour un disque méconnu de la chanteuse Annie Haslam du groupe Renaissance. |
Créatures de la nuit
Réelles ou fictives et parfois immatérielles, les créatures de la nuit sont innombrables et, du loup-garou au vampire, elles se sont frayées un chemin à travers les âges dans l'imagination des hommes. Invisibles dans les ténèbres ou révélées par la lumière blafarde d'une pleine lune, elles sont la source de peurs ataviques aussi difficiles à expliquer qu'à maîtriser. La première pochette est un clin d'œil obligé aux créatures masquées du groupe Kiss. "Searching in the darkness, running from the day. Hiding from Tomorrow, nothing left to say. Gathering up our courage, ready for the fight. Howling in the shadows, till we start to bite ... We are creatures of the night". Le guitariste Ace Frehley ne joue pas sur l'album mais pose encore sur la pochette et, bientôt, Kiss laissera tomber les masques. Mais cette année-là, Gene Simmons et ses compères éructaient encore une fois leurs langues de métal en fusion en criant aux foules des arènes : loud, I wanna hear it loud, right between the eyes. Si vous n'aimez pas la musique de Kiss, il est probable que vous aimerez encore moins celle de Kim Bendix Petersen plus connu sous le pseudonyme de King Diamond. Malgré des textes bien écrits, une mise en scène énorme et les qualités théâtrales que certains ne manqueront pas de trouver à ce Death Metal outré et imprégné d'occultisme, Abigail dépasse largement ce qu'une oreille moyenne est capable d'assimiler. La pochette par contre, conçue par Thomas Holm, est magnifique. Rappelant les célèbres films d'horreur de la Hammer, elle rend omniprésente l'imminence d'un danger que personne ne peut encore nommer mais dont on sait qu'il bondira une fois que les ténèbres auront tout recouvert. "Through the darkness you could only see a giant shadow which was to be. A house where evil ruled at night. And the shadow at the gates it seemed to be alive". Brrr ! Qui dit mieux ? Pour en terminer avec les montres, place à Eddie, la créature du groupe de Heavy Metal Iron Maiden. Créée au début des années 80 par l'illustrateur Derek Riggs qui l'a ensuite abandonnée, elle a trouvé depuis d'autres pères qui l'on fait revivre pour le bonheur des fans. Ce montage photographique où elle surgit dans la fumée d'un concert de Maiden à Rio avec la scène illuminée qui lui tient lieu de gueule ouverte est une brillante idée. |
Sorcellerie et petits diables
Démons et sorciers ont été mille fois représentés sur des pochettes de Rock surtout dans le genre Heavy Metal. Du Demons and Wizards de Uriah Heep au Horror Show de Iced Earth, l'imagination des illustrateurs paraît sans limites. Rares sont pourtant les vraies réussites arrivant encore à surprendre. Le disque de Clive Nolan et Oliver Wakeman se réfère bien entendu au célèbre récit de Arthur Conan Doyle. Même si, grâce à l'intervention de Sherlock Holmes, la fin du récit se résout par une explication logique qui n'a rien de surnaturel, le Chien des Baskervilles restera aussi dans l'imaginaire comme un récit fantastique en partie grâce au superbe film du même nom réalisé par Terence Fisher en 1959 pour la Hammer. Tournée avec les acteurs fétiches de la célèbre firme anglaise spécialisée dans l'horreur comme Peter Cushing et Christopher Lee, cette histoire de détective fut en effet traitée par Fisher comme un pur récit gothique avec sa maison aristocratique cernée de landes marécageuses et sa créature diabolique errant dans un brouillard à couper au couteau. La pochette, due au talent de Peter Pracownick (qui a aussi travaillé pour Blackmore's Night) conserve cette approche fantastique avec sa maison sombre illuminée par un ciel d'orage, la bête au premier plan et la chauve-souris noire se détachant sur les éclairs. Beaucoup plus explicite est la gargouille de Saxon qui prend vie en déployant ses ailes de démon. Encore une superbe image du grand Paul Raymond Gregory qui travaille davantage dans l'Heroic Fantasy que dans le fantastique. Quand au motocycliste surgissant des enfers sous l'œil d'une chauve-souris démoniaque perchée sur une pierre tombale, c'est l'une des images parmi les plus fortes et les plus originales du genre dans l'histoire de la pochette Rock. Il faut dire qu'on la doit au fameux dessinateur américain de bandes dessinées Richard Corben qui, paraît-il, l'a réalisée en quatre jours seulement. |
La mort et l’au-delà
La mort est également un thème récurrent sur d'innombrables pochettes. La plupart du temps, on y fait référence par des dessins ou des photographies de pierres tombales dressées dans la clarté lunaire peut-être parce que les cimetières sont des domaines privilégiés où la ligne de partage entre le réel et l'immatériel paraît plus poreuse. Tout se joue alors dans la nuance, le jeu des couleurs et les mises en perspectives. La pochette de Still Life du groupe Opeth est, par son rouge sanglant et sa mise en scène, une totale réussite. Faut-il s'étonner qu'elle ait une fois encore été conçue par le talentueux Travis Smith dont la collaboration avec le groupe suédois de Death Metal Progressif est décidément exemplaire. A l'opposé, la pochette de Darktown pour Steve Hackett est sombre et ultra-sobre mais n'en offre pas moins malgré son classicisme sa part d'étrangeté, traduisant bien l'atmosphère pesante du titre éponyme magnifiquement interprété par l'ancien guitariste de Genesis. Black Sabbath a l'habitude de soigner ses pochettes qu'il confie parfois à des artistes confirmés comme Hypgnosis (Never Say Die et Technical Ectasy). Celle de Headless Cross est due à Kevin Wimlett qui a privilégié le dépouillement avec une simple croix plantée dans une langue de brume et scintillant dans la lueur blafarde d'un halo lunaire. Et Metallica, qui n'a jamais caché l'influence de Black Sabbath sur sa musique, a lui aussi choisi un cimetière avec des tombes manipulées par des fils de marionnettes pour son album Master Of Puppets. La Mort c'est aussi la camarde, l'Ankou des Bretons, le passeur, la grande faucheuse qui vient chercher les âmes de ceux qui vont trépasser. Les pochettes des disques du groupe finlandais Children Of Bodom, dont le Black Metal sans compromission heurtera brutalement toute personne non initiée au genre, reprennent à peu de choses près (en variant les couleurs et le décor d'un album à l'autre) ce thème déjà retenu par Amon Düül II quelques 30 années auparavant. Une autre allégorie de la mort, connue depuis le Moyen-Âge, est la Danse Macabre dans laquelle la Mort, symbolisée par un squelette, dialogue avec les vivants en esquissant une farandole. Sont présentés ici la superbe peinture de Aat Veldhoen pour le groupe hollandais classico-progressif Ekseption illustrant de belle manière la danse macabre de deux squelettes dans les nuages ainsi que le monde froid et désertique imaginé par Urs Amann pour l'album Timewind du sorcier allemand de l'électronique, Klaus Schulze. Bon voyage dans l'au-delà ! |
Blue Öyster Cult : On Your Feet Or On Your Knees (Columbia), USA 1975 A votre avis, quels obscurs desseins ont poussé les occupants de cette limousine noire arborant le sigle du Culte de l'Huitre Bleue à se rendre dans cette église isolée aux heures crépusculaires ? |
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